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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

Petrobras : à nouveau la menace populiste (2).


La première entreprise brésilienne sauvé d'un naufrage.


Retour en 2017. Le Brésil peine alors à sortir d’une crise économique, financière et poli-tique. Le gouvernement intérimaire de Michel Temer tente de relancer l’économie après deux années de récession. Il cherche à tirer le meilleur parti possible des ressources pétrolières. Le scandale de Petrobras découvert en 2014 a éclaboussé une bonne partie de la classe politique. Il a entraîné la condamnation par la Justice de l’ancien Président Lula. Dans ce contexte, le secteur pétrolier a du mal à repartir. L’espoir du gouvernement est alors d’attirer les investisseurs étrangers, notamment les firmes européennes, qui pourraient être intéressées par l’exploitation de champs pétroliers au Brésil. Le pays en-gage donc une nouvelle stratégie qui rompt avec la politique nationaliste et interven-tionniste qui a prévalu sous les gouvernements Lula (2003-2010) et Dilma Rousseff (2011-2016).


Pre-Sal et protectionnisme.


En 2006, la découverte d’importantes réserves de pétrole pré-salifère au large des côtes de l’Etat de São Paulo va susciter beaucoup d’espoir et nourrir de grandes illusions sur le rôle que peut avoir le pétrole dans le développement. Le plus grand champ pétrolifère, situé au large des côtés de Rio de Janeiro et à plus de 7 000 mètres en-des-sous du sol, a été estimé par les experts à près de 20 milliards de barils de brut. Dès la découverte de cette nouvelle ressource, on sait au Brésil que l’extraction du pétrole sous une couche de sel sera très coûteuse. Le gouvernement du Président Lula imagine pourtant déjà que le pays va devenir un des plus importants producteurs de pétrole au monde. Défenseur d’un modèle de développement fondé sur une forte intervention de l’Etat, refusant la logique du marché, le pouvoir de gauche imagine que cette "mine d’or" qu’est le Pre-Sal peut lui échapper s’il applique la législation en vigueur depuis 1997, fondé sur un régime de concessions. Il décide donc de mettre en place un nouveau code pétrolier pour le Pre-Sal, fondé sur un régime de partage de la production. Seule l’entreprise nationale Petrobras pourra être opérateur principal des nouveaux gisements de pétrole. En outre, la compagnie nationale devra obligatoirement détenir une part d’au moins 30% du capital dans les consortiums d’exploitants créés pour exploiter ces gisements. Le gouvernement espère ainsi garder la main sur le pétrole national et s’assurer ainsi une part importante dans les nouveaux revenus générés.



Les champs pétrolifères off-shore du Pre-Sal.


Le groupe pétrolier va s’engager dans un programme d’investissements considérable. Aux coûts de la mise en exploitation des nouveaux gisements vient s’ajouter l’impact de la politique de développement industriel que l’Etat met en place. De la construction de plateformes flottantes au transport du pétrole et du gaz, le gouvernement entend créer des marchés qui soient réservés aux opérateurs nationaux existants ou à lancer. Une législation lourde et contraignante, donnant la préférence aux équipementiers et sous-traitants brésiliens, va être imposée. Au lieu de miser sur le recours aux fournisseurs mondiaux les plus compétitifs, Petrobras doit privilégier les commandes auprès d’in-dustriels locaux qui sont très onéreux, mal préparés, parfois incapables de livrer dans les délais les équipements prévus ou.... inexistants. L'Etat fédéral montera ainsi de toutes pièces une société nationale de construction navale.


Pour faire face, Petrobras dépense. L’effort financier est considérable. Pendant le second gouvernement Lula (2007-2010), cet effort ne semble pas être insurmontable. Les ressources pétrolières s’annoncent abondantes et le cours mondial du baril flambe au-dessus de 100 dollars au cœur de l’année 2008. Dix ans plus tard, le gouvernement Temer doit faire le bilan : cette stratégie nationaliste et protectionniste a été un échec et le pays a bien du mal à relancer sa filière du pétrole.


La grande crise.


Les difficultés du secteur ne tiennent pas seulement aux contraintes que le gouver-nement de gauche a voulu imposer à Petrobras. Elles sont aussi liées à l’énorme scandale politico-financier dont a été victime la compagnie. En 2014, la justice brésilienne a lancé une grande enquête baptisée “lavage express” dans le but de faire la lumière sur un système de pots-de-vin mis en place par les dirigeants de plusieurs entreprises nationales ainsi que plusieurs responsables politiques. Le groupe Petrobras est au cœur de cette affaire. Les gouvernements Lula et Dilma Rousseff ont favorisé la nomination à des postes-clés au sein de la firme de personnalités membres du Parti des Travailleurs ou proches des formations politiques au pouvoir. Au sein du groupe pétrolier qui est alors de très loin le plus important investisseur dans le pays, ces cadres doivent monter des appels d’offre falsifiés qui ouvrent des marchés aux entreprises de construction civile et autres fournisseurs d’équipements et sous-traitants amis du pouvoir. Les chantiers et livraisons sont surfacturés. La surfacturation alimente un système de financement de pôts de vin et d’enrichissement personnel. Le dispositif va coûter 2 milliards de dollars à Pétrobras. Sa découverte va aboutir à l’inculpation de nombreux dirigeants de la com-pagnie et de responsables politiques ayant trempé dans l’affaire.



Navire de prospection construit au Brésil pour l'exploiration du Pre-Sal.


En 2014, alors que le scandale désigné sous le terme de petrolão éclate, la compagnie nationale qui portait tous les espoirs de décollage économique du pays sous l’ère Lula se retrouve avec une dette nette de 106,2 milliards de dollars, soit 4,77 fois l’Ebitda (1). Elle n’a aucun plan pour sortir de l’impasse. La firme pétrolière entre alors dans une crise dont il semble qu’elle ne pourra pas se sortir. L’année où éclate le scandale du Petrolão, elle entre dans le rouge et dégage un résultat net négatif. La situation n’est évidemment pas due uniquement aux problèmes de corruption. La crise de la compagnie est liée à un surendettement qui a commencé avec la mise en exploitation du Pre-Sal en 2010. Pour faire face des coûts d’exploitation très élevés sur les nouveaux champs pétrolifères, la firme a emprunté des capitaux sur les marchés financiers internationaux. Entre la fin des années 2000 et 2012, la captation de ressources aura atteint 70 milliards de dollars. Elle a continué à s’endetter ensuite, sur une période pendant laquelle l’exploitation des gise-ments du Pre-Sal ne permettait pas de dégager de résultats. La dette a continué à augmenter jusqu’en 2014. Cet endettement reste élevé en 2015 et 2016 en raison de la baisse des cours mondiaux du pétrole. Il est encore nourri par la politique de prix des combustibles que va imposer l’Etat fédéral jusqu’en 2016, par les pertes financières liées au scandale du petrolão et par une augmentation des dépenses en importations de carburants. Enfin, jusqu’en 2015, l’entreprise a investi des sommes considérables dans ses raffineries, afin de maintenir en fonctionnement les capacités existantes et améliorer l’effi-cacité des process industriels.


Le contexte mondial du secteur pétrolier a changé. Après avoir tenu quelques années au-dessus ou autour de 100 dollars/baril, le cours du pétrole passe en dessous de 75 dollars/baril à la fin 2014. Le brut brésilien est précipité vers un avenir incertain. Après avoir plongé en 2016 en dessous de 50 dollars, le cours du baril est resté inférieur à 75 dollars jusqu’en fin 2018. Cette évolution va peser lourdement sur le développement de l’exploitation des champs pétrolifères découverts plus de dix ans auparavant. Leur mise en exploitation est beaucoup plus onéreuse que celle du pétrole traditionnel. Avec un prix qui évolue entre 50 et 75 dollars/baril, l’exploitation des gisements du Pre-Sal n’est pas rentable. En 2016, après la destitution de Dilma Rousseff et l’investiture du gouver-nement Temer, la solution choisie sera de parer au plus pressé. La compagnie nationale va chercher à vendre une partie de ses actifs afin d’attirer les investisseurs étrangers. L’Etat assouplit le code pétrolier adopté dix ans plus tôt. Après plusieurs années dans le rouge, Petrobras va commencer à renouer avec les bénéfices au début de l’année 2017.


Principaux indicateurs financiers annuels de Petrobras en milliards de dollars.

Source : Petrobras.


Un sauvetage en cours.


Afin de relever son activité pétrolière, le Brésil a donc fait le choix de rompre avec son ancien système de gestion basé sur le leadership de l’entreprise nationale Petrobras. Pour améliorer les comptes de l’entreprise et redonner de l’attractivité aux champs de pé-trole brésilien, Petrobras a lancé plusieurs appels d’offres en vue de céder une part de ses actifs. Le plan a été validé par les députés brésiliens en novembre 2016 : ils ont ainsi donné leur feu vert pour la cession de 287 champs pétrolifères. Le parlement brésilien a également entériné les nouvelles modalités pour l’exploitation du pétrole sur le territoire brésilien : désormais, les entreprises étrangères peuvent répondre seules aux appels d’offre, et elles ne sont plus obligées d’être partenaires avec Petrobras. Cette libéralisation du secteur pétrolier doit permettre d’attirer rapidement de nouveaux investisseurs. Pour parachever son entreprise de séduction auprès des sociétés pétro-lières internationales, le gouvernement brésilien a même organisé en mai et juin 2017 un “road show”, véritable tour du propriétaire destiné à mettre en évidence le potentiel écono-mique du pétrole brésilien.


Pendant quatre ans, entre 2014 et 2017, le groupe pétrolier national a dégagé des résultats négatifs. En 2018, il repasse enfin au vert. Le résultat net atteint 7,173 milliards de dollars. La compagnie continue à réduire son endettement. La dette nette représentait 5,1 fois l’Ebitda en 2015. Elle était encore équivalente à 3,67 fois l’Ebitda en 2017. Le coefficient n’est plus que e 2,34 à la fin de l’exercice 2018. La production de la compagnie est à nouveau en hausse. Le redressement des cours du pétrole entre la fin 2017 et la fin 2019 va contribuer au redressement financier du groupe.


Pour parvenir à sortir des fortes turbulences des années antérieures, Petrobras a engagé une stratégie nouvelle depuis 2015. Depuis, la priorité a été de réduire le péri-mètre de la compagnie, de diminuer les coûts et le nombre d’agents, de vendre des actifs, notamment des raffineries. Entre 2015 et 2019, le programme de désinvestissement a permis de dégager des recettes exceptionnelles pour 15,5 milliards de dollars, utilisées pour réduire la dette. La compagnie a annoncé en 2019 que cette politique de désin-vestissement allait se poursuivre jusqu’en 2023 et qu’elle permettrait de capter une recette supplémentaire de 26,9 milliards de dollars en 8 ans. Petrobras entend se défaire de huit raffineries, de réseaux de distribution de carburants (au Brésil comme à l’étranger). La fin du monopole détenu de facto par la compagnie dans le secteur du raffinage est un message important. La construction et la mise en fonctionnement de raffineries auront été dans le passé associées à une mauvaise gestion, à l’interférence des gouvernants, à des interventions politiques. En réduisant son activité dans le secteur, la compagnie veut montrer qu’une rupture est en cours par rapport à des pratiques anciennes. La vente de raffineries est une composante-clé du plan de désinvestissement du groupe pétrolier.


L’autre volet de la stratégie engagée depuis 2015 a été de réduire le nombre d’employés que la compagnie emploie (63 360 en 2018). Entre 2014 et 2018, 16 500 salariés ont quitté la firme dans le cadre de la mise en œuvre d’un plan de démission volontaire. Le coût des indemnisations versées est estimé à 5,5 milliards de réais mais la compagnie estime qu’elle a ainsi réduit ses dépenses opérationnelles de 19,5 milliards.


Les bons résultats atteints en 2018, à la veille du changement de gouvernement, ne tien-nent pas seulement à la politique de désinvestissement engagée et à la réduction du nombre d’agents. L’entreprise a aussi mis en œuvre un nouveau dispositif de gouver-nance. Elle s’est recentrée sur son métiers principal, l’exploitation du pétrole etdu gaz. A la fin du gouvernement Temer, le groupe pétrolier national sort d’une phase particulière-ment difficile. Il reste cependant très endetté et le paiement des charges d’intérêt absorbe une part importante de ses résultats opérationnels.


Lorsque Jair Bolsonaro assume la présidence en 2019, il annonce que la politique enga-gée sous l’Administration antérieure sera poursuivie. Il accepte le choix fait par son ministre de l’économie de nommer à la tête de la compagnie nationale un économiste libéral qui entend continuer à redresser la situation financière du groupe. Les marchés financiers manifestent alors un optimisme serein quant à l’avenir de la compagnie. Cet enthousiasme sera brusquement refroidi en avril 2019 lorsque le chef de l’Etat prend l’initiative d’interdire une augmentation du prix sortie raffineries du diesel, mesure déci-dée par le nouveau CEO. Depuis 2016, les prix des carburants sont régulièrement réajustés (à la hausse ou à la baisse) en fonction de l’évolution des cours mondiaux du pétrole et de celle de la parité dollar/réal. Le Président explique alors qu’il craint que cette hausse ne soit une étincelle capable de provoquer une nouvelle grève des ca-mionneurs, comparable en ampleur à celle qui a eu lieu en mai 2018, entraînant une paralysie complète du pays. Les marchés financiers réagissent. Ils voient dans cette inter-vention le signe que le gouvernement fédéral va continuer à interférer dans les décisions d’une société à capital ouvert. Les actions de Petrobras vont chuter à la bourse et la compagnie va subir en une seule journée une perte de sa valeur boursière estimée à 32 milliards de réais. Quelques jours plus tard, le CEO du groupe annonce finalement un réajustement à la hausse du prix du diesel inférieur à ce qui était prévu initialement. Il affirme alors avec fermeté que le nouveau gouvernement n’interviendra pas dans la ges-tion de Petrobras.


Cette promesse ingénue ne sera pas démentie jusqu’à..... la fin 2020. Depuis le début du mandat de Bolsonaro, les cours du pétrole n'ont pas dépassé 75 dollars le baril, un pic atteint en avril 2019. Ils ont plongé début 2020 avec la crise sanitaire. Les choses se compliquent sur le deuxième semestre de l'année passée. La forte hausse du dollar commence à impacter les contrats passés par les importateurs brésiliens de pétrole. Le cours du baril connaît une dynamique haussière à partir de juillet 2020, puis à compter de novembre. Le prix mondial du baril tournait autour de 175 réais en mars 2020. Il est supérieur à 367 réais un an plus tard. A partir de janvier 2021, Jair Bolsonaro n'a pas cessé de manifester son irritation à l'égard du CEO de Petrobras.


(à suivre : la formation des prix des carburants au Brésil).


 

(1) Sigle en anglais du bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement.. Correspond approximativement à l'excédent brut d'exploitation.





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