L'inflation dans l'assiette des pauvres.
Comment rendre compte de la chute très significative de la popularité de Lula observée sur les derniers mois de 2024 et confirmée sur le début de 2025 ? Au Brésil plus qu’ailleurs, l’opinion est très sensible à l’évolution du pouvoir d’achat. C’est d’abord de cette donnée conjoncturelle qu’il faut traiter . Depuis 2024, le pays connaît un regain d’in-flation, une augmentation des prix liée d'abord à la politique d’expansion de la dépense publique menée depuis le début de son troisième mandat par Lula. Cette inflation est très marquée sur trois postes qui pèsent très lourd dans le budget des ménages les plus modestes : l’alimentation, le transport, les services (notamment santé et soins person-nels). Ensemble, ces trois groupes représentent 65% de la hausse des prix en 2024. Face à ce regain d’inflation préoccupant, le gouvernement Lula nage en pleine contradiction. D’un côté, il cherche à convaincre qu’il lutte effectivement contre la hausse du coût de la vie qui touche la majorité de la population et d’abord les plus modestes. De l’autre, il multiplie les initiatives qui favorisent l’inflation dans une économie déjà en situation de plein emploi. Ainsi, en février dernier, il a annoncé un élargissement de l’accès au crédit consigné (1) aux salariés du secteur privé, des mesures facilitant l’utilisation par ces mêmes salariés de l’épargne salariale (2) et une augmentation de l’allocation versée aux scolaires qui achèvent un parcours dans l’enseignement secondaire. Ces initiatives géné-reuses et électoralistes créent une demande nouvelle qui n’est pas accompagnée par un accroissement de l’offre de biens et de services. Elles contribuent à maintenir les tensions qui existent depuis 2023 sur le marché de l’emploi (taux de chômage très bas) et des niveaux de salaires élevés. Dans ces conditions, l’inflation est inévitable. Entre la politique budgétaire poursuivie par l’exécutif et la politique monétaire de la Banque Centrale, la divergence est flagrante. Le premier inonde l’économie de liquidités. L’Institut d’émission cherche à freiner l’envolée des prix en relevant les taux d’intérêt, ce qui renchérit le crédit, accroît l’endettement des agents économiques (notamment des ménages) et ralentit l’activité. Le gouvernement veut convaincre l’opinion publique qu’il est fermement engagé dans la lutte pour la stabilité des prix mais il ne veut pas renoncer à sa politique d’expansion des dépenses, une politique censée in fine permettre d’améliorer la popularité affaiblie du Président.
Sensibilité collective à l’inflation.
Dans le pays que dirige aujourd’hui Lula, plus d’un habitant sur trois a connu une époque pas si lointaine (avant le début des années 1990) où l’hyperinflation fermait l’horizon éco-nomique, amputait les revenus des plus modestes et ruinait la crédibilité des gou-vernements. Toutes les générations nées à la fin du XXe siècle savent à quel point la maîtrise de l’instabilité des prix obtenue grâce au Plan Real (1994) mis en œuvre par le Président Cardoso a signifié l’entrée dans une nouvelle ère, l’accès à une normalité que le Brésil ne connaissait plus depuis des lustres. Depuis, toute dérive inflationniste même mineure suscite un stress particulier au sein de la société et inquiète les leaders politiques. Le dérapage des prix est d’ailleurs représenté dans la presse et par les humoristes sous la forme d’un dragon qui continue à hanter les mémoires. Lula lui-même a été victime de ce fantôme. A deux reprises, en 1994 et en 1998, il a perdu les élections présidentielles face au candidat Cardoso parce qu’il annonçait une politique susceptible de faire "renaître le dragon". La sensibilité des Brésiliens à toute instabilité des prix est notamment marquée lorsque la valse des étiquettes concerne des achats quotidiens faits au supermarché, les courses alimen-taires, les prix des transports, le coût de la santé.
Lula et le dragon de l'inflation...

Lula sait cela. C’est d’ailleurs l’accusation majeure qu’il avait proféré contre son concurrent lors de la campagne présidentielle de 2022. Le candidat sortant Bolsonaro avait été présenté par la gauche comme le grand responsable d’une hausse des prix des aliments (due principalement à la crise sanitaire) qui rongeait le pouvoir d’achat des classes les plus modestes. Les communicants de Lula savaient qu’au Brésil, la population évalue les gouvernants d’abord à partir de ce que coûtent les courses faites au supermarché. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils avaient conseillé à leur client d’user et d’abuser d’un argument simple mais percutant. A la fin du gouvernement Bolsonaro, avec 100 BRL, le consom-mateur pouvait acheter un petit paquet de saucisses de Francfort, une douzaine d’œufs et un litre de lait. Par comparaison, avec la même somme, à la fin du premier gouver-nement Lula (2006), le client du supermarché réglait tous les achats permettant à la famille de réaliser trois repas par jour, achetait la viande de boeuf pour le barbecue du week-end (le fameux churrasco) et la ration de bière pour accompagner ce festin hebdo-madaire. Après avoir scandé cet argument imparable, Lula ajoutait d’ailleurs que, s’il gagnait, la viande de bœuf serait vendue à des prix accessible à tous. Il promettait le barbecue pour tous à bon marché et à chaque fin de semaine.

Les annonces de la campagne présidentielle de 2022. Lula promettait alors pour tous les vaccins, la picanha (pièce de boeuf privilégiée les churrascos) et la bière....
Cette promesse ne sera pas tenue, loin s’en faut. En février dernier, à la veille du carnaval, le sujet était sur toutes les lèvres : jamais le churrasco du dimanche n’a été aussi cher. Si cher que dans la plupart des jardins et des espaces réservés aux grillades sur les ter-rasses d’appartements, on grille désormais du poisson, de la viande de volailles ou… des abats. L’inflation alimentaire est sans doute une des explications de l’effritement de la popularité du dirigeant de gauche. Les Brésiliens (notamment les électeurs traditionnels de Lula) se sentent frustrés face à des promesses non tenues. Les familles les plus modestes constatent que leur pouvoir d’achat diminue au fil des mois, en raison de l’envolée des prix alimentaires. Les ménages qui se disent touchés par l’inflation alimentaire sont de plus en plus nombreuses ces derniers mois. Fin janvier 2025, 83% des personnes interrogées par divers instituts de sondages estimaient que les prix des denrées alimentaires avaient augmenté sur le mois qui venait de s’écouler. A la fin octo-bre 2024, ce pourcentage n’était que de 65%. Ces ménages ne sont pas victimes d’une illusion ou d’un sortilège. L’année écoulée a effectivement été marquée par une forte dégradation du pouvoir d’achat alimentaire des Brésiliens. En moyenne, l’augmentation des prix de l’alimentation aura été de 8,23% au niveau du commerce de détail alors que l’inflation générale s’élevait à 4,5%. De tous les articles, ceux dont la hausse des prix a le plus touché les ménages modestes et ceux des classes moyennes est précisément les pièces de viande bovine. Toutes découpes confondues, le prix du bœuf s’est accru de près de 21%.

La hausse concerne aussi la viande de porc, celle de volailles (+20,2% pour le filet de poulet, par exemple), les huiles de consommation (soja, olive), le café, les œufs (+35%) ou le lait UHT (+18,8%). Cette inflation alimentaire a contribué à fragiliser le capital de sympathie et de soutien dont bénéficiait Lula dans trois secteurs clés de son électorat historique : les femmes, les Brésiliens qui disposent d’un revenu mensuel inférieur à deux salaires minimum, la population des Etats du Nord-Est du pays. A la fin 2024, en moyenne, l’alimentation représentait 19,4% des dépenses mensuels d’un ménage bré-silien. Ce taux était beaucoup plus élevé chez les catégories les plus modestes (variant de 30% à 50%) qui forment l’écrasante majorité de la population. Pendant longtemps, le parti de Lula a prétendu représenter et défendre les intérêts de ce Brésil pauvre…
Causes secondaires et principales.
Comment expliquer cette forte hausse des prix de nombreuses denrées alimentaires, une hausse concentrée principalement sur les derniers mois de 2024 ? On peut ici mentionner des facteurs climatiques. Les faibles précipitations enregistrées en 2024 ont ainsi contribué à réduire les récoltes de blé, de maïs et d’autres céréales (avoine, orge). Le phénomène El Nino a provoqué des épisodes sévères de sécheresse qui ont affecté la production nationale de café arabica, provoquant une hausse des cours sur le marché intérieur comme au plan mondial. Pour aller plus loin dans l’identification des causes de l’inflation alimentaire, il faut s’intéresser de plus près à trois catégories d’articles qui sont les viandes (de bœuf, de porc et de volailles), les produits laitiers et le café. Ensemble, ces trois groupes représentent 90% de l’inflation enregistrée sur les achats des ménages destiné à couvrir la consommation alimentaire à domicile. Deux facteurs sont à souligner. Sur ces trois groupes, on observe d’abord une hausse des prix internationaux. Le Brésil est un exportateur majeur de viandes. Il est même un des premiers fournisseurs mon-diaux sur les marchés de la viande bovine et de celle de volailles. C’est le premier pays exportateur de café (32% du total mondial). Les prix obtenus par les producteurs na-tionaux sur les marchés extérieurs sont donc des déterminants directs des prix pratiqués sur le marché domestique. Aucune coopérative exportatrice de poulets, aucun industriel disposant de clients à l’extérieur du pays ne vont approvisionner des filières de distri-bution nationales si les acquéreurs locaux n’acceptent pas des prix équivalents (en monnaie nationale) aux prix négociés à l’exportation. Cette logique est aussi appliquée par les négociants collecteurs de café ou de grains. Dans le cas des produits laitiers et notamment du lait de consommation, le pays n’atteint pas l’autosuffisance. Il doit donc importer une partie de son appro-visionnement. Il subit donc directement la hausse éventuelle des cours mondiaux en dollars.
Le second facteur qu’il convient d’évoquer amplifie les mécanismes qui viennent d’être évoqués. Il s’agit de la forte dépréciation subie par le réal brésilien par rapport au dollar (-27,9% au cours de l’année 2024). On a montré ici dans un précédent post que cet affaiblissement spectaculaire de la monnaie nationale n’était pas seulement la consé-quence d’une conjoncture internationale favorable au billet vert mais qu’il résultait du manque de contrôle des finances publiques par le gouvernement fédéral et de la résistance du pouvoir exécutif à contenir la croissance des dépenses . Les mesures de freinage du déficit annoncées en fin d’année par le ministre des Finances de Lula étaient très insuffisantes. Elles ont alimenté l’inquiétude des marchés financiers au lieu de rassurer les investisseurs car elles ont montré qu’il n’y avait pas d’engagement réel de l’exécutif en matière de discipline budgétaire. Le dollar est une composante importante des prix des denrées agricoles et alimentaires, que celles-ci soient en partie exportées ou que les importations couvrent une part importante de la demande intérieure.
Toute appréciation significative du dollar entraîne des hausses mécaniques des prix des produits exportables et de ceux qui sont importés. Cette appréciation génère même des comportements de précaution de la part de tous les acteurs des filières concernées. Par exemple sur celle du blé. Le Brésil consomme près de 12 millions de tonnes de cette céréale. Pains, pâtes alimentaires, pizzas sont des articles de consommation courante en milieux urbains. Sur les années récentes, la récolte nationale a fluctué entre 7 et 10 millions de t. Il faut donc importer une partie des ressources nécessaires. Les négociants réalisant ces opérations définissent les prix facturés aux meuniers brésiliens an fonction des cours mondiaux et du change anticipés. Considérons maintenant un produit exporté comme le poulet. Dans le Sud du pays, plusieurs coopératives d’éleveurs exportent de la viande de volailles et livrent aussi à l’intérieur du pays. Les tarifs qu’elles proposent aux clients brésiliens évoluent en fonction des prix en dollars à l’exportation et du taux de change qu’elles anticipent dans l’avenir. Le prix intérieur est un prix dit de parité d’exportation.
La dynamique inflationniste très marquée sur les marchés alimentaires brésiliens en 2024 vient amplifier un mouvement qui n’a pas commencé avec le gouvernement Lula. Depuis 2020, les prix domestiques des denrées agricoles et alimentaires ont augmenté de plus de 50%. Il y a d’abord eu l’impact de la pandémie de covid qui a entraîné une insuffisance de l’offre par rapport à la demande à l’échelle mondiale. Il y a eu ensuite une aggravation de la situation en raison de guerres (comme celle provoquée en Ukraine par l’invasion russe) et de crises climatiques de plus en plus fréquentes. Au Brésil, il y a enfin la détérioration de la conjoncture économique observée depuis la fin 2024. Au début de 2025, l’acquisition au supermarché de tous les articles composant un panier alimentaire de base couvrant les besoins d’une famille moyenne sur un mois représentait une dépense de 700 BRL, soit 50% du salaire minimum. Avant la pandémie, cette proportion n’était que de 40%. La situation est devenue très critique sur les derniers mois de 2024 pour les groupes sociaux les plus modestes. L’élévation des prix des produits alimentaires se poursuit depuis le début de cette année. Selon l’Association Brésilienne des Supermarchés (ABRAS), à la fin janvier 2025, le prix moyen des 35 articles du rayon alimentation les plus consommés était supérieur de 9,29% à ce qu’il était un an auparavant. Pour les 12 produits qui composent le panier alimentaire de base, la hausse est encore plus marquée : +12,89%. Selon les experts, l’inflation alimentaire devrait persister tout au long de 2025, avec une probable accélération à partir du second semestre. De son côté, face au phénomène, le gouvernement multipliait les incantations. Lula répétait depuis plusieurs mois qu’il n’avait qu’une seule obsession : celle de fournir au peuple une nourriture à bon marché…
Un exécutif bavard et impuissant.
En réalité, il a fallu attendre les premiers jours de mars 2025 pour que l’exécutif propose des mesures concrètes face à l’envolée des prix alimentaires. Des mesures à première vue pertinentes mais dont l’efficacité est improbable. Avant ces annonces, le gouvernement a réagi en multipliant des annonces toutes aussi irréalistes les unes que les autres. De son côté, au cours de meetings destinés à reconquérir la sympathie d’un électorat qui le lâche, Lula s’est laissé aller à des propos déplacés, voire offensants pour les plus modestes. La communication calamiteuse mise en œuvre au plus haut sommet de l’Etat à l’heure où de plus en plus de Brésiliens avaient du mal à remplir leur caddy a aussi contribué à dégrader la côte de confiance du Président.
En janvier dernier, le chef de la maison civile (coordinateur du gouvernement fédéral) déclarait dans une interview que l’exécutif envisageait l’introduction d’un dispositif de blo-cage des prix. C’était là ignorer totalement l’empreinte de la mémoire collective. Entre 1986 et 1990, les diverses mesures de contrôle des prix agricoles et alimentaires mises en oeuvre avaient conduit à des résultats désastreux : multiplication de pénuries dans les supermarchés, désorganisation de filières, commerce clandestin, etc…Le chef de la maison civile a dû changer de ton et rectifier le tir en répétant qu’aucune mesure hété-rodoxe ne serait adoptée, qu’il n’y aurait pas de gel des prix, pas de tarification imposée, pas de subvention pour réduire artificiellement les prix pratiqués, pas de contrôles ou d’inspection. Le bruit a ensuite couru que le gouvernement fédéral envisageait de créer son propre réseau de distribution, ses magasins d’Etat. Les points de vente en question allaient être gérés et approvisionnés par les leaders du mouvement d’extrême-gauche dit des paysans sans terre. Il a fallu ici encore que les autorités démentissent en multipliant les messages sur les réseaux sociaux.

En février, des membres de l’exécutif ont cru avoir trouver la solution miracle mais se sont bien gardés d’évoquer leur projet avec le ministre directement concerné : celui de l’agri-culture. L’idée était simple. Il suffisait de suivre l’exemple de l’Argentine, un pays qui taxe ses exportations agricoles. Le gouvernement Lula allait donc créer un système national de retenciones, les taxes sur les exportations de grains, de viandes ou d’autres denrées que pratique le voisin du sud. Les porteurs de ce projet semblaient ne pas savoir qu’en Argentine le dispositif de taxation en question (utilisé de manière continue depuis 2003 mais pratiqué de façon intermittente sur les décennies antérieures) a eu au fil du temps deux effets particulièrement calamiteux. Il a d’abord affaibli la compétitivité à l’exporta-tion des filières agricoles touchées. Les parts de marché détenues par l’Argentine à l’étranger ont stagné, quand elles n’ont pas diminué. Les retenciones ont aussi amputé les revenus des filières agricoles et des producteurs argentins. Ces derniers ont limité leurs investissements. L’ affaiblissement de la croissance ou la stagnation de l’offre ont contri-bué à provoquer des tensions sur les marchés agricoles intérieurs et donc des hausses de prix. In fine, ces tensions ont contribué à renforcer une inflation générale galopante. Adopter une telle mesure au Brésil serait une régression (dans les années 1990, les taxes touchant les exportations sur les grandes filières agricoles ont été éliminées) et pénaliserait un secteur de l’écono-mie qui contribue fortement à la croissance.
Le Ministre de l’agriculture actuel a finalement été informé de ce projet calamiteux. Il est lui-même exploitant dans le Mato Grosso, un des grands pôles agricoles du pays. Il sait évidemment que l’introduction de taxes sur les exportations serait très mal accepté par les agriculteurs de sa région. Il a rapidement fait savoir que si le projet de création de retenciones voyait le jour, il quitterait immédiatement le gouvernement.
Au catalogue des propositions irréalistes ou inefficaces, il faut encore citer celle du ministre du développement agraire (3) qui veut accroître les prêts à taux bonifiés desti-nés aux exploitations de taille familiale qui seraient ainsi encouragées à accroître la pro-duction des aliments essentiels dans la diète quotidienne des Brésiliens. Notons d’abord qu’une fois la mesure mise en œuvre, elle n’aurait évidemment pas d’effet immédiat sur le volume de produits offerts sur le marché intérieur, et donc sur les prix pratiqués. Ajou-tons encore que ce projet relève d'une idée falacieuse. La production agricole destinée à couvrir les besoins d'une population largement urbanisée est d'abord le fait de d'entre-prises de grandes dimensions. Ce sont ces entreprises et des exploitations familiales à vocation commerciale et organisées en coopératives qui assurent l'approvisionnment des consommateurs en fruits, légumes, haricot noir (feijão), grains, lait et viandes….Les petites structures agricoles dont s'occupe le ministère dit du développement agraire ont une fonction sociale et assurent l'auto-approvisionnement des familles concernées.
Pendant de longues semaines, le pouvoir ne s’est pas contenté d’évoquer des projets in-conséquents ou irréalistes. Le repli du dollar sur le marché des changes observé depuis janvier et l’annonce d’une récolte exceptionnelle en 2025 ont suffi pour que ministres et porte-paroles évoquent avec assurance la fin prochaine de l’inflation alimentaire. De son côté, le Président a mobilisé tous ses talents d’orateur, martelant d’interviews en discours qu’il faisait tout son possible pour faciliter la baisse des prix de la viande, des œufs ou des produits laitiers…A chaque annonce de nouvelle hausse observée par les instituts spécialisés, Lula répétait qu’il allait réunir grossistes, distributeurs afin que tout ce monde se rende à la raison, fasse des efforts et terrasse une fièvre qui n’avait pas de raison d’être…Les déclarations ne suffisant pas, le Président allait ajouter l’image aux paroles. Dans un reportage commandé diffusé fin janvier 2025, Lula était filmé se pro-menant dans le potager de sa résidence officielle à Brasilia. Parcourant rangées de salades, de tubercules et de fruits, le Président déguisé en jardinier rassurait : la hausse du dollar, les problèmes climatiques et la bonne tenue de la consommation suffisaient à expliquer un dérapage regrettable des prix qu’il s’engageait à corriger.
En février, sans doute de plus en plus irrité par les sondages qui confirmaient sa baisse de popularité, c’est le chef de l'Etat lui-même qui allait déraper. Lors d’un rassemblement de sympathisants dans le Nord-Est, il a voulu responsabiliser les consommateurs en leur demandant de ne pas acheter les produits alimentaires qu’ils estiment trop chers, laissant entendre que les distributeurs seraient alors contraints de revoir leurs tarifs à la baisse afin d’éviter les stocks ou la dégradation de la qualité des denrées périssables. Le propos est très mal passé. Il ressemblait à cette injonction prêtée à la reine Marie-Antoinette : si le pain est cher, mangez de la brioche !.. Une autre fois encore, évoquant le prix très élevé des œufs de poule, Lula a conseillé aux ménages les plus modestes de passer aux œufs de canne ou d’envisager la consommation d’œufs d’autruches, voire de tortues. Les injonctions du Président ont été reçues comme autant de provocations par une population irritée….L’opposition a immédiatement souligné que les suggestions du Président n’étaient pas conformes aux recommandations des nutritionnistes (les œufs de canne sont très gras) ou à la législation protégeant les espèces sauvages menacées (ce qui est le cas des autruches et des tortues)….

Le Président encourage la consommation d'oeufs d'autruches (emas), des oiseaux que l'on rencontre dans le centre du pays et à Brasilia...
Finalement, début mars, l’exécutif a annoncé des mesures concrètes destinées à réduire les prix des denrées alimentaires de base et… à améliorer l’indice de popularité du Président. Le plan du gouvernement comporte trois dispositions essentielles. La pre-mière consiste à éliminer les taxes douanières sur plusieurs catégories de produits (vian-des, maïs, sucre, huiles végétales, pâtes alimentaires, biscuits, conserves de poissons). Les droits perçus sur les éventuelles importations varient de 7,2% pour le maïs à 32% pour les conserves de poissons en passant par 16,2% pour les biscuits ou 10,8% pour les viandes…La seconde est de renforcer la politique de stocks régulateurs de la Compagnie Nationale d’Approvisionnement (CONAB), une agence dépendante du Ministère de l’agriculture. Enfin, le plan prévoit des mesures d’encouragement à la production des denrées qui composent la diète alimentaire de base. Le premier volet est une initiative de communication destinée à marquer les esprits. Dans un pays où les protections com-merciales sont très élevées, l’abandon des droits douane est une mesure innovante. Elle n’influencera pourtant pas la formation des prix sur des marchés intérieurs où l’offre domestique dépasse largement la demande locale (comme le sucre, les viandes, le maïs ou l’huile de soja) et où les importations sont résiduelles. Elle peut se traduire en revanche par des baisses de prix sur des articles alimentaires qui ne constituent pas des composantes centrales de l’alimentation quotidienne : biscuits, conserves de poisson, huile d’olive (largement importée).
Plus généralement, la suppression des droits de douane ne peut pas avoir d’impact significatif sur les prix à la consommation dans un pays où ce sont d’abord les impôts indirects intérieurs (notamment l’ICMS prélevé par les Etats fédérés) qui constituent l’essentiel des taxes facturés aux clients finals. En moyenne, les charges fiscales représentent 22% du prix au détail des aliments. Ce taux sont très élevés pour des produits alimentaires de base qui constituent les composantes majeures de la diète quotidienne de la population (voir graphique). C’est donc sur un allégement significatif de la fiscalité concernant les biens de consommation essentiels que les pouvoirs publics devraient jouer pour réduire effectivement les prix des denrées alimentaires. A ce sujet, le gouvernement fédéral se contente d’encourager les Etats fédérés à faire des efforts . Il sait bien cependant que les marges de manœuvre budgétaires des pouvoirs publics locaux sont limitées. Dans ces conditions, la seule élimination des droits de douane sur les produits choisis par le gouvernement est une mesure plus symbolique qu’efficace.
Part des taxes dans le prix final des aliments à la fin 2024.

Sur les autres dispositions du plan, l’exécutif reste très vague. Le renforcement de la régulation des marchés par la CONAB passe par un accroissement des volumes stockés. Pratiquer aujourd’hui des achats importants sur les marchés où les prix sont déjà très élevés serait aggraver la situation dans l’immédiat. La proposition signifie donc au mieux que la Compagnie pourra influencer la formation des prix dans un avenir éloigné, après avoir freiné un mouvement baissier par des achats destinés à renforcer ses stocks. Le gouvernement n’a pas précisé ce qu’il envisageait de faire pour encourager la production de biens alimentaires de base. La question centrale est cependant ailleurs. Le plan de l’exécutif ne s’attaque pas aux causes fondamentales de l’inflation alimentaire. Outre les questions climatiques, l’inflation en question est la conséquence des choix de politique économique faits par le pouvoir. Il faut rappeler le refus d’un ajustement effectif des comptes publics et un endettement croissant. Il faut aussi souligner l’impact infla-tionnistes (dans une économie de plein emploi) des mesures populistes récentes : élar-gissement du crédit consigné à plusieurs dizaines de millions de bénéficiaires potentiels (salariés du secteur privé), flexibilisation des retraits de l’épargne salariale, paiement anticipé des indemnités de retraites et pensions, primes versées aux scolaires, etc…En somme, le gouvernement fait peu pour freiner effectivement la hausse des prix de l’alimentation, un poste budgétaire qui pèse très lourd dans les dépenses des plus modestes. Il s’attache d’abord à faire des cadeaux supposés ranimer la popularité en berne du Président.

En fin 2002, Lula remportait pour la première fois l’élection présidentielle. Lors de son investiture en janvier suivant, il s’était engagé à garantir à tous les Brésiliens le droit de faire trois repas par jour. Il avait même esquissé un plan de lutte contre la faim (le fome zéro). Plus de deux décennies plus tard, cet objectif, comme tant d'autres, n'a toujours pas été atteint et la patience de la population à l'égard du président s'amenuise. La vague de rejet qui est apparue depuis six mois va s'amplifier si le gouvernement s'obstine à faire des diagnostics erronés, s’il est incapable de créer les conditions d’une croissance durable et s’il continue à verser dans le populisme. L'inflation tourmente aujourd’hui de nombreux secteurs de la population. Ces secteurs sont aussi préoccupés par un horizon économique qui s’assombrit. Tout cela pourrait coûter cher à Lula en 2026.
A suivre : Une gauche déconnectée du pays réel.
(1). Créé sous le premier mandat de Lula, ce type de crédit permet aux fonctionnaires, pensionnés, retraités et bénéficiaires d'allocations sociales régulières d'avoir leurs mensualités de crédit pré-levées à la source. Ce dispositif réduit le défaut de paiement auxquelles sont exposées les banques créancières qui proposent donc des taux d'intérêt inférieurs à ceux pratiqués sur les autres types de crédit.
(2). Chaque mois, pour chaque salariés déclaré, l'employeur approvisionne un compte d'épargne tenu par la Caixa Economica Federal (banque publique). Jusqu'alors, le salarié pouvait débloquer cette épargne pour faire face à des évènements exceptionnels (licenciement, mariage, etc..). Désormais, il peut débloquer une partie de son épargne chaque année.
(3). Le dit ministère est un organe créé par la gauche. Il a pour vocation de s'occuper de la petite agriculture familiale d'autosubsistance et des bénéficiaires de la réforme agraire.
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