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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

Lula 3, premier acte : le populisme continue(4)

Un scénario funeste qui pourrait se répéter.


Depuis sa victoire électorale en octobre 2022 et son investiture en janvier dernier pour un troisième mandat présidentiel, Lula ne cesse d’évoquer le niveau élevé des taux d’inté-rêts pratiqués par la Banque Centrale et l’ensemble du système financier. Il remet aussi régulièrement en cause l’impératif de bonne gestion des comptes publics qui interdirait au gouvernement de mettre en œuvre une politique sociale efficace. Dans le discours de l’aile la plus radicale de son gouvernement (formée par les représentants du Parti des Travailleurs), la politique de rigueur monétaire mise en œuvre par l’Institut d’émission, la discipline budgétaire qu’attendent les marchés financiers ne seraient que les manifesta-tions d’un complot organisé par une petite élite des rentiers et autres spéculateurs. Ces derniers capteraient ainsi d’appréciables profits sur le dos des pauvres privés des bien-faits d’un Etat-Providence financièrement étranglé. A gauche encore, nombreux sont les militants et leaders politiques qui dénoncent l’existence et la progression d’une dette pu-blique qui ne serait ici encore qu’une dette illégitime, un mécanisme diabolique per-mettant d’utiliser les impôts et taxes payés par les pauvres pour enrichir les plus riches.


Le Président Lula semble vouloir

répéter la politique économique

désastreuse de Dilma Rousseff.


La situation des comptes publics et les contraintes générées par un endettement im-portant sont au cœur des débats de politique économique depuis trois mois. On mon-trera ici qu’il n’y a pas de complot. Pas de mécanisme diabolique. Il y a un Etat dont les comptes ont été souvent très mal gérés au cours des dernières décennies. Il y a un Etat dépensier qui finance ses déficits en captant une large part de l’épargne nationale, en mi-sant sur les bonnes dispositions des marchés financiers. Les institutions qui opèrent sur ces marchés ont financé et refinancé dès les années 1990 une dette publique brésilienne croissante. Ces institutions doivent aussi protéger leurs avoirs et ceux que les épargnants leur ont confié. Elles doivent garantir la rentabilité de leurs placements et gérer les ris-ques auxquels elles s’exposent en finançant l’Etat. L’histoire des relations entre le gou-vernement fédéral brésilien et les marchés financiers est de ce point de vue riche en leçons. La crise des finances publiques entraînée par la politique budgétaire du gouver-nement Dilma Rousseff (2011-2016) est un véritable cas d’école. Un cas sur lequel il faut s’attarder. Le Président Lula semble en effet désormais vouloir répéter la politique éco-nomique désastreuse de Dilma Rousseff. Il prend le risque à son tour de provoquer à la fois une nouvelle crise des finances publiques et une récession. Le scénario des années 2011-2016 pourrait se répéter à partir de 2024.


Lula et l'ancienne Présidente Dilma Rousseff.


La politique budgétaire de l’Etat fédéral.


Considérons ici la période qui va de 2010 à la Présidence Bolsonaro. Sur ces 22 ans, on peut distinguer quatre séquences distinctes du point de vue de la politique budgétaire conduite par l’Etat central. La première correspond à la fin du second mandat de Lula et au début de l’Administration Dilma Rousseff. Jusqu’en 2013, le respect d’une discipline budgétaire relative permet au gouvernement fédéral de dégager ce qui est désigné par les comptables publics sous le terme d’excédent primaire du budget. Les recettes (impôts, taxes, contributions sociales, revenus de placement, dividendes, produits divers) qui progressent avec la croissance couvrent les dépenses courantes. La progression de ces dernières est contrôlée. Le surplus dégagé permet de payer selon les années la totalité ou une part significative des charges financières générées par la dette publique (intérêts versés aux créanciers).


Soldes des finances publiques fédérales et dette de l’Etat (en % du PIB).

Source : IFI, Senado Federal.


La situation financière de l’Etat central peut alors être comparée à celle d’un ménage dont les revenus courants couvrent facilement les dépenses de la vie quotidienne et qui dégagerait même une épargne, ou un excédent primaire. Ainsi, un couple disposant d’un revenu annuel de 120 000 euros qui doit assumer des frais de logement, d’alimentation, de loisirs et de santé de 102 000 euros sur douze mois obtient un excédent primaire de 18 000 euros au bout d’un an. Rapprochons encore la position financière de notre famille de celle de l’Etat fédéral à la fin 2010. En sus de ses dépenses courantes, notre ménage doit assumer le paiement des intérêts sur un emprunt qu’il a contracté quelques mois auparavant pour acquérir un appartement. La prestation annuelle totale est de 19 000 euros. Dans ses conditions, on ne peut pas dire que le ménage réalise une épargne an-nuelle de 18 000 euros. En réalité, ses dépenses totales sont supérieures à ses revenus (la différence est de 1000 euros). En utilisant le jargon de la finance publique, on peut dire que cette famille dégage un excédent primaire avant paiement des intérêts de sa dette et un déficit nominal (une fois ces charges prises en compte) de 1000 euros. Comme ce ménage ne dispose pas d’un bas de laine sur lequel il pourra puiser pour financer ce déficit, il devra emprunter à nouveau. Ainsi, en fin d’année, bien qu’il ait effectivement assumé toutes les charges liées à son passif initial, son endettement total augmente. Chaque déficit nominal annuel génère un accroissement de la dette.


Avec Dilma Rousseff, la discipline

budgétaire est mise au rebut.


Les ordres de grandeurs retenus ici pour évoquer l’état des finances de notre famille cor-respondent à la situation financière de l’Administration fédérale à l’issue de l’année 2010. Certes, à la différence d’un ménage, pour financer tout ou partie du déséquilibre recet-tes/dépenses, l’Etat pourrait choisir d’accroître les taxes et impôts, d’élever ainsi ses re-cettes. Cette solution a été largement utilisée jusqu’au début des années 2000, lorsque la pression fiscale a atteint un niveau élevé difficilement dépassable. L’autre voie a donc été l’endettement. Pendant la première phase évoquée ici, en parvenant à dégager un excédent avant paiement des frais financiers, en limitant la variation de ces derniers, l’Etat central a démontré à ses créanciers qu’une discipline budgétaire minimale était res-pectée. Il a ainsi conservé la confiance de ces créanciers.


Une seconde phase commence en 2014 lorsque l’excédent primaire du budget fédéral se transforme en déficit (les dépenses courantes dépassent alors les recettes) en 2014 (0,56% du PIB). Il faut s’arrêter ici à cette seconde phase. Sous l’Administration de Dilma Rousseff, la discipline budgétaire relative pratiquée jusqu’en 2010 est mise au rebut. La Présidente croit dur comme fer que l’expansion de la dépense publique est le ressort central de la croissance. Entre 2011 et 2016, les dépenses primaires du gouvernement fédéral vont augmenter de 2,3 points de PIB. Les exemptions d’impôts et de charges so-ciales, les soutiens aux entreprises publiques pénalisées par le blocage des prix et sur-tout l’essor du crédit public subventionné alimentent une libéralité sans précédent. Les transferts du Trésor aux banques publiques qui permettent à ces dernières d’offrir à des bénéficiaires choisis des prêts à taux bonifiés particulièrement avantageux représentent également une charge énorme pour le budget de l’Etat [1].


Le déficit primaire s’aggrave en 2015 (1,86% du PIB), puis davantage encore l’année sui-vante (-2,48%). Cette dérive est à la fois imputable aux choix de politique économique faits par l’Etat central à partir de 2011 et à la dynamique récessive que cette politique a favorisée et précipitée. Le déficit nominal relativement contenu jusqu’en 2012 s’aggrave en 2013 puis atteint des niveaux exceptionnels en 2014 et en 2015.


L’érosion puis la disparition de l’excédent primaire vont conduire au gonflement du déficit nominal, c’est-à-dire à la progression de l’endettement. A la fin de 2013, le stock de la dette atteint 2621,3 milliards. Compte tenu de l’inflation et de la croissance observées sur trois ans, ce passif ne représente encore que 50% du PIB. Un an plus tard, ce ratio est de 53,2%. La dette totale de l’Etat central dépasse alors 3072 milliards de BRL. A l’issue de l’exercice 2015, elle atteint plus de 3676 milliards, soit l’équivalent de 61,3% de la richesse produite cette année-là [2].


Une troisième phase commence en 2017. En 2016, le principe d’un gel des dépenses pri-maires (désigné sous le terme de plafond de dépenses) en termes réels (après prise en compte de l’inflation) est inscrit dans la Constitution. Jusqu’en 2019, ce mécanisme se ré-vèle relativement efficace pour contrôler la croissance des dépenses. Les déficits pri-maires se réduisent jusqu’en 2019, à la veille de la crise du Covid. L’effort de reprise en mains des comptes publics se traduit aussi par une réduction du déficit nominal en ter-mes relatifs. Dès 2020 (crise sanitaire) puis ensuite, plusieurs amendements à la Loi Fon-damentale sont adoptés pour assouplir la règle de progression des dépenses et au-toriser des dépassements du fameux plafond. A chaque fois, la confiance des investis-seurs s’affaiblit. Rassurés pendant quelques années, ces investisseurs sont à nouveau préoccupés par la trajectoire des comptes publics et l’endettement de l’Etat. Certes, à partir de 2020, rapportée au PIB, la dette publique diminue. Cette évolution est due à la reprise de la croissance qui suit la crise sanitaire. Elle est aussi associée à la forte inflation que connaît le Brésil en 2021 et 2022, une inflation qui contribue à gonfler les recettes de l’Etat.


La dette de l’Etat fédéral : de quoi parle-t-on ?


La dette assumée par l’Etat central est donc la conséquence de l’accumulation de défi-cits publics successifs. Le Trésor National (l’Administration qui gère les finances fédé-rales) porte un besoin de financement très lourd. A la fin de l’année passée, la dette brute du gouvernement général [3] représentait l’équivalent de 73,5% du PIB. Cette dette brute est principalement assumée par le niveau central. A la fin 2022, la dette brute de l’Etat fédéral atteignait 5 951 milliards de BRL, soit 60,4% du PIB. Cet endettement présente quatre caractéristiques qu’il faut mentionner ici.


Première particularité : le Brésil échappe au profil classique de nombreuses économies émergentes dans lesquelles, faute d’investisseurs domestiques longs, la dette publique est principalement externe ou détenue par des non-résidents. La dette publique de l’Etat fédéral est essentiellement financée par l’épargne domestique. Dès le début des années 1990, le gouvernement fédéral a cherché à remplacer des engagements pris auprès de créanciers étrangers (dette extérieure) par une dette interne. A cette fin, des mesures ont été prises pour orienter les flux d’épargne et de capitaux au profit du secteur public. La stabilisation de l’économie (fin de l’hyperinflation), le maintien d’une politique monétaire rigoureuse, des taux d’intérêts élevés ont convaincu les épargnants nationaux qu’ils obtiendraient le meilleur rapport risques/rendement en investissant dans les titres de la dette publique, les obligations d’Etat. Ces facteurs ont aussi souvent convaincu l’épargne étrangère. Ainsi, en 2015, la part de la dette publique détenue par des non-résidents était d’environ 21 % contre moins de 10 % ensuite. En décembre 2022, l’encours de la dette contractée auprès de créanciers étrangers ne représentait que 4,45% de l’encours total. Les créanciers de l’Etat central étaient pour l’essentiel des investisseurs institutionnels nationaux et des résidents dans le pays : organismes de gestion des retraites et pensions, fonds d’investissement, assureurs, banques locales et quelques dizaines de millions de particuliers.


Seconde caractéristique : le Trésor National recourt peu à des emprunts bancaires La dette de l’Etat fédéral est d’abord une dette mobilière. Cela signifie qu’elle est financée presqu’exclusivement par l’émission de titres négociés auprès des investisseurs natio-naux et étrangers. En fin décembre 2022, la dette mobilière interne de l’Etat fédéral re-présentait 95,76% de ses engagements vis-à-vis de l’ensemble de ses créanciers. Pour placer ses titres, le Trésor National s’adresse donc essentiellement à des investisseurs et épargnants nationaux. Ceux-ci détenaient fin 2022 96,1% de la valeur totale des titres en circulation. Ce qui est une dette accumulée au fil du temps pour l’Etat central cor-respond à des actifs financiers gérés pour l’essentiel par des institutions nationales, souvent pour le compte de leurs clients qui peuvent être de simples épargnants. A la fin de l’année 2022, les principaux détenteurs de titres de la dette fédérale étaient dans l’ordre les banques et institutions d’épargne (29,12% de l’encours), les fonds d’investis-sement brésiliens (23,98%), les organismes nationaux de retraites (22,83%), des non-rési-dents (9,36%), des particuliers (6,4%), des fonds dépendant du gouvernement fédéral (4,33%) et des compagnies d’assurance (3,98%) [4].


A intervalles réguliers, le Trésor organise des ventes par adjudications (enchères) de titres aux institutions financières nationales et aux particuliers résidents dans le pays. Il s’en-gage à rembourser le principal à une échéance définie et à verser au détenteur une ré-munération calculée sur la base d’un taux déterminé (fixe ou variable dans le temps). Ces institutions et particuliers souscrivent aux titres émis par le Trésor lorsque le rendement est attractif, lorsque la prime de risque est suffisamment élevée. L’ensemble des obli-gations ou bons en circulation à un moment donné constitue le stock de la dette publique mobilière.


La troisième caractéristique qu’il convient d’évoquer concerne les modes de rémuné-rations des détenteurs de titres. Selon les émissions et les périodes, les titres placés par le Trésor sur le marché sont assortis d’une rémunération préfixée ou fixée à l’échéance (indexée à un indice de prix, au taux de base de la Banque centrale ou à la parité de la monnaie nationale par rapport à une devise). A la fin de l’année écoulée, la part des titres en circulation assortis de taux d’intérêt préfixés était de 26,9%, celle des titres assortis d’un taux indexé sur l’inflation de 30,26%. La part des titres à taux variables (indexés sur le taux directeur de la Banque Centrale) était de 38,25%. Enfin, l’importance des titres à rémunération associée au taux de change était mineure (0,38%). Avec ces différents dis-positifs d’indexation, le Trésor National cherche à renforcer l’attractivité des placements en obligations d’Etat. Il offre aux investisseurs les meilleures rapports risques/rende-ments.


La quatrième caractéristique concerne la maturité des titres en circulation, c’est-à-dire l’espace de temps qui sépare la date d’émission de la date de remboursement. En dé-cembre 2022, la maturité moyenne des titres souscrits par les épargnants et investis-seurs brésiliens (dette interne) était de 3,76 années.


La logique des investisseurs.


Qu’ils soient de simples particuliers, des fonds de pension, des compagnies d’assurance ou des organismes de retraite, les investisseurs ne financent pas la dette de l’Etat par pur patriotisme. Les titres émis par le Trésor sont pour ces acteurs des actifs de placement qui doivent offrir une bonne rentabilité sur la durée pendant laquelle ils sont détenus. La rentabilité attendue doit être suffisamment attractive pour que les investisseurs accep-tent de s’exposer à des risques. Par rapport à des placements sans risque, les épar-gnants exigent une prime de risque, c'est à dire un surcroît de rendement.


Les risques que vont courir les investisseurs sont évalués en permanence par les mar-chés qui analysent la soutenabilité de la dette publique, la conduite de la politique budgétaire. En prenant en considération le contexte économique (dynamique de la crois-sance, évolution des revenus et de l’emploi, etc..), il s’agit de déterminer régulièrement si la gestion et l’évolution des comptes publics permettront à l’Etat d’assumer la charge de sa dette. Les analystes de marché analysent et anticipent également la conjoncture poli-tique, l’environnement institutionnel. Ils sont particulièrement attentifs à l’évolution de tous les facteurs qui peuvent générer de l’inflation dans l’avenir, c’est-à-dire éroder ou effacer la rentabilité prévisionnelle des placements. Les prévisions concernant l’insta-bilité des prix sont particulièrement importantes au Brésil. Les marchés sont lucides. Ils savent que la période de faible inflation que le pays traverse depuis le Plan Real (1994) est exceptionnelle dans l’histoire récente. Très souvent, depuis que le pays est indé-pendant, les autorités ont considéré que l’instabilité des prix, y compris les fortes fièvres inflationnistes étaient des dérives bénignes. Elles n’ont pas hésité à recourir à la création monétaire pour financer des déficits. Elles ont utilisé l’inflation pour alléger le poids et la charge de la dette souveraine. La perception par les investisseurs du risque auquel ils s’exposent en finançant la dette publique est donc fortement déterminée par les anti-cipations d’inflation qui déterminent largement la prime de risque exigée.


Taux d’intérêt servi sur les obligations d'Etat à dix ans (2015-2023).

Source : Tesouro Direto.


Si l’inflation prévue est élevée ou imprévisible, l’investisseur sait qu’il est exposé à un risque de dévalorisation de son placement. Une somme de 1000 BRL placée aujourd’hui représentera dans six mois, un an ou plus, un pouvoir d’achat bien moindre. Dès lors, plus le risque d’inflation est jugé élevé, plus réduite sera la période de prise de risque (les titres émis devront être remboursés à une échéance rapprochée de quelques années, au maximum après 10 ans), plus élevée devra le taux des intérêts que servira la puissance publique. La conjoncture actuelle illustre ces considérations. Dans un contexte d’inflation relativement forte où aucun prévisionniste n’envisage de retour rapide à la stabilité des prix, les titres de la dette publique qui se placent bien sont des titres à maturité courte. Les taux d’intérêts négociés lors des adjudications sont en forte hausse par rapport à leur niveau à la veille de la pandémie. Les maturités sont relativement courtes. En janvier 2023, la part de la dette mobilière représentée par des titres ayant une maturité supé-rieure à 5 ans n’était que de 23,42%. L’essentiel de la dette mobilière était donc composé de titres venant à échéance entre janvier 2024 et janvier 2028. Sur les obligations d’Etat à dix ans, le taux d’intérêt était supérieur à 13%/an.


Les taux d'intérêt à long terme

restent élevés depuis

la victoire de Lula.


Le taux d’intérêt à long terme est un puissant indicateur de la perception du risque et no-tamment du risque inflationniste. La prime de risque qu'il intègre varie dans le temps en fonction de cette perception. Le taux des intérêts payés sur des titres de maturité longue (10 ans) ont fluctué entre 10 et 14%/an entre la fin 2010 et 2014. Il a augmenté fortement ensuite pour dépasser 16% sur plusieurs mois du second semestre de l’année 2015 et le début de 2016. A l’issue de l’exercice budgétaire 2013, le gouvernement fédéral avait dû assumer une charge de 250 milliards réais (l’équivalent de 4,68% du PIB) correspondante aux seuls intérêts à verser à ses créanciers, soit l’équivalent de 4,68% du PIB. Deux ans plus tard, cette charge atteignait 501 milliards de réais, soit 8,46% de la richesse nouvelle produite dans l’année. Après 2016, avec le retour à une discipline budgétaire, les taux d’intérêts amorcent une dynamique de forte baisse, amplifiée en fin de parcours par la récession qui accompagne la crise sanitaire. Entre 2016 et 2020, l’inflation est sous contrôle. Ces taux se redressent dès la fin 2020 avec le retour à une forte instabilité des prix, la dégradation des finances publiques, l’instabilité institutionnelle et politique, l’inca-pacité du gouvernement fédéral de respecter la norme de plafonnement budgétaire. Les taux se maintiennent à un niveau élevé avec la victoire de Lula à l’élection prési-dentielle, un succès qui ne rassure pas les investisseurs.


L’enjeu du refinancement de la dette publique.


Chaque année, les services du Ministère de l’économie en charge du budget élaborent un projet de loi de finances pour l’année suivante. Ils inscrivent dans ce projet des prévi-sions de recettes, de dépenses et de solde. Les dépenses anticipées sont de deux types. Il y a d’abord les dépenses de fonctionnement de l’Etat, de mise en œuvre des politiques publiques et d’investissement. Il y a aussi les dépenses liées à la dette. Les charges com-prennent ici les remboursements des titres qui viendront à échéance durant l’exercice budgétaire et les intérêts à versés aux créanciers. A titre d’illustration considérons la si-tuation que devaient anticiper les services du Ministère lors de la préparation du budget de 2015, sur une période, on l’a vu, marquée par une forte hausse des taux d’intérêt. Ces services savent alors qu’il faudra régler avant la fin de 2015 une somme de 962,2 milliards de BRL [5] correspondant au total des intérêts à verser et de l’amortissement de la dette publique fédérale. Une telle charge représente alors 16,3% du PIB ou encore l’équivalent de 40% du total des recettes fiscales collectées sur l’année par l’Etat central.


Le Trésor ne peut pas faire défaut sur le paiement de ce service de la dette. S’il renonçait à honorer les engagements pris vis-à-vis des créanciers, il fermerait automatiquement la source de financement qui permet à l’Etat fédéral de fonctionner [6]. Le Trésor ne peut pas non plus affecter 40% de ses recettes courantes au paiement du service de la dette. S’il choisissait cette option, il devrait imposer à tous les ministères une diète extrêmement sévère qui entrainerait le non-paiement des salaires d’une bonne partie des fonction-naires et l’interruption probable de tout service public. Il continuerait à honorer ses enga-gements vis-à-vis des créanciers de l’Etat mais devrait suspendre le versement de toutes les prestations sociales (retraites, pensions, allocations diverses). Avant d’en arriver là, il chercherait sans doute à vendre rapidement tous les actifs négociables (entreprises pu-bliques, services privatisables).


Recettes réalisées et dépenses exécutées du Budget fédéral au 31/12/2022.

Source : Trésor National. DPF = Dette Publique Fédérale.


En réalité, chaque année, lors de la préparation du budget, les experts gouvernementaux n’envisagent pas de mettre l’Etat à la diète ou de spolier les créanciers. Seule une faible partie du service de la dette est inscrite au budget et effectivement réglée par ponction sur les recettes courantes. L’essentiel de ce service est refinancé. Cela signifie que le Tré-sor rembourse des titres venus à échéance et règle une partie des intérêts dus en émet-tant de nouveaux titres sur le marché, titres qui génèreront à leur tour de nouvelles obligations de remboursement et charges d’intérêt. Ainsi, en 2022, sur un total de service de la dette estimé à 1879,37 milliards de BRL (46,3% des dépenses exécutées au 31/12/2022 et l’équivalent de 19% du PIB), les émissions de nouveaux titres réalisés ont représenté 82,5% du financement mobilisé.


Le refinancement de la dette publique est une opération relativement simple lorsque les épargnants et investisseurs ont confiance, adhèrent à la politique budgétaire conduite, soutiennent la politique économique. L’opération est bien plus délicate et coûteuse si la confiance et l’adhésion disparaissent. Ce fut précisément le cas sur la fin du premier mandat de Dilma Rousseff. A l’époque, l’inflation s’emballe, favorisée par une politique monétaire laxiste et l’injection permanente de financements publics qui doit ranimer une croissance médiocre. Pour parvenir à placer ses titres auprès des investisseurs, le Trésor doit proposer des maturités de plus en plus courtes (quelques mois). Les opérations de refinancement sont de plus en plus rapprochées. Elles fonctionnent pour les adjudica-tions de titres courts assortis de taux d’intérêts très élevés.


Le Trésor est alors engagé dans une véritable fuite en avant et doit en permanence rac-courcir la maturité des bons et obligations émis et relever les taux offerts. Si elle n’est pas accompagnée par un abandon du laxisme budgétaire, cette politique ne suffit pas à ras-surer les investisseurs [7]. Plus grave encore : elle précipite la récession économique. Lorsque le grand capteur d’épargne qu’est l’Etat offre à ses créanciers des niveaux de rendement exceptionnellement élevés pour des échéances de plus en plus courtes, une large part d’une épargne déjà insuffisante est aspirée par l’appétit incontrôlé du secteur public. Tout le système financier national mobilise les ressources dont il dispose pour profiter de cette aubaine. Les détenteurs d’épargne et les investisseurs institutionnels ont mieux à faire que de soutenir l’activité productive. En souscrivant des titres de la dette publique, ils atteignent rapidement une rentabilité qu’aucun autre placement ne peut garantir…


Dans un tel contexte, à l’exception de quelques grands bénéficiaires du crédit public sub-ventionné, aucune entreprise et aucun ménage n’a pu continuer à s’endetter. Les taux d’intérêt pratiqués par les institutions financières étaient devenus exorbitants. En d’autres termes, la politique budgétaire dispendieuse et la nécessité de refinancer la dette dans des conditions défavorables aboutissent à asphyxier l’activité économique. C’est exac-tement ce qu’a entraîné la politique conduite par Dilma Rousseff. L’investissement pro-ductif était déjà trop faible au Brésil avant 2013. Il va se contracter à partir de la mi-2013 et ce mouvement se poursuivra ensuite pendant plus de de trois ans. Cette con-traction anticipera de peu celle de la consommation qui avait été le moteur principal de l’activité du milieu des années 2000 à 2014. La récession qui surviendra en 2015 et 2016 sera la plus grave de l’histoire récente du pays.


En ce début de son troisième mandat, Lula est persuadé qu’il peut réussir en reprenant la politique de Dilma Rousseff. On montrera dans un quatrième et dernier post que la re-prise de cette pièce sinistre risque d’aboutir aux mêmes résultats.


A suivre : Un désastre annoncé.

 

(1] Ce coût est d’abord lié au différentiel de taux d’intérêts que prend en charge la puissance publique (la différence entre le taux que le Trésor doit assumer pour capter des ressources sur les marchés financiers et le taux qu’il facture aux banques publiques). Il est aussi induit par l’écart énorme qui existe entre la maturité des titres émis par l’Etat (quelques mois, quelques années) et les délais de remboursement consentis aux ban-ques publique (supérieurs à 30 ans au début de la décennie, puis à 40 ans en 2014). [2] Pour au moins 400 milliards de BRL, l’expansion de la dette brute de l’Etat central sur la période est associée à l’émission de titres publics afin de financer la BNDES, la prin-cipale banque publique mandatée pour fournir des crédits généreux à toutes sortes d’acteurs économiques… [3] La sphère publique concerne au Brésil trois niveaux : l’Etat fédéral (niveau central qui comprend les organismes gérant les retraites et pensions), les Etats fédérés et les communes. Ces trois niveaux forment ensemble le gouvernement général. [4] Grâce à un programme du Trésor National dénommé Tesouro Direto, tous les particu-liers qui acceptent de bloquer des fonds modestes pendant quelques mois peuvent souscrire des titres de la dette publique. [5] L’équivalent de 243 milliards de dollars. [6] Même des gouvernements populistes comme l’Administration de Nestor Kirchner en Argentine (2003-2007) ou celle de Chavez au Venezuela (1999-2013) se sont bien gardés de spolier tous leurs créanciers. L’Argentine de Nestor Kirchner a fait défaut sur la dette publique extérieure. Elle a continué à honorer ses engagements vis-à-vis de créanciers nationaux. [7] Sur les dernières années de l’Administration Rousseff, la méfiance se manifeste très bru-talement sur les marchés financiers. A partir de 2014, plusieurs opérations de ventes aux enchères de titres de la dette publique échouent. La Banque centrale doit elle-même acheter les bons et obligations qui ne trouvent pas preneurs et tenter de les re-

mettre sur le marché en offrant des conditions de rentabilité plus favorables.

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