Une série de cinq posts.
Les Indiens du Brésil sont discriminés. Ils se débattent souvent dans des conditions de vie plus difficiles que les autres catégories sociales. Présentés dans le pays comme une composante essentielle de l’identité et de la culture nationales, ils sont aussi méprisés. L’Etat leur réserve des terres dont ils ont en principe l’usufruit exclusif. En réalité, ces ter-ritoires sont trop souvent des espaces immenses de non-droit où règne la loi du crime, où les Indiens qui ne sont guère protégés, subissent agressions, violences et massacres. Lorsque l’Etat qui doit les protéger intervient, il le fait rarement à temps. Les moyens mis en œuvre ponctuellement pour repousser les envahisseurs sont insuffisants. En Ama-zonie, sur de nombreux territoires occupés en théorie par des peuples indigènes, les tra-fiquants et bandits en tous genres détruisent la forêt, exploitent illégalement des bois précieux, pratiquent l’élevage bovin, étendent l’orpaillage clandestin et le trafic de dro-gues et d’armes. Sur ces territoires perdus de la République brésilienne, les Indiens qui n’acceptent pas l’invasion de réseaux criminels organisés doivent fuir ou sont éliminés quand ils ne sont pas réduits en esclavage. Cette réalité scandaleuse et révoltante est désormais connue à l’échelle internationale. Depuis des décennies, les nombreuses Or-ganisations Non Gouvernementales nationales et étrangères qui interviennent aux côtés des populations indigènes dénoncent les crimes dont ces dernières sont victimes et les graves carences d’un Etat qui n’assure pas sa mission de protection.
Rassemblement de mouvements indiens à Brasilia.
Au sein de la constellation d’Ongs indigénistes, nombreuses sont les organisations qui appuient leur combat sur une vision mythique et romantique du monde hétérogène des ethnies indiennes. Les Indiens brésiliens seraient des personnes innocentes, qui ne con-naîtraient pas le mal, vivraient en harmonie dans une espèce de jardin d'Eden, où la natu-re, loin d'être hostile, est bienveillante, car ils en font partie. Les sociétés qu’ils forment ne présenteraient aucun des traits négatifs prêtés à la civilisation occidentale. Rejetant la vie en milieu urbain, pollué et industriel, ces populations préfèreraient la vie dans une nature encore vierge. Elles auraient refusé une modernité aperçue pour perpétuer des modes de vie ancestraux. Grâce à l’harmonie d’une vie communautaire, elles ignoreraient les conflits. Au lieu de s’en remettre à l’Etat et à ses institutions, elles ont maintenu une organisation sociale conforme à des règles traditionnelles.
De la vie et des conditions d’existence de ces peuples indigènes, le discours militant ne retient que les traits qui confirment le mythe, tandis que ceux qui le contredisent sont écartés. Des dizaines de milliers d’Indiens vivent (parfois depuis des lustres) à la périphé-rie des mégapoles et mènent une existence parfaitement identique à celle de leurs voi-sins. Un grand nombre de familles indigènes installées en milieu rural (y compris au sein des terres indigènes qui leur sont réservées) subsistent grâce à l’allocation mensuelle versée à tous les foyers modestes (la fameuse bolsa familia). Elles ont abandonné la pê-che, la chasse ou la cueillette ou ne les pratiquent qu’occasionnellement. Pour sortir de la misère ou exister dans la société de consommation, il arrive que des Indiens parti-cipent aux trafics et crimes évoqués plus haut ou qu’ils louent à des "blancs" les terres appartenant au domaine public dont ils ont l’usufruit (une pratique interdite). Ces as-pects ne sont pas retenus par le discours militant. Ce qui compte, c’est l’évocation de peuples premiers qui vivent en communion avec un environnement qu’ils respectent, avec la terre qui les nourrit et garantit la perpétuation de leur identité. Depuis plusieurs décennies, ce discours militant empreinte de plus en plus au registre de l’écologie radi-cale et de l’alter-mondialisme. Les peuples indigènes de la forêt amazonienne ap-paraissent alors comme incarnant une gestion prudente de la biodiversité par oppo-sition aux menées destructrices d’une agriculture moderne et d’agro-industries diabo-lisées.
Une vision romantique parfois très éloignée de la réalité.
Cette vision romantique et manichéenne est aujourd’hui véhiculée par une multitude d’organisations indigénistes privées, brésiliennes et étrangères. Ces groupes ont su habi-lement associer le combat pour la défense de l’intégrité et de la sécurité des Indiens à l’extension indéfinie des droits fonciers qui leur ont été octroyés par la Constitution de 1988. La survie de ces peuples indigènes dépendrait avant tout autre chose de la sanc-tuarisation par l’Etat du maximum de terres sur lesquelles ils sont les seuls à pouvoir résider et vivre. Il reviendrait aux pouvoirs publics de rétrocéder aux peuples premiers toutes les terres d’où ils ont été chassés pendant des siècles pour que ces peuples puis-sent restaurer et étendre un jardin d’Eden protégé de toutes les nuisances du monde moderne. Le message a aujourd’hui une portée universelle. Au nom de la défense des In-diens, une constellation d’Ongs diffuse une rhétorique mondialisée mêlant revendi-cations foncières, déclarations d’attachement aux cultures et traditions des peuples in-digènes, discours écologiques. Cette rhétorique inspirée par la gauche post-moderne identitaire est parfois reprise par les représentants des ethnies indiennes qui savent for-muler leurs revendications dans un langage qui a des chances d'être entendues. Ces leaders sont d’ailleurs souvent conseillés par des Ongs internationales comme Green-peace, Survival International ou WWF qui gèrent des réseaux à l’échelle globale.
La série de cinq posts intitulée "Le Brésil du XXIe siècle et les Indiens : mythes et réalités" a pour objectif de discuter la pertinence de cette vision militante et de montrer que l’application de la politique préconisée par des Ongs de gauche conduirait à répon-dre à une injustice historique en en créant d’autres, probablement tout aussi graves. Dans un premier texte, on évoquera l’histoire des relations entre les Indiens et le colon portugais ainsi que les changements intervenus dans ces relations après l’indépendance du pays. Le second post sera consacré à cerner l’importance, les localisations et les mo-des de vie des populations indigènes actuelles. Il permettra de souligner l’extrême di-versité des conditions d’existence que connaissent ces populations. Un troisième post portera sur les mouvements sociaux qui constituent au Brésil la mouvance indigéniste. On cherchera ici à analyser la nature du travail militant des Ongs qui disent avoir épousé la cause des Indiens. Un quatrième texte évoque les organisations indiennes et les nou-veaux mouvements religieux évangéliques qui s'opposent à la mouvance indigéniste de gauche et prônent une intégration des populations indigènes au monde qui les entoure. Le cinquième et dernier post sera consacré à l’analyse des conséquences que pourrait avoir une politique assurant aux Indiens un droit imprescriptible à la démarcation de ré-serves. On cherchera aussi à montrer ce que pourrait être une politique indigéniste adap-tée aux défis du XXIe siècle.
A suivre : De la colonisation à l’indigénisme.
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