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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

Le grand retour du populisme économique (3).


La fin du film peut être dramatique.

Les réformes promises par le Ministre de l’économie Paulo Guedes ne seront pas mises en œuvre avant longtemps. Pour faire face à la récession provoquée par la crise sanitaire, le gouvernement a abandonné les projets de libéralisation de l’économie, de privati-sations et d’ouverture commerciale. Il est aussi en train de revenir à une vieille tradition de la politique brésilienne : parier sur l’expansion des dépenses publiques et l’engage-ment massif de l’Etat pour réveiller l’économie, retrouver une croissance forte après la crise sanitaire.

L’Administration Bolsonaro envisage de rompre avec la discipline budgétaire renforcée par un amendement constitutionnel adopté en 2016 qui a institué un plafonnement des dépenses. L’approbation de ce principe a pourtant constitué une étape décisive. Elle a calmé la prodigalité du gouvernement fédéral. La règle du plafonnement a permis de réaliser un ajustement budgétaire progressif, sans obligation de réduire les dépenses, en particulier celles consacrées à la santé et à l’éducation (dans ces deux secteurs, un mini-mum de crédits est garanti par l’amendement lui-même). Le mécanisme de plafon-nement a aussi induit une réduction du coût de financement du secteur public. Au cours des trois années qui ont suivi la promulgation du texte (de 2017 à 2019), les dépenses primaires de l’Etat central ont progressé de 1,2% par an en termes réels, soit un rythme cinq fois inférieur à celui observé entre 1997 et 2014 (+6,3%/an)[1]. Grâce à ce freinage, les autorités monétaires ont pu envisager un abaissement très important du taux de base de l’économie, passé d’une moyenne de 14% en 2016, à 5,9% en 2019. Cette flexibilisation de la politique monétaire n’a pas empêché un reflux marqué de l’inflation. Le rythme de hausse des prix a été de 6,3% en 2016. Il n’était que de 4,3% en 2019. Plus important encore : le pays est sorti lentement de la récession. Sur les trois années évoquées ici et jusqu’à la crise du Covid-19, le chômage a reculé.

Progressivement, les comptes publics ont été ajustés. Le déficit primaire de l’ensemble du secteur public est passé de 2,48% à 0,85% du PIB de 2016 à 2019. Les charges d’in-térêt de la dette publique ont également diminué (de 6,49% à 5,06% du PIB), bien que cette dette ait sensiblement augmenté. La confiance des marchés a été restaurée. D’où une baisse du coût de financement. Entre 2016 et 2019, le taux d'intérêt implicite de la dette brute est passé de 13,1% à 7,8% [2]. Cette évolution favorable des taux a réduit le coût du capital pour les entreprises qui veulent investir. Elle a aussi affaibli les revenus que les ménages les plus riches tirent de leurs placements financiers. Les effets redistri-butifs de cette contraction ne sont pas négligeables.

Avec la pandémie de la Covid-19, les autorités ont fait usage d’un mécanisme prévu dans l’amendement constitutionnel de 2016. Ce mécanisme permet un dépassement du pla-fond lorsque le Congrès vote des crédits extraordinaires destinés à faire face à un évè-nement imprévu et après l’instauration de l’état de calamité publique. Lorsque le reflux de l’épidémie sera patent, à la fin de l’état de calamité publique (prévu pour l’instant en décembre 2020), l’Administration fédérale ne pourra donc plus envisager de dépenses exceptionnelles. Elle devra gérer et exécuter les seuls crédits votés dans le cadre de la loi budgétaire annuelle et en respectant le plafonnement. Cette normalisation est prévue par la Constitution. Pourtant, au sein de l’exécutif comme dans les rangs des élus du Congrès, depuis juin, un mouvement politique puissant est apparu qui s’oppose à cette normalisation. Ce mouvement va probablement se renforcer au cours des prochains mois.

Cette résistance procède d’abord de calculs électoralistes. Le Président et de nombreux parlementaires estiment que l’Etat fédéral doit dépenser davantage pour réveiller la croissance, inverser la courbe du chômage, améliorer les revenus. Avec la sortie de crise ainsi facilitée, les uns et les autres imaginent garantir leur réélection en 2022. Au cours des derniers mois, Jair Bolsonaro a compris que l’allocation mensuelle d’urgence versée depuis l’apparition de l’épidémie à plus de 66 millions de pauvres représentait un levier politique majeur. En améliorant le sort des ménages les plus modestes, le fameux "coronavoucher" lui permet de gagner la sympathie et l’appui de secteurs de la popu-lation qui votaient jusqu’alors pour le Parti des Travailleurs de Lula. La suppression de l’allocation mensuelle de 600 réais ou la réduction du montant une fois la crise sanitaire dépassée susciteront certainement la déception et la rancœur des bénéficiaires. De nombreux députés poussent aussi à la dépense, à l’abandon des règles constitu-tionnelles ou leur flexibilisation. Ils encouragent le gouvernement à mettre en œuvre son plan de relance de l’économie basé sur de grands travaux et la reprise de projets d’investissements en infrastructures. Qu’importe si ces opérations aboutissent souvent à faire pousser des "éléphants blancs". Il suffit souvent d’annoncer des réalisations d’enver-gure et prestigieuses pour susciter la sympathie et l’adhésion d’importants secteurs de l’électorat. En outre, la mise en œuvre de chantiers coûteux pour les finances publiques est souvent bénéfique pour les leaders politiques locaux et leurs partis…


Indicateurs économiques et scénarios pour 2020 et 2021.

Source : Instituição Fiscal Independente. Sénat Fédéral.

Cette résistance au retour à la normalité budgétaire bénéficie de l’appui d’une part de la population qui persiste à croire que l’accroissement indéfini des dépenses publiques permettra de satisfaire toutes les demandes sociales, de résoudre le conflit distributif que traduisent les choix budgétaires. Ce conflit est aujourd’hui exacerbé. Avec les dé-penses exceptionnelles engagées pour faire face à la pandémie, la dette publique va augmenter d’au moins 20 points de PIB. Cet endettement croissant renforce la contrainte qui pèse sur les gestionnaires du budget fédéral. Le respect du mécanisme de plafon-nement une fois la crise sanitaire passée va être encore plus important qu’il ne l’était avant cette crise. La responsabilité des partis représentés au Congrès devrait être de combiner le retour à la discipline avec la satisfaction des demandes les plus légitimes de la population. Il devrait être de réduire l’influence des lobbys et corporations organisées qui défendent becs et ongles des privilèges octroyés par la puissance publique. Ce sont ces groupes qui aujourd’hui font croire à l’opinion qu’en laissant filer les dépenses, tout le monde sera finalement servi.

Les résistants à la normalisation budgétaire souffrent d’une étrange amnésie. Ils sou-tiennent que l’abandon du plafonnement ou la flexibilisation auront un impact positif sur l’activité économique. L’expansion à tout va des dépenses publiques, les grands projets d’investissements pilotés par l’Etat fédéral, les subventions aux entreprises ont été les grands axes de la politique économique conduite sous Lula (après 2005) et Dilma Rousseff. On parlait alors de "Programme d’Accélération de la Croissance" (PAC), de "nouvelle matrice économique"..…Ce sont ces projets volontaristes et dispendieux qui ont précipité le Brésil dans la grande récession des années 2014-2016.

Un scénario de récession qui peut s’aggraver.

Avec l’épidémie de la Covid-19, la récession est à nouveau là. Les prévisions concernant l’ampleur du choc et sa durée varient. Après la crise des années 2015 et 2016, la reprise observée apparaissait très timide et fragile. Désormais, pour envisager un retour à une croissance consistante, le Brésil doit montrer qu’il est capable d’évoluer vers une gestion plus sérieuse de la crise sanitaire. Il s’agit de rétablir un climat de confiance, de rassurer les acteurs économiques et les marchés financiers. La situation des finances publiques reste problématique, en dépit des efforts menés de 2016 à 2019. Avant la crise sanitaire, la dette publique rapportée au PIB était déjà exceptionnellement élevée pour un pays émergent. Avec l’épidémie, les autorités ont dû accroitre fortement les dépenses publiques afin de soutenir les revenus des ménages et les entreprises [3]. L’endettement du secteur public va cependant augmenter dans des proportions considérables [4].

De nombreux analystes soulignent que cette dégradation temporaire (exceptionnelle et nécessaire) des comptes publics doit être suivie d’un ajustement une fois que la crise sanitaire sera dépassée. C’est le cap que les autorités doivent impérativement annoncer et maintenir. Cette orientation ne sera pas facile à suivre. Les projections de contraction du PIB en 2020 désormais retenues par les instituts de conjonctures brésiliens varient de -5,5% à - 8%. La reprise envisagée pour 2021 serait de l’ordre de 2,5 à 3,5% [5]. Dans ce type de conjoncture déprimée, les politiques d’augmentation des dépenses publiques destinées à stimuler la demande sont souvent privilégiées. Elles ont des effets contra-cycliques à court terme (amélioration temporaire de l’emploi et des revenus). Néanmoins, l’effort d’expansion budgétaire ne permet pas de relever de manière durable la capacité de production du pays et le rythme de progression de la productivité. Il ne peut donc pas générer une élévation soutenable du revenu national et de celui des plus modestes.

Le gouvernement brésilien est pourtant tenté aujourd’hui par ce dopage. Il semble vou-loir ignorer l’avertissement adressé par les marchés financiers et de nombreux ana-lystes. La combinaison au cours des prochains mois d’une politique budgétaire laxiste (avec la flexibilisation ou l’abandon du plafond sur les dépenses fédérales) et d’une reprise de l’activité sans contrôle effectif de l’épidémie pourrait conduire le pays de la récession en cours à la dépression. C’est alors un scénario très sombre qui s’imposerait. Les ingré-dients principaux sont connus : relâchement des disciplines budgétaires pratiquées depuis quelques années, expansion des dépenses sans identification claire des sources de financement, utilisation de subterfuges comptables destinés à contourner le fameux plafond constitutionnel, un endettement incontrôlé. Ce scénario noir inclut une forte contraction du PIB sur 2020 (supérieure à 10%), une nouvelle contraction ou la stagnation en 2021 et une reprise de l’activité qui ne se concrétiserait qu’en 2022.

C’est ce scénario noir que les marchés financiers retiennent désormais comme une hypothèse sérieuse. Ils n’en sont pas encore à envisager une crise de la dette souveraine. Néanmoins, durant les derniers mois, les signes de fièvre sont devenus évidents. Les deux agences de notation Standard & Poor’s et Fitch ont abaissé la perspective de la note souveraine du Brésil, de "Positive" à "Stable" pour la première (en avril dernier), de "Stable" à "Négative" pour la seconde (début mai). Un autre symptôme majeur de diffi-cultés actuelles ou futures est la sortie de capitaux observée ces derniers mois. Elle montre que les investisseurs sont préoccupés. Entre janvier et juillet 2020, les sorties nettes s’élèvent à 30,6 milliards d’USD. Ces sorties sont liées à la liquidation par des étrangers de placements en fonds d’investissement, en actions et en titres de la dette publique. En 2019, sur la même période, le Brésil avait enregistré des entrées nettes pour 14,1 milliards de dollars. Le mouvement s’est donc inversé. Pour les douze mois terminant en juillet 2020, l’hémorragie est de 52,3 milliards d’USD. Autre indicateur important : la baisse des investissements directs étrangers. Les apports nets reçus pour les douze mois s’achevant en juillet 2020 ont atteint 62,5 milliards de dollars et couvrent encore le déficit courant. Ils sont cependant moins importants qu’au cours de la même période de l’année passée lorsque le pays avait bénéficié de 79,6 milliards d’USD d’entrées nettes.

Quatrième symptôme : la forte volatilité du dollar depuis le début du second semestre et l’affaiblissement de la monnaie brésilienne. Le real avait connu un gros accès de fièvre au mois de mai lors du premier vent de panique lié à l'impact du coronavirus. Il avait quelque peu rétabli l'équilibre le mois suivant (le dollar repassant alors sous la barre des 5 réais). Il a depuis replongé (le billet vert s'établissant à 5,61 réais), malgré de nom-breuses interventions de la banque centrale (2,3 milliards de dollars sur la première semaine d’août). Au cours des derniers mois, le réal brésilien est la monnaie qui a subi la plus forte dépréciation au sein des pays émergents avec la Covid-19. Les raisons sont multiples : faible niveau des taux d’intérêts, sortie des investisseurs des marchés émer-gents et, depuis quelques semaines, craintes de futurs dérapages budgétaires [6] et d’une progression incontrôlée de l’endettement public.


Taux de change du dollar en réais depuis le début de l'année 2019.

Source : Banque Centrale du Brésil.

Les marchés anticipent déjà un probable relâchement de la politique budgétaire au-delà de la période de crise sanitaire. Le Ministre de l’économie a beau répéter que le gouver-nement reste attaché à la discipline du plafonnement. Les investisseurs savent que de nombreux ministres sont désormais partisans d’un "assouplissement" du dispositif, voire d’une expansion marquée des dépenses. Si le scénario sombre évoqué plus haut venait à se concrétiser, la dette publique brute pourrait franchir le seuil de 100% du PIB dès cette année. Elle augmenterait encore de plusieurs points de PIB en 2021. La dette de l’Etat brésilien n’est pas une dette perpétuelle. Le financement et le refinancement de cette dette dépendent étroitement de la confiance des marchés, c’est-à-dire de "l’humeur" d’investisseurs institutionnels et d’épargnants brésiliens.

Un risque financier intérieur.

La dette publique est en effet principalement une dette interne. C’est aussi avant tout (pour 94,56% du stock en fin juin 2020) une dette mobilière. Qui sont les détenteurs des titres émis par le trésor brésilien ? En juin dernier, les investisseurs non-résidents dans le pays ne représentaient que 9,1% de l’encours. Les titres en circulation étaient alors déte-nus pour plus de 81% par des fonds de pensions (retraites complémentaires), par des institutions financières, par des compagnies d’assurances et des fonds d’investissement tous brésiliens. Directement et indirectement, une large part de l’épargne des entreprises et des ménages est placée en titres de la dette publique qui représentent souvent les supports offrant la meilleure rentabilité.

La charge annuelle de cette dette publique (amortissement + frais financiers) n’est jamais assumée intégralement en mobilisant des ressources fiscales. L’Etat fédéral rembourse les bons du trésor et obligations venus à échéance en s’endettant à nouveau, en se re-finançant. Entre 2015 et 2019, la charge cumulée de la dette fédérale a atteint 1106 mil-liards de réais. Sur ce total, la part assumée par le budget a été à peine de 8,5%. Le reste (91,5%) a été financé par émission de nouveaux titres et contractation de nouveaux emprunts. Sur le marché financier, l’Etat fédéral rembourse bons du trésor et obligations en se refinançant, en s’endettant à nouveau. L’accumulation des intérêts que le Trésor doit verser à ses créanciers vient s’ajouter à son passif dans le calcul de la dette. Les conditions auxquelles il peut se financer (taux d’intérêts et échéances des titres émis) dépendent étroitement de la politique budgétaire menée.

Au Brésil plus qu’ailleurs, l’Etat est loin d’être maître du prix qu’il paie pour se financer et du temps pendant lequel il peut utiliser des ressources captées sur le marché. S’il béné-ficie de la confiance des investisseurs, il parvient à émettre de la dette moyennant des conditions relativement favorables (maturités longues des titres [7], taux d’intérêts fai-bles). Lorsque ces investisseurs perdent confiance dans la qualité des titres de dette qu’ils achètent, les taux d’intérêts s’envolent et l’État parvient de plus en plus difficilement à se financer à long terme (quelques années) sur les marchés [8]. Avant d’en arriver à ce stade, les marchés financiers manifestent des signes de stress. Ces signes sont apparus récemment sur les places brésiliennes avant même que le gouvernement n’affiche ses divisions quant au chemin à suivre en matière de politique budgétaire après la crise sani-taire.

C’est une fâcheuse coïncidence. La combinaison des maturités des diverses émissions réalisées sur les exercices antérieurs, la crise économique qui suit l’épidémie de Covid-19 (entraînant une baisse des recettes fiscales) et l’effort budgétaire extraordinaire engagé font de 2020 une année hors norme en ce qui concerne le refinancement de la dette. Pour rembourser les titres qui viennent à échéance, payer les intérêts dûs et couvrir un déficit primaire considérable, le Trésor brésilien doit placer sur le marché des nouveaux titres représentant au total l’équivalent de 46% du PIB. Jamais le besoin de refinancement de l’Etat fédéral n’a été aussi important ces dernières années. A titre de comparaison, jusqu’à la récession qui a commencé en 2014-15, il représentait l’équivalent de 20 à 25% du PIB. En d’autres termes, les atermoiements du gouvernement à propos du maintien du plafonnement des dépenses, les polémiques publiques nourries sur le sujet survien-nent au pire moment. Les marchés financiers brésiliens anticipent même déjà une répé-tition du scénario de 2002, lorsque les investisseurs étaient devenus très réticents pour financer le Trésor et souscrire les titres émis parce qu’ils anticipaient un total relâchement de la discipline budgétaire avec la victoire annoncée de Lula à la présidentielle. A l’époque, le Trésor ne parvenait même pas à négocier des titres à échéance 2003, pre-mière année de la gauche au pouvoir. Pour éviter la banqueroute, il avait fallu proposer des titres de maturité très courte assortis de taux de rémunérations très élevés. La bombe a été désamorcée lorsque le nouveau chef de l’Etat s’est engagé à maintenir une stricte discipline budgétaire et l’a effectivement mise en œuvre.

Aujourd’hui, le Trésor brésilien est confronté à deux évolutions qui annoncent un scénario comparable. Il doit d’abord proposer des niveaux de rentabilité plus élevés pour placer les titres de la dette publique sur le marché. Il doit aussi réduire la maturité des nouveaux titres émis. Les taux d’intérêts à long terme (qui servent de référence aux investisseurs lorsqu’ils envisagent de souscrire des titres de la dette fédérale) ont augmenté sur les derniers mois. Les investisseurs intègrent désormais dans leurs analyses de rentabilité le risque représenté par de possibles dérapages budgétaires. Certes, les taux à court terme n’ont jamais été aussi bas qu’aujourd’hui, en raison de la politique monétaire maintenue par la Banque Centrale et de la récession que le pays (et le monde) traverse. Néanmoins, au Brésil, les taux de long terme que doit accepter le Trésor pour émettre des emprunts à dix ans atteint désormais 7% [9]. Cet écart énorme avec les conditions proposées dans les nations avancées reflète la méfiance des créanciers qui craignent que les engage-ments contractés aujourd’hui ne soient pas honorés à échéance. Autre manifestation de cette même inquiétude : la réduction de la maturité moyenne des titres de la dette pu-blique. En 2016, celle-ci était de 4,5 ans. Elle est aujourd’hui de 3,7 années.

En réduisant la maturité des titres émis, le Trésor brésilien peut gagner du temps et se financer moyennant des taux d’intérêt relativement faible. Mais il devient alors très exposé aux mouvements d’humeur des investisseurs. Aujourd’hui, le taux d’intérêt que le Trésor doit assumer pour se financer sur des échéances courtes varie entre 2 et 3%/an. La captation de ressources financières par émission d’obligations à 10 ans n’est possible qu’en assurant aux investisseurs un taux de rémunération de 7%/an. La différence de taux (de l’ordre de 4,5 points) représente justement le prix facturé par le marché en raison de l’incertitude qui pèse sur l’évolution de la politique budgétaire. Les émissions de titres à maturité réduite permettent de diminuer les charges financières de la dette. Il y a néanmoins ici un sérieux inconvénient : en avançant l’échéance moyenne de la dette, en créant une structure d’amortissement moins lissée, le montant de la dette exigible à court terme augmente, les risques auxquels est exposé le Trésor (difficulté de placer de nouveaux titres, relèvement brutal des taux d’intérêts) s’élèvent. Une telle situation devient problématique si elle dure. Le Trésor doit alors rembourser des titres de maturité longue en plaçant des nouveaux titres de maturité courte. Il emprunte aujourd’hui pour rembourser des titres venus à échéance hier…


Le raccourcissement accéléré sur les derniers mois de la maturité moyenne de la dette publique est en soi un signal d’alarme qui devrait conduire le gouvernement fédéral à afficher clairement un programme de réduction des déficits pour l’après crise sanitaire. Un autre signal inquiétant est le recours de plus en plus fréquent par le Trésor à d’autres moyens de financement que l’émission de titres nouveaux [10].

Si le cap de la discipline budgétaire n’est pas retrouvé sur les prochains mois, le Brésil connaîtra probablement à nouveau des tensions inflationnistes (alimentées notamment par la dépréciation du réal). La Banque centrale devra alors relever son taux directeur. Ce raidissement de la politique monétaire rendra l’accès au crédit plus difficile et pèsera sur une reprise de l’activité déjà fragile. Il ne suffira probablement pas pour empêcher la fuite devant la monnaie nationale. Les épargnants qui le peuvent chercheront à acquérir des dollars ou d’autres devises fortes. L’essentiel du stock de la dette publique étant libellé en monnaie nationale et détenu par des institutions financières locales, un scénario de défaut (le débiteur annonçant qu’il n’est plus à même de respecter ses engagements) ou une proposition de restructuration de la dette sont difficilement envisageables. Ces rup-tures brutales de contrats généreraient une crise de l’ensemble du système financier national compte tenu du poids pris par les titres de la dette fédérale dans les bilans des investisseurs institutionnels. Elles mettraient en péril les systèmes de retraites complé-mentaires, provoqueraient un effondrement de l’investissement productif, un cataclysme économique et une spoliation violente des épargnants.

La défaillance sera plus discrète et sournoise. Aux abois, l’Etat encouragera la Banque centrale à créer de la monnaie sans contrepartie. Le retour d’une inflation élevée déva-lorisera les créances sur le Trésor qui représenteront une charge de moins en moins lourde pour le débiteur et des actifs dévalorisés pour les créanciers. Ici encore, les épar-gnants seront lésés mais de manière plus insidieuse. Il n’y aura pas de cataclysme éco-nomique spectaculaire mis une dépression sans fin prévisible. Le pays combinera pour longtemps l’instabilité des prix et une croissance négative ou médiocre.

Le pari électoraliste de Jair Bolsonaro et de ses alliés est donc probablement un pari absurde. Pour renforcer leurs chances électorales en 2022, ils semblent prêts à aban-donner l’effort de discipline budgétaire engagé depuis 2016. Si ce virage populiste esquissé récemment est confirmé, les classes moyennes (disposant d’épargne) et les pauvres (qui recevront un RSA dévalorisé) paieront rapidement une addition très amère. Il est difficile d’imaginer que ces secteurs de la société persistent alors à soutenir des candidats du camp Bolsonaro.



 

[1] Entre 2015 et 2016, la hausse des dépenses primaires en termes réels a été en moyenne de +0,3%/an.

[2] Pour la dette nette, on est passé de 17,9% à 10%/an. Le taux d’intérêt implicite rap-porte les intérêts payés au montant total de la dette pour une année donnée. [3] L’effort budgétaire engagé au Brésil sur 2020 sera probablement un des plus impor-tants en Amérique latine. [4] L’accroissement des dépenses publiques en raison des mesures adoptées pour faire face à la crise sanitaire a fait progresser la dette brute du secteur public de 75,8% à 85,5% du PIB entre la fin décembre 2019 et la fin juin 2020. [5] Les données conjoncturelles montrent même que le pic de la récession a proba-blement été dépassé et que son ampleur sur l’ensemble de l’année sera atténuée par rapport aux prévisions initiales, en raison même de l’effort de soutien engagé par les pouvoirs publics. [6] L’indicateur de risque pays, qui s'était rapproché de la moyenne des émergents selon l'indice EMBI de JP Morgan au début du mois d’août, a de nouveau grimpé pour atteindre 333 points, contre une moyenne de 305 points en fin de mois. [7] le temps qui court entre la date d’émission et la date de remboursement de l’emprunt. [8] In fine, l’Etat peut se trouver dans une situation où il ne peut assurer ni les rembour-sements ni le paiement des intérêts sur les dettes contractées. Le refinancement devient impossible. L’État se retrouve en défaut de paiement. Au Brésil, cette situation s’est produite à plusieurs reprises au cours des dernières décennies. [9] Ces taux de long terme pour des emprunts à plus de dix ans varient de 5 à 7% pour l’ensemble de pays émergents. [10] Une très faible part du déficit primaire accumulé jusqu’en juin a été financée par l’émission de titres de la dette publique sur le marché primaire. Il a fallu recourir en partie à la création monétaire. Surtout, le Trésor a utilisé de plus en plus les opérations de pension livrée (repo) réalisées par la Banque centrale qui a vendu des titres de la dette publique pour emprunter des liquidités avec l’engagement de racheter ces titres sur un délai rapproché (en général 24 heures). Le recours à ce moyen de refinancement de la dette publique a très court terme (un pourcentage très important de ces opérations sont des opérations de pension à un jour ou over night repo) est une alternative lorsque le Trésor ne parvient pas à lancer des émissions avec maturités plus longues et à des taux qu’il juge adéquats. Selon les données de la Banque centrale publiées à la fin juillet, ces opérations ont atteint un montant de 1 385 milliards de réais en juin dernier, soit l’équivalent de 19,3% du PIB. A titre de comparaison, ces opérations de pension livrée ne représentaient que l’équivalent de de 13,1% du PIB 2018. La dernière modalité de financement des dépenses exceptionnelles a été le recours à des retraits massifs sur le compte unique du Trésor géré à la Banque Centrale.

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