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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

Le désolant bilan économique de Bolsonaro(4).


Un maître d'ouvrages inconséquent.


Dans le cadre de la nouvelle gestion des infrastructures publiques mise en œuvre depuis quelques décennies, l’effort d’investissement est assuré par la puissance publique et par ses partenaires privés. La première prend en charge intégralement tous les inves-tissements qui correspondent à des programmes n’offrant par de rentabilité financière suffisante pour des acteurs privés mais qui sont essentiels du point de vue de l’offre de services collectifs et du développement économique. Les seconds doivent assumer tous les investissements (construction, entretien, modernisation) qu’ils se sont engagés à réaliser à la suite des contrats de concessions signés avec l’Etat ou les collectivités territoriales.


Entre 2005 et 2018, les investissements publics et privés en infrastructures ont repré-senté en moyenne l’équivalent de 2,09% du PIB, un apport très insuffisant pour assurer l’entretien, la modernisation et l’expansion des ports, aéroports, routes, systèmes de télécommunication, l’universalisation de l’accès aux réseaux d’assainissement et à l’eau potable. Sur 1,7 million de km de routes fédérales et locales que compte le pays, seuls 213 500 km étaient goudronnés en 2020, soit 12% du total. Sur le reste du réseau, lorsque la chaussée a reçu un revêtement, celui-ci est précaire (simples empierrements). La densité du réseau ferroviaire (3,5 km de voie ferrée pour 1000 km2) était particulièrement faible. L’accès à l’eau courante concernait plus de 90% des domiciles dans les régions Sud, du Sud-Est et du Centre-Ouest. Ce pourcentage tombait à 74% dans le Nord-Est et à 57,5% dans le Nord. A l’exception du Sud-Est (79,5%), les taux régionaux de collecte des eaux usées étaient faibles (57,7% dans le Centre-Ouest, inférieur à 50% dans le Sud, de 28% dans le Nord-Est et de 12,33% dans le Nord). En 2018, plus de 20% des domiciles n’avaient pas accès à internet. Ce taux était de 51% en milieu rural.


La population affronte quotidiennement les conséquences de l'insuffisance des investis-sements en infrastructures. Le paysage urbain ou rural est peuplé d’ouvrages d’art inachevés ou fragilisés faute de maintenance. La liste des axes routiers mal entretenus et défoncés est devenue interminable. Dans un pays où 60% du transport de marchandises est assurée par camions, les principaux axes sont surchargés, inadaptés et devenus très dangereux. Le réseau ferroviaire est insignifiant. Les rares lignes existantes sont réser-vées au transport de produits pondéreux (minerais, denrées agricoles, engrais). Les aéro-ports régionaux modernes et adaptés restent peu nombreux. Des édifices publics sont menacés d’effondrement ou abandonnés par les administrations. Les infrastructures por-tuaires datent souvent du 19e siècle. Un investissement trop faible et une gestion inadé-quate des ressources affaiblissent la compétitivité de l’économie. Des infrastructures insuffisantes, inadaptées ou peu efficientes découragent l’investissement productif.


Tronçon de la route fédérale BR 163, dans l'Etat du Pará, en saison des pluies, avant 2019.


A la fin de la décennie passée, les experts étaient formels. Il faudrait que le Brésil con-sacre désormais l’équivalent de 4,15% de son PIB chaque année (un doublement par rapport à l’investissement réalisé entre 2005 et 2018) et qu’il maintienne un tel effort sur une bonne vingtaine d’années (jusqu’en 2040) pour assurer l’entretien des infrastructures existantes et en développer de nouvelles et répondre ainsi aux besoins. Ils ajoutaient qu’un tel effort passerait nécessairement par une forte mobilisation du secteur privé, compte tenu des marges de manœuvre budgétaires très limitées du secteur public.


Au niveau fédéral comme aux autres niveaux de gouvernement (Etats fédérés, commu-nes) la capacité d’investissement des pouvoirs publics a été progressivement réduites en raison de la progression des dépenses obligatoires (salaires des agents, retraites et pensions au niveau fédéral). Le gouvernement central et les Etats locaux sont parvenus à accroître leurs engagements (essentiellement en s’endettant) à la fin de la décennie 2000. Ils ont dû réduire leurs efforts ensuite avec la crise des finances publiques qui éclate au début du second mandat de Dilma Rousseff. Sans ressources, les pouvoirs lo-caux et l’Etat central sont incapables de lancer de nouveaux programmes d’investis-sement et de conclure les chantiers déjà engagés. En 2018, un bureau d’études spé-cialisé a recensé 7 400 programmes de construction relevant du plan Agora é Avançar (maintenant il faut avancer !) du gouvernement fédéral qui se trouvaient paralysés. A partir de 2017, l’engagement de l’Etat central est aussi limité par l’introduction du plafond budgétaire qui limite l’accroissement des dépenses sur un exercice à l’inflation de l’année antérieure. Une large part des recettes de l’échelon central est absorbée par les dé-penses obligatoires comme les salaires des agents et le versement de retraites et pensions. Les crédits disponibles pour investir sont de plus en plus modestes [1].


Le constat partagé par les experts et de nombreux hauts responsables du gouver-nement fédéral est donc clair. C’est au secteur privé qu’il doit revenir de combler l’espace qui existe entre l’investissement actuel en infrastructures et l’investissement souhaité. En 2019, les opérateurs privés assuraient déjà plus de 68% de l’investissement en infra-structures. Le reste était financé par le gouvernement fédéral, par les Etats fédérés, par les communes et les entreprises publiques. Dès la première année de la Présidence Bolsonaro, les experts ont averti : pour atteindre un engagement à hauteur de 4,15% du PIB/an sur longue période, il allait falloir porter la contribution des investisseurs privés à près de 84% du total.


En 2019, le Brésil est un des pays du monde qui dispose d’un des stocks en infra-structures les plus faibles si l’on rapporte la valeur de ce patrimoine au PIB. Le ratio est alors de 36%, soit un niveau bien inférieur à celui d’autres pays émergents comme l’Inde (58%) et la Chine (76%). Dès l'investiture, le gouvernement Bolsonaro s’engage à porter ce taux à 38% à la fin du mandat et de progresser encore pour atteindre un ratio de 61% en….2040…Il va falloir pour ce faire attirer les investisseurs privés, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Cela signifie que les règles encadrant la participation de ces investisseurs devront être clarifiées et simplifiées. Cela signifie qu’il va falloir renforcer l’indépendance et les capacités d’intervention des agences de régulation. Pendant trop longtemps, les autorités brésiliennes ont cru que c’était la demande qui attirait les investisseurs. En réa-lité, la stratégie de ces derniers est commandée par deux facteurs : la demande et la qualité de l’environnement institutionnel et juridique. Ce dernier élément est essentiel pour susciter la confiance.


Des résultats très éloignés des promesses.


Plus de trois ans après, la désillusion est grande. Les opérateurs privés qui assument des concessions de services publics ou envisagent de le faire sont inquiets. Il y a d’abord un climat d’instabilité institutionnelle et politique que le chef de l’Etat s’est acharné à entre-tenir depuis le début de 2019, comme si sa mission consistait à aggraver un environ-nement d’insécurité juridique déjà préoccupant. Le Président ne cesse d’intervenir dans la vie quotidienne des entreprises publiques, renvoie ses ministres au moindre prétexte. Il dénonce le travail de la Cour suprême. Sous Bolsonaro, les postes de directions de services techniques des agences fédérales de régulation ont été de plus en plus occupés par des amis politiques de l’exécutif et des membres de partis qui le sou-tiennent. Le Sénat fédéral a donné son aval à cette politique d’ingérence. Les investis-seurs potentiels savent que le gouvernement a abandonné tout projet sérieux de pré-servation de la biodiversité, qu’il laisse agir en Amazonie le crime organisé qui s’impose désormais face à un Etat impuissant. La déforestation va bon train. La protection de l’environnement est la dernière préoccupation du pouvoir fédéral. A ces difficultés ré-centes s’ajoutent des problèmes plus anciens qui n’ont jamais été résolus : insécurité juri-dique, pression fiscale élevée et confuse, difficultés d’accès au crédit, risque de change, etc…


Sous la Présidence Bolsonaro, le Brésil a vu son image se dégrader à l’étranger parce qu’il n’est pas parvenu à s’aligner sur le changement de paradigme culturel qui s’est im-posé dans le monde économique. Des grandes firmes, des fonds d’investissement et de pension, d’importants investisseurs engagés sur des programmes de long terme pren-nent désormais en compte l’impact environnemental dans l’évaluation de la rentabilité des projets qui leur sont soumis. Les acteurs publics et privés qui persistent à ignorer cette nouvelle approche sont perçus comme archaïques ou vivant sur une autre planète. Autre facteur qui a dégradé la relation des investisseurs avec l’Administration Bolsonaro : son gouvernement a réduit les investissements en infrastructures, considérés pourtant comme des vecteurs de l’investissement productif.


La contraction des investissements publics en infrastructures n'a pas commencé sous Bolsonaro. En outre, l'Etat fédéral n’est pas ici seul en cause. De nombreuses opérations de développement du logement, de collecte des égouts ou de gestion du réseau routier local relèvent des compétences des Etats fédérés ou de l’échelon municipal. Reste que dans ce domaine, les grands projets concernent le gouvernement central. Entre 2010 et 2018, les investissements publics en infrastructures ont représenté en moyenne l’équi-valent de 0,94% du PIB. Sur les trois premières années de l’Administration Bolsonaro, cet engagement n’a plus représenté en moyenne que 0,5% du PIB. Alors que l’investissement public se contractait, les opérations financées par le secteur privé ont représenté une part quasi constante du PIB (autour de 1,1%). Les premières projections pour l’année 2022 indiquent un investissement total en infrastructure de l’ordre de 1,71% (contre 1,73% en 2021). Pour assurer le bon fonctionnement des équipements et infrastructures existantes, garantir la qualité du service offert à la société, il faudrait investir l’équivalent de 3,86% du PIB. En d’autres termes, au cours de la période qui va s’achever en décembre 2022, le Brésil s’est éloigné de l’objectif de 4,15% du PIB évoqué plus haut. Pire encore : Bolsonaro ne s'est pas contenté de réduire l'investissement public fédéral. Au lieu de maintenir des programmes d’investissements cohérents destinés à servir des priorités nationales, il a accepté qu’une part croissante des maigres dépenses maintenues soient exécutées conformément à des amendements de parlementaires, c’est-à-dire en fonction de l’intérêt de groupes politiques amis du pouvoir, de réseaux d’élus locaux accordant en échange leur soutien au Président. Le tout sans aucune transparence, sans évaluation sérieuse de la justification des opérations financées et de leur viabilité économique et sociale.


Un investissement en infrastructures très insuffisant (en % du PIB).



L’Etat fédéral est responsable des grands projets qui concernent les télécommunica-tions, le réseau routier national, les ports, le chemin de fer, les aéroports ou l’assainisse-ment. Sous la Présidence Bolsonaro, le gouvernement central disposait de deux atouts majeurs pour susciter l’intérêt de nombreux investisseurs privés. Les responsables du programme fédéral de partenariats d’investissements (PPI) et la BNDES sont parvenus à arrêter un catalogue de projets bien construits sur le plan technique (à quelques exceptions près). Tous les projets d’investissements en infrastructure relevant de l’éche-lon fédéral étaient pilotés par un ministre compétent, Tarcisio de Freitas, un ingénieur des armées qui avaient déjà détenu le portefeuille des infrastructures sous les gouver-nements D. Rousseff et M. Temer.


Le ministre a bien engrangé quelques succès. La nouvelle législation adoptée pour dé-velopper les infrastructures d’assainissement et d’accès à l’eau courante a débouché sur des résultats appréciables. Quatre appels d’offre importants ont eu lieu en 2021 qui ga-rantissent 37,5 milliards de BRL en investissements dans le secteur. L’opération la plus importante a été la mise sous concession de la CEDAE, l’entreprise de gestion de l’eau et des égouts de l’Etat de Rio de Janeiro. Autre domaine où des progrès sont enregistrés : le transport aérien. En 2021, le gouvernement fédéral a réalisé un sixième round d’appels d’offres concernant des concessions de construction et d’exploitation de 22 structures aéroportuaires régionales. La compagnie brésilienne CCR a été adjudicataire du groupe de terminaux considérés comme les plus intéressants. L’autre adjudicataire a été Vinci Airports, filiale du groupe français Vinci, qui détient désormais des concessions sur 7 aéroports du Nord du pays. A la fin du premier semestre de 2022, le gouvernement fé-déral n’avait pas encore prix de décision sur l’avenir de l’exploitation de trois aéroports importants (Viracopos dans l’Etat de São Paulo, Galeão à Rio de Janeiro et São Gonçalo do Amarante dans le Rio Grande do Norte) dont les concessionnaires antérieurs ont abandonné l’exploitation.


Au-delà de ces succès bien limités, les résultats de la politique de partenariat avec le secteur privé conduite depuis 2019 sont décevants. En général, les réponses aux appels d’offres lancés ont été le fait d’entreprises déjà installées dans le pays et qui ont profité de ces opérations pour améliorer leurs positions sur des marchés où elles opèrent déjà. Les nouveaux venus ont été très rares. Le secteur de la téléphonie fournit une bonne il-lustration. Lors de l’appel d’offres lancé en novembre 2021 pour le déploiement de la cin-quième génération de communications mobiles (5G), les principaux lots géographiques sont revenus à des firmes comme Vivo, TIM et Claro, filiales de groupes étrangers qui sont présents au Brésil depuis des décennies.


Les routes de l'impossible....


La téléphonie n’est qu’un exemple. Le domaine des transports est sans doute encore plus révélateur de la frilosité des investisseurs. En 2021, les investissements publics et privés réalisés en matière d’infrastructures de transport ont représenté un engagement financier équivalent à 0,55% du PIB, soit moins du tiers du montant minimal nécessaire pour assurer la modernisation des équipements en question (estimé à 1,75% du PIB).


Commençons ici par le réseau routier. Dans le secteur de la construction d’autoroutes, le grand évènement qui promettait d’attirer de nombreux opérateurs privés aura été en 2021 le renouvellement du contrat d’exploitation de la Via Dutra, l’autoroute qui relie les deux métropoles majeures de São Paulo et de Rio de Janeiro. L’opération n’a en réalité intéressé que deux entreprises locales, Ecorodovias et CCR qui détenaient déjà la con-cession d’exploitation et ont ainsi renouvelé leurs contrats. Ces deux firmes répondent systématiquement à tous les appels d’offres lancés dans le secteur des transports. Les concessions d’autoroutes attirent aussi des entreprises des BTP régionales qui sont alors réunies en consortium.


Sur les années écoulées, le gouvernement fédéral n’est pas parvenu à ouvrir de nou-veaux appels d’offres destinés à relancer des chantiers de construction ou de rénovation de voies routières après que les premiers adjudicataires ont abandonné leurs projets. C’est le cas par exemple de plusieurs tronçons de BR-040, la route fédérale qui relie Brasilia à Rio de Janeiro sur 1167 km et traverse quatre Etats. La liste des programmes d’appels d’offres routiers suspendus comprend encore la duplication d’une voie de 1176 km reliant également le District Fédéral et le Sud-Est et exploitée aujourd’hui par une firme brésilienne, Concebra. D’autres projets sont également paralysés dans l’Etat de Rio de Janeiro (Autopista Fluminense), dans le Mato Grosso (BR-163), le Mato Grosso do Sul (BR 163), l’Etat d’Espirito Santo. Dans ce dernier cas, il s’agit de lancer un appel d’offres pour la rénovation d’un tronçon d’une route fédérale, la BR-381, reliant le Minas Gerais et l’Espirito Santo. Cet axe est considéré comme un des plus dangereux du pays en raison du nombre d’accidents mortels enregistré ces dernières années et liés notamment à la surcharge de trafic et au mauvais état de la chaussée. Ici, la procédure d’appel d’offres a été reportée quatre fois. La réalité c’est que les investisseurs privés disposés à assumer l’exploitation de ces axes routiers dans le cadre de concessions se font très rares.


Dans le cas des chemins de fer, bien que le gouvernement ait annoncé la modélisation de nombreux projets, la principale réalisation de ces dernières années aura été le renou-vellement anticipé des contrats de concession d’entreprises privées qui exploitaient déjà des lignes existantes. L'Administration fédérale a aussi conclu le programme de conces-sions de la ligne Nord-Sud déjà engagé depuis plusieurs années. En 2019, la société bré-silienne Rumo (groupe Cosan) est devenue concessionnaire (pour 30 ans) du tronçon de 1537 km allant de Porto Nacional (Tocantins) à Estrela d’Oeste (Etat de São Paulo). Rumo exploitait déjà depuis plusieurs années une ligne reliant le port de Santos à Estrela d’Oeste (voir carte ci-dessous). La compagnie devra coopérer avec le groupe minier Vale qui gère les tronçons situés plus au nord (Itaqui-Porto Nacional et Itaqui-Carajas). Ainsi, au plus tôt vers 2030, le Brésil devrait disposer d'un réseau complet reliant le Sud du pays au Nord.


La grande innovation du gouvernement Bolsonaro dans le secteur des infrastructures ferroviaires aura été le programme Pró Trilhos. Il s’agit d’encourager les investisseurs privés à contribuer à l’extension du réseau ferroviaire en installant de nouvelles voies ou à améliorer des voies déjà existantes. A la fin du premier semestre de 2022, on recensait 27 contrats signés par le gouvernement et des investisseurs privés dans le cadre de ce dis-positif. Ces derniers se sont engagés à débloquer des fonds à hauteur de 133,24 milliards de BRL (près de 27 milliards d’USD) pour installer les voies, les équiper et constituer leurs parcs de matériels roulants. Ces efforts devraient permettre d’ajouter 9922,5 km de voies nouvelles au réseau existant. Quinze Etats de la fédération sont concernés. Selon les spécialistes du rail, 80% de ces projets ne pourront pas être conclus en raison de la fragilité financière des entreprises privées adjudicataires.


La ligne Nord-Sud : un programme conclu sous Bolsonaro.



Le projet de nouvelle ligne le plus connu désormais et que l’Administration Bolsonaro considère comme un symbole de son engagement en faveur du ferroviaire est la fameuse voie Ferrogrão, une ligne qui doit relier sur 976,3 km (en incluant deux voies secondaires) le Nord du Mato Grosso et les rives du rio Tapajos, un affluent du fleuve Amazone. Ce projet est en débat depuis plus de quatre ans. Il est soutenu par le monde agricole qui espère ainsi écouler plus facilement la production de grains du premier Etat agricole du pays. Il est inscrit dans le Programme de Partenariat d’Investissement du gouvernement Bolsonaro. Officiellement, la construction de la voie représente un in-vestissement de près de 1,7 milliard d’USD qui serait réalisé par des entreprises privées adjudicataires. En contrepartie, sur la phase d’installation de la voie, l’Etat fédéral pren-drait en charge les frais occasionnés par les expropriations et compenserait les dégâts sur l’environnement. Les adjudicataires disposeraient d’une concession de 69 ans pour exploiter la voie ferrée.


Dans le projet établi par le Ministére des Infrastructures, l’ensemble des travaux d’instal-lation de la voie (terrassement, ouvrages d’art, protections environnementales, instal-lation des équipements ferroviaires, etc..) durerait 9 ans. Passée cette phase pré-opéra-tionnelle, l’Etat fédéral contribuerait à financer les charges d'exploitation et les intérêts de dettes contractées par les exploitants si ceux-ci doivent faire face à une contraction de la demande en raison de mauvaises récoltes ou du fait de la concurrence d’autres projets ferroviaires desservant le Mato Grosso. Ce programme a été remis en cause depuis plusieurs années puis suspendu en raison de l’impact qu’il aurait sur l’environnement et sur les sociétés indiennes qui vivent sur les régions traversées. Il est aujourd’hui consi-déré comme non viable sur le plan économique. Plusieurs bureaux d’études brésiliens spécialisés ont montré que le projet de construction retenu présente de sérieuses failles techniques. Ainsi, il ne prend pas en compte les investissements à envisager pour per-mettre la traversée prévue d’une zone inondable située au cœur d’un parc national. Selon les critiques du programme, le coût de construction de la voie serait bien plus élevé que les estimations officielles. Il pourrait atteindre 5,7 milliards d’USD. La durée du chantier de construction et d’installation de la voie serait de l’ordre de 21,9 années. Dans un scénario réaliste, compte tenu des charges opérationnelles élevées (sous-estimées dans le projet initial), la puissance publique serait contrainte de transférer des sommes considérables aux exploitants afin de garantir à ces derniers le niveau de rentabilité prévu.


Tracé prévu de la ligne ferroviaire ferrogrão.



Dans le secteur portuaire, le gouvernement fédéral est parvenu à réaliser plusieurs opé-rations de renouvellement de concessions pour l’exploitation de terminaux et la conclusion de contrats pour des concessions nouvelles. En général, ce sont des exploitants déjà installés sur les sites portuaires concernés qui ont participé à ces opérations. Le marché du transport fluvial représente un potentiel considérable au Brésil. Les compagnies gérant des flottes de barges sur les principaux bassins du Sud-Est et du nord du pays (Amazone et affluents) pourraient développer leurs activités si des pro-grammes de construction et de modernisation des ports et des équipements étaient lancés. Les investisseurs attendent dans ce secteur comme dans d’autres une évolution de la législation sur les Partenariats Public-Privé. Jusqu’à présent, celle-ci ne prévoit pas le versement de subventions aux entreprises privées adjudicataires durant la phase de construction (amélioration ou expansion) des infrastructures.


Déception.


La faible productivité de son économie est un des problèmes majeurs du Brésil, un handicap qui est évidemment très lié à l’insuffisance des investissements en infrastruc-tures, c’est-à-dire en routes, en télécommunications, en sites et équipements portuaires, en mobilité urbaine, en production et distribution d’énergie, etc.. En 1980, un travailleur nord-américain produisait en moyenne trois fois plus qu’un Brésilien ou six fois plus qu’un Coréen. Aujourd’hui, ce même travailleur américain est cinq fois plus productif que son équivalent brésilien. Sa productivité n’est plus désormais que deux fois celle d’un Coréen. Pour améliorer sa position, le Brésil doit progresser sur de nombreux fronts. Il doit avancer en matière d’éducation, faciliter l’accès au capital ou développer la recherche-innovation. Nécessaires, ces efforts ne suffiront pas. Un Brésilien ayant la même formation et les mêmes ressources financières qu’un Américain continuera à produire moins. Le chantier des infrastructures reste essentiel. Sans progrès dans ce domaine, le camion contenant des intrants mettra plus de temps qu’aux Etats-Unis pour arriver à destination. L’employé passera plus de temps en transport entre son domicile et son travail, sera plus fatigué, aura plus de problèmes de santé.


Dès les premiers mois de 2019, le gouvernement Bolsonaro a fixé des objectifs très am-bitieux en matière d’infrastructures. Depuis, l’Administration fédérale a obtenu quelques résultats positifs comme l’approbation d’une nouvelle législation sur l’assainissement et le traitement des eaux usées. La privatisation de la CEDAE à Rio de Janeiro et de plusieurs aéroports ont effectivement attiré de nouveaux investisseurs. Mais ces résultats sont maigres s’ils sont comparés aux promesses initiales et aux besoins du pays. Aujourd’hui, c’est donc la déception qui prévaut. Entre 2019 et 2021, mesuré en part de PIB, l’investis-sement en infrastructures a diminué (1,64% du PIB en moyenne) par rapport à son niveau moyen des années 2016 à 2018 (1,82%). Ce tassement est lié à la contraction de l’inves-tissement public. Cette contraction est due essentiellement à la baisse des investis-sements publics fédéraux. Le gouvernement Bolsonaro n’est pas parvenu à accroitre le volume de ressources publiques affectées à l’investissement en infrastructure.


De leurs côtés, de nombreux investisseurs privés qui étaient encore enthousiastes au début de 2019 ont préféré tout simplement...... attendre. Le Bolsonarisme les a tétanisés. Ils ont pourtant ici un rôle essentiel. Sur les dernières années, en termes relatifs, la contribution du secteur privé aux investissements en infrastructures (64% entre 2015 et 2022) aura été supérieure au Brésil à ce qu’elle est dans bien d’autres pays. A moyen terme, compte tenu de la situation des finances fédérales, la seule voie pour accroître et moderniser le parc d’infrastructures est de miser sur une contribution du secteur privé. S’il veut améliorer les conditions de production dans le pays et la situation sociale de la majorité de ses habitants, le prochain gouvernement devra avoir une priorité : motiver les investisseurs privés nationaux et étrangers.


A suivre : Bolsonaro et l'agriculture.



 

[1] Depuis, l’opposition ne cesse de demander l’abandon du plafond de dépenses afin d’accroître la capacité d’investissement de l’Etat fédéral et de relancer grâce à des pro-grammes d’infrastructures une croissance qui reste atone. De nombreux économistes s’opposent à un tel relâchement des disciplines budgétaires. Ils soulignent que cela susciterait la méfiance des marchés, induirait une hausse des taux d’intérêt et freinerait encore davantage au bout du compte les investissements.

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