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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

Le Brésil et la guerre Israël/Hamas (4).

Une communauté juive menacée.

 

 

Avec 120 000 personnes en 2022 (0,06% de la population totale), le Brésil abrite la seconde communauté juive d’Amérique latine, derrière celle d’Argentine et devant celle du Mexique. Cette population est localisée principalement sur les Etats de São Paulo (avec près de 71 000 membres, dont 60 000 dans la capitale) et de Rio de Janeiro (près de 31 000 membres, dont 22 000 dans la capitale)[1]. La diaspora juive brésilienne est is-sue de cinq vagues migratoires qui ont lieu pendant la période coloniale (1530-1822) et après l’indépendance. La première commence au 16e siècle et se prolonge jusqu’au dé-but du 19e siècle. Elle est liée à l’Inquisition. Des Nouveaux-Chrétiens (conversos) quit-tent le Portugal pour fuir les persécutions et rejoignent la colonie où il n’existe pas de tribunal permanent de l’Inquisition. La surveillance des conversos y est donc plus lâche. Un changement de patronyme permet de dissimuler facilement ses origines juives. La seconde vague d’immigration de la période coloniale intervient pendant la domination hollandaise d’une large partie du Nord-Est, entre 1630 et 1654. De nombreux Juifs sépha-rades réfugiés à Amsterdam participent à l’occupation. Pendant moins d’un quart de siècle, les Juifs peuvent pratiquer librement leur religion[2]..Les Hollandais chassés, de nombreux Juifs quittent le Brésil (certains partent alors en Amérique du Nord, à New York) quand d’autres retournent au crypto-judaïsme.

 

Trois autres migrations majeures ont lieu après l’indépendance [3]. La première est celle de Juifs marocains qui fuient la misère et les discriminations. Ils sont attirés par l’essor économique spectaculaire que connaît la région amazonienne à partir de 1870 avec le boom de la production de caoutchouc. Plusieurs centaines de familles s’installeront à Bélem et à Manaus.  Entre la fin du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale, le Brésil connaît son immigration juive la plus importante. Le mouvement commence d’abord par l’installation de migrants d’origine russe sur des colonies agricoles dans l’Etat du Rio Grande do Sul entre 1904 et 1912. Ce sont ensuite des migrations urbaines qui se con-centrent entre 1920 et 1930, lorsque les États-Unis et l’Argentine imposent des quotas très rigoureux à l’entrée sur leur territoire. Les arrivants fuient l’antisémitisme, les persé-cutions et la pauvreté. Ils viennent alors de Roumanie, de Pologne, des pays baltes. A partir de 1930, ils arrivent également d’Allemagne. Le dernier mouvement migratoire si-gnificatif concerne l’après Seconde Guerre mondiale. Cette vague est d’abord composée de rescapés de la Shoah puis, après 1950, de Juifs d’Afrique du Nord ou du Proche-Orient confrontés à la montée du nationalisme et de l’antisémitisme arabe qui font le choix du Brésil plutôt que celui de l’Alyah vers Israël [4].


 La synagogue Kehilat Israël, dans le quartier de Bom Retiro, São Paulo. Inaugurée en 1912 par des Juifs venus de Bessarabie, restaurée dans les années 1990. Aujourd'hui, mémorial de l'émigration juive.


Cette grande diversité de parcours et d’origines se reflète dans la vie communautaire jusqu’à nos jours. Les Juifs qui débarquent et s’installent au Brésil après l’indépendance fondent des associations et des synagogues qui respectent les traditions de chaque groupe [5]. Cette communauté est aujourd’hui très intégrée à la société brésilienne. Dans une mégapole comme São Paulo, elle gère et anime 60 synagogues, des écoles, un centre culturel accessible à tous, des œuvres sociales intervenant auprès de tous les secteurs défavorisés de l’agglomération, un hôpital (Albert Einstein, considéré comme le meilleur de l’Amérique latine), des musées ouverts au public, un club de loisirs (de 20 000 membres). Pour des raisons liées à la vie religieuse et sociale, la majorité des familles juives résident dans des quartiers bien identifiés. Tous ces éléments confèrent à la communauté une grande visibilité [6]. De l’après Seconde Guerre mondiale aux an-nées 1990, cette intégration marquée n’exposait pas les institutions et les familles juives à des risques avérés. L’antisémitisme était essentiellement le fait de groupes racistes d’extrême-droite très minoritaires.

 

Le contexte est très différent aujourd’hui. Depuis la fin du XXe siècle, les Juifs d’Amérique du Sud savent qu’ils peuvent être les cibles des groupes terroristes présents sur la région et qui agissent pour le compte de l’Iran. Les attentats et les meurtres perpétrés par ces groupes en Argentine entre 1992 et 1994 sont encore dans toutes les mémoires (voir plus loin). Après les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023, un anti-sémitisme de gauche décomplexé a envahi les réseaux sociaux, s’est souvent manifesté dans l’espace public, notamment au sein du monde universitaire. Il y a pire. Les déclarations du chef de l’Etat, de leaders politiques et de formateurs d’opinion proches du pouvoir ont clairement emprunté au vieux registre antisémite. Ces discours ont con-tribué à créer un "antijudaïsme d’atmosphère" que la société brésilienne ne connaissait plus depuis la fin de l’Inquisition (en 1821). Ces propos peuvent légitimer des projets d’actes criminels émanant de loups solitaires ou des opérations conçues et exécutées par des groupes islamistes organisés. Le constat ne relève pas d’une paranoïa déplacée. Des projets d’attentats ont déjà été déjoués à temps par les forces de sécurité. Le dis-positif de prévention du terrorisme reste cependant inadapté au niveau de risques au-quel est exposé désormais le Brésil et sa population juive. Il manque à la fois une volonté politique, des moyens, la capacité effective d’assurer la sécurité d’une communauté désormais sur ses gardes.


 Le centre culturel juif de São Paulo. Le bâtiment à la forme d'une Torah ouverte : symbole d'intégration à la ville.


Antisémitisme inspiré d’en haut.

 

De nombreuses plateformes numériques animées par des militants de l’ultra-gauche déversent depuis octobre 2023 un discours haineux et clairement antisémite supposé exprimer la sympathie et le soutien d’une intelligentsia dévoyée à la "cause palesti-nienne". Les autorités fédérales ne bronchent pas. Les haut-magistrats de la Cour su-prême (qui disent pourtant vouloir assainir les réseaux sociaux) ferment les yeux. Le gouvernement Lula et le Parti des Travailleurs approuvent. Ces derniers ont ainsi cons-tamment soutenu depuis des mois le travail systématique de propagande antisémite réalisé par le vieux militant de la gauche radicale Breno Altman. Le site que dirige ce sombre personnage, son compte X ou ses publications diverses fournissent une sorte de condensé de la "pensée" islamo-gauchiste brésilienne. Sur un post publié en octobre dernier, Altman a comparé les Juifs à des rats [7]. Sur un autre, il a exalté le terrorisme ("Toute la solidarité au Hamas ! ", lit-on). Quelques temps après, ce proche de Lula salue l’entrée en guerre du Hezbollah contre Israël depuis le Liban et l’augmentation espérée des "pertes sionistes". Il  envisage alors avec un enthousiasme délirant la perspective d’une escalade militaire et d’une extension du conflit impliquant outre les proxys de l’Iran, la Syrie d’El Assad, le régime des Mollahs, la Russie et même la Chine.

 

Après une plainte déposée par la Confédération israélienne du Brésil (CONIB), un tribunal de l’Etat de São Paulo a ordonné la suppression de 11 publications ouvertement racistes d’Altman. La Présidente du Parti des Travailleurs s’est alors fendue d’un message de soutien à ce militant qui aurait été soumis à une censure injuste. Comme si cela ne suffisait pas, Altman a reçu plus tard l’appui du Conseil national des droits de l'homme (CNDH), une instance dépendante du Ministère Fédéral des droits de l’homme et do-minée depuis le retour de Lula au pouvoir par les représentants d’ONGs de la gauche radicale. La note publiée par le CNDH dénie toute justification à la plainte de la CONIB et constitue une véritable défense de l’antisémitisme qui envahit désormais les réseaux sociaux [8].

 

En janvier dernier, lors d’une interview accordée à une chaîne de TV d’extrême-gauche, José Genoino, un ancien Président du parti de Lula et un de ses plus fidèles alliés prône un nouveau boycott visant les juifs. Il déclare tranquillement qu'il trouve "intéressante" l'idée d'un boycott de "certaines entreprises juives" et "d'entreprises liées à l'État d'Israël". La déclaration de Genoino [9] n’était pas irréfléchie. L’intéressé ne s’est pas retracté et n’a jamais présenté des excuses. L’antisémitisme n’était plus ici camouflé sous le paravent de l’antisionisme : il s’agissait bien de concevoir un dispositif discriminatoire à l’égard des Juifs. Pour le vieux compagnon de Lula, les hommes d'affaires juifs devraient être punis, simplement parce qu'ils sont juifs et donc forcément responsables de tous les actes du gouvernement israélien. Cette déclaration a suscité la réprobation de larges secteurs de la société brésilienne. Cela n’a pas empêché des ministres du gouver-nement de venir réconforter leur camarade. Solidaire de Genoino, le titulaire du porte-feuille du travail lui a même rendu un hommage en soulignant qu’il aurait été victime d’une persécution alors qu’il n’avait fait que défendre la "juste cause du peuple pa-lestinien".

 

Les ministres sont sans doute inspirés par le Président. Après le 7 octobre comme depuis des années, Lula n’a pas cessé de mettre le Hamas et l’Etat d’Israël agressé sur le même plan [10]. Cette année, le Président brésilien s’est surpassé. En février, invité à un sommet de l’Union africaine en Ethiopie, Lula a franchi une ligne rouge sans hésiter. Les propos tenus par le chef de l’Etat ont suscité le dégoût au Brésil et ailleurs dans le monde occidental. "Ce qui se passe dans la bande de Gaza avec le peuple palestinien n'a pas d'équivalent dans d'autres moments de l'histoire. En fait, cela a existé lorsque Hitler a décidé de tuer les Juifs. Il ne s'agit pas d'une guerre de soldats contre des soldats. C'est une guerre entre une armée hautement préparée et des femmes et des enfants". Lula apportait ainsi une contribution majeure à la banalisation de la Shoah. Il réitérait sa négation du droit d’Israël à l’autodéfense. Volens Nolens, il incitait à la haine des Juifs. Autant de propos désastreux salués par le Hamas, par les camarades de Caracas, de Bogota ou de La Paz. Autant de déclarations appréciées par les dictatures africaines, mais aussi à Ankara, à Téhéran ou à Moscou. Tel était d’ailleurs le but recherché. Il faut savoir plaire aux amis que l’on courtise….Qu’importe pour Lula qu’il ait été déclaré persona non grata par le gouvernement d’Israël. Une semaine après son retour d’Afrique, il confirmait les propos tenus en Ethiopie et ajoutait un autre commentaire : "Si ce qui se passe à Gaza n'est pas un génocide, je ne sais pas ce qu'est un génocide".


 Lula félicité par le Hezbollah, lors de son élection en novembre 2022.


Lula ne sait pas ce qu’est un génocide ou feint de ne pas le savoir. Quoiqu’il en soit, l’ex-pression a été utilisée pour déformer la réalité, pour diffamer et blesser. Comme de nombreux leaders populistes de la gauche sud-américaine, jamais Lula ne s’est attardé depuis le 7 octobre à tenter de comprendre la réalité. Il n’a jamais mentionné le fait que pendant la riposte israélienne, Gaza a reçu régulièrement une aide humanitaire grâce aux centaines de camions qui peuvent pénétrer chaque semaine sur l’enclave mais dont la plupart sont confisqués par le Hamas. Il n’a cessé de dénoncer un génocide alors qu’il devrait savoir qu’il n’y a aucune preuve de comportement génocidaire de la part des forces israéliennes. Il n’a jamais reconnu que le véritable génocide a été commis par le Hamas lorsque ses bourreaux ont tué, brulé et violé des civils israéliens et kidnappé des centaines d’autres. Pour Lula, ces pogroms abominables n’auraient été qu’une "attaque".

 

Les propos qu’il a tenus en Ethiopie rappellent les vociférations des mollahs iraniens qui n’ont jamais accepté l’existence d’Israël ou les termes de l’accusation formulée par l’Afrique du Sud contre l’Etat hébreu devant la Cour Internationale de Justice. Ils rap-pellent aussi les  anathèmes des dirigeants du Hamas cachés au Qatar. Dès qu’il est accusé d’antisémitisme, le Président brésilien s’accroche à un argument usé, soulignant qu’il s’attaque à la politique israélienne et non pas au peuple juif. Plusieurs collectivités territoriales brésiliennes ont pourtant souscrit à la définition de l'IHRA de l’antisémitisme qui comporte «le fait de nier au peuple juif son droit à l'auto-détermination», assimilant les propos antisionistes à l'antisémitisme. Il suffirait que le Président s’informe sur ces ini-tiatives locales pour comprendre que son excuse n’est pas un argument recevable. Lula devrait encore savoir que lorsque l’antisémitisme émane de dirigeants politiques, lorsqu’ils refusent à Israël le droit à l’auto-défense, rejettent la responsabilité d’un géno-cide sur ses victimes plutôt que sur les auteurs, leurs déclarations publiques légitiment chez les nombreux propagateurs de haine un possible passage à l’acte.


 

Une amitié déjà ancienne : 2006 avec Mahmoud Ahmadinejad ; 2023 avec Ebraihim Rasi.


Toutes les déclarations de Lula à la suite des massacres du 7 octobre ont été suivies par une augmentation spectaculaire des accusations d’antisémitisme. Ces accusations re-cueillies par les organisations juives nationales [11] se sont intensifiées après le discours prononcé en Ethiopie et comparant la riposte israélienne aux massacres du Hamas à la Shoah. Les actes antisémites (extrêmement rares au Brésil depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale) se sont multipliés depuis six mois. En février, dans une station balnéaire de l’Etat de Bahia, une commerçante juive a été  insultée et frappée par une touriste de passage [12]. Les manifestations d’antisémitisme sont devenues légion sur les réseaux sociaux. Ces manifestations prennent encore la forme d’agressions verbales et physiques contre des étudiants juifs à l’université, contre des élèves de collèges et lycées. A São Paulo, en mars, un élève juif d’un des plus prestigieux établissements d’en-seignement secondaire privé de la ville a été harcelé et insulté pendant plusieurs semaines par ses collègues.

 

Le refuge sud-américain des terroristes islamistes.  

 

Le 11 avril dernier, la Justice fédérale argentine a désigné le Hezbollah comme auteur de l'attentat contre l'ambassade d'Israël en 1992 et l’Association Mutuelle Israélite Argentine (AMIA) en 1994. Après plus de trente ans d’enquête, un coupable est désigné. Les juges argentins ont estimé que les deux attaques criminelles avaient été commanditées par l’Iran. La décision de la Chambre fédérale de cassation pénale désigne également le mouvement chiite Hezbollah comme auteur de l'attentat, déclare l'Iran "Etat terroriste" et qualifie l'attentat contre l'AMIA de "crime contre l'humanité".. L’attentat contre l’ambas-sade d’Israël avait fait 29 morts en 1992. Le second, le pire de l’histoire du pays, avait fait 85 morts. Les magistrats de Buenos Aires ont aussi établi que ces crimes avaient été commis en réponse à la décision du gouvernement argentin de l’époque (dirigé par le président péroniste Carlos Menem) d’annuler trois contrats de fourniture de matériel et de technologie nucléaires conclus avec l’Iran. Ils ont aussi précisé qu’à cette motivation s’ajoutaient d’autres considérations (volonté d’affaiblir les liens entre Jérusalem et Buenos Aires, antisémitisme). Cette décision de la Justice argentine ouvre la possibilité d’une plainte auprès de la Cour pénale internationale. Depuis 1994, les enquêteurs argentins avaient accumulé les preuves qui montrent que l’attentat perpétré contre l’AMIA avait été préparé et orchestré depuis le Brésil par des membres du Hezbollah installés dans la région de Foz de Iguaçu.

 

Deux crimes commis par le Hezbollah à Buenos Aires : la destruction de l'ambassade d'Israël en 1992 (à gauche) et celle de l'association culturelle juive AMIA en 1994. Deux attentats qui ont tué au total 114 civils.


Le Brésil est considéré comme un véritable refuge pour les terroristes islamistes depuis plus d’une décennie. En décembre 2013, une enquête journalistique avait révélé la pré-sence dans le pays de membres du Hezbollah et de six autres organisations terroristes islamistes (Al-Qaïda, Bataillon des médias du Jihad, Hamas, Jihad islamique, Al-Gama'a Al-Islamiyya et groupe islamique combattant marocain[13]). Trois ans plus tard, à la veille des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro, sous la pression de gouvernements étrangers, la Police Fédérale  arrêtait un groupe de 10 djihadistes de l’Etat Islamique qui prépa-raient des attentats similaires à ceux des Jeux de Munich en 1972. En décembre 2021, trois ressortissants étrangers vivant au Brésil étaient ajoutés à la liste des sanctions du Trésor américain. Ils étaient accusés d’avoir contribué au financement d'Al-Qaïda et d’avoir maintenu des contacts sur longue période avec des leaders de l’organisation islamiste.

 

Le 8 novembre 2023, un mois après les massacres perpétrés par le Hamas en Israël, la Police Fédérale déclenchait une vaste opération destinée à mettre sous les verrous des agents du Hezbollah accusés de préparer des attentats contre des synagogues et des centres culturels juifs au Brésil. Selon les enquêteurs, l’opération de police visait aussi à collecter les preuves d’un recrutement de Brésiliens par l’organisation terroriste afin qu’ils commettent des attentats dans le pays ou ailleurs. Quelques mois auparavant, la Police Fédérale avait effectué une série de perquisitions et de saisies en lien avec le possible recrutement d'adolescents par le groupe État islamique. Ces investigations avaient permis de montrer que l’organisation terroriste avait pu s’implanter au Brésil grâce au soutien du Comando Vermelho (CV), un réseau criminel local qui opère principalement sur les zones de frontières et dans l'État de Rio de Janeiro. Depuis des années, plusieurs cartels du crime collaborent avec des mouvements terroristes islamistes au Brésil.

 

Un pays vulnérable.

 

La possibilité d'attaques perpétrés par ces mouvements sur le sol brésilien, est désor-mais réelle. Face à ce risque, l’Etat et la société brésilienne sont extrêmement vul-nérables. D’abord en raison des énormes faiblesses des services de renseignement nationaux. Ensuite parce que le Brésil est très attractif pour des groupes organisés et disposant de ressources financières qui cherchent à  recruter et à motiver des hommes de main prêts à commettre des attentats. La population qui peut être enrôlée est consi-dérable. Le pays compte des millions de jeunes désœuvrés, marginalisés et survivant dans la misère. Des jeunes en mal de reconnaissance, en quête de pouvoir sur leurs vies. Souvent, pour tenter d’échapper à leur sort,  ils rejoignent les réseaux déjà très puis-sants des groupes criminels armés qui s’imposent de plus en plus face à un Etat dé-passé. Intégrés à ces factions, ils peuvent dominer des quartiers, des banlieues entières, des secteurs d’activité. Les organisations terroristes islamistes offrent aussi recon-naissance et pouvoir aux petites mains du crime organisé. Elles proposent même plus. Un endoctrinement efficace persuade ces jeunes qu’ils se battent pour un idéal, qu’ils sont devenus les acteurs d’un combat forcément juste et qui justifie tout. Depuis plusieurs années, c’est cette "nouvelle vie" que les recruteurs islamistes vendent aux jeunes brésiliens attirés sur des groupes de discussion ouverts le plus souvent sur le Deep web [14].

 

Pour freiner et empêcher le développement des activités de groupes terroristes au ni-veau national, il faudrait que les services d’intelligence et les forces de sécurité bré-siliennes disposent d’un programme de prévention et de lutte leur permettant de contrôler plus efficacement les activités illicites et dangereuses qui se prospèrent sur les réseaux sociaux. Cela suppose des investissements plus importants dans le domaine de la sécurité publique afin de pouvoir utiliser les technologies de pointe que mettent en œuvre les pays qui sont des exemples dans le domaine de la cybersurveillance.

 

Le Brésil dispose depuis 2016 d’une législation de combat du terrorisme. Le texte a constitué une avancée par rapport au vide antérieur. Il est cependant très insuffisant par rapport aux menaces actuelles et à la capacité d’influence atteinte par les réseaux isla-mistes en l’Amérique du Sud. L’Argentine et le Paraguay considèrent aujourd’hui le Hezbollah ou le Hamas comme des organisations terroristes. Ce n’est pas le cas du Brésil qui n’a pas établi sa propre liste des mouvements à combattre. En la matière, Brasilia se contente de respecter les décisions du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Parmi les organisations nées au Proche-Orient, le dit Conseil ne définit comme terroriste que l’Etat Islamique et Al-Qaeda. Tant qu’ils sont soutenus par la Russie et la Chine (qui disposent d’un pouvoir de veto au Conseil), le Hamas et le Hezbollah sont sûrs d’être épargnés. Dans ces conditions, le Brésil ne peut pas surveiller efficacement les activités sur son territoire de réseaux qui ont pourtant montré depuis longtemps qu’ils n’assu-raient pas d’activités caritatives…

 

A cela, il faut ajouter les nombreuses carences de la législation nationale en vigueur. Selon la  loi de 2016, les actes violents et illégaux commis par un individu ou un groupe ne sont considérés comme terroristes que s’ils sont commis pour des raisons de xéno-phobie, de discrimination raciale et religieuse. Autrement dit, lorsque les mobiles avancés sont politiques ou sont présentés comme tels, des groupes ou des individus peuvent tranquillement concevoir et préparer des opérations visant à susciter un climat de terreur au sein de la population ou  à affaiblir un gouvernement. La seule exigence est la discrétion… Ajoutons encore qu’au nom de la défense de la liberté d’expression, cette législation n’a pas inclus dans la définition du terrorisme les cyberattaques qui peuvent porter atteinte à la sécurité nationale, fragiliser ou détruire des agents éco-nomiques et toutes sortes d’organisations de la société civile. Une faiblesse qui a permis aux réseaux islamiques de faire fonctionner à plein leurs usines à trolls sur les réseaux sociaux au Brésil dès le lendemain du 7 octobre.


 Le siège de l'Agência Brasileira de Inteligência à Brasilia : dans les faits un système d'intelligence inefficace.


Autre problème majeur : le Système Brésilien d’Intelligence (SISBIN) est un conglomérat de plusieurs dizaines de services publics coordonnés en principe par une agence fédéra-le, l’ABIN (Agência Brasileira de Inteligência). Dans les faits, la coordination est défaillante. Pourtant, en matière de prévention du terrorisme,  l'efficacité du système d’intelligence dépend à la fois de la qualité des informations produites par tous les ac-teurs qui le constituent et de la capacité de l'organe central (l’ABIN) à les traiter. Il ne sert à rien d’accroître le nombre de services qui sont censés informer l’ABIN (comme l’a décidé le gouvernement Lula en septembre 2023). Cette extension renforce le caractère bureaucratique du système, augmentant ainsi la probabilité d'erreurs d'évaluation, la production d'informations obsolètes (qui n'ont plus de raison d'être) ou tout simplement les fuites d’informations. La question de l’intégration et de la coopération au sein du SISBIN est capitale. Pour que cette question soit traitée, il faut que les services con-cernés disposent de personnels qualifiés en nombre suffisant, qu’au niveau local et central la crédibilité des opérateurs soit garantie. A cette fin, l’ensemble du dispositif doit être protégé des interférences extérieures, notamment celles du pouvoir exécutif en place. Tel n’est pas le cas. Depuis sa création en 1999, à plusieurs reprises, l’ABIN a été accusée de servir de cabinet noir au service du chef de l’Etat en fonction…

 

Le scénario vénézuélien. 

 

En résumé, pour toutes ces raisons, le Brésil de 2024 est bien mal armé pour affronter la menace du terrorisme. Ce n’est pas un hasard si la Police Fédérale a du attendre des informations fournies par le Mossad israélien pour arrêter en novembre dernier les ter-roristes qui envisageaient de s’attaquer à des synagogues et autres bâtiments juifs…Le pays ne dispose pas des moyens de limiter et d’interdire l’activité de groupes dangereux sur son territoire. Demain, il ne pourra pas prévenir des projets d’attaques conçus par des organisations islamistes que le gouvernement fédéral actuel traite comme des alliés. Ce dernier encourage par ailleurs un antisémitisme décomplexé qui s’exprime sur la toile, au sein des universités, de l’intelligentsia de gauche et de médias dits "progres-sistes". La multiplication d’actes antisémites observés depuis octobre 2023 a suscité des réactions appropriées de la part des gouverneurs de plusieurs Etats. L’administration Lula n’a pas bougé. Si ce scénario délétère devait perdurer, les Juifs brésiliens auraient de plus en plus de mal à entrevoir un avenir pour leurs enfants dans le pays où leurs ancêtres avaient trouvé un refuge. Ces jeunes partiront. Les générations plus avancées choisiront aussi l’exode si des groupes islamo-gauchistes manipulés passent de la péroraison antisémite à des actes portant atteinte aux personnes et aux biens.

 

Le Brésil connaîtra alors un exode comparable à celui qu’à connu le Venezuela depuis quarante ans. La communauté juive de Caracas et Maracaibo comptait 45 000 membres en 1970. Elle rassemble moins de 5000 personnes aujourd’hui. Les Juifs ont fui le régime chaviste parce qu’il a détruit l’économie nationale et l’Etat de droit, aggravé la pauvreté et exacerbé l’insécurité et la violence. Ils ont aussi quitté le Venezuela parce que l’anti-sémitisme est devenu depuis 1998 un des volets de la propagande d’un régime par ailleurs relais principal de l’Iran en Amérique du Sud. Les Juifs vénézuéliens ont fait leur Alyah ou ont choisi de s’installer en Floride. Si les responsables publics brésiliens veulent éviter que demain la communauté juive locale s’affaiblisse ou disparaisse, c’est main-tenant qu’ils doivent agir.

 

 Fin de la série de posts.

 


 

[1]La ville de São Paulo est devenue le principal lieu d’installation des juifs au Brésil au cours des années 1950-1960, quand le développement économique de celle-ci a généré une forte attractivité pour l’ensemble de la population brésilienne. Deux autres communautés importantes vivent dans le Sud du pays. Porto Alegre (capitale du Rio Grande do Sul) compte près de 7000 membres). Dans le Paraná, la communauté regroupe environ 4000 personnes, la majorité résidant à Curitiba. La région Nord du pays abrite plusieurs communautés plus modestes mais plus anciennes, notamment à Belém (environ 1300 personnes), Recife (1300) et Manaus (1200).

[2] A Recife, la principale ville du Brésil néerlandais, les Juifs créent la première synagogue du con-tinent américain (Kahal Kadur Zur Israel) en 1645.

[3] Lors de trois vagues, les Juifs s’installent au Brésil pour y rester. S’ils ont fui la pauvreté, leur immi-gration a aussi des motifs politiques liés à l’antisémitisme (pogroms russes, nazisme, expulsions des pays arabes).

[4] Les Juifs orientaux arrivent d’Egypte, d’Irak, de Syrie et du Liban principalement.

[5] La capitale de l’Etat de São Paulo abrite aujourd’hui une communauté d’environ 60 000 person-nes. En arrivant, leurs ancêtres ont formé les noyaux de multiples kehillot (communautés), témoi-gnant de la diversité et de la richesse de la diaspora juive de la ville. On trouve aujourd’hui sur la ville 60 synagogues fondées par des Bessarabiens, des Polonais, des Allemands, des Grecs ou des Egyptiens. Les Juifs de São Paulo pratiquants sont dans leur majorité des Juifs libéraux. Il existe ce-pendant des communautés de toutes sensibilités.  

[6] La population de Juifs brésiliens appartient pour 70% aux classes moyennes et aux classes aisées. Elle atteint en général un niveau de scolarisation supérieure à celui de la population brési-lienne en général (68% des adultes de la communauté disposaient d’un diplôme universitaire en 2010, contre 27% pour la moyenne de la population). Elle travaille principalement dans les secteurs du commerce, de la médecine, du droit, de la création artistique et des métiers de l’ingénieur. Un grand nombre d’actifs sont propriétaires de leurs entreprises et travailleurs indépendants.

[7] Le texte exact du message posté quelques jours après le 7 octobre était le suivant : "Nous n'aimons peut-être pas le Hamas, mais [...] en ce moment, la couleur des chats importe peu, tant qu'ils chassent les rats".

[8] La note répète les pires platitudes sur la guerre d'Israël contre le Hamas. Elle ne fait évidem-ment aucune référence aux massacres du 7 octobre et laisse entendre qu’Altman est un sympa-thisant de la "cause palestinienne", qu’il interviendrait comme un journaliste injustement censuré alors que l’on a affaire à un  activiste extrémiste, radical et antisémite qui doit répondre devant la jus-tice des conséquences de l'usage abusif de sa liberté d'expression.

[9] Il commentait alors le projet formulé par des militants propalestiniens d'arrêter les achats sur les sites de l’enseigne Magazine Luiza (équipements de la maison) parce que la propriétaire avait soutenu quelques jours plus tôt une pétition demandant à Lula de cesser de soutenir l'action de l'Afrique du Sud contre Israël pour génocide devant la Cour de Justice Internationale de La Haye.

[10] Trente-sept jours après le pogrom perpétré par le Hamas en Israël, le 14 novembre 2023,  lors d'une cérémonie officielle à Brasilia, Lula a déclaré : "Après l'acte de terrorisme provoqué par le Hamas, les conséquences, la riposte de l'État d'Israël, sont aussi graves que celles du Hamas. Ils tuent des innocents sans aucun critère. Israël largue des bombes là où il y a des enfants, des hôpitaux, sous prétexte qu'un terroriste s'y trouve". En 2014, lorsqu’Israël avait réagi contre une nième attaque du Hamas, Lula avait déjà accusé Israël de génocide et de crimes de guerre et reçu le soutien de nombreux présidents latino-américains de gauche, du Nicaragua au Venezuela, en passant par Cuba.

[11] Sur les deux premiers mois de l’année, la Fédération Israélite de l’Etat de São Paulo a enregistré 602 dénonciations de cas d’antisémitisme, soit le tiers des plaintes recueillies sur l’ensemble de l’année 2023.

[12] La forte répercussion de cette agression raciste contraint le Ministre des Droits de l’homme à publier un communiqué étrange dénonçant à la fois l’antisémitisme et l’islamophobie….Rien dans les faits ne dénote des préjugés antimusulmans…. La note commence d’ailleurs par une "condamnation absolue et nécessaire du massacre contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza, perpétré par le gouvernement israélien". Le Ministre apporte ainsi une caution à l’agression de cette touriste enragée accusant la commerçante d’être une sioniste tueuse de bébés avant de dégrader son magasin.

[14] Ce terme désigne les informations auxquelles on ne peut accéder directement via un moteur de recherche ou en saisissant une URL (bases de données d’entreprises, d’universités et d’autres institutions et organisations consultables seulement au moyen d’un identifiant, comptes bancaires,  paniers d’achats, comptes d’utilisateurs de services et de ventes en ligne....).

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