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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

Le Brésil de Lula, les Brics et..........la Chine.


Le géant assoupi devient prochinois (3).



Les coordonnées géopolitiques du Brésil sont en train de changer. Bientôt, elles ne se-ront plus celles que le monde a connues depuis des décennies. Elles bougent, se re-composent et s’agencent autrement, si bien que de nombreux observateurs brésiliens et étrangers paraissent désorientés par ce bouleversement. On a tenté dans un précédent article d’en dégager la logique en soulignant que les orientations idéologiques de la gau-che au pouvoir depuis début 2023 constituent une première explication d’un penchant prochinois affiché. Discerner la situation nouvelle n’est cependant possible qu’en tenant compte de l’effacement récent du Brésil sur le plan économique, d’une crise de son système politico-institutionnel dont on ne voit pas la fin, de l’impuissance de l’Etat face à la montée impressionnante de la grande criminalité. Le pays que l’on disait émergent il y a encore 20 ans ne parvient pas à reprendre une dynamique de croissance. Il innove peu et continue à affronter les mêmes drames sociaux (inégalités, violence, insécurité, essor irrépressible d’une économie parallèle). Il a perdu en attractivité pour les grands investis-seurs occidentaux.


La Chine a pris le relais. Pour Pékin, le géant sud-américain n’est pas devenu seulement un grand fournisseur de produits de base. Il a absorbé un flux croissant de produits ma-nufacturés chinois. Ces importations ont contribué au recul marqué de son industrie na-tionale. Les relations bilatérales vont désormais bien au-delà du commerce. La Répu-blique Populaire de Chine (RPC) compte parmi les premiers investisseurs étrangers au Brésil. Ses entreprises et ses banques ont su s’imposer comme des partenaires cruciaux dans des secteurs-clés de la vie économique, du développement technologique, de la recherche et de l’innovation. Partenaires patients et zélés, apparemment dévoués, les Chinois ont créé au fil des années les conditions qui conduisent aujourd’hui le gou-vernement de Brasilia à accepter avec ferveur un véritable "pacte faustien" [1].


Le Brésil ne peut plus être l’ami de tous.


Depuis la fin du 20e siècle, le Brésil a tenté de développer une diplomatie de puissance régionale neutre, de pays cherchant à maintenir de bons rapports avec les deux pôles qui structuraient peu à peu la nouvelle géopolitique mondiale. Jusqu’aux années 2000, Brasilia dialoguait, coopérait, renforçait ses liens aussi bien avec Washington, Bruxelles ou Tokyo qu’avec Pékin, Moscou, Téhéran ou Caracas. A l’orée du 21e siècle, fort d’une économie en pleine croissance (grâce au boom des matières premières), le Brésil était un des rares pays émergents à étendre son réseau de relations diplomatiques aux quatre coins de la planète, des capitales africaines aux confins de l’Asie et du Pacifique. Misant sur un charisme alors évident, le Président Lula se voyait même en négociateur incon-tournable de tous les conflits, en faiseur de paix.


Dans le monde d’aujourd’hui dominé par le conflit qui oppose le monde occidental et les partisans d’un ordre international illibéral ralliés à la Chine, le Brésil ne peut plus conti-nuer à revendiquer cette neutralité, cette diplomatie d’équidistance. Le géant sud-américain ne dispose plus des atouts nécessaires pour être un interlocuteur respecté, écouté par toutes les parties qui s’affrontent. Une crise politique intérieure sans fin, des performances économiques médiocres, un recul industriel ont affaibli ses capacités à intervenir dans les affaires du monde, au-delà des discours et des initiatives de commu-nication. Au cours des dernières années, dans le classement mondial des pays par le PIB, la position du Brésil a varié de la 6e à la 12e place (il occupait la 9e place en 2022). La production de richesses dans le pays repose principalement sur l’agriculture (et les agro-industries), l’extraction de minerais et de pétrole et les services. La croissance reste dé-pendante de l’évolution des marchés mondiaux de matières premières. De 2010 à 2022, en moyenne, la progression du PIB a été de 0,87%/an. Le revenu moyen par habitant a reculé. La contribution de l’industrie manufacturière à l’activité s’est réduite (de 16% à 12,9% du PIB entre 2004 et 2022). A l’exception de quelques rares secteurs (aéronautique, agrochimie, santé) cette branche est très peu intégrée aux grandes filières manu-facturières internationales (notamment celles spécialisées en produits à haute valeur ajoutée et à fort contenu d’innovation technologique). Insuffisamment spécialisée, peu productive, l’industrie nationale fournit encore presque toute la gamme des biens manu-facturés sur un marché intérieur protégé mais elle génère très peu d’innovations.


Groupe de traficants et intervention de la police dans une favela de Rio de Janeiro.


Au-delà de l’économie, l’affaiblissement et l’impuissance apparaissent dans d’autres do-maines. La souveraineté et la sécurité par exemple. L’Etat brésilien n’est plus souverain sur tout le territoire national. Le Brésil affronte depuis plusieurs décennies une véritable guerre civile. La puissance publique légitime est confrontée à un crime organisé puissant contrôlant une économie parallèle très diversifiée (trafic d’armes, de narco-produits, de ressources naturelles diverses). Elle ne dispose plus depuis belle lurette du monopole de la violence. Les périphéries des grandes mégapoles et la plupart des régions du bas-sin amazonien sont passées sous le contrôle de milices et de groupes armés organisés qui se substituent aux institutions officielles dont la capacité d’administrer territoires et populations s’efface ou disparaît totalement. Sur ces territoires perdus, les forces de sé-curité régulières doivent engager des combats de guérillas pour réaliser des incursions furtives. C’est parce que la puissance publique légitime a laissé la criminalité avancer sur une des plus importantes forêts de la planète que le Brésil se montre incapable de prendre sa part dans la lutte contre le changement climatique. Le crime détruit la forêt pour exploiter ses ressources, ouvrir des voies au trafic de drogues, recycler ses recettes (en finançant la déforestation et l’agriculture). L’Etat discourt mais ne dispose pas de la capacité répressive qui lui permettrait de démanteler ces réseaux, de les détruire et de préserver la biodiversité.


Le Brésil aurait pu se rapprocher

du monde occidental. Ce n'est pas

la voie qu'il a choisie...


L’affaiblissement de cette puissance moyenne n’a pas commencé sous le mandat pathé-tique de Bolsonaro. L’instabilité politique chronique, la forte polarisation de la société, des institutions représentatives défaillantes, un clientélisme délétère ont paralysé la vie pu-blique, empêchant un sursaut indispensable. Dans le monde très polarisé d’aujourd’hui, un pays moyen confronté aux difficultés et handicaps évoqués ici n’a pas le choix. Il finit par basculer dans un camp ou dans l’autre. Il se rallie au plus offrant. Le Brésil est un des rares grands pays du fameux "Sud Global" qui reste une démocratie. Il aurait pu se rapprocher du monde occidental en changeant de modèle économique (réduction du poids de l’Etat, du secteur public et de la bureaucratie, ouverture de l’économie, priorité donnée à l’éducation de base et à l’innovation, soutien à l’investissement, à la création d’emplois formels). Il aurait pu utiliser les premiers résultats obtenus pour devenir enfin membre de l’OCDE (un projet engagé il y a des années mais qui piétine) et faciliter la conclusion d’un accord entre le Mercosul et l’Union Européenne. Ce n’est pas la voie qu’il a prise.


Le Brésil a récemment rejoint l’autre pôle. Celui qu’anime la Chine et qui séduit de nom-breux pays du "Sud Global". Celui au sein duquel les alliés de Pékin qui montrent le plus de ferveur dans la lutte contre le camp occidental s’appellent la Russie de Poutine, l’Iran des mollahs, la dictature de Kim Jong-Un, la Cuba castriste ou le Venezuela de la "révo-lution bolivarienne". La diplomatie chinoise n’a pas cessé depuis des années de multiplier les initiatives pour séduire un Brésil affaibli et incapable de sortir de ses crises. La per-sévérance de Pékin a fini par porter ses fruits. Après avoir subi les rodomontades et les diatribes d’un Bolsonaro, elle a accueilli avec enthousiasme le retour de Lula, beaucoup moins obsédé que son prédécesseur par la "menace communiste". Pékin a retrouvé un interlocuteur avec lequel les proximités idéologiques ne datent pas d’hier. La Chine sait qu’elle peut combler les attentes du nouveau gouvernement. Lula a besoin de relancer l’économie, de développer les infrastructures, de mettre son pays à l’heure de la révo-lution numérique et des énergies nouvelles. Avant janvier 2023, le géant assoupi n’avait déjà plus les moyens de résister aux avances de Pékin. Depuis, il n’en a plus l’envie. Il a souscrit au "pacte faustien" que les "camarades du Parti Communiste Chinois" (PCC) avaient préparé de longue date.


Lula accueilli par Xi Jinping à Pékin en avril 2023.


Après sa victoire à l’élection présidentielle d’octobre 2022, les gouvernementaux occi-dentaux ont cru un temps qu’ils allaient retrouver "leur Lula", celui qu’ils présentaient vo-lontiers comme un grand démocrate, un champion du progrès social, un militant de la liberté. Rapidement, des commentaires sur la guerre en Ukraine et les choix diploma-tiques affichés par le Brésil ont déçu dans les chancelleries européennes ou nord-amé-ricaines. Brasília est plus proche que jamais du pôle illibéral et anti-occidental animé par la Chine. Après le sommet des Brics de Johannesburg (août 2023), lorsque Lula a ac-cepté sans broncher l’élargissement du club voulu par les "camarades du PCC", les occidentaux ont compris que la République Populaire avait un nouvel allié en Amérique du Sud. Les noces étaient préparées à Pékin depuis plus de quinze ans.


La stratégie chinoise au Brésil.


Au cours des premières années du 21e siècle, la Chine a d’abord considéré le Brésil comme un fournisseur de matières premières (pétrole, minerais, denrées agricoles) et un marché nouveau à conquérir pour ses produits manufacturés. Les investissements di-rects réalisés par les entreprises chinoises sur le territoire brésilien se concentraient alors dans les secteurs de l’extraction d’or noir et de minerais (fer, terres rares), ainsi que dans des activités liées à la production et à l’exportation de produits agro-alimentaires (intrants agricoles, logistique ferroviaire et fluviale, négoce).


Sur le total des investissements directs réalisés au Brésil entre 2005 et juin 2023 (76,68 milliards d’USD), la part des activités de production de matières premières a été de 43,6%. Les firmes chinoises ont largement privilégié ici le secteur pétrolier. Avec la dé-couverte du Pré-Sal [2] dans les années 1990, la firme nationale Petrobras n’a pas pu faire face seule aux énormes investissements nécessaires. A partir des années 2000, dis-suadés par le nationalisme et l’interventionnisme de Lula, de nombreux exploitants pé-troliers occidentaux renoncent à s’associer à Petrobras. Ils seront remplacés par les chi-nois Sinopec, Citic, CIC, Sinochem, CNPC et CNOOC qui vont investir dans l’extraction en eaux profondes du pétrole aux côtés de la compagnie brésilienne (le total de l’apport de capital entre 2005 et 2023 est de 28,5 milliards d’USD). C’est aussi pour développer la pro-duction pétrolière et renflouer Petrobras surendettée auprès des bailleurs de fonds occidentaux que les banques publiques et privées chinoises interviennent. Au cours des dix-sept années qui vont de 2005 à 2022, les crédits consentis à des emprunteurs bré-siliens approchent un montant total de 40 milliards d’USD. Le secteur pétrolier et la compagnie nationale Petrobras sont les principaux bénéficiaires.


Centrale hydroélectrique de Belo Monte, sur le fleuve Xingu (Pará).


A partir de 2010, le Brésil n’est plus seulement pour la Chine un fournisseur de produits de base et un marché attractif pour ses industriels. Les investissements directs des entre-prises de la RPC vont concerner aussi la génération (à partir de centrales hydroélec-triques et d’autres sources d’énergie renouvelables) et la transmission d’électricité. Ces firmes sont entrées dans le secteur par le biais de fusions-acquisitions et de finan-cement de dettes. La compagnie d’Etat State Grid a fait en plusieurs étapes l’acquisition de concessions d’exploitation de lignes de transmission. Elle gère aujourd’hui 24 lignes à haute-tension desservant 13 Etats. Ainsi, dès 2014, elle s’est associée à la compagnie brésilienne Electrobras pour installer et exploiter les lignes de transmission vers le Sud de l’énergie électrique produite sur la nouvelle usine hydroélectrique du pays, la cen-trale de Belo Monte construite en Amazonie [3]. Sa filiale State Grid Brazil Holding est aujourd’hui la première entreprise du secteur brésilien de l’électricité. Au total, elle as-sure la transmission de 15% de l’électricité produite dans le pays. D’autres opérateurs chinois sont présents dans le secteur. Par le biais de sa filiale locale CTG Brasil, la firme China Three Gorges Corporation exploite 17 usines hydroélectriques et 11 parcs éoliens dans le pays. CTG est la seconde entreprise privée générateur d’électricité au Brésil et un des premiers fournisseurs sur le marché de gros de l’électricité.


La Chine de Xijinping installe

ses réseaux au Brésil...


Progressivement, de grandes firmes chinoises ont investi également dans les domaines des télécommunications et de services liés à l’utilisation croissance d’outils numériques. Il s’agit ici d’élargir le contrôle d’entreprises de la RPC sur les secteurs du hardware, sur les normes de télécommunications, les équipements et technologie de surveillance, les ser-vices liés à l’utilisation de plateformes et de smarthphones (Huawei est un opérateur do-minant au Brésil dans le domaine de la 5G). Dans le secteur des réseaux de production et transmission d’électricité comme dans les activités liées aux technologies numériques, les investissements réalisés au Brésil permettent à la République Populaire d’imposer des normes et des standards techniques sur des secteurs stratégiques. Une fois opéra-tionnels, les investissements réalisés permettent à l’Etat chinois de collecter une masse de données sur l’activité économique, la vie sociale, les modes de consommation. L’uti-lisation de technologies chinoises génère également un flux permanent d’importations d’équipements et de services fournis par les firmes de la RPC.


Les acteurs économiques et le pouvoir chinois ont compris que la compétition entre les grandes puissances n’est pas seulement une question de parts du marché global mais repose sur la capacité à imposer des normes, des standards et des systèmes de produc-tion, notamment avec la révolution numérique. Ses industries à forte innovation techno-logique ayant progressé en termes de qualité et d’interopérabilité des équipements, la RPC est aujourd’hui en mesure d’investir au Brésil et partout en Amérique latine pour imposer ses équipements, outils de production et systèmes numériques.


Au Brésil comme dans les pays voisins, l’ambition de la Chine et de ses entreprises spé-cialisées est d’offrir la plus large gamme de services digitaux, des équipements de télé-communication aux centres de stockage de données, en passant par l’informatique en nuage (utilisation de serveurs informatiques à distance et hébergés sur internet pour stocker, gérer et traiter des données), l’intelligence artificielle, l’internet des objets (objets capables de se connecter à d’autres objets et réseaux grâce à Internet)., le commerce et les paiements en ligne, les plateformes de VTC, les technologies de surveillance (recon-naissance faciale, biométrie, systèmes de caméras déployés), les villes intelligentes. A la tête de ce travail de pénétration du marché brésilien, la firme Huawei, (présente au Brésil depuis 25 ans), aujourd’hui une des entreprises privées étrangères les plus pré-sentes dans la vie quotidienne des Brésiliens [4].


Le concept de "villes intelligentes" est au cœur de l'offre chinoise au Brésil et dans les pays voisins. Il implique généralement l'intégration de nombreux services numériques différents, des architectures de surveillance aux systèmes de transport, en passant par les dispositifs de paiement intelligents, la gestion des services publics, les interventions d'urgence et les alertes en cas de catastrophe, offrant à l'opérateur des possibilités sans précédent de collecter des informations sur les déplacements, les finances et d'autres informations sur les résidents et les autres personnes opérant dans les villes. C'est à Curitiba, la capitale du Paraná, que Huawei crée aujourd'hui la première "ville intel-ligente" du Brésil.


Curitiba, future ville intelligente...


Ces technologies numériques sont particulièrement précieuses pour l'avancement de la Chine, à la fois parce qu'elles sont le fer de lance de l'innovation commerciale actuelle et parce qu'elles confèrent à ceux qui les maîtrisent une influence inégalée sur les activités économiques qu'elles soutiennent. Elles permettent également de mieux comprendre les processus gouvernementaux et commerciaux, ainsi que les dirigeants qui utilisent ou sont affectés par ces réseaux. La maîtrise par la RPC des technologies numériques en Amérique latine et ailleurs offre donc la possibilité de connaître, de s'engager et d'ex-ploiter les processus décisionnels souverains des gouvernements et des concurrents pour promouvoir les intérêts chinois.


L’occasion que la Chine attendait.


Qu’attend la Chine de ses partenaires latino-américains sur le plan politique et géopo-litique ? Pékin cherche à constituer sur le sous-continent un réseau d’alliés, alignés sur sa diplomatie, mobilisables pour renforcer ou créer des institutions multilatérales capables de réduire progressivement l’influence des organisations liées au monde occidental. Sur ce plan, les alliés préférés de la RPC sont les pays ayant adopté un système politique autoritaire marqué par une forte intervention de l’Etat en matière économique. La Chine a ainsi longtemps soutenu ou soutient des régimes populistes dits "progressistes" comme Venezuela d'Hugo Chavez, l'Équateur de Rafael Correa, la Bolivie d'Evo Morales et l'Ar-gentine péroniste des gouvernements Kirchner) [5]. Qu’ils soient des dictatures, des dé-mocraties illibérales ou qu'ils résultent d’alliances entre la gauche et d’autres forces politiques, tous les gouvernements qui veulent bénéficier des investissements et du sou-tien financier de la Chine doivent souscrire un "pacte faustien". La RPC exige de ses partenaires qu’ils soutiennent sa politique intérieure, sa stratégie offensive sur les zones géographiques proches du territoire chinois (Asie-Pacifique) [6] et le projet géopolitique global qu’elle entend impulser. Les amis de la Chine doivent encore garantir un traite-ment favorable aux entreprises de la RPC et à leurs représentants. Ils doivent respecter les termes des accords conclus même lorsque ceux-ci ont été obtenus au terme de né-gociations asymétriques dans des conditions qui les désavantagent, et même si ces accords n’ont pas apporté les résultats qu'ils escomptaient. De son côté, contrairement à ces démocraties occidentales trop regardantes, la Chine est généralement indifférente aux systèmes et aux pratiques politiques de ses partenaires. Les gouvernements amis peuvent violer leurs propres lois, leurs Constitutions ou leurs engagements interna-tionaux. Tant qu’ils ne critiquent pas la Chine ou ne contrarient pas ses plans de réor-ganisation du monde, tant que les opérateurs économiques chinois locaux sont res-pectés, la RPC met à disposition de ses alliés des ressources financières considérables.


Le gouvernement Lula est disposé à cocher toutes les cases de ce "pacte faustien". Le Président et les forces de gauche qu’il représente sont profondément marqués par une culture politique anti-occidentale. Leur attachement à la démocratie et à l’Etat de droit est très relatif. Ils prônent un modèle de développement économique fondé sur le rôle central d’un secteur public élargi et un interventionnisme étatique puissant. Depuis jan-vier 2023, la diplomatie conduite par Lula et ses conseillers est clairement une diplo-matie de rupture avec l’organisation du monde influencée par les pays occidentaux.


Un programme d'accélération de la croissance

fait pour les investisseurs chinois.....


Pour stimuler une croissance bien terne, réduire les inégalités et le déficit en infrastruc-tures du pays [7], le gouvernement Lula a lancé en août dernier un nouveau "Programme d’Accélération de la Croissance" (PAC) [8] qui prévoit 1 700 Mds BRL (315 Mds d'€) d’in-vestissements. Le gouvernement fédéral ne prendra en charge que 21,8% de cette dé-pense. Les entreprises publiques qu’il contrôle (principalement Petrobras) seront appe-lées à contribuer à hauteur de 20,1%. Dans le cadre d’un dispositif de partenariats public-privé et de concessions, les firmes privées fourniront un apport de 612 milliards de BRL (113,5 milliards d'€). Le reste (21,3%) sera financé par des prêts consentis par les Banques publiques nationales. Les ressources ainsi mobilisées seront concentrées sur trois axes prioritaires. Le premier devrait absorber 35,8% des crédits. Il vise à développer des villes durables et résilientes, par la construction de logements sociaux, l’amélioration de la mobilité, la prévention des désastres écologiques, l’amélioration des réseaux d’assainis-sement. Le second axe majeur est celui de la transition et la sécurité énergétiques. Ce volet doit permettre à la fois d’accroître les capacités de production (en pétrole, en électricité), d’étendre l’accès à l’électricité (transmission) et de développer des énergies propres (solaire, éolien, éthanol, hydrogène). Enfin, le PAC prévoit un investissement de 64,7 milliards d'€ dans le transport efficace et durable (construction de routes et de nouveaux axes ferroviaires). Le reste des financements (12%) sera alloué à l’innovation dans l’industrie de défense, l’éducation, la santé, la gestion de l’eau et l’inclusion numé-rique.

Présentation du nouveau PAC aux investisseurs chinois (août 2023).


En raison des priorités retenues et des contraintes financières qui pèsent sur l’Etat brésilien [9]. et les entreprises publiques, ce dispositif semble parfaitement taillé pour convenir aux firmes et bailleurs de fonds chinois . Petrobras va assumer l’essentiel des dépenses prises en charges par les entreprises publiques (323 milliards de BRL sur trois ans). La compagnie pétrolière va lancer quelques 47 projets du PAC qui vont de l’aug-mentation des capacités d’extraction de pétrole sur les champs pré-salifères à la relance de l’exploitation sur des bassins conventionnels en passant par la construction de nou-velles plateformes et navires ou l’accroissement des capacités de raffinage, le dévelop-pement des énergies renouvelables….Les banques chinoises spécialisées (China Deve-lopment Bank, Bank of China) sont déjà sollicitées pour fournir les crédits dont auront besoin la compagnie nationale brésilienne pour accroître ses capacités de production et ses fournisseurs d’équipements (chinois et brésiliens) pour engager la production de pla-te-formes et navires de forage.


De leur côté, les banques publiques nationales (qui doivent financer 21,3% des dépenses du PAC) auront elles aussi besoin du renfort chinois. En avril dernier, la Banque Nationale de Développement Economique et Social (BNDES) a signé un accord avec la Banque de Développement de la Chine pour un financement de 1,3 milliard d’USD destiné au dé-veloppement d’infrastructures et d’énergies nouvelles. La plupart des projets du PAC concernant les infrastructures, la modernisation des villes, les transports vont mobiliser des entreprises de BTP. Les constructeurs nationaux ne sont pas encore remis des difficultés qu’ils ont connues après le scandale du Lava Jato. Ils ne seront donc pas en mesure de prendre en charge les grandes opérations de construction. A Salvador, ce sont les entreprises chinoises CCCC e CRCC qui construiront le plus grand pont d’Amé-rique latine reliant sur 12,4 km la capitale de l’Etat de Bahia à l’Ile voisine d’Itaparica. Les entreprises chinoises devraient par ailleurs être parties prenantes de nombreux contrats de concessions et de partenariat public/privé conclus pour assurer le finance-ment et la réalisation de multiples projets dans les secteurs de l’énergie électrique (production, transmission), du transport, des énergies renouvelables. Le nouveau PAC sera une bonne affaire pour la Chine...


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Pendant son troisième mandat, Lula est disposé à faire du Brésil le grand relais de la RPC en Amérique du Sud. Le mariage ne va pourtant pas de soi. D’abord parce que la Chine n’est pas un pays qui fait rêver une majorité de Brésiliens. Le soft power de Pékin ne par-vient pas aux résultats escomptés, en dépit d’efforts de séduction impressionnants. Ensuite parce que les états-majors militaires ne partagent guère la ferveur prochinoise du pouvoir civil. L’armée n’acceptera pas sans réagir le changement de coordonnées géopolitiques engagé par le gouvernement. Enfin, les acteurs économiques brésiliens et la population n’ont guère d’appétit pour une nouvelle monnaie qui viendrait remplacer le dollar. Les renoncements qu’impose le "pacte faustien" sont mal acceptés par les forma-teurs d’opinion et le monde intellectuel. Toutes ces résistances peuvent s’additionner pour faire bientôt de ce pacte une alliance éphémère.


A suivre : un mariage fragile ?


 

[1] Accord par lequel une personne ou une entité renonce à ses valeurs et principes poli-tiques et moraux afin d'obtenir en retour des avantages matériels ou d’un autre type. [2] Le Brésil dispose de très grandes réserves de pétrole offshore, avec les gisements pré-salifères, c’est-à-dire sous une épaisse couche de sel, qui se trouvent à 5 000 mètres sous terre, à des profondeurs d’eau atteignant jusqu’à 2 000 mètres, et à plus d’une cen-taine de kilomètres des côtes du Sud-Est du pays. [3] Belo Monte fournit aujourd’hui 10,7% de la production d’hydroélectricité du Brésil. Elle peut couvrir à elle seule les besoins en énergie électrique de 25% de la population. [4] Premier fournisseur de technologie pour les télécommunications, l'entreprise a éga-lement des clients dans les domaines de la finance, de l'exploitation minière, de l'énergie solaire, de l'informatique en nuage, de l'agro-industrie et de la technologie pour les organismes publics. Huawei travaille en partenariat avec toutes les entreprises de télé-communications, depuis l'installation de l'infrastructure de téléphonie mobile de troi-sième génération à la fin des années 1990 jusqu'à la 5G aujourd’hui (la filiale détient une part de marché supérieure à 50% du marché des équipements de télécommunication ; elle est actuellement le premier fournisseur brésilien d'équipements pour les réseaux 5G, souvent avec des avantages en termes de coûts et d'étendue de l'offre). Elle gère le pre-mier réseau de fibre optique, coopère avec 70 universités locales (recherche, formation) sur tout le Brésil. [5] Ces régimes ont rompu à des degrés divers avec l’Etat de droit (la Constitution a été modifiée pour favoriser l’exécutif et de pérenniser les équipes en place, l’indépendance de la Justice a été remise en cause), par une prise de distance ou une rupture avec les gouvernements occidentaux, des atteintes à la liberté de la presse, une remise en cause de la propriété et du rôle du secteur privé. En consolidant leur pouvoir, ces régimes ont facilité l’accès des opérateurs chinois aux matières premières par le biais d’accords bilatéraux non transparents (à des conditions très favorables pour la RPC). En contre-partie, les gouvernements locaux bénéficiaient de prébendes. La Chine a trouvé chez ces partenaires des clients intéressants pour l’acquisition d’équipements de sécurité, de technologies de surveillance et d’armes. [6] Les Etats partenaires doivent donc soutenir ou s’abstenir de critiquer les multiples atteintes aux droits de l’homme que pratique la dictature du Parti Communiste chinois, du contrôle de la population à la violation des engagements internationaux concernant Hong-Kong, en passant par, l'internement de plus de deux millions de musulmans ouïgours dans le Xinjiang, la revendication de Taïwan et l'affirmation de prétentions maritimes dans les mers de Chine méridionale et orientale. [7] Le manque d’infrastructures est une des principales entraves économiques du pays, les filières de production étant notamment pénalisées par l’insuffisance du maillage ferroviaire et par la mauvaise qualité du réseau routier dans certaines régions. Le gouvernement souligne que le PAC doit favoriser une réindustrialisation, l’inclusion sociale et la transition écologique. Les financements doivent permettre la réalisation de plus de 2 000 projets, qu’ils soient nouveaux ou actuellement non-entièrement réalisés (à l’image des travaux non aboutis faute de financement). [8] Ce programme est présenté comme le prolongement des deux précédents PAC initiés en 2007 et 2010 (durant le deuxième mandat de l’actuel président). Les deux pre-miers PAC ont contribué à relancer l’investissement public en infrastructures mais n’ont pas permis de relancer durablement la croissance. Des crédits ont été détournés par la corruption, de nombreux retards et travaux non achevés ont aboutis à la multiplication "d’éléphants blancs" inutiles, inadaptés ou inefficaces. [9] Le financement par le budget fédéral est un défi pour le gouvernement, alors que celui-ci cherche à améliorer le solde primaire pour respecter les niveaux prévus par les nouvelles règles budgétaires. Pour favoriser les dépenses d’investissement tout en affi-chant un minimum de discipline budgétaire, un dispositif spécial a été introduit dans le nouveau mécanisme de contrôle budgétaire (plancher de dépenses d’investissement fixé à 0,7% du PIB ; excédents dédiés à l’investissement public en cas de dépassement de la cible de résultat primaire sans les inclure dans le calcul de la limite des dépenses). Cela ne semble toutefois pas suffisant pour dégager les ressources fédérales prévues pour le PAC (371 milliards de BRL).

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