Un capitaine perdu face au cyclone.
Comment se déroulera la Présidence de Jair Bolsonaro dans les temps à venir ? L’ancien capitaine parviendra-t-il à affaiblir la démocratie et à imposer un nouveau régime auto-ritaire ? Les marges de manœuvre du bolsonarisme sur la période qui court jusqu’en 2022 vont dépendre de nombreuses variables : l’évolution de l’économie et de la situa-tion sociale, la capacité de résistance du Congrès, du Pouvoir judiciaire, des gouver-nements locaux soumis au harcèlement des responsables de l’Etat fédéral, l’attitude des forces armées, et, surtout, la réaction de la population, le comportement de l’opinion. Cette dernière variable sera probablement décisive. Un appui clair et prolongé de la rue peut conduire le chef de l’Etat à envisager de rompre avec l’ordre constitutionnel, soit en s’appuyant sur un mouvement militaire, soit en utilisant (éventuellement par étapes suc-cessives) le recours à des plébiscites. Dans le premier cas, les forces armées seraient uti-lisées pour imposer un pouvoir personnel, la suspension du Congrès et la mise au pas de l’appareil judiciaire. Dans le second cas, le Président chercherait à faire adopter par référendums des mesures réduisant les prérogatives et attributions des institutions par-lementaires et du système judiciaire. Une faible mobilisation de la rue conjuguée à des résultats économiques probablement médiocres, la fermeté du Congrès face aux pro-vocations répétées du chef de l’Etat, le refus des forces armées de contribuer à une rupture institutionnelle : tous ces éléments peuvent conduire à un scénario radicalement opposé. Le chef de l’Etat poursuivrait alors son mandat (il a plusieurs fois annoncé qu’il ne démis-sionerait pas) mais disposerait de marges de manœuvre quasi-nulles.
La première vraie crise pour Bolsonaro.
Avec la pandémie de covid-19, le gouvernement fédéral et le Président viennent d’a-border leur première crise sanitaire, économique et politique majeure depuis le début de mandat. D’origine externe, ce séisme de très grande amplitude surprend un pays mal préparé et peut se transformer en catastrophe historique si la réponse des pouvoirs publics brésiliens et de la population n’est pas à la hauteur. Jusqu’à présent (mars 2020), les réactions des autorités sanitaires et du Ministre fédéral de la santé traduisent une bonne perception des enjeux liés à la propagation du coronavirus. Si ces responsables disposent dans l’avenir de moyens financiers complémentaires et que des mesures de discipline collective sont mises en œuvre, la diffusion du virus pourrait être relativement contenue. La situation est assez différente en ce qui concerne la réaction aux effets de l’épidémie sur la vie économique. Déjà confronté à un déficit préoccupant des comptes publics, le Brésil peut difficilement adopter une politique d’expansion des dépenses comparable à celle qu’engagent les nations avancées.
C’est néanmoins un autre déficit qui rend très difficile une riposte adéquate de l’Etat à la grave récession qui s’annonce : un déficit de leadership politique. La stratégie de tension permanente engagée par Jair Bolsonaro depuis 15 mois, la dénonciation régulière des institutions démocratiques et de "l’establishment politique" ont considérablement émoussé la disponibilité que le Congrès manifestait encore il y a quelques mois pour as-surer l’adoption de réforme importantes comme celle des retraites. Les parlementaires ont d’abord riposté timidement en refusant de voter des propositions sécuritaires. Depuis le début de cette année, ils réagissent en rejetant des vétos présidentiels et en adoptant des lois qui pourraient avoir un impact délétère sur les finances de l’Etat fédéral. Le super-ministre de l’économie ne semble pas avoir perçu à temps l’ampleur du choc qu’allait subir une économie qui tardait déjà depuis 2017 à retrouver une croissance significative. Dans une premier phase, il a semblé croire que l’adoption rapide des réformes structurelles envisagées suffirait à éviter une grande tempête. Il a ensuite dû convenir que des mesures d’urgences ambitieuses s’imposaient. C’est sans doute la combinaison d’une thérapie intensive de court terme et d’un traitement de moyen et long terme qui devrait être retenue aujourd’hui. Pour coordonner ce véritable plan de guerre, il faudrait une coordination gouvernementale animée et pilotée par un chef de l’Etat conscient de la dimension historique de la catastrophe qui s’annonce. Seul un dispositif de ce type permettrait d’instiller ce qui manque le plus aujourd’hui dans un Brésil menacé de récession : la confiance.
Evoquons d’abord les perspectives économiques pour 2020 et au-delà. Depuis la fin février, banques, instituts spécialisés, fonds d’investissements et universités réajustent à la hâte leurs projections. En un mot, alors qu’ils anticipaient une croissance de 2,3 à 2,6% pour l’année 2020, les prévisionnistes conviennent aujourd’hui que le pays connaîtra une contraction de l’activité sur l’année. Le Brésil va plonger une nouvelle fois dans la réces-sion. Il est évidemment touché par le ralentissement de l’économie en Chine qui a représenté un débouché de plus en plus important pour les exportations brésiliennes sur les dix dernières années (28% du total des recettes en 2019, contre 19% en 2016). La filière nationale du pétrole et l’opérateur principal Petrobras sont aussi affectés par la baisse des cours du baril. L’agriculture et le secteur minier sont aussi concernés. Pour les trois produits-phares des exportations brésiliennes (soja, pétrole et minerai de fer), le débou-ché chinois représentait en 2019 77% des ventes extérieures en moyenne. Les autres moteurs de l’activité que sont la consommation et l’investissement sont ou seront aussi concernés. Les premières mesures de discipline collective prises (fermetures de com-merces, de shopping-centers, réduction de l’offre de transport intérieur et extérieur) vont évidemment peser sur la demande des ménages. La perte de confiance des inves-tisseurs conduit déjà à une révision à la baisse des projets d’investissements. Depuis le début du mois de mars, sur la bourse de São Paulo, l’indicateur Ibovespa a connu une très forte dégradation avec la succession de mini-crashs. Les sorties de capitaux étran-gers se sont accélérées au cours des dernières semaines. Dans ces conditions, la monnaie nationale a enregistré une forte dépréciation par rapport aux grandes devises. Le billet vert a franchi la barre symbolique des 5 réais à la mi-mars, un record qui n’avait jamais été observé depuis la création de la nouvelle unité brésilienne en 1994. L’appréciation de la monnaie américaine aura été de 25% depuis les premiers jours de l’année.
Evolution du taux de change dollar US/réal brésilien depuis
le début du mandat de Jair Bolsonaro (1 USD = BRL).
Source : Banco Central.
Ce mouvement monétaire est aussi lié au fonctionnement chaotique du gouvernement Bolsonaro depuis qu’il affronte sa première grande crise. Le paquebot brésilien aborde un zone de cyclone. Pourtant, celui qui devrait tenir la barre consacre son énergie à dénoncer les bulletins de météo (jusqu’au 15 mars, Bolsonaro affirmait que la crise sanitaire globale relevait de l’hystérie) et à cajoler par des déclarations et des attitudes ir-responsables la clientèle de ses supporters les plus fanatiques.
Jair Bolsonaro a été élu par une majorité de Brésiliens pour lutter contre la corruption, améliorer les services publics et tirer l’économie "hors du freezer". Ce dernier objectif ne sera vraisemblablement pas atteint avant 2021 ou 2022. Même s’il ne semble préoccupé que par ses intérêts personnels, le Président Bolsonaro ne peut pas ignorer les consé-quences sociales de la récession qui va réapparaître. La plongée dramatique de l’activité en 2015 et 2016, puis la remontée fragile ensuite ont entraîné une contraction du revenu moyen par habitant. Il a chuté de plus de 9% sur les trois années 2014-2016. En 2017 et en 2018, la hausse a été de 0,5% par an, une fois l’économie sortie de la phase de récession. Cette progression n’a été que de 0,3% sur l’an 1 du gouvernement Bolsonaro. La signifi-cation concrète de ces données pour les catégories sociales les plus défavorisées (ma-joritaires) aura été un déclassement et un appauvrissement souvent brutal. Pour les po-pulations des périphéries des grandes métropoles qui ont subi une telle évolution, l’élection de Jair Bolsonaro annonçait la fin d’un cycle de paupérisation et de précarisa-tion. Appuyée par les églises pentecôtistes (très présentes sur ces banlieues), il avait su capter le vote de cet électorat. Le miracle attendu ne se produira pas à brève échéance, bien au contraire.
Sur le terrain social, l’année 2019 n’a pas été très différente des années antérieures. A la quasi-stagnation de l’activité vient s’ajouter une précarisation croissante sur le marché du travail. Le chômage touche encore 11,9 millions de Brésiliens. On recense 4,7 millions de personnes qui ont abandonné toute recherche active d’un emploi. Les actifs qui doivent se résoudre à travailler à temps partiel sont au nombre de 6,5 millions. Sur 10 Brésiliens employés ou en activité, quatre sont des salariés non déclarés, des micro-entrepreneurs informels ou des aides familiaux. L’économie informelle n’a jamais employé autant de personnes. Elle n’a jamais été aussi importante. Si la récession désormais annoncée s’im-pose, les dynamiques d’appauvrissement et de précarisation s’amplifieront. Il est alors peu probable que les exhortations et les prêches des pasteurs pentecôtistes suffisent à rassurer les populations périurbaines qui fournissent encore une partie des bataillons sur lesquels mise le bolsonarisme.
Ni pilotage cohérent, ni feuille de route.
Face à l’avis de grande tempête, le ministre de l’économie s’est d’abord contenté de ré-péter que la mise en œuvre des réformes prévues allait permettre au Brésil de ne pas ressentir l’impact de la crise sanitaire globale…Rapidement, Paulo Guedes a cependant concédé que des mesures de court terme s’imposaient. La première thérapie engagée n’a guère pêché par originalité. La Banque centrale est intervenue (sans grand succès) sur le marché des changes. Les Banques publiques ont été sollicitées pour ouvrir des li-gnes de financement destinées à soulager les entreprises et secteurs confrontés au ra-lentissement de l’activité. Plusieurs économistes ont alors adjuré les autorités fédérales d’abandonner ou de suspendre le fameux plafond de dépenses budgétaires adopté en 2016 et qui prévaut une stabilisation en termes réels pendant 20 ans. Ces experts pres-saient les pouvoirs publics de relancer les investissements publics, une mesure qui aurait un effet immédiat sur la croissance et permettrait à terme d’améliorer le potentiel de croissance du pays. Ces injonctions ont été reprises par les leaders des formations parle-mentaires elles-mêmes.
Le Ministre de l’économie a dû alors envisager des mesures d’urgence pour soutenir l’économie. A la mi-mars, Paulo Guedes annonçait un plan de relance de 147,3 milliards de BRL (27 milliards d’euros) pour la période mars-mai 2020. Cette enveloppe est destinée à soutenir les populations les plus pauvres, à favoriser le maintien des emplois menacés, à aider les entreprises fragilisées et à renforcer les actions des autorités sani-taires. Le gouvernement prévoit notamment d’élever les crédits destinés au program-me bolsa-familia (revenu minimum conditionnel assuré aux familles en grande pauvreté), de payer par anticipation une partie de la 13e prestation mensuelle dont bénéficient les re-traités, de suspendre pendant trois mois le paiement de certains impôts, de faciliter l’accès au crédit pour les petites et moyennes entreprises. Sur le front de la lutte contre la pandémie, les autorités fédérales prévoit de réduire les taxes (très élevées) sur les pro-duits pharmaceutiques, d’accroître les crédits d’investissement en matière d’équipe-ments hospitaliers. Ce plan sera probablement très insuffisant. C’est la raison pour laquel-le le gouvernement a obtenu le 17 mars du Congrès l’adoption une loi décrétant l’état de calamité publique. Cette disposition permet au gouvernement fédéral de libérer des crédits pour faire face à des situations d’urgence, soit en matière de santé publique, soit sur le plan social[1]. Il est probable que ces mesures seront de peu d’effets sur le terrain économique à courte échéance. La même observation concerne la baisse du taux direc-teur de l’économie décidée également le même jour par la Banque Centrale.
Même si le gouvernement brésilien et les autorités monétaires parviennent à éviter une récession des plus dramatiques en irriguant l’économie en liquidités, cela ne suffira pas à restaurer un minimum de confiance. L’équipe économique du gouvernement est inter-venue très tard. Alors que le cyclone se forme, elle semble encore incapable de dis-tinguer entre les mesures d’urgence et son projet de réformes structurelles désormais reporté à des calendes indéfinies. A la mi-mars Paulo Guedes demandait encore au Con-grès d’examiner et de voter rapidement un plan de secours financier aux Etats fédérés qui sont en faillite, le projet de pacte fédératif qui doit contraindre ces Etats à adopter des règles de discipline budgétaire drastiques et le dispositif de privatisation de la compagnie Eletrobras, première entreprise publique du secteur de l’énergie électrique en Amérique latine.
Le monde parallèle de Bolsonaro.
Pendant que le Brésil commençait à percevoir la gravité et l’ampleur de la pandémie, alors que la trajectoire de l’économie nationale connaissait un infléchissement brutal et inquiétant, le Président s’adonnait à son activité favorite depuis 15 mois : pactiser avec des factions qui veulent la fin de la démocratie et ne cessent d’en prendre aux insti-tutions républicaines, puis chercher ensuite à éteindre un incendie qu’il a allumé.
La dernière grande provocation en date a eu lieu le dimanche 15 mars à 13h. Revenu il y a peu des Etats-Unis et suspecté d’y avoir contracté le virus de la pandémie, Jair Bolso-naro aurait dû alors respecter les strictes consignes de confinement qu’il avait reçu de ses médecins. Pour se protéger et protéger les autres. La scène se passe à Brasilia, devant le palais du Planalto, siège de la Présidence. Souriant, le Président a revêtu le maillot de la Confédération brésilienne de football. Il descend la rampe du palais, une voie d’accès généralement destinée à des cérémonies protocolaires. Il salue alors avec effusion quelques 200 personnes participant à la manifestation qu’il avait lui-même aidé à convoquer quelques jours plus tôt, multiplie les poignées de main, pose pour des sel-fies aux côtés des manifestants. Certains brandissent des affiches exigeant la fermeture du Congrès et portant des insultes vulgaires contre les responsables du pouvoir légis-latif et de la Justice. Après quelques minutes passées au contact direct de la foule, le chef de l’Etat remonte la rampe sous les cris de cette clique qui réclame le retour de l’AI-5, le décret par lequel le gouvernement militaire de triste mémoire avait supprimé entre 1968 et 1979 toutes les libertés civiles et politiques des citoyens.
Le Président Bolsonaro salue la foule des manifestants le 15 mars.
La seconde scène a lieu le soir du mardi suivant, après le dimanche du bain de foule. Moins agité, le visage comme apeuré, Jair Bolsonaro marque un arrêt à la sortie du palais pour engager la conversation avec les journalistes qui l’attendent. Parlant avec retenue, sans proférer d’insulte, le Président contredit radicalement ce qu’il disait depuis des se-maines. La pandémie du coronavirus n’est plus un phénomène d’hystérie collective ou un fantasme. Le chef de l’Etat n’agresse plus les Présidents du Sénat et de la Chambre des députés mais au contraire invite ces deux personnalités à une réunion de crise avec les représentants de tous les corps constitués. Au cours des 50 heures qui se sont écou-lées depuis la scène dominicale, les leaders du Congrès et des haut magistrats de la Cour suprême ont indiqué clairement que le chef de l’Etat avait franchi une ligne jaune qui n’aurait pas due être dépassée. Le message a été reçu. Les militaires du gouver-nement ont certainement aidé le Président à comprendre qu’il convenait de battre en retraite pour éviter d’engager une crise institutionnelle dont l’issue pourrait lui être fatale.
Confronté à une crise de grande dimension,
le pays doit vivre avec un système présidentiel
dans lequel le Président ne veut pas fonctionner
selon les règles de la démocratie.
Jair Bolsonaro est arrivé au palais du Planalto après avoir été choisi par près de 58 mil-lions d’électeurs. Tous les Brésiliens qui lui ont apporté leurs voix en octobre 2018 ne sont pas favorables à l’abandon de la démocratie et à l’installation d’un régime autoritaire. Tous les électeurs qui souhaitent une rupture institutionnelle et l’instauration d’une dicta-ture ont appuyé l’ancien capitaine dès le premier tour du scrutin. Au début du mandat, la plupart des observateurs imaginaient qu’une fois adoptée la réforme des retraites, le pays continuerait à moderniser son économie. Composé à la fois de militaires compé-tents et de ministres civils disposant d’un capital de popularité (le titulaire de la Justice Sergio Moro, le titulaire du portefeuille de l’économie), le Brésil retrouverait la croissance et parviendrait à résoudre la crise politique apparue en 2014, à faire reculer la violence et la grande criminalité, à éradiquer la corruption.
Le président Bolsonaro a substitué un régime de présidentialisme de cooptation ou de coalition par un gouvernement qui vit confiné dans des tranchées. La scène de ce dimanche 15 mars à Brasilia peut être un tournant majeur dans le déroulement du mandat. Pour un grand nombre de parlementaires modérés, la participation du Président à l’une des manifestations convoquées par les bolsonaristes les plus radicaux pour dénoncer les institutions républicaines montre clairement que le chef de l’Etat ne se sent pas concerné par les projets de réforme de son propre gouvernement qui pourraient réanimer l’économie du pays. Il n’est pas non plus concerné par la lutte contre une pan-démie majeure puisqu’il transgresse publiquement les recommandations des autorités sanitaires et de son propre ministre de la santé. Si tel n’était pas le cas, poursuivent ces élus, sa seule priorité serait de favoriser un consensus national autour de ces réformes et de la guerre contre l’épidémie. Au lieu de cela, le chef de l’exécutif s’acharne à alimenter les divisions en pactisant avec les défenseurs minoritaires d’un abandon de la démo-cratie.
Le système politico-institutionnel est aujourd’hui quasiment paralysé. Jair Bolsonaro, ses fils et ses amis ont transformé la Présidence et l’ensemble du système politico-insti-tutionnel en un "gallodrome" pour combat de coqs. Depuis 15 mois, même s’ils dirigent des institutions qui sont loin d’être parfaites, les Président de la Chambre des députés, du Sénat et de la Cour suprême contribuent bien davantage que le chef de l’exécutif à conférer au système institutionnel un minimum de stabilité. Ces responsables font preu-ve de sérénité, de pondération, alors que le chef de l’Etat s’efforce d’ouvrir un chemin sans issue qui peut déboucher sur son suicide politique. Au lieu de prendre aujourd’hui des initiatives capables de restaurer un minimum de confiance, de transparence et de prudence, Jair Bolsonaro continue à manifester un comportement paranoïaque (allant jusqu’à présenter l’épidémie de coronarivus comme un complot montré contre son gouvernement). Sur les réseaux sociaux et dans ses propos publics, le chef de l’Etat laisse entendre qu’il subit depuis 15 mois les menées des parlementaires qui cherche-raient à limiter sa fonction, à paralyser ses initiatives. En réalité, dès son investiture, il n’a cessé de multiplier les provocations, de susciter des conflits entre les différentes sphères de l’Etat fédéral et avec les gouvernements locaux. Il a manifesté depuis des mois un effort systématique de confrontation avec des institutions qui sont parties intégrantes du système constitutionnel et partenaires incontournables de l’exécutif : le Congrès, la Cour suprême, la presse indépendante. Doté d’une imagination fertile, ce Président hors norme a inventé des complots et des machinations (fomentés par la presse). Avec le concours de sa famille et de ses affidés, il a mobilisé en permanence ses troupes vir-tuelles contre des monstres chimériques ou disparus (la menace communiste qui serait omniprésente, par exemple).
Le Congrès ne peut pas rester sans réagir et accepter toutes les provocations. Il a certes élargi son espace politique en profitant du vide laissé par un exécutif qui refusait les règles du jeu. Les partisans de Jair Bolsonaro avancent depuis des mois que les élus des deux chambres auraient subrepticement fait émerger un régime parlementaire. Le Brésil n’est pourtant pas confronté à une forme dysfonctionnelle de parlementarisme. La situation est plus grave. Confronté à une crise de grande dimension, le pays doit vivre avec un système présidentiel dans lequel le Président ne veut pas fonctionner selon les règles de la démocratie. On cherchera dans les deux prochains posts de cette série à entrevoir quel-ques scénarios pour les prochains mois. Les deux premiers semblent aujourd’hui peu probables compte tenu de la perte de poids politique du Président sur les derniers mois. Le contexte ne paraît plus favorable à une rupture institutionnelle brutale, un coup de force du Président appuyé par une partie de l’armée. Il ne paraît pas non plus propice à la mise en œuvre d’un programme de réduction progressive de la vie démocratique qui transformerait le système politico-institutionnel brésilien en une démocratie autoritaire comparable à celles que dirigent le leader hongrois Victor Orban ou le Président Recep Tayyip Erdogan en Turquie. En réalité, il est très probable que sur les derniers mois Jair Bolsonaro ait lui-même créé et amplifié une crise institutionnelle qui pourrait conduire à son asphyxie politique et à une sorte de confinement dont les modalités ne sont pas encore définies.
A suivre : 2020 et 2021, deux scénarios improbables.
[1] Avec cette législation, le gouvernement fédéral n’est plus contraint de respecter sa cible de déficit budgétaire pour l’année en cours. Il n’est plus contraint de suspendre l’exécution de dépenses non obligatoires pour pouvoir faire face à des situations d’ur-gence. En revanche, il reste obligé de respecter le plafond de dépenses tel qu’il a été défini en 2016 et la fameuse règle d’or (selon laquelle les dépenses courantes ne peu-vent pas être financées par un recours à l’endettement).
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