Une stratégie d’influence menacée.
Dans un post antérieur de cette série, on a tenté de montrer que plusieurs mouvements de la gauche latino-américaine manifestaient une russophilie sur laquelle l’autocrate Poutine pouvait compter. Qu’en est-il des gouvernements qui exercent aujourd’hui le pouvoir dans les pays de la région ? La réponse que l’on peut apporter à cette question est désormais assez différente de celle que l’on pouvait énoncer avant le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine. Jusqu’à la fin 2021 et les premières semaines de 2022, la stra-tégie poutinienne de renforcement de l’influence russe sur l’espace latino-américain semblait couronnée de succès. L’offensive lancée contre l’Ukraine a brutalement modifié la donne. Certes, Moscou continue à bénéficier du soutien servile de Cuba, du Nicaragua, du Salvador ou du Venezuela chaviste. La Bolivie et le Brésil ont réagi à l’offensive russe en Ukraine en adoptant une position dite de neutralité qui traduit en réalité des con-tradictions existant au sein des forces politiques au pouvoir. Partout ailleurs, les dirigeants latino-américains ont pris de sérieuses distances avec le Kremlin. En envahissant l’Ukraine, la Russie a pris le risque de perdre de nombreux amis sur le sous-continent.
Ceux qui s’éloignent.
Le Mexique est sans doute ici un cas emblématique. Depuis 2018, après l’accession à la tête du pays d’Andrés Manuel Lopez Obrador, un nationaliste de gauche, le rappro-chement avec la Russie allait bon train. Le nouveau Président n’avait pas cessé de faire l’éloge du gouvernement de Poutine. De son côté, Moscou manifestait la ferme intention de coopérer davantage avec Mexico. L’invasion de l’Ukraine aura probablement ruiné ces efforts. Depuis le 24 février 2022, le pays le plus peuplé d’Amérique centrale s’est claire-ment rangé du côté des puissances occidentales et de son grand voisin du nord. A la veille de l’offensive russe, le gouvernement de Manuel Lopez Obrador s’était engagé à "promouvoir le dialogue" et avait appelé la Russie à "ne pas envahir" le pays voisin. Membre non permanent du Conseil de sécurité, le Mexique avait dès le 22 février rejoint les Etats membres qui appelaient au"respect de l'intégrité territoriale de l'Ukraine et à la recherche d'une solution par la voie diplomatique". Sous le gouvernement Lopez Obrador, la politique étrangère du Mexique a constamment été guidée par la doctrine Estrada, fondée sur les principes de non-intervention et de respect de la souveraineté des Etats [1].
Suivant ces principes, Mexico a déclaré que le pays n’imposerait pas de sanctions à la Russie. Dès le 24 février, M. Ebrard, ministre des affaires étrangères soulignait que le Mexique "rejetait le recours à la force" et "réitèrait son appel à une sortie politique du conflit en Ukraine", sans toutefois désigner la Russie comme agresseur. Au Conseil de sécurité, le représentant du gouvernement Lopez Obrador a affirmé que "le Mexique condamnait fermement l'invasion dont l'Ukraine a été victime." Par la suite, le pays a voté en faveur de la résolution américaine visant à condamner l'invasion le 25 février. Le ministre des affaires étrangères avait d’ailleurs rédigé sa propre proposition de résolution dans la perspective d’un vote par l’assemblée générale réunie en session spéciale d’ur-gence sur l’Ukraine. Le texte appelait à "la cessation immédiate des hostilités en Ukraine", et "l'établissement d'un espace diplomatique pour résoudre le conflit et le début de l'aide humanitaire."
Votes des pays d'Amérique latine à l'OEA et à l'ONU après l'invasion de l'Ukraine.
Un autre exemple significatif est celui de l’Argentine. Avant l’offensive russe contre l’Ukraine, les relations militaires entre l’Argentine et la Russie commençaient à prendre une dimension très concrète. A la veille du déclenchement de la guerre, lors d’une visite officielle à Moscou, le Président argentin Alberto Fernandez avait d’ailleurs proposé au Président Poutine qu’il considère l’Argentine comme la "porte d’entrée vers l’Amérique latine", un rôle pourtant déjà tenu par... le Venezuela chaviste. Le 8 décembre 2021, le gouvernement argentin avait réceptionné 4 bâtiments militaires brise-glaces construits en Russie. Le même mois, le ministre de la Défense argentin et son collègue russe signaient à Moscou un accord de coopération bilatéral prévoyant la formation en Russie d’officiers et de sous-officiers argentins et un rapprochement entre les forces armées des deux Etats. L’Argentine est en train de faire construire par la Chine sa quatrième centrale nucléaire et n’écartait pas jusqu’en février dernier la possibilité de faire appel aussi à la coopération russe dans ce domaine. Elle envisageait également la possibilité d’ouvrir un de ses ports à la marine nationale russe.
Dès le 24 février, le président Alberto Fernández a déclaré qu'il "regrettait profon-dément" le déclenchement du conflit en Ukraine et a appelé la Russie à mettre fin à son incursion. Avant l’invasion, le gouvernement a été soumis à une forte pression des parle-mentaires de l’opposition et de l’ambassade d’Ukraine à Buenos Aires. Le ministère ar-gentin des affaires étrangères a lancé un "un appel ferme à la paix" en Ukraine et réitéré son "respect de la souveraineté des États." Bien que la déclaration du ministère et une autre déclaration du porte-parole présidentiel ne mentionnent pas explicitement la Russie, la mission de l'Argentine auprès des Nations unies a appelé directement "la Fédé-ration de Russie à cesser ses actions militaires en Ukraine". Au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, le 28 février, le ministre des Affaires étrangères, Santiago Cafiero, a demandé à la Russie de "cesser immédiatement l'usage de la force". Comme la Bolivie et le Brésil, l’Argentine n’a pas signé une déclaration de l’Organisation des États américains qui « condamne énergiquement l’invasion illégale, injustifiée et non provoquée par l’Ukraine de la part de la Fédération russe ». Buenos Aires a cependant voté la réso-lution de l’assemblée générale des Nations Unies et appuie le principe d’une enquête sur les violations des droits de l’homme en Ukraine qui serait conduite par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Plus d’un mois après l’offensive russe, il est très difficile d’imaginer une poursuite et une amplification de la coopération militaire esquissée entre les deux pays.
Dans la liste des pays de la région qui prennent de sérieuses distances avec Moscou, il faut citer le Chili, la Colombie, l’Uruguay, l’Equateur, le Guatemala et….le Pérou. Au Chili, l’ancien Président Pinera (qui terminait alors son mandat) et le nouveau Président Gabriel Boric (qui a pris ses fonctions en mars dernier) ont tous deux condamné l’invasion de l’Ukraine. Le premier a souligné que l’agression conduite par Moscou violait le droit inter-national alors que Boric dénonçait l’usage illégitime de la force par les Russes. La Russie a également été fermement condamnée par la Colombie. Le Président Duque a dénon-cé une invasion qui menace à la fois la souveraineté ukrainienne et la paix mondiale. Il a même appelé dès le 24 février à un retrait immédiat des forces russes. La position adoptée par le gouvernement de Lima est très proche de celle de l’exécutif colombien. Au conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le ministre des affaires étrangères du Pérou a condamné l’agression russe. Les positions affichées à Bogota et à Lima sont voisines de celle défendue par les autorités de l’Equateur. Le Guatemala (un des princi-paux destinataires des vaccins russes Sputnik V) a "condamné catégoriquement" dès le lendemain de l’invasion l'annexion par la Russie de régions de l'Ukraine dans une déclaration de son ministère des affaires étrangères. En outre, le titulaire de ce porte-feuille a appelé à un cessez-le-feu. Si le Paraguay et le Panama n’ont pas critiqué expli-citement l’invasion de l’Ukraine et dénoncé la Russie comme fauteur de guerre, ces deux pays ont cependant voté les résolutions de l’assemblée générale de l’ONU.
La "neutralité" brésilienne.
Le Brésil de Bolsonaro a affiché à l’occasion du déclenchement de la guerre les con-tradictions qui opposent le chef de l’Etat préoccupé par les tensions qui existent dans l’extrême-droite brésilienne à propos du conflit et sa diplomatie soucieuse de maintenir une politique cohérente et conforme à la tradition diplomatique nationale de défense de la souveraineté des pays et de non-intervention. Dès le lendemain de l’invasion russe, le chef de l’Etat a publiquement dénoncé les propos de son vice-Président, le général Hamilton Mourão, qui avait clairement condamné l’offensive de Moscou en Ukraine et demandé que les pays occidentaux apportent tout le soutien militaire nécessaire au pays envahi. Faute de ce soutien, soulignait le général, Russie pourrait "traverser le pays comme l'Allemagne nazie l'a fait dans les années 1930". Rappelé à l’ordre par le Président, le général Mourão a été ensuite plus discret. Il exprimait sans doute le point de vue d’une majorité d’officiers supérieurs brésiliens de l’active, formés à l’époque de la guerre froide et dont les sympathies pro-russes sont limitées, même trente ans après l’effondrement de l'URSS (dont ils ont combattu les menées internationales). Le vice-Président était aussi en phase avec le corps diplomatique de son pays. Celui-ci s'est exprimé au Conseil de sécurité des Nations unies. Le représentant du Brésil s'est uni à celui du Mexique pour demander le retrait des troupes russes et un cessez-le-feu. "La ligne rouge a été fran-chie", a déclaré l'ambassadeur brésilien Ronaldo Costa Filho.
Lors d'une conférence de presse le 27 février, Jair Bolsonaro a pourtant annoncé une position de neutralité en déclarant : "Nous n'allons pas prendre parti. Nous allons conti-nuer à être neutres et à aider autant que possible à trouver une solution." Il a rappelé les liens du Brésil avec le pétrole et les engrais russes. "La paix est la meilleure option pour éviter les flambées de prix", a-t-il déclaré. Toutefois, le ministère brésilien des affaires étrangères, notamment par le biais de sa mission auprès des Nations unies, a adopté une position plus dure à l'égard de la Russie. Le 24 février, le ministère a exprimé sa "grave préoccupation face au déclenchement d'opérations militaires par la Fédération de Russie contre des cibles sur le territoire de l'Ukraine". Au Conseil de sécurité des Nations unies, où le Brésil est l'un des deux membres non permanents latino-américains, le repré-sentant du Brésil aux Nations unies, Ronaldo Costa, a exprimé la position du Brésil sur le conflit comme "condamnant fermement la violation de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de l'Ukraine." Le 25 février, le Brésil a été l'un des 11 membres sur les 15 que compte le Conseil à voter sur une résolution rédigée par les États-Unis pour condamner la Russie. Alors que l'Assemblée générale des Nations unies (composée de 193 mem-bres) débattait du vote de la résolution, M. Costa a fait remarquer que les États devaient être "prudents dans leur démarche au sein de l'Assemblée générale", car leurs actions peuvent avoir des répercussions sur l'accès du Brésil aux engrais et au blé. Le 1er mars, le représentant du Brésil, ainsi que ceux de la Bolivie, du Brésil, du Honduras, du Nicaragua et du Venezuela, n'ont pas quitté le discours du ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, à l'Assemblée générale des Nations unies.
La diplomatie brésilienne cherche à la fois à ne pas démentir le chef de l’Etat et à défendre des principes qu’elle a toujours défendus : respect de la souveraineté des pays membres de l’ONU, refus de l’ingérence. Reste que Jair Bolsonaro a ses propres impé-ratifs. En adoptant une position de neutralité par rapport au conflit, il cherche à atteindre deux objectifs. Le premier est de rompre son isolement sur la scène internationale. Il importe donc de ne pas froisser l’autocrate russe qui a si bien accueilli son hôte brésilien à Moscou juste avant de partir en guerre. Le second est d’éviter une confrontation avec toute une frange de ses sympathisants et de son électorat (le Président est candidat à sa réélection en octobre 2022). W. Poutine exerce une indéniable séduction sur une partie du camp bolsonariste. Au sein de l’extrême-droite brésilienne, Il existe un courant très porté à la paranoïa et friand de théories conspiratoires qui affiche une vraie passion pour le leader russe. Cette frange radicale est fascinée par le personnage, ce dirigeant fier de lui-même, machiste assumé, exhibant sa force physique lors de parties de chasse ou d’exercices sportifs, multipliant les poses conquérantes. Ces Bolsonaristes sont convain-cus que le "nouveau tsar" serait un champion de la lutte contre les perversions de la démocratie libérale, un défenseur de la religion chrétienne et de la morale traditionnelle, une sorte de nouveau messie. Pour ces soutiens du Président brésilien parfois liés aux milieux évangéliques, tout est simple et manichéen. D’un côté, il y a la Russie de Poutine, c’est-à-dire le Bien, la Vertu, la Force exhibée par le nouveau héros. De l’autre, il y a la décadence, la démocratie, le "wokisme", l’Ukraine des drogués et ce maudit Zelensky qui est à la fois Juif et nazi, nul ne sait comment. Le personnage de Poutine incarne chez ces partisans de Jair Bolsonaro la figure du chef viril, sur de lui-même, protecteur des tradi-tions et des bonnes mœurs.
Le Président brésilien ne peut pas ignorer l’importance de ce courant au sein du mou-vement qui le soutient et va le soutenir lors de la campagne électorale qui vient. Il est sans doute lui-même partagé entre une admiration pour la figure du chef, l’anti-libéral et autoritaire Poutine et un anticommunisme viscéral qui remonte à l’époque de la guerre froide. Quelques jours avant l'invasion de l'Ukraine, Jair Bolsonaro en visite à Moscou affirmait sans gêne que le Brésil soutenait la Russie. Des observateurs européens "avisés" ont cru voir là l'expression d'une solidarité entre les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), la fameuse alliance des pays émergents. Il s'agissait en réalité d'un mes-sage destiné aux plus radicaux des bolsonaristes...
Le petit groupe des fidèles.
Les seuls alliés fiables de Poutine en Amérique latine sont les "pays frères", qui sont déjà des parias régionaux. Avec la guerre en Ukraine, le sous-continent glisse à nouveau dans une logique de polarisation comme à l'époque de la guerre froide. Une confron-tation croissante entre une alliance libérale et une alliance illibérale se profile. Toutefois, contrairement à la guerre froide, les détracteurs de l'Occident ne présentent pas un contre-modèle idéologique fondé sur des valeurs, mais brandissent des gains éco-nomiques à court terme et l'alléchante libération de structures et d’institutions démo-cratiques qu’ils estiment inefficaces. L'affaiblissement de l’Etat de droit et des normes dé-mocratiques vise à effacer toute possibilité de tenir les détenteurs du pouvoir mora-lement, politiquement ou légalement responsables.
Cuba.
Par l'intermédiaire de son ministre des affaires étrangères, le plus proche allié latino-américain de Moscou a critiqué les États-Unis en affirmant que Washington a exacerbé le conflit entre la Russie et l'Ukraine et "manipulé la communauté internationale". La décla-ration appelle également à un "dialogue constructif et respectueux" comme solution diplomatique au conflit. Le ministre des affaires étrangères de Cuba a envoyé un tweet citant la déclaration et réaffirmant que la Russie "a le droit de se défendre". Le 23 février, Viatcheslav Volodine, président de la chambre basse du parlement russe, s'est rendu en visite officielle à Cuba pour renforcer les liens bilatéraux. Au cours de sa visite, il s'est fait l'écho des critiques de La Havane à l'égard des États-Unis, affirmant que leur recours à des sanctions contre la Russie et Cuba est une forme de répression. Cuba, ainsi que le Nicaragua et le Venezuela, alliés de Moscou, pourraient être vulnérables par rapport aux sanctions mondiales mises en œuvre contre la Russie, car ces trois pays dépendent du système financier russe pour échapper aux sanctions amé-ricaines.
Venezuela.
Caracas est l'un des plus solides alliés de Moscou dans la région, car les deux pays collaborent dans les domaines du pétrole, de l'armée et des systèmes financiers. Le diri-geant de facto du Venezuela, Nicolás Maduro, a exprimé "tout son soutien" à Poutine et à la Russie dans un tweet dès l’invasion. Il a même prédit que : "la Russie sortira unie et victorieuse de cette bataille." Il a également qualifié les combattants ukrainiens de "nazis maquillés en résistants ukrainiens". Pour sa part, le ministre des affaires étrangères de Maduro a dénoncé les "prétentions bellicistes" de l'OTAN et des États-Unis. Le Venezuela pourrait finir par être le pays de la région qui ressent le plus les effets des sanctions mondiales contre la Russie. Il dépend des banques russes pour faire des affaires dans des secteurs clés comme le pétrole. En outre, le pays conserve sans doute des réserves en roubles, la monnaie russe, dont la valeur s'est effondrée.
W. Poutine et N. Maduro : le Venezuela aux côtés de l'impérialisme russe.
Nicaragua.
Managua, autre allié de Moscou, a été l'un des premiers pays à soutenir l'annexion par la Russie de certaines parties de l'Ukraine orientale le 21 février. Concernant la possibilité que l'Ukraine rejoigne l'OTAN, le président Daniel Ortega a déclaré lundi : "La Russie ne fait que se défendre." Le Nicaragua a demandé à sortir de l’Organisation des Etats Américains qu’il juge trop alignée sur le monde occidental.
Les gouvernements de gauche élus ou à venir.
Le Chili vient de connaître un changement d’exécutif. En mars dernier, le Président Boric a pris les rênes du pays. Il est appuyé par une coalition de gauche et de centre-gauche. La Colombie est en année électorale. C’est aussi le cas du Brésil. Comment ces pays vont-ils se positionner dans l’avenir ? La Colombie a récemment été désignée par les États-Unis comme un "allié majeur non membre de l'OTAN". Le gouvernement en place a annoncé qu'il se joindrait au régime de sanctions internationales contre la Russie, et des person-nalités politiques majeures ont publié des dénonciations cinglantes de l'invasion. Presque tous les candidats à la présidence ont fait de même, en condamnant vivement les actions de Poutine. Le seul à ne pas l'avoir fait est Gustavo Petro, le candidat de gau-che qui est actuellement en tête dans les sondages. Ancien guérillero, Gustavo Petro a essentiellement refusé de prendre position sur l'invasion, considérant que les malheurs de l'Ukraine n'avaient rien à voir avec les problèmes de la Colombie. Dans un message sur Twitter, il a seulement noté que la constitution colombienne exige que le pays s'engage dans la diplomatie et "recherche la paix dans le monde". Imaginons que G. Petro gagne les élections présidentielles de mai 2022. Comment évoluera la relation de la Colombie avec la Russie ?
La question concerne aussi le Chili et le Brésil. Dans les deux cas, le Président élu et le candidat Lula (bien placé dans les sondages) affichent des opinions viscéralement anti-américaines et conservent un faible pour la Russie. Certes, leurs convictions "anti-impérialistes" sont ébranlées par les visées néo-impériales flagrantes de Moscou sur l'Ukraine. Pour sa part, le jeune président chilien de gauche, Gabriel Boric, qui a prêté serment le 11 mars, a pourtant vivement condamné la Russie. Le Chili va également im-poser des sanctions au pays agresseur. Son ministre de la défense a annoncé que les entreprises du complexe militaro-industriel russe ne seront pas bienvenues au prochain salon international de l'air et de l'espace de Santiago, l'un des plus grands salons de l'industrie de la défense au monde. Au Brésil, le candidat Lula da Silva tente d’adopter une position de neutralité finalement très proche de celle de son probable rival électoral Jair Bolsonaro. Il ne faut pas effrayer un électorat du centre, majoritaire, et qui condamne clairement l’invasion russe. IL faut aussi conserver le soutien de la vieille gauche radicale qui affiche des passions poutiniennes tout aussi virulentes que l’extrême-droite bolso-naristes.
Au Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva, l'emblématique personnage de la gauche et ancien président reviendra peut-être à ce poste après les élections d'octobre 2022. Il a parlé de résoudre les différends sans guerre, mais il ne prend pas le parti de Poutine. Finalement, la gauche modérée que prétend désormais incarner Lula se retrouve à jouer les idiots utiles. Elle préconise la paix et la négociation, la prise en compte des intérêts des deux parties.
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L’Amérique latine est donc désormais profondément divisée par rapport à la Russie. L’Organisation des Etats Américains a condamné l’agression de Moscou mais chaque pays de la région - et parfois chaque homme politique - a élaboré sa réponse en fonction de ses convictions idéologiques, du contexte national, des échéances politiques futures. Reste que la guerre d’Ukraine a d’ores et déjà produit un résultat majeur. L’entreprise de séduction menée par la Russie de Poutine depuis des années est sinon anéantie, du moins très fragilisée. C'est une autre raison pour laquelle il est possible d’affirmer que Poutine semble avoir fait un bien mauvais calcul lorsqu'il a attaqué l'Ukraine.
1] Ces principes ont défini la politique étrangère idéale du Mexique de 1930 jusqu'à la première décennie de l'an 2000. L’expression "doctrine Estrada" vient du nom du ministre mexicain des Affaires étrangères pendant la présidence de Pascual Ortiz Rubio (1930–1932), époque pendant laquelle la dite doctrine a été élaborée et mise en oeuvre.
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