Le Président joue à la roulette russe.
Le 26 février, les autorités sanitaires ont signalé le premier cas de covid-10 officiel-lement identifié au Brésil. Dix-sept jours plus tard, le 14 mars, 100 cas étaient recensés. Il n’a fallu alors attendre que 7 jours de plus pour atteindre 1000 cas. Sur les deux semaines sui-vantes, la population contaminée est passée à 10 000 personnes. Le 13 avril, elle était estimée à plus de 22 000 personnes. Le covid-19 avait alors fait plus de 1200 morts, soit une mortalité bien plus élevée que celle liée à la dengue sur l’ensemble de l’année 2019. Selon le ministère fédéral de la santé, le nombre de Brésiliens testés et reconnus officiel-lement comme contaminés pourrait atteindre 100 000 après le 15 avril. En réalité, en raison à la fois du manque de tests et de la difficulté d’atteindre toutes les couches de la population, les évaluations des autorités sanitaires sont certainement en-deçà de la réa-lité. En début avril, un groupe d’institutions universitaires estimait à 82 000 personnes le groupe de personnes contaminées. Les projections établies par plusieurs institutions in-ternationales montrent que la propagation du virus pourrait accroître la mortalité dans des proportions très importantes selon que des mesures effectives de confine-ment et de réduction des interactions sociales sont appliquées ou non.
Les mesures de confinement en vigueur depuis la mi-mars ne sont pas appliquées sur tout le territoire. Les localités et les Etats qui ont effectivement décrété de telles mesures ne parviennent pas à mettre en œuvre une discipline de distanciation sociale efficace. Dans ces conditions, les projections sur la progression de l’épidémie retenues sont plutôt pessimistes. Sur plusieurs régions, les capacités de prise en charge hospitalière des pa-tients les plus gravement atteints sont déjà saturées ou proches de la saturation. Dans un pays déjà confrontés à plusieurs grandes épidémies dans un passé récent (virus Zika, épisodes récurrents de dengue, poliomyélite, rougeole, rubéole), la crise sanitaire actuelle ne peut pas être considérée comme une péripétie banale ou insignifiante. Selon les scénarios les plus pessimistes (voir le tableau ci-dessous), le nombre de personnes décédées après avoir été infectées par le Covid-19 pourrait varier entre 576 100 et 1,1 million sur les prochains mois. A titre de comparaison, le nombre total des décès (toutes causes confondues) a été de 1 279 948 en 2018[1].
Scénarios de propagation et de létalité du covid-19 au Brésil.
Un démagogue contre la science.
Face à un tel scénario, un chef d’Etat "normal" ne devrait avoir qu’un seul objectif : con-duire avec fermeté la bataille engagée contre le virus, construire autour de cette lutte un consensus au sein des forces politiques et de la population, créer un climat de sérénité alors que l’avancée de la pandémie suscite angoisses et inquiétudes.
Jair Bolsonaro n’est pas un président normal. Il ne croit pas à la science, exploite et dif-fuse les mythes à la mode, adore les fake news et sait exploiter les peurs. Surtout, il n’a jamais manifesté une préoccupation exagérée pour le sort de la nation tout entière. Député, il ne défendait que les causes de la corporation militaire ou d’habitants de sa cir-conscription. Président, il ne s’intéresse qu’à la tribu de ses admirateurs. Dès le début de la crise sanitaire, au début de mars dernier, il est resté fidèle à cette ligne de conduite. Bolsonaro propage un discours négationniste sur le virus et la maladie, qualifiée de "petite grippe". Il dénonce constamment le "climat d’hystérie" que créeraient de toute pièce les grands médias nationaux en insistant sur la gravité de la nouvelle pandémie. Niant les évidences, le chef de l’Etat avance que seules les personnes âgées seraient victimes du virus et que le seul confinement acceptable ne doit concerner que ce grou-pe à risque. Le chef de l’Etat n’hésite pas à remettre en cause les recommandations de la communauté scientifique nationale et mondiale. Il critique avec véhémence la mise en œuvre de mesures de confinement (fermeture d’institutions publiques, de commerce, d’écoles, restrictions à la circulation) engagés par les gouverneurs d’Etat ou maires de communes.
En réalité, l’attitude du chef de
l’Etat depuis le début de la pandémie
n’est pas l’expression du désespoir.
Elle relève d’un calcul politique cynique.
Face à l’introduction de mesures reconnues comme nécessaires par les autorités sani-taires et son propre ministre de la santé, Bolsonaro s’insurge, multiplie les conflits avec les gouverneurs et dénonce des "atteintes à la liberté". Le Président et ses partisans annoncent qu’ils veulent préserver l’activité économique et l’emploi et que le remède imposé par les pouvoirs locaux ne doit pas faire plus dégâts que le mal qu’il prétend combattre. L’ancien capitaine assure également la promotion de la Chloroquine, cette molécule dont l’efficacité dans le traitement du Covid-19 est encore l’objet de recher-ches. Dès le 24 mars, alors que les premières mesures de confinement venaient d’entrer en vigueur, le Président a demandé un retour rapide à la vie normale. IL accuse les gouverneurs et les maires de mettre le pays en hibernation, de le transformer en terre brûlée, sans se soucier des dégâts économiques et sociaux. Régulièrement, il provoque directement les autorités locales et transgresse les recommandations du ministre fédéral de la santé en prenant des bains de foule, en visitant des quartiers populaires et en provoquant des rassemblements d’admirateurs. Il veut pouvoir rappeler le moment venu qu’il aura été dès le début de la crise sanitaire le premier défenseur de l’emploi et de l’activité dans un pays qui reste marqué par la récession des années 2015-2016 et qui connaît encore quatre ans après un sous-emploi très élevé.
Une intervention du Président sur les chaînes nationales le 18 mars 2020.
Ce positionnement est régulièrement assoupli, lorsque le Président sent que sa base ne le suit pas avec enthousiasme ou que les tensions qu’il créé sont trop fortes. L’attitude du chef de l’Etat a déjà exacerbé le conflit existant entre l’exécutif et les responsables des deux chambres du Congrès. Elle est en train d’aggraver le climat délétère des relations entre le Président et la plus haute instance judiciaire, le STF. Elle a ouvert un crise sans précédent entre le chef de l’Etat fédéral et la plupart des gouverneurs des 26 Etats. Last but not least, alors que la crise sanitaire ne faisait que commencer, le discours et les actes de Bolsonaro sont apparus comme des critiques ouvertes de l’encontre de son mi-nistre de la santé, un médecin entré en politique et qui tente de suivre au mieux les recommandations des scientifiques et de l’OMS. Au lieu de camper un personnage de père de la nation, cherchant à mobiliser son équipe gouvernementale pour une bataille décisive, le Président est apparu plus que jamais comme le leader d’une faction d’idéo-logues mobilisée pour saper l’action responsable des autres institutions et ses propres ministres.
Le nombre des décès officiellement attribués au Covid-19 a dépassé le seuil de mille au début du week-end de Pâques. Jair Bolsonaro est alors à nouveau sorti pour faire une promenade hors de sa résidence de Brasilia. Il a ainsi légitimé la décision prise quelques jours avant par le gouverneur du District Fédéral d’assouplir le dispositif de confinement en autorisant la réouverture de nombreux commerces. Le chef de l’Etat a visité une bou-langerie et une pharmacie. Il s’est rendu l’hôpital des forces armées de la ville. A chaque étape, il a été suivi par des sympathisants. Il n’a cessé depuis trente jours de dénoncer les mesures de distanciation sociale et les recommandations des autorités sanitaires. On ne peut pas reprocher à l’ancien capitaine son incohérence…
Visite du Président dans les rues de Brasilia, le 11 avril, en pleine crise sanitaire.
Depuis mars, les commentaires de la grande presse se multiplie, dénonçant ce compor-tement partisan, irresponsable, voire criminel. Les journalistes deviennent psychiatres et rivalisent de diagnostics sur la pathologie grave dont serait atteint le chef de l’Etat. Ana-lystes et polémistes avancent que Jair Bolsonaro serait de plus en plus isolé et lutterait pour sa survie politique en accumulant les discours de provocation et des initiatives qui encouragent la population à sortir du confinement. En réalité, l’attitude du chef de l’Etat depuis le début de la pandémie n’est pas l’expression du désespoir. Elle relève d’un calcul politique cynique. L’ancien capitaine de l’armée n’est pas préoccupé par la place qu’il occupera dans l’histoire. Il souhaite seulement assurer sa réélection en 2022 et se maintenir d’ici là au pouvoir.
Les troupes bolsonaristes restent (encore) fidèles.
Bolsonaro joue avec l’épidémie. Si la diffusion du virus reste limitée, si la mortalité reste contenue, il pourra persister dans sa lutte contre le système, fidéliser ainsi une part de ses troupes et accuser tous ses adversaires, les gouverneurs, les parlementaires d’être responsables du désastre social engendré par la mise en hibernation de la vie écono-mique. Six semaines après l’apparition du covid-19 et du lancement de la stratégie néga-tionniste du Président, c’est sur la base de ce calcul sordide que le candidat proclamé à une réélection espère conserver l’appui de sa base politique, voire l’élargir au fil des mois à venir. Comment ce positionnement particulier a-t-il été reçu par la population et par le secteur de l’opinion auquel s’adresse Bolsonaro ?
Les nombreux sondages et enquêtes d’opinion publiés sur les premiers jours d’avril montrent que 3 Brésiliens sur 10 continuent à faire confiance au Chef de l’Etat quatre semaines après l’apparition dans le pays du Covid-19. Avant la crise sanitaire et depuis le début du mandat, les sympathisants de Bolsonaro représentaient entre 30 et 33% de la population. Une étude réalisée au début d’avril montre que 28% des personnes interro-gées considèrent que le gouvernement Bolsonaro dirige bien le pays. Celles qui esti-ment que ce gouvernement est acceptable ou correct représentent 27% de l’échantillon de l’enquête. La grande presse largement défavorable à l’ancien capitaine souligne que la part des Brésiliens qui jugent l’administration Bolsonaro nulle ou mauvaise a progressé (d’une moyenne de 38% sur les trois premiers mois de l’année à 42% en avril). Au début d’avril, l’institut Data Folha a réalisé une autre étude concernant le jugement que porte les Brésiliens sur la conduite et l’action des leaders politiques nationaux dans le contexte de progression de la crise sanitaire. Ce sondage montre que les responsables publics qui ont mis en œuvre des politiques de confinement et de paralysie de l’activité sont mieux évalués que le chef de l’Etat. C’est aussi le cas du ministre de la santé lui-même qui, à l'inverse du Président, appuie les efforts des gouverneurs et des maires. Néanmoins, selon cette étude, le tiers des personnes interrogées estiment que la position du Prési-dent est bonne, voire très bonne. Ils sont 40% à considérer que l’attitude du chef de l’Etat facilite la gestion de la crise sanitaire plus qu’elle ne la complique. Une autre enquête d’opinion également conduite début avril montre que 39% des sondés considèrent que la conduite du pays pendant la crise sanitaire par Bolsonaro est mauvaise ou très mauvaise. Néanmoins 33% des personnes interrogées jugent que cette conduite est bonne alors que 25% estiment qu’elle est acceptable…
Même après le déclenchement
de la crise sanitaire, Bolsonaro
manifeste une résilience indiscutable
en termes de popularité.
En résumé, les travaux récents des sondeurs montrent que le Président bénéficie encore de l’appui solide d’un tiers de la population. Même après le déclenchement de la crise sanitaire, Bolsonaro manifeste une résilience indiscutable en termes de popularité. Ce constat suscite d’ailleurs l’indignation de nombreux commentateurs. Comment un leader politique ayant fait preuve de tant d’irresponsabilité, de démagogie et de cynisme peut-il maintenir un score aussi élevé d’opinions favorables ? Ces indignés oublient sans doute que les mouvements d’opinion sont très rarement des changements brutaux. Ils oublient encore que les populations sondées ne répondent pas en se focalisant seulement sur la crise du moment et la conjoncture particulière créée par l’épidémie. Elles élaborent leurs réponses sur la base de leurs préférences idéologiques et politiques. Les fidèles les moins fanatiques de l’ancien capitaine peuvent regretter ses déclarations et ses initia-tives des dernières semaines. L’homme reste néanmoins pour eux le leader de la croi-sade qu’il a promis de mener contre la gauche, le système en place, les "élites"….Il convient aussi de rappeler à tous ceux qui sont déçus par les sondages récents que dans tous les pays du monde, les indicateurs de popularité des hommes politiques au pouvoir ont tendance à s’améliorer en période de crise sociale grave, sur les périodes de grande incertitude. Ce phénomène de rassemblement autour des autorités en place ne semble pas fonctionner aujourd’hui au Brésil. Le maintien de la popularité de Bolsonaro au même niveau qu’avant l’épidémie peut être interprété comme un effritement.
Cette hypothèse paraît renforcée si l’on prend en compte deux autres données factuel-les. La première est contenue dans une des études d’opinion conduites par l’institut Data-Folha. Elle concerne la fidélité de l’électorat bolsonariste. Selon cette enquête, 17% des électeurs qui avaient accordé leurs voix à l’ancien capitaine (soit 9,38 millions de votes valides) affirment regretter leur choix. Cet affaissement du potentiel électoral de Bolsonaro est important. Il signifie que si un scrutin avait lieu aujourd’hui, l’ancien capi-taine rassemblerait moins de suffrages qu’il n’en a réuni au premier tour de l’élection de 2018.
Le second élément à prendre en compte concerne les réseaux sociaux, un espace où l’engagement des proches du chef de l’Etat est particulièrement important. Les plate-formes numériques ont été très utilisées par les animateurs de sa campagne prési-dentielle. Une fois investi, l’ancien capitaine a régulièrement utilisé Facebook (une trans-mission en direct tous les jeudis). Il continue aussi à communiquer avec une population de suiveurs très importante à partir de son compte Twitter. Selon plusieurs sites spécia-lisés dans l’analyse et le suivi de l’influence digitale des personnalités politiques, celle du Président aurait diminué depuis l’éclosion du Covid-19. Les indicateurs d’influence utilisés montreraient une relative marginalisation des groupes favorables au Chef de l’Etat sur les périodes suivant les discours à la nation au cours desquels il a présenté ses thèses négationnistes. Une étude menée par deux institutions universitaires et publiée le 3 avril dernier atteste en outre que pour limiter cette érosion de leur influence digitale, les bolsonaristes, auraient massivement recours à des robots[2].
Admettons effectivement que la popularité du Président ait été significativement érodée après 4 semaines de crise sanitaire et en raison de la posture qu’il a adopté[3]. Reste que Bolsonaro peut encore compter sur l’appui d’un secteur de la population qui représente entre 25% et 30% de l’électorat. Les enquêtes réalisées sur la période récente permettent aussi de souligner que ces fidèles appartiennent principalement aux couches sociales les plus pauvres et vivent à la périphérie des mégapoles, là où l’influence des églises pentecôtistes est très forte. Le socle de partisans convaincus est encore trop important pour qu’une procédure de destitution soit envisageable même si les motifs juridiques n’ont pas manqué sur les dernières semaines. Il faudrait que le taux d’approbation du chef de l’Etat chute à 15% d’opinions favorables et que le taux de rejet atteigne 60% pour que des demandes de destitution soient effectivement recevables par les élus du Congrès et qu’un procès "d’impeachment" soit engagé.
Le discours négationniste du
chef de l’Etat exploite
le fatalisme de nombreux Brésiliens,
il s’appuie sur une culture de résignation
d’origine religieuse très répandue.
Le secteur de la population qui persiste à soutenir Bolsonaro n’est pas formé par des Brésiliens qui n’accorderaient aucune importance à la vie ou pour qui le décès de milliers de victimes de l’épidémie serait moins important que le maintien de l’activité écono-mique. Si tel était le cas, ce secteur serait très réduit et n’aurait probablement pas l’audace d’afficher ses priorités publiquement. Le ressort psychologique et social qui in-tervient ici ici est plus profond. Le discours négationniste du chef de l’Etat exploite le fatalisme de nombreux Brésiliens, il s’appuie sur une culture de résignation d’origine religieuse très répandue. Si le coronavirus provoque 20 000 morts en quelques mois, ce drame ne touchera directement qu’une faible part de la population. Bolsonaro tire avantage de ce fait pour minimiser l’importance de l’épidémie et de l’hécatombe qu’elle provoque. Toutes les personnes raisonnables et lucides savent que cette posture est une folie et un crime. Néanmoins, tant que le nombre quotidien d’augmentation des victimes létales du virus reste pour un grand nombre d’habitants une donnée statistique abstraite, que la majorité des Brésiliens ne perçoivent pas ce drame comme une menace concrète qui a déjà affecté un voisin, un collègue ou un parent, le discours et la conduite du Président sont bien reçus par un secteur significatif de la population. Ce secteur est do-miné par tous les Brésiliens qui sont immédiatement pénalisés par les mesures de con-finement mais persistent à considérer que le coronavirus ne les concerne pas…. Bolso-naro est un manipulateur rusé et cynique qui cherche à exploiter cette situation. Il sait aussi qu’il ne sera pas nécessairement tenu pour responsable de la progression de la pandémie si celle-ci devait devenir un drame quotidien, moins lointain, plus intime.
Jair Bolsonaro participe à la marche pour Jesus des églises pentecôtistes en 2019.
Le contingent de la population qui croit au destin et à la fatalité est très important. Dans ce pays à forte culture religieuse, nombreux sont les proches de victimes létales qui considèreront que cette issue porte la marque de la volonté divine, que l’heure des défunts était venue. Ceux qui ne seront pas contaminés ou qui seront infectés mais échapperont à la forme la plus extrême de la maladie et s’en tireront bien estimeront que la Providence les a épargnés. Les survivants considèreront qu’ils ont réussi à passer une épreuve qui venait du ciel, que c’est la force de leur foi qui leur a permis de se protéger contre l’infection, la maladie et la mort. Pour les nombreux catholiques et membres d’églises évangéliques qui partagent cette conception de la vie humaine, le coronavirus peut être perçu comme une bénédiction, une manifestation de la miséricorde divine car seules seraient frappées les personnes dont la foi est incertaine ou inexistante. Un leader politique comme Jair Bolsonaro n’ignore pas la force et la prégnance de cet obscu-rantisme religieux. Il fréquente régulièrement des pasteurs pentecôtistes qui appellent leurs fidèles à la prière présentée comme seul vrai remède face à la progression d’un mal imposé par Dieu aux humains empêtrés dans le péché.
Si l’épidémie devient une réalité concrète
et obsédante sur les prochaines semaines ou les prochains mois,
si les images des hôpitaux saturés, des cortèges funèbres
et des fosses communes envahissent les écrans,
le capital de sympathie de Bolsonaro s’effondrera certainement.
Si la mort provoquée par l’infection ne concerne pas encore directement toutes les familles, la perte brutale de bien-être matériel, la diminution des revenus ou du chiffre d’affaires induites par le confinement frappe une grande partie de la population, voire l’ensemble de la nation. C’est la raison pour laquelle le chef de l’Etat ne cesse depuis des semaines de répéter que "l’économie ne peut pas s’arrêter". Considérons en effet un citoyen très religieux qui a voté pour Bolsonaro en 2018, qui croit à la fatalité, exploite un petit commerce ou survit grâce à un travail informel et n’a pas encore rencontré dans son environnement le plus proche une personne infectée par le Covid-19. Cet individu aura probablement été un soutien potentiel du Président pendant les premières semaines de crise sanitaire. Il existe des millions de Brésiliens correspondant à ce portrait sommaire. Ce sont eux qui assurent encore la base d’appui sur lequel compte un chef de l’Etat que les grands médias présentent déjà comme une personnalité isolée, affaiblie, victime de son propre pari.
Pour que ces millions de "bolsonaristes" cessent de lui manifester leur soutien dans les rues ou sur les réseaux sociaux, il faudrait qu’un évènement dramatique vienne cham-bouler leur existence et qu’ils puissent en attribuer la responsabilité au Président. Ce malheur pourrait être une dégradation catastrophique de leurs conditions économiques d’existence. D’où les remises en causes répétées par Bolsonaro depuis des semaines de toutes les mesures limitant les déplacements, les rassemblements et concentrations de personnes. Le malheur pourrait encore être l’irruption de la maladie au sein de l’unité familiale, de la rue ou du quartier et la multiplication de victimes létales dans l’environ-nement proche. Si l’épidémie devient une réalité concrète et obsédante sur les prochaines semaines ou les prochains mois, si les images des hôpitaux saturés, des cortèges funèbres et des fosses communes envahissent les écrans, le capital de sym-pathie de Bolsonaro s’effondrera certainement. Ceux qui souffrent aujourd’hui de la dégradation brutale de conditions de vie déjà précaires reprocheront au Président ne n’avoir pas tout fait pour protéger la vie de leurs proches. Si ce scénario noir ne se concrétise pas ou s’étend sur une très longue durée, Bolsonaro parviendra à conserver le soutien de son électorat le plus fidèle. Il restera la personnalité la mieux positionnée au sein de la droite et du centre-droit.
A suivre : Au-delà de la crise sanitaire.
[1] Les principales causes de décès sont les maladies de l’appareil circulatoire (356 178), les cancers (227 150), les maladies de l’appareil respiratoire (155 921), les lésions et blessures dues à des accidents (150 165). Les maladies infectieuses et parasitaires ne viennent qu’en 8e position avec 54814 décès. [2] Une étude réalisée par l’Université Fédérale de Rio de Janeiro et la Fespsp (Fundação Escola de Sociologia e Política de São Paulo) et publiée le 3 avril montre que 55% des 1,2 millions de posts avec le hashtag #BolsonaroDay, effectués le 15 mars ont été publiés par des robots. Selon l’étude, des 66 000 usagers qui ont utilisé le hashtag, 23.500 étaient des "bots", c’est-à-dire des profils programmés pour disséminer un contenu défi-ni. Près de 1700 comptes responsables de 22 000 messages favorables au Président Bolsonaro ont été éteints quelques heures après la publication du hashtag, ce qui signifie, selon l’étude, qu’il s’agit de profils faux. [3] Une autre enquête réalisée entre la fin mars et le début avril par l’institut Paraná Pesquisa montre à la fois que le Président connaît un effritement de sa popularité avec la crise sanitaire et que son discours transgressif n’est pas irrationnel en termes de calcul politicien. L’enquête en question montre que les 2/3 des électeurs sont préoccupés en priorité par leur santé, alors que 27% d’entre deux sont d’abord inquiétés par l’évolution de leur situation financière et de celle de leurs familles. Ces 27% d’électeurs correspondent au secteur de l’électorat sur lequel mise Bolsonaro et qu’aucune person-nalité politique ne peut lui disputer. Les 2/3 des électeurs qui privilégient leur santé forment le gros du corps électoral, un ensemble que doivent se disputer les nombreuses autres personnalités politiques susceptibles d’être adversaires du chef de l’Etat dans un scrutin futur.
Remarquable. Il est sans doute trop tard pour le scénario 1, espérons que ce sera le 2 ou au pire le 3