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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

2021/2022 : la reprise économique freinée (1).


Relance entravée.



Avec la première vague de l’épidémie de covid-19 (entre avril et août 2020), l’activité économique a plongé. Plusieurs facteurs conduisent alors la population à accepter les mesures de confinement locales ou à réduire d’elle-même ses activités : incertitudes pesant sur la nature et la durée de la pandémie, aide d’urgence versée aux plus pauvres sur plusieurs mois, maintien des salaires ou utilisation d’une épargne (pour les classes moyennes et les salariés de l’économie formelle). Déjà engagée sur une phase de ralentissement au cours du premier trimestre de 2020, l’économie recule ensuite sur les trois trimestres suivants. En douze mois, la contraction du PIB aura été de 4,1%. L’épi-démie a connu une seconde vague entre novembre 2020 et avril 2021. Celle-ci n’a pas entraîné un nouveau recul de l’activité. Sur le premier trimestre de 2021, le PIB a progressé de 1,2% par rapport aux trois derniers mois de l’année antérieure. En ce début du second semestre 2021, les prévisionnistes sont relativement optimistes. Sur l’ensemble de l’année, la croissance du PIB devrait atteindre plus de 4%, voire 5%.


Croissance du PIB par trimestre en rythme annuel en %.

Source : Banque Itau.


La relance observée depuis quelques mois a deux ressorts principaux. Elle est d’abord la conséquence d’un abandon pendant la seconde vague de l’épidémie (de novembre 2020 à avril 2021) des mesures de confinement pratiquées spontanément ou imposées durant la première vague. Entre avril et septembre 2020, mesurant mal l’impact et la dangerosité de ce virus inconnu, la plupart des Brésiliens ont réduit leurs déplacements, limité leurs activités et leur consommation. Cette observation vaut pour les couches sociales les plus modestes qui vivent souvent de revenus d’activités informelles. L'aide d'urgence mensuelle versée par l'Etat fédérale a encouragé les familles concernées à suspendre ou à réduire le travail. A partir de la fin de l’année écoulée, privés de ressources (en raison de la fin de l’aide d’urgence, de l’épuisement de l’épargne ou de la perte de l’emploi) des millions de brésiliens ont été contraints de reprendre une activité. Le gouvernement fédéral n’avait pas prévu la seconde vague. Les dispositifs de soutien de l’activité et des revenus (chômage partiel, aide d’urgence) appliqués depuis avril 2020 ont cessé en janvier dernier.


Mieux familiarisées avec l’épidémie, informées des comportements à éviter et des me-sures de prévention à prendre, des millions de personnes ont dû prendre le risque d’un retour au travail. La relance de l’activité observée sur les premiers mois de l’année 2021 est en partie la conséquence d’un relâchement forcé des mesures de protection sanitaire. La propagation du virus a été plus importante sur cette seconde vague qu’au cours de la première. C’est aussi le cas de la mortalité. Entre juin et juillet 2020, on enregistrait un peu plus de 1000 décès par jour. En avril 2021, le nombre quotidien de victimes a dépassé 3000. Le Brésil a pratiqué un arbitrage pervers : plus de morts en contrepartie d’une relance de l’activité économique. C’est d’ailleurs à ce compromis tragique que la majorité des Brésiliens ont été poussés par un gouvernement fédéral qui a été incapable de mettre en œuvre une stratégie vaccinale précoce, adaptée à la di-mension de la crise sanitaire et susceptible de réduire le nombre des victimes fatales de l’épidémie.


Nombre de décès provoqués par le covid-19 par million d'habitants.

(moyennes mobiles sur une semaine).

Source : Université John Hopkins, Washington.


Le second ressort de la croissance retrouvée est l’élévation des prix mondiaux des matières premières observé depuis mai 2020. L’indice des prix des produits de base (énergie, minerais et métaux, denrées alimentaires et commodités agricoles) mesuré par le FMI a chuté de 23,9% entre décembre 2019 et mai 2020. Avec la perspective de sortie de la crise sanitaire, la dynamique s’inverse sur les douze mois suivants. L’indice augmente de 70,1%. Ces mouvements des cours des matières premières ont été bien plus marquées que les fluctuations du dollar par rapport aux autres monnaies. En général, lorsque le billet vert se déprécie, les cours mondiaux de produits de base s’élèvent. A l’inverse, lorsque la devise américaine s’apprécie, ces cours s’affaiblissent. De tels évolutions ont lieu parce que les prix internationaux des commodités sont fixés en dollars. Par ailleurs, la dépréciation du dollar stimule l’activité dans les économies émergentes. Elle permet l’assouplir la politique monétaire, ce qui contribue à soutenir la demande globale pour les produits de base [1].


Un pays émergent exportateur de commodités comme le Brésil est encore plus impacté que d'autres par ces variations de prix et de taux de change. La hausse des prix mon-diaux des produits de base améliore les termes de l’échange, favorise la croissance en raison de la participation élevée des matières premières dans les exportations du pays et de l’effet multiplicateur que peut avoir la progression des revenus des filières concernées sur d’autres secteurs d’activité. Cette hausse attire les capitaux et favorise une amélio-ration du solde commercial, ce qui renforce la dynamique d’appréciation de la monnaie nationale. Entre 2003 et 2011, au cours du super-cycle, en tenant compte de l’inflation, le réal s’est apprécié de 47% par rapport au panier de monnaies des partenaires com-merciaux du Brésil. Sur les cinq années qui suivent 2011, toujours en termes réels, la monnaie brésilienne s’est dépréciée de 30%. Le PIB avait connu une croissance moyenne de 4,6%/an sur la première période. Il s’est contracté en moyenne de 0,3% par an pen-dant la seconde phase.


Sur le cycle actuel marqué par la pandémie, la dynamique du dollar par rapport à la monnaie brésilienne est assez différente. Au cours des cinq premiers mois de 2020, le billet vert a connu une très forte appréciation par rapport au réal (+27,2%). Sur les douze mois qui suivent mai 2020, il enregistre une dépréciation limitée de 6,9%. Au début de juillet 2021, il a engagé un nouveau mouvement de hausse. Comment pourrait évoluer le taux de change de la monnaie brésilienne par rapport au dollar sur les prochains mois ? Au cours de l’année 2021 et probablement de l’année suivante, une baisse des prix mondiaux des matières premières paraît improbable. L’accroissement de la demande sur plusieurs marchés est lié à la reprise de l’activité économique dans plusieurs régions du monde (notamment en Asie) avec l’avancée de la vaccination. Il existe par ailleurs une crainte d’une dérive inflationniste aux Etats-Unis. Ces facteurs devraient affaiblir le dollar et contribuer à maintenir à des niveaux élevés les cours des produits de base [2].


Une dynamique d’appréciation du réal semble donc probable à l'avenir. La banque cen-trale a engagé ces derniers mois une politique de relèvement de son taux de base. Si l’indicateur de risque pays reste stable, le dollar pourrait terminer l’année à une parité proche de 5 réais (contre plus de 5,7 réais en mars 2021). A l’inverse, si aux préoc-cupations persistantes à propos des finances publiques vient s’ajouter un appro-fondissement de la crise politique, le billet vert pourrait conserver une parité élevée par rapport à la monnaie brésilienne.


Un rebond limité.


La croissance anticipée pour 2021 est suffisante pour compenser la dépression de 2020 mais qu’elle atteindra difficilement un rythme supérieur à 5%. Elle pourrait même être inférieure à ce rythme. Quatre facteurs peuvent en effet limiter la progression de l’activité sur les prochains mois, voire au-delà de 2021.


Le premier est une poursuite possible de la crise sanitaire. Depuis début juin 2021, le Brésil est probablement confronté à une troisième vague de l’épidémie. Le nombre de cas de contaminations confirmées qui était inférieur à 60 000/jour le 10 juin (après avoir atteint plus de 75000/jour en mars) est repassé au-dessus des 70 000 cas/jour sur la seconde partie du mois. Le nombre de décès attribuables au covid qui était en baisse depuis un pic en avril est reparti à la hausse à la mi-juin. Néanmoins, les ménages comme les entreprises sortent désormais de plus d’un an de difficultés extrêmes. La majorité des familles comme un grand nombre d’acteurs économiques ne peuvent plus envisager une nouvelle suspension du travail. Dans un pays où l’Etat est incapable de mettre en œuvre un dispositif d’assistance adapté à la dimension des difficultés écono-miques créées par une gestion sanitaire rigoureuse de l’épidémie, les mesures de confinement ne peuvent être appliquées que sur de courtes périodes. La seule réponse possible pour freiner la diffusion du virus et favoriser la relance de l’activité consiste à vacciner en masse et sur des périodes relativement limitées.


Le second facteur est le retard et l’incohérence de la stratégie de vaccination brésilienne, éléments qui vont peser pendant de long mois encore sur la reprise des activités de services. Il est désormais clair qu’il ne sera pas possible d’atteindre un pourcentage de 60% de la population vaccinée d’ici à la fin du troisième semestre. Dans le meilleur des scénarios, ce taux sera atteint à la fin de l’année 2021. Au niveau des gouvernements des Etats fédérés les plus engagés dans la stratégie de vaccination, on sait désormais qu’il faut anticiper des retards sur les importations de vaccins en provenance d’Inde ou de Chine. Cela signifie que tous les lieux où se forment de grandes agglomérations de personnes et qui sont des espaces d’offre de services marchands (shopping centres, sites de loisirs, supermarchés, etc…) ne retrouveront une fréquentation normale qu’en fin 2021 ou au début de 2022.


Un troisième facteur est tout aussi préoccupant. La sécheresse inhabituelle qui frappe depuis plusieurs mois le Brésil menace l’approvisionnement en électricité du pays — lequel est très dépendant de ses centrales hydroélectriques —, renchérit le coût de l’énergie et risque de compromettre la production agricole et la reprise de l’économie. Depuis un siècle, jamais l’insuffisance des pluies pendant la période estivale n’avait été aussi prononcée dans le sud-est et le centre-ouest du pays. La situation ne va pas s’améliorer avant les derniers mois de l’année. L’hiver austral se caractérise en effet par des précipitations faibles sur ces régions. Dans le sud du Brésil, le principal responsable est surtout le phénomène climatique La Niña. Actif de septembre à début mai, il pourrait reprendre fin septembre, au moment où doit normalement commencer la saison des pluies. Dans les faits, le sud pourrait avoir un an et demi ou deux ans de saison sèche. Dans le centre-ouest, le déficit pluviométrique est observé désormais depuis près d’une décennie. Il est lié à la déforestation en Amazonie, qui réduit l’humidité présente dans l’atmosphère et peut devenir chronique.


Lac de retenu vidé dans le centre-ouest du pays en juin 2021.


La sécheresse affecte le fonctionnement du secteur hydroélectrique, qui participe à hauteur de 63,8% au potentiel de production électrique du Brésil. La majeure partie des usines se trouvent justement dans les deux régions touchées. Selon l’Opérateur national du système électrique (ONS), le niveau moyen des réservoirs de ces centrales s’était réduit fin mai à 32% des capacités, le pire niveau atteint depuis la crise hydrique de 2015. Cela signifie que la capacité de ces sites à produire de l’énergie dans les mois à venir est compromise. Le 1er juin, l’Agence nationale des eaux (ANA) a décrété jusqu’à novembre prochain une situation critique de pénurie des ressources hydriques dans le bassin du Paraná, zone au potentiel hydroélectrique le plus élevé du pays. Cela permettra aux autorités locales de modifier temporairement les règles de captation de l’eau. Dans un premier temps, la nécessité de restrictions pour l’irrigation et la consommation humaine n’a pas été imposée mais elle pourrait s’imposer dans l’avenir.


Pour préserver ses réserves, le secteur électrique souhaite assouplir les règles de débit minimal des barrages, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur les autres usages des ressources, comme le transport fluvial ou l’irrigation. Afin d’économiser les réservoirs et d’éviter une panne géante ou un rationnement comme celui de 2001 (encore ancré dans la mémoire des Brésiliens) le gouvernement a aussi commencé à solliciter les centrales thermiques disponibles. Ces centrales thermiques sont des sources secondaires. Même ajoutées aux autres sources d’électricité, comme le parc éolien croissant, elles vont difficilement compenser les usines hydroélectriques si la consommation d’énergie aug-mente de manière importante avec la reprise de l’activité économique. Les risques de rationnement, voire de suspension de rupture d’approvisionnement ne peuvent donc pas être écartés.


Même si cette perspective ne se concrétise pas, les Brésiliens vont sentir les effets de la crise en raison de la hausse très marquée des tarifs de l’électricité. Les centrales ther-miques ont un coût opérationnel plus élevé que les centrales hydroélectriques. Pour cette raison, un premier ajustement des prix facturés sur tout le réseau et jusqu’aux consommateurs finals a eu lieu en mai 2021. En juin, l’agence nationale de l’énergie électrique a autorisé un second réajustement. Les distributeurs peuvent facturer au tarif le plus élevé. Les industries de transformation ont déjà été très touchées par le renché-rissement des matières premières. La hausse du prix de l’électricité déjà observée et les augmentations probables de tarifs dans un proche avenir vont alourdir encore davantage leurs coûts.


La sécheresse touche par ailleurs d’importantes régions agricoles et menace les cultures de canne à sucre, de café, d’oranges et de mais, mettant leurs prix sous tension. La campagne 2020-21 devrait être marquée en particulier par une réduction de la production de maïs d’hiver en raison de l’insuffisance des pluies entre avril et mai. La récolte ne devrait pas dépasser 69,9 millions de t. (contre 75 millions de t. en 2019/20) en raison d’une diminution sensible des rendements. Les élevages brésiliens sont de gros consommateurs de maïs. Les prix des viandes, des produits laitiers et des œufs devraient donc augmenter sur le marché intérieur.


Risques inflationnistes.


Le quatrième facteur qui va limiter la croissance est lié aux fortes pressions inflationnistes que connaît l’économie depuis plusieurs mois. Ces pressions sont associées à plusieurs causes. A la forte expansion des dépenses publiques induites par le plan d’urgence mis en œuvre à partir d’avril, il faut ajouter la hausse des cours mondiaux des matières premières et la dépréciation de la monnaie nationale observée jusqu’en mai 2021. Ces dynamiques ont favorisé un relèvement significatif des prix intérieurs des produits exportables, notamment les denrées alimentaires et le pétrole. Un troisième facteur con-tribue et va contribuer à soutenir la dynamique inflationniste : la hausse du coût de pro-duction de l’électricité liée au contexte climatique évoqué plus haut. Les coûts supplé-mentaires sont ou vont être répercutés sur les prix en aval, d’autant qu’avec la reprise de l’activité, la demande en électricité des entreprises et des ménages va retrouver des niveaux égaux ou supérieurs à ceux de 2019. Dans ces conditions, l’indice des prix à la consommation construit à partir d’un large panier de biens et services (IPCA) devrait enregistrer selon les prévisions une hausse comprise entre 5,5 et 5,9% en 2021, contre 4,5% (un rythme déjà élevé) en 2020. Rappelons ici que la cible supérieure d’inflation que les autorités monétaires s’engagent à faire respecter est de 5,25%/an.


Cette perspective a conduit la Banque Centrale dès octobre 2020 à opter pour un resser-rement de sa politique monétaire. D’un niveau de 2%, le taux directeur a été relevé en trois étapes pour atteindre 4,25%/an le 16 juin dernier. Sur les mois à venir, ce taux sera probablement à nouveau réajusté à la hausse. Un niveau de 6,5% pourrait être fixé rapi-dement pour éviter que les anticipations d’inflation ne s’éloignent pas trop fortement de la cible (3,5%) à ajouter à un taux neutre de 3%. Ce raidissement de la politique monétaire entrainera un durcissement des conditions de crédit qui pourrait peser sur le rythme de l’activité en fin d’année 2021 et en 2022. Des prévisionnistes n’écartent la possibilité d’un taux directeur fixé à 7% ou plus. Un tel scénario se concrétiserait si le réal continuait à manifester des faiblesses face au dollar en raison d’une nouvelle dégradation de la situation politique.


Selon les dernières prévisions disponibles, la croissance du PIB sera voisine de 2% en 2022. Cela signifie que le PIB par habitant à la fin du mandat de Jair Bolsonaro restera inférieur à ce qu’il était à l’issue de la Présidence de Michel Temer. La forte contraction observée sur la première année de la pandémie n’aura pas été effacée par le redressement qui devrait suivre. Aux facteurs qui freinent désormais la reprise et qui viennent d’être évoqués, il faut évoquer la grande instabilité politique qui n’a fait que s’aggraver depuis le début de la crise sanitaire. La crise fragilise considérablement le gouvernement Bolsonaro et le Président lui-même. Ce dernier doit désormais faire face aux investigations menées par une commission d’enquête parlementaire et portant sur la surfacturation de vaccins importés. Après avoir complété la présentation des pers-pectives économiques, ce blog reviendra sur le scandale des vaccins.


A suivre : Une économie et une société polarisées.



 

[1] Ces mouvements ont été observés lors du super-cycle des commodités de la première décennie de ce siècle. Entre 2002 et 2011, l’indice des cours de matières premières du FMI a augmenté de 230% en dollars. Sur cette même période, le dollar s’est déprécié de 30% par rapport à un panier des monnaies des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis. Le PIB des économies émergentes a alors augmenté en moyenne de 6,7% par an, contre 4%/an en moyenne sur les huit années précédant le super-cycle. Ce dernier achevé, sur les 5 années qui ont suivi 2011, l’indice du FMI a chuté de 45% en dollars. Le billet vert s’est apprécié de 22% et la croissance des pays émer-gents n’a plus été que de 4,8%/an en moyenne. [2] Ce scénario est aussi renforcé par des niveaux de stocks bas, les limites existantes à une expansion rapide de la production et des conditions climatiques souvent adverses en ce qui concerne les produits agricoles.

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