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  • Le grand retour du populisme économique (3).

    La fin du film peut être dramatique. Les réformes promises par le Ministre de l’économie Paulo Guedes ne seront pas mises en œuvre avant longtemps. Pour faire face à la récession provoquée par la crise sanitaire, le gouvernement a abandonné les projets de libéralisation de l’économie, de privati-sations et d’ouverture commerciale. Il est aussi en train de revenir à une vieille tradition de la politique brésilienne : parier sur l’expansion des dépenses publiques et l’engage-ment massif de l’Etat pour réveiller l’économie, retrouver une croissance forte après la crise sanitaire. L’Administration Bolsonaro envisage de rompre avec la discipline budgétaire renforcée par un amendement constitutionnel adopté en 2016 qui a institué un plafonnement des dépenses. L’approbation de ce principe a pourtant constitué une étape décisive. Elle a calmé la prodigalité du gouvernement fédéral. La règle du plafonnement a permis de réaliser un ajustement budgétaire progressif, sans obligation de réduire les dépenses, en particulier celles consacrées à la santé et à l’éducation (dans ces deux secteurs, un mini-mum de crédits est garanti par l’amendement lui-même). Le mécanisme de plafon-nement a aussi induit une réduction du coût de financement du secteur public. Au cours des trois années qui ont suivi la promulgation du texte (de 2017 à 2019), les dépenses primaires de l’Etat central ont progressé de 1,2% par an en termes réels, soit un rythme cinq fois inférieur à celui observé entre 1997 et 2014 (+6,3%/an)[1]. Grâce à ce freinage, les autorités monétaires ont pu envisager un abaissement très important du taux de base de l’économie, passé d’une moyenne de 14% en 2016, à 5,9% en 2019. Cette flexibilisation de la politique monétaire n’a pas empêché un reflux marqué de l’inflation. Le rythme de hausse des prix a été de 6,3% en 2016. Il n’était que de 4,3% en 2019. Plus important encore : le pays est sorti lentement de la récession. Sur les trois années évoquées ici et jusqu’à la crise du Covid-19, le chômage a reculé. Progressivement, les comptes publics ont été ajustés. Le déficit primaire de l’ensemble du secteur public est passé de 2,48% à 0,85% du PIB de 2016 à 2019. Les charges d’in-térêt de la dette publique ont également diminué (de 6,49% à 5,06% du PIB), bien que cette dette ait sensiblement augmenté. La confiance des marchés a été restaurée. D’où une baisse du coût de financement. Entre 2016 et 2019, le taux d'intérêt implicite de la dette brute est passé de 13,1% à 7,8% [2]. Cette évolution favorable des taux a réduit le coût du capital pour les entreprises qui veulent investir. Elle a aussi affaibli les revenus que les ménages les plus riches tirent de leurs placements financiers. Les effets redistri-butifs de cette contraction ne sont pas négligeables. Avec la pandémie de la Covid-19, les autorités ont fait usage d’un mécanisme prévu dans l’amendement constitutionnel de 2016. Ce mécanisme permet un dépassement du pla-fond lorsque le Congrès vote des crédits extraordinaires destinés à faire face à un évè-nement imprévu et après l’instauration de l’état de calamité publique. Lorsque le reflux de l’épidémie sera patent, à la fin de l’état de calamité publique (prévu pour l’instant en décembre 2020), l’Administration fédérale ne pourra donc plus envisager de dépenses exceptionnelles. Elle devra gérer et exécuter les seuls crédits votés dans le cadre de la loi budgétaire annuelle et en respectant le plafonnement. Cette normalisation est prévue par la Constitution. Pourtant, au sein de l’exécutif comme dans les rangs des élus du Congrès, depuis juin, un mouvement politique puissant est apparu qui s’oppose à cette normalisation. Ce mouvement va probablement se renforcer au cours des prochains mois. Cette résistance procède d’abord de calculs électoralistes. Le Président et de nombreux parlementaires estiment que l’Etat fédéral doit dépenser davantage pour réveiller la croissance, inverser la courbe du chômage, améliorer les revenus. Avec la sortie de crise ainsi facilitée, les uns et les autres imaginent garantir leur réélection en 2022. Au cours des derniers mois, Jair Bolsonaro a compris que l’allocation mensuelle d’urgence versée depuis l’apparition de l’épidémie à plus de 66 millions de pauvres représentait un levier politique majeur. En améliorant le sort des ménages les plus modestes, le fameux "coronavoucher" lui permet de gagner la sympathie et l’appui de secteurs de la popu-lation qui votaient jusqu’alors pour le Parti des Travailleurs de Lula. La suppression de l’allocation mensuelle de 600 réais ou la réduction du montant une fois la crise sanitaire dépassée susciteront certainement la déception et la rancœur des bénéficiaires. De nombreux députés poussent aussi à la dépense, à l’abandon des règles constitu-tionnelles ou leur flexibilisation. Ils encouragent le gouvernement à mettre en œuvre son plan de relance de l’économie basé sur de grands travaux et la reprise de projets d’investissements en infrastructures. Qu’importe si ces opérations aboutissent souvent à faire pousser des "éléphants blancs". Il suffit souvent d’annoncer des réalisations d’enver-gure et prestigieuses pour susciter la sympathie et l’adhésion d’importants secteurs de l’électorat. En outre, la mise en œuvre de chantiers coûteux pour les finances publiques est souvent bénéfique pour les leaders politiques locaux et leurs partis… Indicateurs économiques et scénarios pour 2020 et 2021. Source : Instituição Fiscal Independente. Sénat Fédéral. Cette résistance au retour à la normalité budgétaire bénéficie de l’appui d’une part de la population qui persiste à croire que l’accroissement indéfini des dépenses publiques permettra de satisfaire toutes les demandes sociales, de résoudre le conflit distributif que traduisent les choix budgétaires. Ce conflit est aujourd’hui exacerbé. Avec les dé-penses exceptionnelles engagées pour faire face à la pandémie, la dette publique va augmenter d’au moins 20 points de PIB. Cet endettement croissant renforce la contrainte qui pèse sur les gestionnaires du budget fédéral. Le respect du mécanisme de plafon-nement une fois la crise sanitaire passée va être encore plus important qu’il ne l’était avant cette crise. La responsabilité des partis représentés au Congrès devrait être de combiner le retour à la discipline avec la satisfaction des demandes les plus légitimes de la population. Il devrait être de réduire l’influence des lobbys et corporations organisées qui défendent becs et ongles des privilèges octroyés par la puissance publique. Ce sont ces groupes qui aujourd’hui font croire à l’opinion qu’en laissant filer les dépenses, tout le monde sera finalement servi. Les résistants à la normalisation budgétaire souffrent d’une étrange amnésie. Ils sou-tiennent que l’abandon du plafonnement ou la flexibilisation auront un impact positif sur l’activité économique. L’expansion à tout va des dépenses publiques, les grands projets d’investissements pilotés par l’Etat fédéral, les subventions aux entreprises ont été les grands axes de la politique économique conduite sous Lula (après 2005) et Dilma Rousseff. On parlait alors de "Programme d’Accélération de la Croissance" (PAC), de "nouvelle matrice économique"..…Ce sont ces projets volontaristes et dispendieux qui ont précipité le Brésil dans la grande récession des années 2014-2016. Un scénario de récession qui peut s’aggraver. Avec l’épidémie de la Covid-19, la récession est à nouveau là. Les prévisions concernant l’ampleur du choc et sa durée varient. Après la crise des années 2015 et 2016, la reprise observée apparaissait très timide et fragile. Désormais, pour envisager un retour à une croissance consistante, le Brésil doit montrer qu’il est capable d’évoluer vers une gestion plus sérieuse de la crise sanitaire. Il s’agit de rétablir un climat de confiance, de rassurer les acteurs économiques et les marchés financiers. La situation des finances publiques reste problématique, en dépit des efforts menés de 2016 à 2019. Avant la crise sanitaire, la dette publique rapportée au PIB était déjà exceptionnellement élevée pour un pays émergent. Avec l’épidémie, les autorités ont dû accroitre fortement les dépenses publiques afin de soutenir les revenus des ménages et les entreprises [3]. L’endettement du secteur public va cependant augmenter dans des proportions considérables [4]. De nombreux analystes soulignent que cette dégradation temporaire (exceptionnelle et nécessaire) des comptes publics doit être suivie d’un ajustement une fois que la crise sanitaire sera dépassée. C’est le cap que les autorités doivent impérativement annoncer et maintenir. Cette orientation ne sera pas facile à suivre. Les projections de contraction du PIB en 2020 désormais retenues par les instituts de conjonctures brésiliens varient de -5,5% à - 8%. La reprise envisagée pour 2021 serait de l’ordre de 2,5 à 3,5% [5]. Dans ce type de conjoncture déprimée, les politiques d’augmentation des dépenses publiques destinées à stimuler la demande sont souvent privilégiées. Elles ont des effets contra-cycliques à court terme (amélioration temporaire de l’emploi et des revenus). Néanmoins, l’effort d’expansion budgétaire ne permet pas de relever de manière durable la capacité de production du pays et le rythme de progression de la productivité. Il ne peut donc pas générer une élévation soutenable du revenu national et de celui des plus modestes. Le gouvernement brésilien est pourtant tenté aujourd’hui par ce dopage. Il semble vou-loir ignorer l’avertissement adressé par les marchés financiers et de nombreux ana-lystes. La combinaison au cours des prochains mois d’une politique budgétaire laxiste (avec la flexibilisation ou l’abandon du plafond sur les dépenses fédérales) et d’une reprise de l’activité sans contrôle effectif de l’épidémie pourrait conduire le pays de la récession en cours à la dépression. C’est alors un scénario très sombre qui s’imposerait. Les ingré-dients principaux sont connus : relâchement des disciplines budgétaires pratiquées depuis quelques années, expansion des dépenses sans identification claire des sources de financement, utilisation de subterfuges comptables destinés à contourner le fameux plafond constitutionnel, un endettement incontrôlé. Ce scénario noir inclut une forte contraction du PIB sur 2020 (supérieure à 10%), une nouvelle contraction ou la stagnation en 2021 et une reprise de l’activité qui ne se concrétiserait qu’en 2022. C’est ce scénario noir que les marchés financiers retiennent désormais comme une hypothèse sérieuse. Ils n’en sont pas encore à envisager une crise de la dette souveraine. Néanmoins, durant les derniers mois, les signes de fièvre sont devenus évidents. Les deux agences de notation Standard & Poor’s et Fitch ont abaissé la perspective de la note souveraine du Brésil, de "Positive" à "Stable" pour la première (en avril dernier), de "Stable" à "Négative" pour la seconde (début mai). Un autre symptôme majeur de diffi-cultés actuelles ou futures est la sortie de capitaux observée ces derniers mois. Elle montre que les investisseurs sont préoccupés. Entre janvier et juillet 2020, les sorties nettes s’élèvent à 30,6 milliards d’USD. Ces sorties sont liées à la liquidation par des étrangers de placements en fonds d’investissement, en actions et en titres de la dette publique. En 2019, sur la même période, le Brésil avait enregistré des entrées nettes pour 14,1 milliards de dollars. Le mouvement s’est donc inversé. Pour les douze mois terminant en juillet 2020, l’hémorragie est de 52,3 milliards d’USD. Autre indicateur important : la baisse des investissements directs étrangers. Les apports nets reçus pour les douze mois s’achevant en juillet 2020 ont atteint 62,5 milliards de dollars et couvrent encore le déficit courant. Ils sont cependant moins importants qu’au cours de la même période de l’année passée lorsque le pays avait bénéficié de 79,6 milliards d’USD d’entrées nettes. Quatrième symptôme : la forte volatilité du dollar depuis le début du second semestre et l’affaiblissement de la monnaie brésilienne. Le real avait connu un gros accès de fièvre au mois de mai lors du premier vent de panique lié à l'impact du coronavirus. Il avait quelque peu rétabli l'équilibre le mois suivant (le dollar repassant alors sous la barre des 5 réais). Il a depuis replongé (le billet vert s'établissant à 5,61 réais), malgré de nom-breuses interventions de la banque centrale (2,3 milliards de dollars sur la première semaine d’août). Au cours des derniers mois, le réal brésilien est la monnaie qui a subi la plus forte dépréciation au sein des pays émergents avec la Covid-19. Les raisons sont multiples : faible niveau des taux d’intérêts, sortie des investisseurs des marchés émer-gents et, depuis quelques semaines, craintes de futurs dérapages budgétaires [6] et d’une progression incontrôlée de l’endettement public. Taux de change du dollar en réais depuis le début de l'année 2019. Source : Banque Centrale du Brésil. Les marchés anticipent déjà un probable relâchement de la politique budgétaire au-delà de la période de crise sanitaire. Le Ministre de l’économie a beau répéter que le gouver-nement reste attaché à la discipline du plafonnement. Les investisseurs savent que de nombreux ministres sont désormais partisans d’un "assouplissement" du dispositif, voire d’une expansion marquée des dépenses. Si le scénario sombre évoqué plus haut venait à se concrétiser, la dette publique brute pourrait franchir le seuil de 100% du PIB dès cette année. Elle augmenterait encore de plusieurs points de PIB en 2021. La dette de l’Etat brésilien n’est pas une dette perpétuelle. Le financement et le refinancement de cette dette dépendent étroitement de la confiance des marchés, c’est-à-dire de "l’humeur" d’investisseurs institutionnels et d’épargnants brésiliens. Un risque financier intérieur. La dette publique est en effet principalement une dette interne. C’est aussi avant tout (pour 94,56% du stock en fin juin 2020) une dette mobilière. Qui sont les détenteurs des titres émis par le trésor brésilien ? En juin dernier, les investisseurs non-résidents dans le pays ne représentaient que 9,1% de l’encours. Les titres en circulation étaient alors déte-nus pour plus de 81% par des fonds de pensions (retraites complémentaires), par des institutions financières, par des compagnies d’assurances et des fonds d’investissement tous brésiliens. Directement et indirectement, une large part de l’épargne des entreprises et des ménages est placée en titres de la dette publique qui représentent souvent les supports offrant la meilleure rentabilité. La charge annuelle de cette dette publique (amortissement + frais financiers) n’est jamais assumée intégralement en mobilisant des ressources fiscales. L’Etat fédéral rembourse les bons du trésor et obligations venus à échéance en s’endettant à nouveau, en se re-finançant. Entre 2015 et 2019, la charge cumulée de la dette fédérale a atteint 1106 mil-liards de réais. Sur ce total, la part assumée par le budget a été à peine de 8,5%. Le reste (91,5%) a été financé par émission de nouveaux titres et contractation de nouveaux emprunts. Sur le marché financier, l’Etat fédéral rembourse bons du trésor et obligations en se refinançant, en s’endettant à nouveau. L’accumulation des intérêts que le Trésor doit verser à ses créanciers vient s’ajouter à son passif dans le calcul de la dette. Les conditions auxquelles il peut se financer (taux d’intérêts et échéances des titres émis) dépendent étroitement de la politique budgétaire menée. Au Brésil plus qu’ailleurs, l’Etat est loin d’être maître du prix qu’il paie pour se financer et du temps pendant lequel il peut utiliser des ressources captées sur le marché. S’il béné-ficie de la confiance des investisseurs, il parvient à émettre de la dette moyennant des conditions relativement favorables (maturités longues des titres [7], taux d’intérêts fai-bles). Lorsque ces investisseurs perdent confiance dans la qualité des titres de dette qu’ils achètent, les taux d’intérêts s’envolent et l’État parvient de plus en plus difficilement à se financer à long terme (quelques années) sur les marchés [8]. Avant d’en arriver à ce stade, les marchés financiers manifestent des signes de stress. Ces signes sont apparus récemment sur les places brésiliennes avant même que le gouvernement n’affiche ses divisions quant au chemin à suivre en matière de politique budgétaire après la crise sani-taire. C’est une fâcheuse coïncidence. La combinaison des maturités des diverses émissions réalisées sur les exercices antérieurs, la crise économique qui suit l’épidémie de Covid-19 (entraînant une baisse des recettes fiscales) et l’effort budgétaire extraordinaire engagé font de 2020 une année hors norme en ce qui concerne le refinancement de la dette. Pour rembourser les titres qui viennent à échéance, payer les intérêts dûs et couvrir un déficit primaire considérable, le Trésor brésilien doit placer sur le marché des nouveaux titres représentant au total l’équivalent de 46% du PIB. Jamais le besoin de refinancement de l’Etat fédéral n’a été aussi important ces dernières années. A titre de comparaison, jusqu’à la récession qui a commencé en 2014-15, il représentait l’équivalent de 20 à 25% du PIB. En d’autres termes, les atermoiements du gouvernement à propos du maintien du plafonnement des dépenses, les polémiques publiques nourries sur le sujet survien-nent au pire moment. Les marchés financiers brésiliens anticipent même déjà une répé-tition du scénario de 2002, lorsque les investisseurs étaient devenus très réticents pour financer le Trésor et souscrire les titres émis parce qu’ils anticipaient un total relâchement de la discipline budgétaire avec la victoire annoncée de Lula à la présidentielle. A l’époque, le Trésor ne parvenait même pas à négocier des titres à échéance 2003, pre-mière année de la gauche au pouvoir. Pour éviter la banqueroute, il avait fallu proposer des titres de maturité très courte assortis de taux de rémunérations très élevés. La bombe a été désamorcée lorsque le nouveau chef de l’Etat s’est engagé à maintenir une stricte discipline budgétaire et l’a effectivement mise en œuvre. Aujourd’hui, le Trésor brésilien est confronté à deux évolutions qui annoncent un scénario comparable. Il doit d’abord proposer des niveaux de rentabilité plus élevés pour placer les titres de la dette publique sur le marché. Il doit aussi réduire la maturité des nouveaux titres émis. Les taux d’intérêts à long terme (qui servent de référence aux investisseurs lorsqu’ils envisagent de souscrire des titres de la dette fédérale) ont augmenté sur les derniers mois. Les investisseurs intègrent désormais dans leurs analyses de rentabilité le risque représenté par de possibles dérapages budgétaires. Certes, les taux à court terme n’ont jamais été aussi bas qu’aujourd’hui, en raison de la politique monétaire maintenue par la Banque Centrale et de la récession que le pays (et le monde) traverse. Néanmoins, au Brésil, les taux de long terme que doit accepter le Trésor pour émettre des emprunts à dix ans atteint désormais 7% [9]. Cet écart énorme avec les conditions proposées dans les nations avancées reflète la méfiance des créanciers qui craignent que les engage-ments contractés aujourd’hui ne soient pas honorés à échéance. Autre manifestation de cette même inquiétude : la réduction de la maturité moyenne des titres de la dette pu-blique. En 2016, celle-ci était de 4,5 ans. Elle est aujourd’hui de 3,7 années. En réduisant la maturité des titres émis, le Trésor brésilien peut gagner du temps et se financer moyennant des taux d’intérêt relativement faible. Mais il devient alors très exposé aux mouvements d’humeur des investisseurs. Aujourd’hui, le taux d’intérêt que le Trésor doit assumer pour se financer sur des échéances courtes varie entre 2 et 3%/an. La captation de ressources financières par émission d’obligations à 10 ans n’est possible qu’en assurant aux investisseurs un taux de rémunération de 7%/an. La différence de taux (de l’ordre de 4,5 points) représente justement le prix facturé par le marché en raison de l’incertitude qui pèse sur l’évolution de la politique budgétaire. Les émissions de titres à maturité réduite permettent de diminuer les charges financières de la dette. Il y a néanmoins ici un sérieux inconvénient : en avançant l’échéance moyenne de la dette, en créant une structure d’amortissement moins lissée, le montant de la dette exigible à court terme augmente, les risques auxquels est exposé le Trésor (difficulté de placer de nouveaux titres, relèvement brutal des taux d’intérêts) s’élèvent. Une telle situation devient problématique si elle dure. Le Trésor doit alors rembourser des titres de maturité longue en plaçant des nouveaux titres de maturité courte. Il emprunte aujourd’hui pour rembourser des titres venus à échéance hier… Le raccourcissement accéléré sur les derniers mois de la maturité moyenne de la dette publique est en soi un signal d’alarme qui devrait conduire le gouvernement fédéral à afficher clairement un programme de réduction des déficits pour l’après crise sanitaire. Un autre signal inquiétant est le recours de plus en plus fréquent par le Trésor à d’autres moyens de financement que l’émission de titres nouveaux [10]. Si le cap de la discipline budgétaire n’est pas retrouvé sur les prochains mois, le Brésil connaîtra probablement à nouveau des tensions inflationnistes (alimentées notamment par la dépréciation du réal). La Banque centrale devra alors relever son taux directeur. Ce raidissement de la politique monétaire rendra l’accès au crédit plus difficile et pèsera sur une reprise de l’activité déjà fragile. Il ne suffira probablement pas pour empêcher la fuite devant la monnaie nationale. Les épargnants qui le peuvent chercheront à acquérir des dollars ou d’autres devises fortes. L’essentiel du stock de la dette publique étant libellé en monnaie nationale et détenu par des institutions financières locales, un scénario de défaut (le débiteur annonçant qu’il n’est plus à même de respecter ses engagements) ou une proposition de restructuration de la dette sont difficilement envisageables. Ces rup-tures brutales de contrats généreraient une crise de l’ensemble du système financier national compte tenu du poids pris par les titres de la dette fédérale dans les bilans des investisseurs institutionnels. Elles mettraient en péril les systèmes de retraites complé-mentaires, provoqueraient un effondrement de l’investissement productif, un cataclysme économique et une spoliation violente des épargnants. La défaillance sera plus discrète et sournoise. Aux abois, l’Etat encouragera la Banque centrale à créer de la monnaie sans contrepartie. Le retour d’une inflation élevée déva-lorisera les créances sur le Trésor qui représenteront une charge de moins en moins lourde pour le débiteur et des actifs dévalorisés pour les créanciers. Ici encore, les épar-gnants seront lésés mais de manière plus insidieuse. Il n’y aura pas de cataclysme éco-nomique spectaculaire mis une dépression sans fin prévisible. Le pays combinera pour longtemps l’instabilité des prix et une croissance négative ou médiocre. Le pari électoraliste de Jair Bolsonaro et de ses alliés est donc probablement un pari absurde. Pour renforcer leurs chances électorales en 2022, ils semblent prêts à aban-donner l’effort de discipline budgétaire engagé depuis 2016. Si ce virage populiste esquissé récemment est confirmé, les classes moyennes (disposant d’épargne) et les pauvres (qui recevront un RSA dévalorisé) paieront rapidement une addition très amère. Il est difficile d’imaginer que ces secteurs de la société persistent alors à soutenir des candidats du camp Bolsonaro. [1] Entre 2015 et 2016, la hausse des dépenses primaires en termes réels a été en moyenne de +0,3%/an. [2] Pour la dette nette, on est passé de 17,9% à 10%/an. Le taux d’intérêt implicite rap-porte les intérêts payés au montant total de la dette pour une année donnée. [3] L’effort budgétaire engagé au Brésil sur 2020 sera probablement un des plus impor-tants en Amérique latine. [4] L’accroissement des dépenses publiques en raison des mesures adoptées pour faire face à la crise sanitaire a fait progresser la dette brute du secteur public de 75,8% à 85,5% du PIB entre la fin décembre 2019 et la fin juin 2020. [5] Les données conjoncturelles montrent même que le pic de la récession a proba-blement été dépassé et que son ampleur sur l’ensemble de l’année sera atténuée par rapport aux prévisions initiales, en raison même de l’effort de soutien engagé par les pouvoirs publics. [6] L’indicateur de risque pays, qui s'était rapproché de la moyenne des émergents selon l'indice EMBI de JP Morgan au début du mois d’août, a de nouveau grimpé pour atteindre 333 points, contre une moyenne de 305 points en fin de mois. [7] le temps qui court entre la date d’émission et la date de remboursement de l’emprunt. [8] In fine, l’Etat peut se trouver dans une situation où il ne peut assurer ni les rembour-sements ni le paiement des intérêts sur les dettes contractées. Le refinancement devient impossible. L’État se retrouve en défaut de paiement. Au Brésil, cette situation s’est produite à plusieurs reprises au cours des dernières décennies. [9] Ces taux de long terme pour des emprunts à plus de dix ans varient de 5 à 7% pour l’ensemble de pays émergents. [10] Une très faible part du déficit primaire accumulé jusqu’en juin a été financée par l’émission de titres de la dette publique sur le marché primaire. Il a fallu recourir en partie à la création monétaire. Surtout, le Trésor a utilisé de plus en plus les opérations de pension livrée (repo) réalisées par la Banque centrale qui a vendu des titres de la dette publique pour emprunter des liquidités avec l’engagement de racheter ces titres sur un délai rapproché (en général 24 heures). Le recours à ce moyen de refinancement de la dette publique a très court terme (un pourcentage très important de ces opérations sont des opérations de pension à un jour ou over night repo) est une alternative lorsque le Trésor ne parvient pas à lancer des émissions avec maturités plus longues et à des taux qu’il juge adéquats. Selon les données de la Banque centrale publiées à la fin juillet, ces opérations ont atteint un montant de 1 385 milliards de réais en juin dernier, soit l’équivalent de 19,3% du PIB. A titre de comparaison, ces opérations de pension livrée ne représentaient que l’équivalent de de 13,1% du PIB 2018. La dernière modalité de financement des dépenses exceptionnelles a été le recours à des retraits massifs sur le compte unique du Trésor géré à la Banque Centrale.

  • Le grand retour du populisme économique (2).

    La reprise d’un très vieux film. Pour les conseillers et les ministres qui veulent réactiver l’économie, la pérennisation des transferts sociaux exceptionnels puis la création d’un "RSA" ne sont pas suffisants pour doper la croissance. Il faut aussi réveiller l’investissement, notamment dans le secteur des infrastructures. Depuis des mois, les militaires de l’exécutif et plusieurs civils titulaires de portefeuilles envisagent un réveil de l’activité en misant sur une relance de l’investis-sement public. Présenté à la fin avril, conçu par le général Braga Netto (en charge de la coordination du gouvernement) et quelques ministres (mais critiqué par le titulaire de l’économie), le programme Pro-Brasil envisage un accroissement des dépenses d’in-vestissement de l’ordre de 30 milliards de réais destinées à finaliser la réalisation de 70 projets de construction de routes, de terminaux portuaires et de lignes de chemins de fer déjà engagés. Pro-Brasil serait exécuté entre la fin 2020 et la fin 2022…. Deux ministres sont particulièrement actifs dans la promotion de ce programme : celui des infra-structures (un ancien militaire) et le titulaire du portefeuille du développement régional. Le premier a précisé qu’un projet complémentaire de 250 milliards de réais d’investis-sements serait conduit grâce à des concessions ou dans le cadre de partenariats public-privé. De son côté, le Ministre du Développement Régional propose de libérer 184,4 mil-liards de réais de crédits supplémentaires pour construire et relancer 20 800 chantiers éparpillés sur tout le territoire national et créer ainsi 7 millions d’emplois jusqu’en 2022. Le général Braga Netto, grand concepteut du programme Pro-Brasil, Jair Bolsonaro et son ministre de l'économie Paulo Guedes (opposé à toute dérive budgétaire). Entre ses deux ministres, Bolsonaro penche de plus en plus du côté du général... Même s’il apparaît comme un programme destiné à réduire l’énorme gaspillage de fonds publics que représentent des chantiers suspendus ou abandonnés, le programme Pro-Brasil est en réalité un remake des dispositifs de relance de l’économie par accroisse-ment des dépenses publiques déjà utilisés (sans succès) par les gouvernements de gauche de l’ère Lula ou par les militaires dans les années 70. Ces opérations ont rare-ment généré les effets d’entraînement et de dynamisation de l’activité sur des délais adéquats qui étaient annoncés. Fréquemment, la concrétisation des investissements engagés s’est heurtée à des obstacles bureaucratiques ou juridiques. Les ressources publiques libérées ont souvent été détournées, finançant des pots de vin et le détour-nement de fonds par les élus et fonctionnaires. Comme les versions antérieures, le pro-gramme envisagé pour réveiller l’économie après la crise sanitaire est d’abord un dispositif destiné à raffermir et à entretenir la connivence entre l’exécutif et les élus du Congrès prêts à le soutenir. Concentrés sur les régions où sont élus les parlementaires du centrão, désormais alliés de circonstance du gouvernement, les projets d’infra-structure annoncés peuvent renforcer le potentiel électoral des partis concernés à la veille des élections municipales des 15 et 29 novembre prochain. La libération des crédits et l’exécution des chantiers envisagés seront aussi probablement l’occasion pour ces formations de récupérer des fonds afin de financer leurs activités locales et le train de vie de leurs leaders. Pour l’Administration Bolsonaro, le "retour sur investissement" attendu est une conso-lidation de l’alliance qui se forme depuis des mois entre le pouvoir et le large éventail des partis physiologistes qui représentent un bon tiers des élus du Congrès. En outre, en intégrant le Nord-Est dans la liste des régions que Pro-Brasil devra privilégier, l’exécutif peut espérer renforcer la dynamique de reconquête de l’opinion évoquée dans le pre-mier article de cette série. C’est bien du centrão que dépend désormais la mise en œuvre effective des deux grands volets de la nouvelle politique économique et sociale que sont le Pro-Brasil et le programme Renda-Brasil. L'appui au Congrès de ces partis-girouettes sera décisif. Le chemin pour parvenir à la création des deux leviers d’expansion des dépenses publiques est en effet semé d’embûches législatives et constitutionnelles. Il y a surtout un risque énorme à l’horizon : celui de l’abandon de la discipline budgétaire. Un abandon de la discipline budgétaire. Revenons au début de la pandémie. A l’époque, le Congrès établit l’état de calamité publique et définit les règles de financement de ce qui a été appelé un budget de guerre, c’est-à-dire de tous les engagements destinés à faire face à la crise sanitaire et à ses conséquences socio-économiques. Avec les lois d’exception votées alors, l’exécutif fédéral a été autorisé à renoncer aux objectifs fiscaux fixés initialement pour 2020. Il peut accroître ses dépenses et dépasser le déficit de 124,1 milliards de réais (environ 24,5 milliards de dollars) fixé originellement dans la loi de finances. Les dépenses supplé-mentaires seront financées par des crédits dits extraordinaires, votés par le Congrès en urgence, et qui ne sont pas soumis au plafond annuel de dépenses publiques en vigueur depuis la fin 2016. Cette disposition constitutionnelle (connue sous le vocable de "plafond des dépenses") limite la progression des dépenses fédérales d’un exercice budgétaire à l’autre au taux d’inflation. En principe, elle est en vigueur pour 20 ans. Le plafond des dépenses a permis de réduire le déficit des finances fédérales sur les années récentes. Le mécanisme est assez souple. Il permet de faire face à des situations exceptionnelles, non prévisibles. Ainsi, les dépenses extra-budgétaires qui ont été engagées pour combattre le Covid-19 et ses conséquences peuvent être financées par des crédits extraordinaires, crédits qui sont exclus du calcul du plafond de dépenses. L’arsenal législatif d’urgence adopté en mars 2020 a permis aussi au gouvernement de ne pas respecter la règle d’or, norme selon laquelle l’émission de titres ne peut avoir lieu que pour financer des investissements ou assurer le remboursement et le refinancement de la dette publique. Selon l’Intituição Fiscal Independente (IFI) [1], liée au Sénat Fédéral, l’impact pour le budget fédéral de l’ensemble du dispositif anti-crise lancé en mars (dé-penses supplémentaires, abandon de recettes sous forme d’exonérations d’impôts et de taxes) sera équivalent à 8,7% du PIB sur l’année. Les crédits extraordinaires correspon-dants seront financés par l’endettement. A court terme, pour continuer à accroître ses dépenses sans contraintes, le gouver-nement doit obtenir de la Chambre des députés et du Sénat l’adoption d’un décret qui prolonge la période de calamité publique (elle se termine, selon les dispositions actuel-lement en vigueur, à la fin décembre). Avec ce prolongement, l'exécutif pourra continuer à financer des dépenses extraordinaires sans être exposé au risque d’être accusé de crime de responsabilité budgétaire. L’adoption du décret permettra de poursuivre le versement mensuel du coronavoucher [2] tout en respectant les normes de discipline budgétaire. Cette première étape était franchie, il faudra encore que l’exécutif engage d’autres batailles au Congrès pour obtenir l’adoption du dispositif dit Renda-Brasil [3] et la mise en œuvre rapide du plan Pro-Brasil [4]. Admettons que tous les obstacles juridiques et législatifs qui peuvent freiner l’ardeur populiste du gouvernement Bolsonaro soient levés d’ici au début de 2021. Pour financer alors le système de revenu de base et relancer les investissements publics, il faudra dégager des marges de manœuvre budgétaires, c’est-à-dire proposer et faire voter un budget pour le prochain exercice qui intègre les nouveaux postes de dépense envisagés. La gestion des finances fédérales est une gestion très contrainte. En année normale (hors crise exceptionnelle comme celle du coronavirus) les dépenses obligatoires (imposées par la loi) absorbent 90% des crédits disponibles [5]. Les autres dépenses (dites discré-tionnaires) sont souvent aussi difficilement compressibles : elles permettent notamment de faire fonctionner la machine administrative. Selon les prévisions de l’IFI, pour l’exercice budgétaire 2021, les dépenses obligatoires représenteront une enveloppe totale de 1410,8 milliards de réais (environ 220 milliards d’euros). Ce montant ne prend pas en compte l’impact budgétaire des nouveaux programmes envisagés par l’exécutif. Pour assurer le fonctionnement (hors rémunérations) de la machine administrative, le gou-vernement fédéral devra assumer des dépenses discrétionnaires évaluées à 89,9 milliards de réais. Le total des crédits de dépenses devrait donc être de 1500,7 milliards de réais. Le plafond de dépenses autorisées est estimé à 1483,1 milliards de réais. En d’autres termes, pour respecter la discipline budgétaire sans bloquer le fonctionnement de la machine administrative, le gouvernement fédéral doit pour 2021 présenter un projet de budget intégrant des baisses de crédit dans plusieurs secteurs. C’est d’ailleurs ce qu’il s’apprête à faire en annonçant des coupes sévères pour l’éducation et la santé en 2021…. Recettes et dépenses primaires du budget de l'Etat fédéral. Source : IFI. Il faut alors ici mesurer tout le tragique de la situation. Si le Brésil était un pays "comme les autres", les élus du Congrès et le gouvernement auraient dû conduire dès les années passées un débat sérieux sur la maîtrise et la réorientation des dépenses publiques. L’exécutif aurait présenté aux parlementaires un projet détaillé de réduction de plusieurs postes de dépenses et de réallocation des ressources budgétaires, projet permettant à la fois de réanimer l’économie, de soutenir les ménages les plus pauvres et d’éviter la crise des finances publiques qui devrait éclater dans les prochains mois. Simultanément, les responsables politiques auraient déjà soumis au débat parlementaire un ample projet de réforme administrative destiné à moderniser l’Etat, à le rendre plus efficace et moins coûteux, à le mettre au service des citoyens. Aujourd’hui, au lieu de se consacrer à ces tâches essentielles et prioritaires, un important secteur du gouvernement fédéral et plusieurs bataillons de parlementaires se mobilisent pour obtenir l’abolition de la règle adoptée en 2016 et fixant chaque année un plafond à la progression des dépenses publiques. Le pari stupide qui se répète depuis des lustres consiste à croire que l’aug-mentation des dépenses va réduire (et non pas accroître) l’inefficacité des administrations et de l’appareil d’Etat. La pression pour abandonner la discipline budgétaire s’exerce au sein même de l’exécutif : abandonnons ce plafond absurde pour pouvoir allouer tous les crédits nécessaires à la relance de l’investissement public, pour créer un programme de revenu de base garanti et universel et aussi (nul n’est parfait), pour garantir la progrès-sion des dépenses de salaires et de retraites des fonctionnaires, les subventions diverses aux entreprises sur les années à venir. Au-delà de ces objectifs avoués, il s’agit évidem-ment de garantir la réélection du Président d’ici à deux ans et demi…. Selon l’IFI, la contraction du PIB devrait être de 6,5% sur l’année et les recettes publiques vont baisser dans les mêmes proportions. Compte tenu des dépenses exceptionnelles déjà votées et des réductions de recettes anticipées, le déficit primaire de l’Etat fédéral atteindra sur l’année l’équivalent de 12,7% du PIB. Si l’on ajoute à cela le déficit primaire des Etats fédérés et des communes et les intérêts sur la dette publique, la projection du déficit total du secteur public est de 17,6% du PIB (1220 milliards de réais). Pour l’essentiel, le financement de ce déficit se fera par accroissement de l’endettement. La dette brute du secteur public va passer de 75,8% du PIB en fin 2019 à 96,1% du PIB à l’issue de l’année en cours, soit une progression de plus de 20 points. Il n’y a pas de risque de financement de cet endettement en forte hausse si le Brésil adopte dès 2021 une politique d’ajus-tement des comptes publics qui rassure les marchés financiers et garantisse le respect des normes établies (plafond des dépenses, règles d’or). Ce retour aux bonnes pratiques paraît pourtant de plus en plus incertain. Les nouveaux alliés du centrão qui n’ont jamais été des partisans acharnés de la rigueur budgétaire ont fini par convaincre Jair Bolsonaro que s’il consolidait son audience auprès des classes les plus pauvres, la victoire serait acquise en 2022. Les généraux de l’exécutif croient que le pays peut renouer avec la croissance si de grands chantiers financés par l’Etat sont relancés ou initiés. Tout ce monde est favorable à l’abandon du plafond de dépenses introduit depuis 2016. Pourtant, ce plafond fonctionne comme un feu tricolore. Lorsque les dépenses fédérales se rapprochent de ce seuil, les décideurs publics savent qu’ils auront de sérieux problèmes dans l’avenir. Il n’y a aucune raison sérieuse pour ne pas respecter cette référence. En dépassant le plafond, le gouvernement verra se répéter le scénario des années 2014-2016. A l’époque, lorsqu’il est devenu évident que la prodigalité de l’Etat fédéral n’avait plus de limite, que les finances fédérales n’étaient plus sous contrôle, les taux d’intérêt à long terme ont augmenté rapidement, le Brésil a perdu son titre d’investment-grade [6], le niveau d’incertitude sur le financement de l’économie s’est aggravé et le pays a plongé dans une profonde récession. Le pari que veulent à nouveau faire aujourd’hui plusieurs membres du gouvernement Bolsonaro est stupide et totalement absurde parce qu’au bout de cette logique il y a un l’effondrement probable d’un Etat confronté à une asphyxie financière, un effondrement qui rejaillira sur toute la société. Tous les Brésiliens paieront la facture et, en premier lieu, les plus pauvres. Si le Brésil se laisse séduire par le populisme économique, la récession en cours sera suivie par une longue dépression. C’est ce que tentera de montrer un prochain article. A suivre : Après le coronavirus, une longue dépression économique ? [1] L’IFI est une agence rattachée au Sénat et comparable au Congressional Budget Office nord-américain. Elle est chargée de fournir des informations économiques et budgé-taires aux élus du Congrès. [2] La modification du montant du "coronavoucher" dépend de l’approbation du Congrès car la valeur initiale de 600 réais par mois est fixée par la loi. [3] Les trois prestations sociales qui seraient remplacées par le revenu mensuel de base ne peuvent être abolies par un simple décret présidentiel. Le remplacement du pro-gramme Bolsa Familia et de l’allocation par enfant sous condition de ressources peut avoir lieu si les deux assemblées adoptent à la majorité simple une mesure provisoire proposée par le Président. Pour le complément annuel de salaire fourni aux salariés les plus modestes, les choses sont un peu plus compliquées. Il s’agit d’une disposition cons-titutionnelle. Son abandon passe donc par un amendement à la Loi Fondamentale, c’est-à-dire par un vote réunissant une majorité des deux tiers des élus du Congrès. Ici encore, la construction par tous les moyens d’une large majorité parlementaire est devenue une question centrale pour un Jair Bolsonaro dont l’avenir politique dépend de la capacité à libérer des crédits budgétaires. [4] Les obstacles juridiques peuvent ici se résumer en une question : les dépenses extra-ordinaires justifiées par une crise sanitaire qui paraît sans fin peuvent-elles inclure des crédits destinés à financer un programme d’investissements publics ambitieux comme Pro-Brasil ? [5] Elles correspondent au paiement des prestations sociales (principalement des retrai-tes), aux rémunérations des fonctionnaires actifs et pensionnés, à diverses allocations d’assistance. [6] La catégorie investment grade correspond aux notations des agences de rating qui considèrent que le pays concerné présente un faible niveau de risque de défaut. Les Etats et les entreprises bénéficiant de cet titre peuvent lever des fonds sur les marchés internationaux moyennant des conditions de taux d’intérêt et de délais de rembour-sement favorables.

  • MANIFESTE DU MOUVEMENT PRESERVA BRASIL.

    Des Brésiliens de Genève lancent le mouvement Preserva Brasil, https://mpb-ge.org, en vue de construire un large courant d’opinion visant à défendre les institutions démo-cratiques de leur pays, préserver les bases de la Constitution du Brésil et promouvoir la citoyenneté démocratique face à la détérioration du dialogue républicain entre les pouvoirs constitués et la société civile. Le MPB-GE a fait paraître un « Manifeste de Genève pour la préservation des institutions démocratiques au Brésil » (texte en annexe), manifeste qui peut être signé par tout un chacun et sera officiellement lancé : Dimanche 6 septembre 2020 à 16:00 en visioconférence depuis Genève. (11 : au Brésil) – Inscription obligatoire sur info@mpg-ge.org Nous serions heureux de compter avec votre éventuelle participation au lancement de ce manifeste ou à sa couverture médiatique. Contact WhatsApp pour les journalistes : Jean-Jacques Fontaine (français, portugais espagnol) +4178 614 79 71 (English) : +4179 744 51 07 - Pourquoi un manifeste parrainé par des Brésiliens vivant hors du Brésil ? La fragmentation des courants politiques et la violente cristallisation des forces en opposition à l’intérieur du Brésil rend difficile la constitution d’un front large de défense de la démocratie contre les attaques dont elle est l’objet en ce moment. Grâce à leur regard depuis l’extérieur et à la confrontation avec d’autres expériences démocratiques, les Brésiliens vivant hors de leur patrie sont peut-être plus à même aujourd’hui d’initier ce front large que leurs concitoyens vivant à l’intérieur du pays. - Pourquoi Genève ? Cette ville est le siège européen de l’ONU, à ce titre elle abrite une multitude d’or-ganisations internationales, dont la Commission des Droits de l’Homme. Elle est ainsi au carrefour de nombreuses ONG et correspondants de presse qui peuvent répercuter cette initiative dans le monde entier. Genève est aussi la seconde ville de Suisse, un pays qui pratique une démocratie citoyenne dont les principes peuvent inspirer au Brésil, malgré la très grande différence entre les deux pays. Manifeste de Genève pour la préservation des institutions démocratiques au Brésil. Nous sommes Brésiliens et nous vivons loin de notre patrie, de notre famille, de nos amis dont la situation nous inquiète. Nous avons décidé, comme des millions de Brésiliens qui habitent hors de leur pays, de manifester notre solidarité avec nos compatriotes qui traversent des moments très difficiles à cause de la pandémie du coronavirus et des menaces répétées contre notre Constitution et nos droits fondamentaux. Grâce aux technologies de communication actuelles, nous restons connectés en permanence aux informations qui circulent et, même si elles sont souvent contradictoires, elles nous apportent la confirmation que le Brésil traverse une crise sociale, économique et sanitaire grave dont les conséquences sont tragiques pour de nombreuses familles. Nous demandons donc à tous nos compatriotes, où qu’ils soient, de s’unir afin d’affronter cette crise de manière lucide et responsable. Nous nous inquiétons de la corrosion de l’espace de dialogue républicain entre les pouvoirs constitués et la société civile qui peut mener au collapse des institutions démocratiques du pays. Face à cette situation, nous avons pris l’initiative de formuler ce Manifeste de Genève dont l’objectif est d’appuyer les initiatives de tous les Brésiliens soucieux de la préservation des principes constitutionnels de notre pays. Genève est une ville suisse empreinte de tradition démocratique et particulièrement réceptive à l’accueil des différences. Genève abrite de nombreuses organisations internationales dont l’objectif est de rechercher des solutions de compromis entre les nations. Durant la dictature militaire qui a sévi au Brésil entre 1964 et 1985, Genève a hébergé beaucoup de réfugiés politiques brésiliens. Le climat de conciliation et de respect de la démocratie qui marque cette cité nous donne l’énergie d’oeuvrer à ce qu’un tel climat puisse s’installer aussi au Brésil. « AU-DELÀ DE NOS DIFFÉRENCES ETHNIQUES, IDÉOLOGIQUES, DE CROYANCE ET D’APPARTENANCE POLITIQUE, NOUS VOULONS CONTRIBUER A LA PRÉSERVATION ET AU RENFORCEMENT DES INSTITUTIONS DÉMOCRATIQUES BRÉSILIENNES. SEULE LA SOLIDITÉ DE CES INSTITUTIONS NOUS GARANTIT LA LIBERTÉ DE PENSÉE, D’EXPRESSION, D’ORGANISATION SOCIALE, DE MANIFESTATION ET DE COEXISTENCE ENTRE LES DIFFÉRENTES ORIENTATIONS POLITIQUES DE CHACUN, LOIN DE L’AUTORITARISME, DU POPULISME, DE L’INTOLÉRANCE ET DE LA DÉMAGOGIE. » Pour signer ce manifeste : https://mpb-ge.org

  • Le grand retour du populisme économique (1).

    En janvier 2019, au début de son mandat, Jair Bolsonaro a su faire illusion. Le Brésil allait changer de modèle économique et de braquet. Après une profonde récession (entre 2015 et 2016) et deux années de croissance molle (autour de 1%), le pays allait enfin dé-coller. Le nouveau Président répétait qu’il cautionnait sans réserve la politique très libé-rale préconisée par son ministre de l’économie, Paulo Guedes. Ce dernier prenait d’ailleurs la tête d’un ministère aux compétences élargies et renforcées. Affublé du titre de "superministre", il allait faire souffler un vent nouveau. Le plan de Guedes était clair. Pour réveiller l’activité, il fallait réduire les dépenses publiques, contrôler et éliminer les déficits, multiplier les privatisations et libéraliser les échanges. Le moteur de la crois-sance retrouvée devait être l’investissement privé, national et étranger. Pour encourager les investisseurs, il convenait de réformer la fiscalité, de réduire la bureaucratie, de ren-forcer la sécurité juridique. Un an et demi après le début de la Présidence Bolsonaro, ce programme ambitieux est quasiment resté lettre morte. En dix-huit mois, le gouver-nement fédéral n’a privatisé aucune entreprise publique importante. L’économie reste isolée des marchés internationaux. La fiscalité qui pénalise la croissance et l’investis-sement n’a pas connu un début de transformation. La réforme des retraites adoptée en 2019 n’a pas empêché la progression des dépenses publiques. Trois raisons majeures expliquent la déroute de Paulo Guedes et l’échec désormais avéré de son projet libéral. L’accroissement espéré de l’investissement privé n’a pas eu lieu. Il dépendait avant tout du climat de confiance que promettait de restaurer le nouvel exécutif. En suscitant constamment les tensions politiques et institutionnelles, en affi-chant des convictions anti-démocratiques et autocratiques, le Président a fait ce qu’il fal-lait pour empêcher le retour de cette confiance. Soutenant son ministre en public, en coulisse, il a freiné les projets de réformes annoncés. Le titulaire du portefeuille de l’éco-nomie n’a jamais manifesté de talent excessif pour dialoguer avec le Congrès et gagner l’appui de parlementaires qui partageaient ses convictions. Last but not least, face à la crise sanitaire, Paulo Guedes n’a pas fait preuve du pragmatisme nécessaire. Sur les pr-emières semaines de la pandémie, c’est le Congrès qui a imposé l’adoption d’un plan de soutien à l’économie, un plan que le ministre n’a finalement accepté que du bout des lèvres. Depuis le début du premier semestre 2020, le "superministre" n’a plus la main. Le pays est entré à nouveau en récession. Entre avril et juin derniers, près de 9 millions de postes de travail (dans l’économie formelle comme dans le secteur informel) ont été perdus. Fin juin, le taux de chômage atteignait 13,3%, contre 11% à la fin de l’année passée. Alors que la crise sociale avance, l’immobilisme de Paulo Guedes et son impuissance politique ont conduit les militaires de l’exécutif à proposer un changement de cap. A la place du pro-gramme ambitieux de réformes libérales, les généraux du gouvernement et plusieurs de leurs collègues ministres veulent désormais prolonger le budget de guerre adopté au début de l’épidémie de covid-19. Ils annoncent un plan Marshall de reconstruction de l’économie. La recette proposée n’est pas nouvelle. Elle a été utilisée par les militaires dans les années 1970 pour relancer un miracle économique qui s’essoufflait. Elle a été reprise par la gauche au pouvoir après la crise mondiale de 2008. Il s’agit de doper l’éco-nomie affaiblie en injectant de la dépense publique. Le dispositif baptisé Pro-Brasil vient d’être officiellement lancé en ce mois d’août 2020. L’ancienne Présidente Dilma Rousseff (au pouvoir entre 2011 et 2016) et son parrain Lula doivent vibrer d'amotion : les militaires poussent Jair Bolsonaro à copier le Programme d’Accélération de la Croissance (PAC) qu’ils ont imposé il y a plus de dix ans. A l’époque, le PAC n’avait pas réveillé la croissance mais contribué à précipiter une crise des finances publiques historique. Qu’importe les désastreuses expériences passées ! Le Pro-Brasil bénéficie du soutien des proches con-seillers de Jair Bolsonaro. Ils constatent que l’exécution du budget de guerre adopté pour répondre à la crise sanitaire a permis au Président de retrouver récemment des indices de popularité inespérés. On croyait que la gestion calamiteuse de la catastrophe du covid-19 (près de 110 000 morts au 15 août) allait susciter un fort mouvement de rejet du Président dans l’opinion. C’est le contraire qui se produit. Le général Braga Netto (coordinateur du gouvernement), au centre, propose un plan de relance qui n'est qu'une copie du PAC de Dilma Rousseff (à droite). Le Ministre Guedes n'est guère enthousiaste..... Une popularité en hausse. Le nombre croissant de victimes du coronavirus, les affaires judiciaires qui touchent le chef de l’Etat et sa famille, les nombreuses défections au sein du gouvernement : rien n’y a fait. Toutes les enquêtes d’opinion conduites sur juillet et août convergent : le chef de l’Etat améliore sensiblement sa côte dans l’opinion. Certes, le Président et son gouver-nement perdent la confiance d’une partie des classes moyennes. En revanche, leur capital de sympathie s’améliore singulièrement auprès des couches les plus pauvres [1]. Ces mouvements de l’opinion qui surprennent les observateurs étrangers ont plusieurs explications [2]. Retenons ici la principale : ce Président dont la gestion de la crise sani-taire a été (à juste titre) très décriée est devenu en quelques mois un Président attentif aux pauvres. Ces derniers ne sont pas des ingrats. La popularité du Président et du gouvernement progresse surtout auprès des chômeurs et des travailleurs du secteur informel. A partir d’avril, ces derniers ont ainsi reçu une allocation d’urgence de 600 réais par mois bap-tisée du nom de "coronavoucher". Les salariés du secteur formel ont pu garder leur em-ploi grâce à la mise en œuvre d’un dispositif de chômage partiel. Les baisses de salaires autorisées ont été compensées. Ces transferts sociaux sont devenus rapidement de for-midables instruments au service du redressement de l’image et de la crédibilité du chef de l’Etat. Leur efficacité en termes de communication politique est d’abord liée au nombre considérable d’allocataires pris en charges. En juin, trois mois après la mise en place de ces transferts, 43% des ménages brésiliens (soit 105 millions de personnes) avaient reçu une aide du gouvernement fédéral, qu’il s’agisse du voucher des pauvres, de compensations de baisses salariales ou d’allocations de chômage partiel. Cette efficacité résulte aussi d’un fait majeur : les transferts ont contribué à améliorer sen-siblement les revenus des catégories de ménages les plus modestes. Ainsi, en mai dernier, le "coronavoucher" a permis aux 10% de de Brésiliens vivant dans la grande pauvreté de passer d’un revenu moyen mensuel par tête de 10,64 réais à 238,03 réais, soit une hausse de 95,53%. Evolution de la côte de popularité de deux présidents selon l'institut XP/IPESPE Priorités électoralistes. En 2018, pendant la campagne, Bolsonaro a sans doute été le premier candidat à la ma-gistrature suprême de l’histoire contemporaine qui n’ait pas fait de promesse aux plus pauvres. Depuis la crise sanitaire, le succès des nouveaux transferts sociaux a conduit le Président à changer radicalement de posture et de stratégie. Il a suffi par exemple qu’il fasse une visite dans le Nord-Est, le pôle du pays le plus défavorisé. Sur les neuf Etats de la région, 45% de la population bénéficie depuis avril de l’allocation d’urgence dite "coro-navoucher". Entre juin et août, le pourcentage de la population locale approuvant le gouvernement fédéral est passé de 30 à 41%. Il a grimpé de 44% à 50% parmi les élec-teurs privés de tout revenu d’activité [3] et souvent bénéficiaires du "coronavoucher". Le Président a perdu le soutien de secteurs de la classe moyenne qui ont été choqués par sa gestion de la crise sanitaire et ne croient plus à ses promesses de campagne. Le discours d’extrême-droite et la stratégie de tension pratiqués jusqu’en juin dernier ne lui garantissent le soutien que de 15% de la population. Conquérir la sympathie et le vote des millions de personnes composant la base de la pyramide sociale est donc devenu un enjeu majeur. Pour atteindre un tel objectif, les aides d’urgence aux populations infor-melles doivent être maintenues sur plusieurs mois, jusqu’à ce que le gouvernement puisse mettre en œuvre son nouveau programme de soutien aux pauvres, dénommé Renda-Brasil, un revenu de base permanent. Il faut aussi que l’Etat intervienne plus activement pour relancer l’activité, créer des emplois, soutenir les entreprises. Le relâ-chement de la discipline budgétaire imposé par la crise sanitaire ne doit pas être une parenthèse momentanée. La dépense publique doit être gérée en fonction du seul im-pératif qui intéresse le Président : sa réélection et son maintien au pouvoir au-delà de 2022. Il faut donc que le premier mandat accouche d’un grand programme social capa-ble de faire oublier le "Bolsa-Familia" de Lula. Il faut aussi que tous les alliés politiques de ces formations parlementaires du centrão soient correctement "rétribués" pour l’appui qu’ils doivent fournir à l’exécutif. Jair Bolsonaro accueilli triomphalement dans le Nord-Est au début d'août 2020. La seconde partie du mandat sera donc sociale et dépensière. Pour le social, l’objectif est annoncé : la création du "RSA" Renda-Brasil. Avant que ce dispositif soit effectivement mis en route, pour ne pas désespérer les périphéries urbaines, il est impératif de pérenniser l’allocation mensuelle exceptionnelle de 600 réais. A l’origine, celle-ci devait être versée sur trois mois, d’avril à juin. Son paiement a ensuite été prolongé jusqu’en août. Les con-seillers les plus proches du Président envisagent désormais de maintenir cette allocation mensuelle jusqu’en mars 2021. Le montant serait cependant réduit à 300, voire à 200 réais par bénéficiaire. Ces conseillers ont deux objectifs. Il s’agit d’abord de faciliter la timide reprise économique qui s’esquisse depuis juin et qui serait fragilisée si les aides sociales exceptionnelles étaient brutalement abandonnées ou fortement réduites. Il s’agit encore de pérenniser la popularité acquise par Jair Bolsonaro auprès des catégories so-ciales bénéficiaires. L’administration Bolsonaro envisage ensuite d’assurer aux 66,8 millions de bénéficiaires du "coronavoucher" un revenu de base permanent. Le nouveau dispositif d’assistance Renda-Brasil fusionnerait le programme "Bolsa-Familia", une autre allocation mensuelle par enfant versée sous condition de ressources et le complément de revenu annuel fourni aux salariés les plus modestes. Ces divers mécanismes concernent déjà 45 mil-lions d’allocataires. Il faudrait ajouter les 21,8 millions de bénéficiaires de l’actuel "corona-voucher". Sur la base d’un montant mensuel (déjà évoqué) de 300 réais, cela signifie une injection dans l’économie de 240,5 milliards de réais…. Et une dépense supplémentaire significative pour un budget fédéral déjà très contraint….Si la transition entre les méca-nismes exceptionnels des revenus mis en place avec la crise sanitaire et la mise en œuvre de Renda-Brasil s’opère sans heurt, la relance de l’économie devrait être assurée. Après avoir créé en un temps record un des plus importants dispositifs de soutien social du monde, Jair Bolsonaro garantira alors pratiquement sa réélection en 2022. A suivre : La reprise d'un très vieux film. [1] Une étude d’opinion réalisée au début d’août 2020 par le site spécialisé PoderData montre que 45% des personnes interrogées approuvent la gestion du gouvernement Bolsonaro, contre 41% à la fin juin. Le taux de rejet est passé dans le même temps de 50% à 45%. Le taux d’approbation s’élève à 52% chez les personnes recevant l’allocation spé-ciale de 600 réais (environ 90 euros) versée pendant la crise sanitaire par le gouver-nement fédéral aux travailleurs du secteur informel, généralement sans contrat de travail, privés de revenu en raison des mesures de confinement prises par les gou-verneurs des Etats fédérés et les maires, des mesures très critiquées par le Président Bolsonaro. [2] Depuis Juin, Jair Bolsonaro s’est "rangé". Il a abandonné une posture agressive, la stra-tégie de mise en tension des institutions qu’il avait privilégiée depuis le début de son mandat. L’ancien capitaine cherche désormais à élargir sa base d’appui au Congrès en s’associant aux partis du marais, le fameux "centrão"…Un autre facteur l’a aidé à retrouver la faveur des sondages : la durée de la pandémie. Au début de la crise sanitaire, en mars, nul ne pouvait imaginer que la moyenne des décès enregistrés sur 24 heures at-teindrait quatre mois plus tard plus de 1000 personnes et génèrerait un climat pesant d’angoisse collective. A l’époque, Bolsonaro affichait une posture clairement négation-niste (le covid-19 était une "petite grippe"), dénonçait les mesures de confinement et de distanciation sociale imposées par les gouvernements des Etats fédérés. La propagation continue de la pandémie dans le pays, le nombre de plus en plus élevé de victimes fatales ont conduit des secteurs importants de la population à passer de la stupéfaction à l’indifférence. Ces mêmes groupes ont peu à peu considéré que les mesures de distanciation sociale ne servaient finalement à rien ou étaient sans impact significatif puisque le virus continuait à avancer. [3] Selon le sondage de PoderData cité plus haut.

  • L'armée au pouvoir ? (5)

    Scénarios pour les militaires (seconde partie). Depuis quelques mois, les officiers généraux réformés, réservistes ou de l’active qui intè-grent son gouvernement sont à la manœuvre pour sauver le soldat Bolsonaro. La crise politique s’est dramatiquement aggravée cette année, largement alimentée et entre-tenue par un Président qui a cherché à maintenir un climat de tensions et de belli-gérance dans ses relations avec les autres institutions de la République. Pendant les premiers mois de la crise sanitaire, les déclarations répétées du Chef de l’Etat sur les morts provoquées par le covid-19 ont été odieuses ou déplacées. A aucun moment, il n’a su manifester une capacité minimale de faire face au drame et de mettre en œuvre une réponse à la hauteur de la catastrophe. Entre mars et mai, pratiquement tous les dimanches, en participant directement ou indi-rectement à des manifestations organisées par ses supporters les plus radicaux, l’ancien capitaine a encouragé les attaques contre le Congrès et l’Institution judiciaire. Si le Pré-sident s’appuyait sur une large majorité parlementaire et n’était pas concerné par plu-sieurs informations judiciaires en cours, cette conduite serait déjà problématique. Elle ap-paraît comme suicidaire lorsque l’on prend en compte les nombreuses enquêtes lancées depuis deux ans et qui touchent de près ou de loin le chef de l’Etat (voire l’article : Le clan Bolsonaro, ses disciples et la Justice, posté sur ce site le 6 juillet dernier). Pendant la campagne de 2018, Jair Bolsonaro a vendu des illusions. Il s’est présenté comme le héros du combat contre la corruption alors qu’il savait ce qui se passait dans son propre cabinet de député et dans ceux de ses fils. Il a pu tromper son monde jus-qu’en avril dernier, lorsque l’ancien juge Sergio Moro, ministre de la Justice, a été con-traint de démissionner. Les projets de lutte contre la criminalité et la corruption conçu par ce dernier ont été abandonnés. Le chef de l’Etat a cherché à intervenir dans la gestion de la Police Fédérale. Il a choisi et nommé un Procureur-Général de la République chargé de démonter le dispositif dit "Lavage-express" formé par des équipes de magistrats du parquet et du siège qui combattent depuis plusieurs années avec succès le détour-nement de fonds publics, les systèmes de pots-de-vin, le blanchiment de l’argent sale. Le rêve du Président est de transformer le Ministère Public en un simple outil d’exécution de ses consignes. Obsédés par leur projet de destruction du système politico-institutionnel, de lutte contre la démocratie et de promotion d’un régime autoritaire, les bolsonaristes ont accumulé les fiascos. Le plus grave et le plus tragique a sans doute consisté à adopter une posture né-gationniste, anti-scientifique et irresponsable face à la pandémie du covid-19. La majorité de la population n’a pas suivi ces fanatiques obscurantistes. Elle a choisi les conseils des professionnels de la santé et des scientifiques. Le pouvoir judiciaire a freiné l’irrespon-sabilité du Président face la crise sanitaire. Le nombre de morts (plus de 91 000 en fin juillet) qui va continuer d’augmenter (les projections indiquent plus de 180 000 décès liés au coronavirus au début de septembre prochain) va laisser une marque profonde au sein de couches très importantes de la société. Après la démission de deux ministres de la santé (qui n’acceptaient pas le négationnisme du chef de l’Etat), le portefeuille a été confié à un général de l’armée de terre qui n’a aucune compétence en matière de santé publique. Au cours des derniers mois, les personnels civils qualifiés ont largement été remplacés par des militaires à la tête de ce département. Si ministre actuel venait à démissionner de son poste, il soulagerait sans doute ses pairs de l’armée d’active qui n’en peuvent plus de voir que leur institution soit associée à un tel désastre. Alors que le nombre de personnes contaminées a dépassé les 2,6 millions ces dernières semaines, le Président (lui-même affecté) a continué à assurer la promotion de la chloroquine et son général ministre de la santé n’a pas bronché. La liste des échecs inclut encore la politique environnementale[1], la gestion de l’écono-mie et celle de l’éducation. Le seul projet de Bolsonaro pour l’école était de remettre en cause tout ce que les gouvernements antérieurs avaient fait dans ce domaine. Après avoir testé deux ministres incompétents et chargés d’un travail d’épuration idéologique (l’école aurait été le lieu d’un endoctrinement libertaire et marxiste des scolaires), le Président a fini par se résoudre à solliciter un professionnel de l’éducation qui n’a pas encore fait ses preuves. Sur le terrain économique, après la timide récupération du début de mandat, le pays connaît aujourd’hui une récession profonde (selon le FMI la contrac-tion du PIB sur l’année serait de 9,1%). Les perspectives pour l’emploi sont inquiétantes. Au lieu de proposer une stratégie cohérente et audacieuse de réponse à la crise, le mi-nistre de l’économie se contente d’ânonner ses propositions de libéralisation de l’éco-nomie, des projets nécessaires mais inefficaces et irréalistes dans la conjoncture actuelle. Au bilan des 20 premiers mois de l’Administration Bolsonaro, il est difficile d’inscrire quelques succès, même modestes. La crise politique qui s’aggrave depuis le début de cette année peut aboutir à l’interruption du mandat. Les militaires qui entourent le chef de l’Etat et ceux qui peuplent la haute administration fédérale ne souhaitent pas que l’expérience à laquelle ils participent se termine avant terme, que le navire sombre et qu’ils soient associés à ce naufrage. Ils tentent depuis des mois d’encourager un nouveau mode de gouvernement qui pourrait empêcher un cataclysme économique et une dé-bâcle politique totale. Pour éviter que le frêle esquif Bolsonaro ne soit emporté par les tempêtes que le capitaine a déclenchées, les généraux qui l’accompagnent sont con-duits à naviguer sur les eaux les plus troubles de la politique brésilienne. Ils continuent d’avaler des couleuvres. Une opération de guerre. L’opération de sauvetage a été engagée en mai, puis renforcée à partir de juin, après l’arrestation de Fabricio Queiroz, ami du Président et ex-conseiller du fils du chef de l’Etat, le sénateur Flavio Bolsonaro. Il s’agissait pour les militaires qui sont à la manœuvre de lutter sur trois fronts simultanément. Il fallait d’abord rétablir un dialogue serein avec la Cour suprême (où plusieurs informations ouvertes visent directement le Président et ses fils). Le second front concerne les relations avec le Congrès. La priorité a été ici de ga-gner le soutien de plusieurs leaders parlementaires et de formations appartenant au centrão (voir l’article L’improbable impeachment de Jair Bolsonaro, posté le 17 juillet) afin d’empêcher toute procédure susceptible d’aboutir à une destitution (ou cassation), de protéger le clan Bolsonaro et ses nouveaux alliés contre les ardeurs des Juges. Le troi-sième front est celui des relations entre le gouvernement et les casernes. Il s’agit d’éviter que les affaires judiciaires auxquelles est mêlé le Président ne viennent affaiblir le sou-tien qu’une partie de la communauté militaire lui assure. Séance plenière à la Cour Suprême (Suprême Tribunal Fédéral). Dès le lendemain de l’arrestation de Fabricio Queiroz (18 juin), les militaires du gouver-nement ont cherché à apaiser les relations entre le chef de l’Etat et l’appareil judiciaire, en particulier avec les haut-magistrats de la Cour Suprême. Les généraux de la Prési-dence ont voulu éviter tout nouvel affrontement entre Jair Bolsonaro, ses proches et les juges de la Cour. Pour rétablir un dialogue, il a fallu d’abord que le chef de l’exécutif contraigne Abraham Weintraub, son ministre de l’éducation de l’époque, à démissionner. Weintraub avait en effet insulté publiquement la Cour suprême. Les membres de la haute instance exigeaient la sortie du gouvernement de ce bolsonariste radical avant la reprise de relations normales avec l’exécutif. Ils conduisent aujourd’hui deux enquêtes qui peuvent devenir de sérieux boulets pour l’exécutif et déboucher même sur la cassation du Président. La première concerne la diffusion de "fake-news" sur les réseaux sociaux. La seconde a trait au financement et à l’organisation de manifestations contre le régime démocratique convoquées par des proches du Chef de l’Etat. Le 19 juin dernier, sur la suggestion de militaires du Planalto, les trois membres du gouvernement (le Ministre de la Justice, le Ministre en charge du secrétariat général et celui qui occupe le poste d'avocat général de l'Union, chargé de défendre les intérêts juridiques de l’Etat fédéral) se rendaient à São Paulo pour y rencontrer à son domicile le haut magistrat Alexandre de Moraes. Au sein de la Cour suprême, ce dernier est chargé de conduire les deux infor-mations ouvertes au sujet des fake news et de l’organisation de manifestations anti-démocratiques. Les deux enquêtes concernent des personnalités très proches du Chef de l’Etat. Elles peuvent aboutir à fournir des éléments de preuve au Tribunal Supérieur Electoral (TSE) qui instruit de son côté des plaintes concernant l’organisation de la campagne de Bolsonaro et son candidat à la vice-présidence. Retour à la "vieille politique". Il faut oublier l’image construite par Bolsonaro avant et après l’élection de 2018. En nom-mant l’ancien juge Sergio Moro au poste de Ministre de la Justice, le Président élu voulait apparaître comme le grand pourfendeur de la corruption, le combattant résolu de la politique traditionnelle, souvent associée au clientélisme, aux échanges de faveur, à la distribution de pots de vin, à ce jeu licite ou illicite que l’on désigne au Brésil sous le terme de "physiologisme". A l’époque, les formations dites du centrão et leurs leaders étaient vouées aux gémonies. Lors de la convention du PSL (le Parti Social Libéral auquel appartenait alors l’ancien capitaine) réunie en juillet 2018 qui allait officialiser la can-didature de Bolsonaro, le général réformé Augusto Heleno Ribeiro[2] avait proféré une attaque violente contre le centrão désigné comme l’incarnation même de l’impunité qui régnait dans le pays. Le général exagérait à peine. Le physiologisme n’est pas la marque exclusive des lea-ders et partis du centrão. Néanmoins, au sein de ces formations du centrão, les as du "physiologisme" sont légion. Leur "savoir-faire" a souvent justifié l’ouverture d’informations judiciaires. Lorsqu’ils ne sont pas soupçonnés de trafic d’influence ou de fraude fiscale, ils sont mis en examen pour détournement de fonds publics ou ont déjà été condamnés pour corruption ou financement illégal de campagne. L’immunité parlementaire, le fait que les élus ne soient pas jugés par des tribunaux ordinaires, un secret bancaire excessif, la lenteur de la justice, les interminables recours engagés par les défenses : tous ces éléments permettent aux politiques de faire traîner ad vitam aeternam les procédures. Même lorsque les condamnations sont confirmées en seconde instance, il est très rare qu’ils accomplissent leur peine. Moins de deux ans après la victoire de Bolsonaro, c’est pourtant avec l’aval des géné-raux du gouvernement que les tractations entre l’exécutif avec les petits partis "phy-siologistes" du Congrès ont été engagés. Les négociations ont été conduites par le Mi-nistre-chef responsable du secrétariat du gouvernement, le général d’active Luiz Eduardo Ramos, épaulé par son collègue également général et aujourd’hui ministre-chef de la Maison civile, Walter Braga Netto[3]. Ces militaires sont devenus les estafettes as-surant l’organisation du marchandage que le chef de l’Etat ne peut plus éviter avec le centrão. Ils ne sont pas chargés de former avec le marais de la Chambre des députés une coalition majoritaire[4]. Il s’agit de construire un simple accord de connivence. L’objectif des militaires est d’assurer l’immunité du chef de l’Etat à la Chambre. Son mandat peut être menacé dans l’avenir par l’ouverture d’un procès en destitution (impeachment) au Sénat fédéral. Il sera brutalement interrompu si la Cour suprême (le STF) le poursuit et le condamne pour un crime commun. Aucune de ces deux pro-cédures ne peut être enclenchée sans l’aval d’une majorité des deux tiers des députés (342 sur 513 voix). Jair Bolsonaro doit donc empêcher la constitution de cette majorité qualifiée. Ses "sauveteurs" ont reçu la mission de constituer une minorité de blocage, de s’assurer le soutien d’au moins 172 élus de la Chambre. Compte tenu de l’affaiblissement de son capital politique, de la stratégie d’affrontement des institutions qu’il a privilégiée dans un premier temps, de la méfiance de nombreux leaders du centrão rétifs, le prix que doit dorénavant payer le chef de l’Etat pour se blinder à la Chambre est très élevé. Séance plénière de la Chambre des Députés. Il faut d’abord offrir à ces partis "physiologistes" des postes au sein de l’exécutif, de la haute administration et des entreprises publiques. Il s’agit de céder des places-clés à des leaders politiques qui ne s’identifient en rien avec la croisade idéologique conduite par les militants de la droite extrême qui occupent ou occupaient hier encore les porte-feuilles de l’éducation, des affaires étrangères ou de l’environnement. En juin dernier, l’ancien ministre de l’éducation a été contraint de démissionner. Il est remplacé par un pasteur presbytérien relativement modéré et qui plait au centrão. Les partis du marais ont également sollicité et obtenu la création d’un nouveau ministère chargé de contrôler la communication du gouvernement, jusqu’alors gérée par des militants d’extrême-droite radicaux. Sur les prochaines semaines ou les prochains mois, deux ministres bolso-naristes de stricte obédience pourraient être contraints d’abandonner leurs portefeuilles : Ernesto Araujo (affaires étrangères) et Ricardo Salles (environnement). Au-delà du jeu de chaises musicales introduit au niveau ministériel, d’autres distributions de postes ont lieu et vont être effectuées au sein des cabinets, des directions d’administrations centrales et des compagnies d’Etat. Cet effort ne suffit pas. Pour séduire les partis et leaders "physiologistes", il faut sans cesse tenter d’apaiser des appétits insatiables. Le chef de l’Etat et son gouvernement gèrent donc la libération des crédits budgétaires en tenant compte des intérêts des parlementaires intégrant la minori-té de blocage et qui ont besoin d’être régulièrement récompensés. Ainsi, l’en-veloppe financière destinée à concrétiser le soutien fédéral aux efforts conduits par les Etats fédérés et les communes dans la lutte contre le covid-19 a été gérée selon des critères de pur marchandage politicien. Les régions et les actions soutenues ont été celles qui intéressent directement les élus du centrão et les populations de leurs circons-criptions. Convergences d’intérêts. Postes offerts, crédits libérés en urgence ne constituent plus des faveurs suffisantes pour rassasier les partis physiologistes. Ces derniers exigent aussi et surtout que le Président s’aligne totalement sur leur objectif principal : ne pas être "incommodés" par des juges trop vertueux qui leur feraient la vie dure, les condamneraient et pourraient mettre fin à leurs "brillantes" carrières. Entre les intérêts politiques et personnels des élus du centrão et ceux du chef de l’Etat, la convergence est devenue plus évidente et plus palpable ces derniers mois. A court terme, Bolsonaro comme ses alliés de circonstances doit se pro-téger des audaces des juges. Ces dernières années, avec l’opération anti-corruption lavage-express [5], trop de magistrats ont cru que la loi valait désormais pour tous, que l’ancien régime s’effondrait et que les privilèges étaient abolis. En février 2016, alors que l’opération en question battait son plein, la Cour suprême adoptait par un vote très serré (six contre cinq) une jurisprudence selon laquelle une personne peut être emprisonnée avant l’épuisement de tous ses recours si sa condam-nation a été confirmée en appel (seconde instance). Grâce à cette décision, pour la pre-mière fois dans l’histoire judiciaire du pays, plusieurs dizaines de responsables politiques et d’hommes d’affaires condamnés dans le cadre de lavage-express ont effectivement été incarcérés. En octobre 2019, les mêmes haut-magistrats mettaient fin à cette jurisprudence et affir-maient que la peine ne pouvait être appliquée lorsque d’autres recours restent en sus-pens. Immédiatement après, des parlementaires ont proposé un amandement constitu-tionnel qui imposerait définitivement le principe de l’exécution de la peine dès la condamnation en seconde instance. Cet amendement pourrait être adopté au cours du second semestre 2020. Cette adoption précipiterait l’incarcération de dizaines de parle-mentaires et de responsables politiques condamnés mais qui jouent sur les recours pour continuer à ignorer les rigueurs de la Justice. Sur ce dossier, les intérêts de la famille Bolsonaro et de nombreux élus du centrão se rejoignent. Dès la fin de l’année passée, le Président a fait savoir qu’il n’était pas favorable à ce projet d’amendement. Ce signal de solidarité envoyé au élus et formations physiologistes n’aura pas été isolé. En début de mandat, le chef de l’Etat avait placé sous l’autorité de son ministre de la Justice (à l’époque Sergio Moro) le service de renseignement et de lutte contre les cir-cuits financiers clandestins et le blanchiment d’argent, le COAF [6]. Sur les premières années de l’opération Lavage-express, la transmission par le COAF de documents sensi-bles à la Justice avait considérablement facilité les procédures d’enquête et la réunion de preuves permettant des inculpations et des condamnations. C’est encore que la base d’informations réunies par le Conseil que la Justice a ouvert dès 2018 une information sur Flavio Bolsonaro. En prenant l’initiative de confier à Sergio Moro une tutelle directe sur le Conseil, le Président récemment investi voulait consolider son image de pourfendeur de la corruption. En août 2019, il retirait au Ministère de la Justice toute compétence sur le fonctionnement du COAF qui devenait un simple service technique de la Banque Centrale. Un peu plus tard, le chef de l’Etat sanctionnait une loi dite d’abus d’autorité qui prévoit des sanctions pour les agents publics (y compris les magistrats et les procureurs) qui peuvent désormais être inculpés et condamnés s'ils font du zèle. Un mois plus tard, le président désignait comme futur Procureur Général de la République Augusto Aras, un juriste qui n’était pourtant pas candidat au poste. Ignorant une tradition établie (le chef du Ministère Public Fédéral est choisi au sein d’une liste de trois candidats fournie par l’association nationale des procureurs), Jair Bolsonaro a préféré faire appel à un homme connu pour son peu d’enthousiasme à l’égard des juges de Lavage-Express. Depuis sa nomination, A. Aras ne cesse de multiplier les initiatives pour affaiblir le travail de ces magistrats [7]. Ces initiatives présidentielles ont déjà raffermi les liens entre l’exécutif et le centrão. Des intérêts communs existent aussi dans une perspective de moyen et long terme. La survie politique de Bolsonaro peut garantir la survie politique des leaders et élus du centrão. En adaptant son positionnement politique (par une claire prise de distance avec les délires de ses adeptes de l’extrême-droite), le Président peut être un candidat crédible et performant aux prochaines élections présidentielles. Les partis opportunistes du centrão et leurs leaders veulent éviter à tout prix une candidature de l’ancien juge Sergio Moro, encore très populaire[8]. L’interruption avant terme du mandat de Bolsonaro renforcerait cette candidature. S’il gagnait le scrutin de 2022 en mobilisant derrière lui une droite modérée et l’électorat du centre, Moro ferait certainement adopter une nouvelle légis-lation pénale qui pourrait perturber ou mettre fin à la carrière des politiciens "physio-logistes"… Mission ingrate, réussite incertaine. Pour assurer le sauvetage du soldat Bolsonaro, d’anciens militaires de haut rang se sont engagés dans la vieille politique, dans ce jeu où tout est négociable et tout se négocie, où l’on échange un soutien politique plus ou moins durable contre des largesses licites…ou illicites. Au sein des casernes et des Etats-majors une telle implication suscite évi-demment la gêne, l’exaspération, voire l’indignation. L’action des officiers généraux de l’exécutif peut sérieusement égratigner l’image des forces armées auprès de la popu-lation. Les ministres issus de l’institution militaire qui organisent l’opération de sauvetage du Président ont donc dû ouvrir des pare feux. La première démarche est un effort de "clarification". Les généraux de l’exécutif veulent montrer qu’ils ne sont plus des militaires actifs mais des personnalités issues du monde de la défense. Les ministres qui appar-tenaient encore à l’armée d’active lors de leur entrée au gouvernement ont donc récemment assumé un passage dans l’armée de réserve. Ce fut le cas au début de juillet du général Luis Eduardo Ramos, ministre-chef en charge du secrétariat du gouver-nement. Au-delà des initiatives de communication, il a fallu répondre à l’irritation qui croissait au sein des casernes et des Etats-majors en montrant aux soldats que la colla-boration avec le gouvernement paie. Aujourd’hui, plus de 6000 militaires de tous grades, de l’active ou de la réserve, occupent des postes civils au sein de l’Administration fédérale. Ils n’étaient que 2765 en 2018. Outre des portefeuilles de ministres, de responsabilité au sein des cabinets et des directions de ministères, les membres des forces armées assument aussi des fonctions admi-nistratives, des missions de sécurité ou des tâches protocolaires. Le Président Bolsonaro a beaucoup recruté au sein des Etats-majors et des casernes. Il s’agit désormais de mon-trer à toutes ces recrues appelées à servir directement le pouvoir que ce service est gratifiant, que la mission est bien rémunérée. Le gouvernement Bolsonaro n’a pas seu-lement accru le recrutement militaire. Il a considérablement augmenté les rémunéra-tions dont bénéficient les soldats de tous rangs qui le servent directement. L’exécutif n’oublie pas cependant la troupe et les officiers qui continuent d’assurer de strictes mis-sions de défense. Depuis avril dernier, il met en place un dispositif d’amélioration des soldes dans les trois armes. La mission qu’assument les généraux de la Présidence et de quelques ministères est ingrate. Sa réussite est pourtant des plus incertaines. La Justice reste au Brésil une institution relativement indépendante. Les forces politiques et les leaders du centrão sont tout sauf des partenaires fiables et fidèles. Après avoir cherché ces derniers mois l’affrontement avec la Cour suprême (STF), Jair Bolsonaro a multiplié les gestes d’apaisement à partir de la fin du second semestre 2020. En juin, au cours d’une cérémonie où il rencontrait le Président du STF, il a même évoqué le climat de paix et de tranquillité qu’il souhaitait voir s’installer entre l’exécutif et la Haute-Cour. Dans un effort manifeste d’apaisement, il a fait référence à la nécéssaire harmonie qui devait s’imposer entre les différents pouvoirs de la République…Toutes ces amabilités n’ont pas changé le fonctionnement de la Cour suprême qui continue à faire son travail. Sur toutes les infor-mations ouvertes par les haut-magistrats et qui concernent le Président et ses alliés (le financement et l’organisation de manifestations anti-démocratiques, le soupçon d’inter-férence du chef de l’Etat dans le fonctionnement de la Police Fédérale, la diffusion de fake-news sur les réseaux sociaux), les investigations et les auditions se poursuivent. L’appui que le centrão est supposé apporter au gouvernement reste inconstant et imprévisible. Une distribution large de prébendes, des nominations au sein de l’Adminis-tration fédérale, la démission de l’ancien ministre de la Justice, la convergence d’intérêts qui existe entre les partis du marais et ce Président fragilisé ne suffise pas à construire une alliance. L’alignement des élus du centrão sur les positions de l’exécutif reste cir-constanciel et contingent. Les formations et les personnages de la vie parlementaire que le gouvernement souhaite enrégimenter en leur offrant postes et crédits budgétaires se comporte souvent comme des électrons libres. Ils votent des réformes proposées par l’exécutif si celles-ci sont des réformes qu’ils ont toujours défendues. Rien à voir donc avec une conversion sincère et soudaine au bolsonarisme ou à une soumission aux am-bitions présidentielles. A l’inverse, ces partis voteront contre d’autres projets du gou-vernement parce qu’ils ne se considèrent pas comme liés par un engagement avec le Président. Ce dernier peut d’ailleurs leur promettre monts et merveilles. Cela ne lui ga-rantira pas systématiquement les votes espérés. La collusion instaurée entre l’exécutif et les formations du marais n’est pas une alliance autour d’un programme intégrant des alliés au sein d’un gouvernement élargi. L'opération de sauvetage a abouti à la constitution d'une base d'appui fragile à la chambre. Source : Journal Valor Economico. C’est un accord fragile de connivence. L’activité parlementaires des dernières semaines le démontre. Le gouvernement n’est pas parvenu à réunir un nombre de voix suffisant à la Chambre des députés pour bloquer l’adoption de projets contraires à ses orientations et priorités. Interrompus depuis le début de la pandémie, les débats sur une réforme de la fiscalité ont repris à l’initiative des parlementaires et sans que le Ministre de l’économie soit invité à participer. Le grand bloc de partis de droite et du centre qui semblait s’être formé pour appuyer le chef de l’Etat avait fini par réunir 206 députés (voir le tableau ci-dessus), pour l’essentiel des élus du centrão et de formations proches de ce marais (116 sièges). En fin juillet, les responsables du Parti Démocrates (DEM) et du Mouvement Démocratique Brésilien ont annoncé que leurs formations allaient abandonner cette coalition de circonstance. Les parlementaires de ces partis qui avaient répondu à "l’appel" de Bolsonaro devront prendre aussi leurs distances. La base d’appui de Jair Bolsonaro serait donc ramenée à un groupe de 184 élus qui pourrait s’amenuiser encore davantage dans l’avenir si des partis alliés du centrão reniaient à leur tour leurs engagements d’hier. La coalition annoncée entre trois partis de la droite [9] ramènerait la base d’appui du gouvernement à 137 élus effectivement alignés sur l’exécutif…. Les militaires de haut rang qui ont choisi de soutenir Jair Bolsonaro dès 2018 ont été em-barqués dans une aventure politique qui peut être désastreuse pour l’institution où ils exerçaient hier des fonctions de commandement. En acceptent de renouer avec la vieille politique ils ont fait un choix moralement inacceptable et préjudiciable à la réputation des forces armées. Cette perte de crédibilité est un coût élevé alors que l’efficacité de la stratégie mise en œuvre n’est pas garantie. Cette stratégie peut permettre au Président de conquérir des soutiens parlementaires sporadiques afin de garder la tête hors de l’eau. Elle ne suffira pas à rétablir la capacité de gouverner du chef de l’Etat. Pire : il est même possible qu’elle n’atteigne pas son objectif principal qui est de maintenir le Président à son poste. [1] La politique conduite depuis 18 mois sur la forêt amazonienne est à la fois irrespon-sable et suicidaire. Ricardo Salles, le ministre de l’environnement de Bolsonaro, a favorisé en Amazonie l’action des exploitants illégaux du bois, des spéculateurs fonciers, des or-pailleurs clandestins. Il a affaibli les organes de surveillance et de répression des crimes environnementaux, il a provoqué la ruine du Fonds Amazonie. Il a laissé des réseaux cri-minels organisés pénétrer les territoires indigènes et des espaces naturels théori-quement protégés. Cette dramatique dérive suscite aujourd’hui une extrême méfiance chez les investissements étrangers. Les fonds de pension et d’investissement de divers pays annoncent qu’ils ne financeront plus de projets au Brésil. Le négationnisme environ-nemental pratiqué par le gouvernement brésilien va coûter très cher à l’agriculture d’exportation qui pourrait perdre des marchés. [2] Le Général Heleno est aujourd’hui Ministre-chef du Cabinet de Sécurité Institution-nelle (GSI, selon le sigle en Portugais), un important service rattaché directement à la Présidence. Le GSI coordonnée à la fois les services de sécurité de la Présidence et les services de renseignement. [3] Les deux officiers généraux ont ainsi assumé une mission jadis prise en charge sous les gouvernements du Parti des Travailleurs de Lula par José Dirceu ou Antonio Palocci. [4] Cette ambition aurait été envisageable sur les premières semaines de la Présidence Bolsonaro. L’ancien capitaine avait alors un capital politique et un pouvoir de négociation avec les parlementaires. Il n’a plus ni l’un ni l’autre désormais. Il a perdu toute possibilité de rallier une majorité d’élus. Encore appréciable, sa popularité dans l’opinion a cepen-dant connu un tassement. Les conflits répétés avec le Congrès et le Pouvoir judiciaire, la gestion catastrophique de la pandémie, la démission de Sergio Moro, les affaires impli-quant le chef de l’Etat et sa famille ont fait le reste. [5] Engagée en 2013 à Curitiba (capitale du Paraná) à l’initiative des procureurs et juges fédéraux de la localité, l’opération "lavage express" a permis de prononcer des centaines de condamnations pour les chefs de corruption et de recyclage de fonds (crimes liés à des contrats surfacturés des firmes du secteur des BTP avec la compagnie pétrolière Petrobras, notamment). La liste des condamnés comprend les dirigeants de plusieurs grandes entreprises du pays et des leaders politiques membres d’une dizaine de forma-tions. La figure emblématique de cette opération qui a conduit à l’emprisonnement de l’ex-Président Lula est Sergio Moro, magistrat instructeur de lavage-express entre 2014 et 2018 et ensuite Ministre de la Justice du gouvernement Bolsonaro jusqu’en avril 2019. [6] Conseil de Contrôle des Activités Financières. [7] Le chef du Ministère public fédéral, qui a un mandat de deux ans renouvelables, doit agir en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif. Parmi ses attributions, il peut dénoncer des crimes de leurs membres, y compris le chef de l’État. [8] Pour une part significative de la population brésilienne, Sergio Moro représente le combat contre l’impunité dont bénéficiaient avant la procédure lavage-express la classe politique, les responsables de grandes entreprises et les catégories sociales les plus favorisées. [9] Le Parti Social Libéral (auquel appartenait jusqu’en début 2019 Jair Bolsonaro mais qui s’est déchiré depuis entre pro-gouvernements et opposants), le Parti Social Chrétien et le Parti Républicain de l’Ordre Social.

  • L'improbable impeachement de Jair Bolsonaro.

    Il moins connu hors du Brésil que le Président lui-même. Le Général d’armée réformé Hamilton Mourão, vice-président de la République Fédérative du Brésil, assumerait le poste de chef de l’Etat si le titulaire actuel venait à être destitué avant la fin de son man-dat (le 1er janvier 2023). Les médias et les leaders politiques brésiliens ont commencé à évoquer une procédure de destitution à l’encontre de Jair Bolsonaro pratiquement dès les premiers mois de sa Présidence, en début 2019. Dans les rédactions et les couloirs du Congrès, les journalistes et les opposants ont affirmé très tôt que ce chef de l’Etat hors norme ne terminerait pas son mandat. Bolsonaro et son vice-président devant le Congrès le 1er janvier 2019, jour de l'investiture. La situation qui prévaut depuis quelques mois semble donner raison à ces analystes et politiques. Au 15 juillet 2020, 50 requêtes en destitution avaient été présentées par de simples citoyens, des associations, des groupes d’avocats et l’ordre national des avocats lui-même, des formations politiques. Selon la constitution, chaque citoyen peut chercher à initier le processus dit d’impeachement en déposant une demande de destitution au-près de la Chambre des députés. Ces demandes de destitution sont examinées par le président de la Chambre. C'est lui qui décide de la suite à donner. S’il estime qu’une requête est pertinente, il doit la soumettre à l’examen d’une commission de députés qui doit évaluer la pétition sur la forme (conformité au droit et à la Constitution) et le fond (arguments présentés par le requérant). La commission émet alors un avis (favorable ou défavorable à l’engagement de la procédure). Cet avis fait l’objet d’un vote à la majorité qualifiée au sein de la Chambre. Pour que le processus d’impeachment démarre au Sénat, il faut qu’une majorité favorable des deux tiers des députés soit réunie (342 voix sur 513)[1]. Cette procédure peut être déclenchée lorsque le Président commet un crime de res-ponsabilité. C’est le cas lorsque celui-ci manque aux devoirs que lui impose l’exercice de son mandat, lorsqu’il ne respecte pas la Constitution et les autres pouvoirs, lorsqu’il ne respecte pas des normes de gestion des finances publiques. La demande de destitution peut concerner le comportement politique du chef de l’Etat. Elle peut aussi faire réfé-rence à sa vie privée lorsque des actes portent atteinte à la dignité de la fonction. Sur les 50 demandes d’impeachment concernant Jair Bolsonaro et déposées à la mi-juillet, 24 font référence à la participation du Président au cours des mois derniers à des mani-festations de ses partisans qui attaquaient directement les institutions parlementaire et judiciaire, exigeaient la fermeture du Congrès et de la Cour suprême (STF). Les autres requêtes sont principalement apparues après le début de l’épidémie de coronavirus. Vingt demandes considèrent que le chef de l’Etat a effectivement commis un crime de responsabilité en recommandant aux élus territoriaux et à la population de ne pas mettre en œuvre des mesures d’isolement social et en dénonçant les efforts de confinement. Selon les auteurs de ces requêtes, le Président manifesterait une grande négligence par rapport à une épidémie qui a déjà fait (au 15 juillet 2020) près de 75 000 morts. Les autres demandes font référence au comportement et à la politique conduite par le chef de l’Etat par rapport à la population indienne, aux minorités sexuelles et à la question raciale. Avant d’évoquer les raisons qui conduisent à considérer que l’ouverture d’un procès pour impeachment soit très peu probable à court et à moyen terme, il convient de souligner qu’un tel procès est autant politique que juridique. A la Chambre des députés, le vote à la majorité qualifiée qui va autoriser le Sénat à engager un procès prend en compte la vali-dité juridique de la dénonciation, les arguments présentés. Chaque député vote aussi en prenant en considération la situation politique du Président, la sensibilité de son électorat local et les mouvements d’opinion favorables ou non à la destitution qu’il peut percevoir dans son Etat d’origine. Les mêmes considérations valent pour les votes des sénateurs. Bolsonaro protégé au Congrès. En début de mandat, le Président a refusé d’ouvrir son gouvernement à des formations parlementaires de droite et du centre qui aurait pu lui permettre de constituer une majo-rité présentielle au sein du Congrès. Cet élargissement est pourtant une pratique nor-male et incontournable dans un régime de Présidentialisme de coalition au sein duquel la majorité issue du scrutin présidentiel ne correspond pas à la majorité qui se dégage après l’élection parlementaire. La construction de l’alliance de formations qui soutiendra au Congrès l’exécutif peut résulter de l’élaboration négociée d’un programme commun de gouvernement. Lorsque les partis concernés et le chef de l’exécutif ne parviennent pas à s’entendre sur un programme, la coalition de forces qui appuiera le gouvernement peut être construite en utilisant des logiques de marchandage politicien et d’échanges de faveurs. Le présidentialisme de coalition devient alors un présidentialisme de coopta-tion : l’exécutif "achète" l’appui de partis disposés à le soutenir et propose à leurs diri-geants et parlementaires des avantages très concrets en termes de nominations, de titres, de postes de prestige au sein du gouvernement, de l’Administration fédérale et des directions d’entreprises publiques. Il peut aussi s’engager sur des projets et sur la libé-ration de crédits budgétaires qui intéressent directement les élus sollicités en raison des retombées attendus dans leurs circonscription (c’est le pork barrel politics pratiqué dans bien des démocraties avancées). Incapable de composer une majorité autour d’un programme négocié, Jair Bolsonaro a aussi refusé de pratiquer ce jeu désigné au Brésil sous le terme de physiologisme : l’échange d’un soutien politique contre des avantages licites ou illicites qui commande fréquemment les relations entre le gouvernement et les partis, l’exécutif et le législatif, le niveau fédéral et celui des Etats. Souvent levier de la corruption, du détournement de fonds publics, de la prévarication, le physiologisme est dépourvu de tout contenu et identité idéologique. Les personnalités et les partis qui s’y adonnent manifestent une ex-ceptionnelle compatibilité avec toutes les sensibilités politiques. Ce physiologisme (généralement légal) est assumé le plus sereinement du monde par un grand nombre de partis politiques sans identités définies et disposant de sièges à la Chambre des députés et au Sénat. Ces partis (ou fractions à l’intérieur de partis) fournis-sent leur appui à n’importe quel exécutif dès lors qu’ils obtiennent en contrepartie des avantages politiques et financiers. Le MDB (Mouvement Démocratique Brésilien) est un des champions historiques du physiologisme : Il a figuré dans toutes les majorités gou-vernementales depuis trente ans. En général, les formations physiologistes sont créées autour de leaders politiques expérimentés, vieux routiers de la vie parlementaire, dispo-sant d’une clientèle solide et ancienne dans leurs régions d’origines. Ces barons ou caciques ont contribué dans leurs régions à faire élire plusieurs parlementaires de la Chambre et du Sénat qui sont ainsi devenus leurs vassaux. Ces vassaux suivent leurs suzerains. Les leaders et les partis qui pratiquent ce physiologisme forment au sein du Congrès ce que l’on désigne sous le terme de centrão, une sorte de marais organisé autour de caciques de la politique (qui ont apporté leur concours à la formation de nombreuses majorité) et de leurs vassaux. Aujourd’hui, à la Chambre des députés, les 6 partis qui forment ce centrão représentent ensemble 169 sièges, soit le tiers des élus. Réunis, ils disposent d’une forte capacité d’influence au sein de l’institution et dans les relations de celle-ci avec l’exécutif [2]. Bolsonaro s'est présenté avant et après son élection comme l'ennemi juré de cette pratique féodale et physiologique de la politique qui favorise les pratiques illégales, la corruption, le clientélisme, la soumission de l'Etat et de la vie publique à des intérêts privés. Pourtant, ces derniers mois, la crise du système politico-institutionnel s’aggravant, l’hypothèse d’une destitution devenant plus concrète, c’est vers ce centrão que le Prési-dent s’est tourné. Il est allé chercher les parlementaires et les leaders du Congrès les plus expérimentés. Le rapprochement n’est évidemment pas resté au stade de la pala-bre. Il a fallu offrir des postes ministériels, confier à des leaders de partis auparavant mé-prisés la responsabilité de coordonner une nouvelle majorité présidentielle, concéder des postes au sein des directions de ministères, d’organes fédéraux et d’entreprises pu-bliques. Pour séduire le centrão, il a fallu que le Président prenne ses distances avec les idéologues d’extrême-droite et les militaires qui formaient l’essentiel de sa garde rap-prochée. Il a fallu qu'il oublie son discours moralisateur... Pour élargir sa base de soutien au Congrès, l’ancien capitaine a choisi des profession-nels du physiologisme qui disposent d’une grande capacité d’influence au sein des deux chambres. C’est le cas de Gilberto Kassab, un politicien-caméléon qui a su au cours des vingt dernières vendre ses services à tous les gouvernements quelles que soient leurs orientations. Il préside aujourd’hui le Parti Social-Démocrate, une formation opportuniste représentée à la Chambre par 35 députés. Kassab est très proche du député Arthur Lira, leader du Parti Progressiste, une formation également sans orientation politique bien arrêtée. Après avoir été élu municipal puis député de son Etat, A. Lira en est à son troisième mandat de député fédéral. En trente ans de carrière politique, il aura changé 5 fois de parti. Aujourd’hui, à la Chambre, il est considéré comme le leader d’un rassem-blement de 10 partis du marais qui détiennent ensemble 202 sièges. En quelques mois, sensible aux offres de Bolsonaro, Lira est parvenu à convaincre 129 parlementaires de ces dix formations de l’intérêt qu’il y avait à soutenir l’ancien capitaine. A ce premier recrutement est venu s’ajouter un groupe de 43 élus pourtant considérés comme pro-ches du Président de la Chambre Rodrigo Maia. Enfin, après avoir quitté brutalement la formation qui l’avait soutenu lors de son élection, le chef de l’Etat s’est rapproché du Parti Social Liberal. Sur les 53 députés de l’organisation, 34 auraient décidé de revenir vers leur ancien leader. Au total, la nouvelle coalition qui appuierait Bolsonaro dans l’hypothèse de l’ouverture d’une procédure d’impeachment regroupe 206 parlementaires…..Pour bloquer l’ouverture d’une telle opération, il suffit qu’une minorité de 172 députés s’y opposent. Le rapprochement entre l’exécutif et le centrão a déjà conduit à la nomination de nou-veaux ministres. Gilberto Kassab a ainsi suggéré la création en avril dernier d’un ministère de la communication, dirigé par un de ses amis, Fabio Faria, également membre du PSD. Faria a repris en main la communication de l’exécutif. Il s’efforce de diminuer les tensions avec la presse et d’encourager le Président à réduire le nombre de ses déclarations polémiques qui ont provoqué une crise politique après une autre ces derniers mois. En juillet dernier, pour ne pas déplaire au centrão, Bolsonaro a choisi comme ministre de l’éducation (après moultes péripéties) le pasteur Presbytérien Milton Ribeiro, une person-nalité relativement modérée qui va remplacer A. Weintraub, précédent titulaire du poste. Weintraub est un militant bolsonariste d’extrême droite fanatique [3]. L’association avec le centrão doit permettre aussi au Chef de l’Etat de réaliser une autre opération. En février 2021, les députés devront élire le prochain Président de la Chambre. Pour renforcer ses chances de terminer normalement son mandat, Bolsonaro estime qu’il faut absolument éviter une réélection de Rodrigo Maia, le titulaire actuel du poste. Arthur Lira est le candidat que l’exécutif est décidé à appuyer et à faire gagner. Avec un groupe de 206 députés ralliés, le chef de l’Etat peut provoquer la défaite de Maia et faciliter l’élection de Lira. S’il parvient à ses fins, Jair Bolsonaro pourra compter sur un allié à la tête de l’institution, un fidèle qui saura garder dans ses tiroirs les demandes en desti-tution qui lui parviendraitent dans l’avenir. Ce blindage du Président par le centrão n’est cependant pas un acquis stable. La fidélité de ces petits partis à l’exécutif qu’ils sont supposés soutenir est de plus versatiles. Les parlementaires qui connaissent bien les "usages et les coutumes" du Congrès, soulignent souvent que le centrão ne s’achète pas, il se loue. Le montant du loyer varie en fonction de la situation politique dans laquelle se trouve le locataire. Si Bolsonaro continue à s’affaiblir politiquement dans les prochains mois, le tarif peut augmenter, à moins que le bailleur ne le lâche. Mai 2020 : le Président reçoit des parlementaires du centrão pour un petit-déjeuner. Un socle de popularité encore solide. Le second obstacle à la mise en œuvre d’une procédure d’impeachment à l’encontre du Président est le capital de popularité dont il bénéficie encore auprès d’une part signi-ficative et relativement stable de l’opinion. Tous les sondages, enquêtes et investigations réalisées au cours des derniers mois (avant et après l’expansion de l’épidémie de Covid-19 au Brésil) montrent que l’action du chef de l’Etat est considérée comme bonne ou très bonne par un secteur qui représente de 25 à 30% de la population. L’ancien capitaine de l’armée de terre a pourtant manifesté depuis 20 mois un exception-nel talent pour dilapider un capital politique appréciable acquis dans les urnes. Il n’a pas cessé de susciter des conflits avec les autres institutions. Face à la pandémie du covid-19 il aura affiché une irresponsabilité totale, contribuant sans doute à la propagation du virus et à l’accroissement du nombre de victimes. La moitié des Brésiliens considère aujour-d’hui son gouvernement comme mauvais ou très mauvai. Dans les dernières enquêtes d’opinion réalisées en juillet 2020, le pourcentage des personnes interrogées favorables à une destitution tournait autour de 55%. Reste que Bolsonaro a conservé un socle de popularité relativement constant sur les derniers mois. Comment expliquer un tel phénomène ? L’allocation d’urgence versée depuis mars aux populations les plus modestes a permis au Président de conquérir la sympathie d’une partie des bénéficiaires. Ce mouvement d’opinion favorable a compensé l’affaissement du soutien des classes moyennes. Le chef de l’Etat conserve par ailleurs l’appui de 15% des Brésiliens qui appartiennent à l’extrême-droite ou à une droite très conservatrice sur l’échiquier politique. Ce "cluster" fidèle milite en faveur de la rupture avec la démocratie, exige la fermeture de la Cour suprême et du Congrès. Il est favorable à l’instauration d’une censure sur la presse, considérée comme l’instrument d’un complot ourdi par un communisme rampant. Il approuve la conduite du Président depuis le début de la crise sanitaire. Ce secteur de l’opinion n’accorde guère de crédit à la science et pré-fère adhérer à toutes sortes de croyances ou de rumeurs circulant sur la toile, notam-ment celle selon laquelle le covid-19 serait un mythe ou une pathologie surestimée par des médias qui feraient feu de tout bois pour affaiblir le pouvoir bolsonariste. Ces éléments ne sont pas suffisants pour que le Chef de l’Etat parvienne encore à béné-ficier de la sympathie de près d’un Brésilien sur trois. Il faut ici ajouter aux considérations précédentes deux éléments essentiels. Les personnalités politiques connues à l’échelle nationale et auxquelles de larges secteurs de l’opinion peuvent s’identifier ne sont pas nombreuses. A l’aune de ces critères, le seul rival de Bolsonaro serait Lula, très discret sur les derniers mois. Le Président affiche un style sans finesse. Il apparaît comme un rustre, souvent grossier. Il ne cache guère un conservatisme extrême sur le terrain des mœurs. Il ne cesse de dénoncer un "establishment" qui encouragerait le délitement des liens sociaux traditionnels, laisserait la délinquance et la criminalité se développer. Au sein des classes moyennes fragilisées et des couches les plus modestes, toute une po-pulation se raccroche aux valeurs de la famille, du respect de l’ordre et de la discipline. Elle fréquente souvent les temples des églises évangéliques ou des paroisses catho-liques. Effrayé par l’augmentation de la violence, la corruption omniprésente, l’effon-drement des structures familiales classiques, la libéralisation des mœurs, ce monde rejette un système politique qui semble incapable de répondre à ses inquiétudes. Avec ses plaisanteries tendancieuses, son goût de la provocation, son apparence d’ours mal léché, une rigidité mentale affichée, ses dénonciations répétées d’une "élite", Bolsonaro apparaît comme le porte-parole de ces oubliés. Certes, son crédit politique s’est nettement érodé avec le départ du gouvernement de l’ancien juge Sergio Moro (figure emblématique de la lutte contre la corruption) et depuis le début de l’épidémie. Son manque d’empathie avec les victimes du virus, son attitude irresponsable ont conduit des bolsonaristes à douter de ce Président qu’ils adulaient avant la crise sanitaire. Cette érosion reste cependant limitée en raison de la pauvreté de l’offre politique. Pour l’importante frange de l’électorat conservateur (y compris au sein des milieux populaires), il n’existe pas aujourd’hui d’alternative à Bolsonaro. Il n’existe pas de figure charismatique qui pourrait rivaliser avec l’ancien capitaine. Hier, Lula incarnait le personnage du leader messianique capable de mobiliser un électorat populaire. Cette aura s’est affaiblie. Au sein des couches défavorisées qui ont choisi Jair Bolsonaro en 2018, le rejet du Parti des Travailleurs reste puissant et les rares personnalités politiques qui émergent au centre de l’échiquier ne suscitent guère d’enthousiasme. Faute de mieux, ces électeurs sont contraints d’appuyer encore ce Président obtus qui occupe un vide. Dans ces conditions, destituer Jair Bolsonaro serait substituer à la situation politique délicate actuelle une autre situation tout aussi difficile, voire pire. Le procès entraînerait la radicalisation d’un électeur sur trois, d’une frange de la population très mobilisée, capable de tous les débordements et de violences pour défendre celui qui serait présenté comme un martyr, la victime de "l’establishment" et du "système"….Destinataire de 50 requêtes en faveur de l’impeachment, le Président de la Chambre des députés prend en compte ce que serait très certainement l’après-impeachment…Bolsonaro est aussi protégé par les divisions qui persistent au sein de l’opposition. Paradoxalement, dans la conjoncture qui prévaut depuis la crise du Covid-19, l’épidémie et la propagation du virus protègent le chef de l’Etat. Les mesures de confinement, l’inquiétude suscitée par la situation sanitaire et les conséquences sociales de la crise sanitaire dessinent une situation totalement défavorable à une mobilisation de la majorité des Brésiliens qui rejettent le Président. Si une telle mobilisation existait dans l’espace public, elle pourrait convaincre les députés hésitants (et d’importants secteurs du centrão) qu’ils assureraient mieux leur avenir électoral en s’alignant sur ce mouvement qu’en maintenant leur soutien à un chef de l’Etat très fragilisé. L’opposition des militaires. Un dernier élément qui n’est pas le moindre rend très improbable l’ouverture d’une pro-cédure de destitution à court terme. Avec un impeachment et l’investiture du général Mourão comme chef de l’Etat, la présence de militaires au sein de l’exécutif serait main-tenue et certainement renforcée. Pourtant, le Vice-Président lui-même et les officiers généraux membres du gouvernement actuel ne paraissent guère enthousiasmés par cette perspective. Le général Mourão et ses pairs savent en effet qu’avec la suspension du Président élu pendant le procès (180 jours), ils auraient à affronter une situation très difficile et devraient assumer directement la responsabilité de la conduite de l’Etat. Imaginons en effet que la procédure en destitution soit initiée à la fin de l’hiver austral, à partir de septembre ou octobre. Un gouvernement presqu’intégralement formé de mili-taires ou d’anciens officiers généraux auraient à gérer à la fois : - Une situation politique difficile marquée par la mobilisation des bolsonaristes qui n’hé-siteraient probablement pas à accuser les militaires de l’exécutif d’avoir accepté la suspension de leur chef de file, de l’avoir trahi et d’usurper la fonction présidentielle. - Une situation économique et sociale qui sera très délétère au moins jusqu’en 2021. Sur l’année en cours, le PIB devrait chuter de 9%. L’industrie va connaître un effondrement de l’activité. L’élévation du chômage, la dégradation des revenus des travailleurs informels, la crise des finances publiques locales et l’aggravation du déficit fédéral vont composer une conjoncture très délicate. - Sur le front sanitaire, si l’on retient les prévisions actuelles, la période septembre-octo-bre devrait connaître un reflux de l’épidémie. Selon les projections disponibles, le nombre de décès provoqués par le covid-19 pourrait dépasser 166 000 au début d’octobre. Les polémiques suscitées dès aujourd’hui par la conduite actuelle de la politique de santé fédérale (à laquelle les militaires sont directement associés puisque le ministre de la santé par interim est un général) prendront une tournure plus problématique encore et le président par intérim et son entourage d'officiers généraux devront endosser la respon-sabilité d’un bilan qui s’annonce catastrophique. La plupart des militaires qui ont été intégrés au gouvernement Bolsonaro et se retrou-veraient en première ligne avec l’engagement d’un procès en destitution ne sont pas des personnalités dotées d’une longue expérience politique. Le constat vaut notamment pour celui qui exerceraient les fonctions de chef de l’Etat. Depuis quelques mois, ces militaires du gouvernement sont confrontés à une pression de leurs collègues de l’active. Les Etats-majors ne veulent pas que les forces armées connaissent une dégradation de leur image auprès de la population en raison de l’association de quelques militaires au gouvernement Bolsonaro. Ils seraient vraisemblablement conduits à prendre encore davantage de distances si à la tête de l’Etat un civil venait à être remplacé par un général d’armée réformé qui a réalisé l’essentiel d’une longue carrière comme officier de l’armée d’active. En résumé, l’ouverture d’une procédure de destitution à l’encontre de Jair Bolsonaro semble aujourd’hui (juillet 2020), assez improbable. La situation peut cependant changer au cours des prochains mois et à partir de 2021. [1] La suite des opérations se déroule au Sénat. Les parlementaires de la Chambre haute votent d’abord à la majorité simple (41 voix sur 81) le lancement ou non du procès en destitution. Si le lancement est décidé, le Président est temporairement suspendu de ses fonctions pour une durée maximale de 180 jours, temps pendant lequel le procès a lieu au Sénat sous la direction du Président de la Cour Suprême fédérale (le STF). Sur la période, le Vice-Président de la République assume par intérim le poste de Président. En fin de procès, si une majorité de deux-tiers des sénateurs (54 sur 81) vote en faveur de la destitution, l’impeachment est définitif. Le vice-président assume alors les fonctions présidentielles jusqu'à la prochaine élection. A l’inverse, en l’absence de majorité quali-fiée, le Président reprend ses fonctions jusqu’à la fin de son mandat. [2] Au Sénat, les 6 partis qualifiés ici de physiologistes disposent de 22 sièges. A la Cham-bre des députés, les acteurs de premier plan sont les leaders des formations politiques et les autres députés forment une troupe relativement soumise aux orientations et direc-tives des leaders. Au Sénat, chaque élu a plus d’autonomie. Les sénateurs qui n’occupent pas de fonctions particulières (leader de parti, membre du bureau, rapporteur de commission, etc…) peuvent s’affirmer et adopter une ligne de conduite indépendante. Cette situation rend difficile la constitution d’un groupe de parlementaires qui serait mo-bilisable comme le sont les députés du centrão. Le sénateur d’un parti ne va pas soutenir le gouvernement parce qu’un parlementaire de son parti a été nommé à un poste au sein de l’exécutif. En avril dernier, le député fédéral Fábio Faria (du Parti Social-Démocrate, PSD) a été nommé Ministre de la Communication. Cela n’a pas empêché le leader du PSD au Sénat de déclarer qu’il continuerait à adopter une position critique à l’égard du gouvernement. Le soutien d’une majorité au Sénat n’est d'ailleurs pas une priorité pour Bolsonaro. Le Président privilégie la constitution d’une base d’appui à la Chambre des députés. D’abord parce que c’est à la Chambre qu’est approuvée ou non une demande en destitution. Ensuite parce que le Chef de l’Etat veut affaiblir son grand rival Rodrigo Maia, le Président actuel de l’institution, et empêcher sa réélection en février 2021. [3]Lors de son bref passage à la tête du Ministère de l’éducation (entre avril 2019 et juin 2020) il s’est surtout fait remarquer par son ambition d’utiliser ce poste pour imposer des idées ultra-conservatrices sans laisser à ses successeurs l’ébauche d’un projet qui réponde aux vrais défis du secteur.

  • Bolsonaro sur les pas de......Lula.

    Il y avait déjà la gestion catastrophique de la crise sanitaire par l’exécutif fédéral. Il y a une crise politique qui s’est aggravée au fil des derniers mois et que le gouvernement Bolsonaro n’a cessé d’alimenter. Il y a maintenant les démêlés judiciaires de la famille et de la militance bolsonariste. Sur l’affaire dite Queiroz (voir l’article "Le clan Bolsonaro, ses disciples et la Justice" en rubrique Actualités du Brésil), les investigations des Juges con-cernent directement les fils du Chef de l’Etat, voire ce dernier lui-même. Encore absent des commentaires il y a six mois, la question de la destitution du Président (impea-chment en bon Portugais) est désormais clairement évoquée. Les militaires membres du gouvernement montrent chaque fois qu’ils le peuvent qu’ils n'approuvent pas toutes les aberrations oratoires, comportementales et politiques dont Jair Bolsonaro a le secret. Leurs collègues qui sont en situation de commandement laissent entendre qu’ils ne seraient pas les associés d’un putsch ou d’une autre forme de rupture institutionnelle destiné à sauver ce Président fragilisé. Dans ce contexte nouveau et préoccupant pour la suite de son mandat, l’ancien capi-taine semble avoir opté pour une stratégie de survie. Railleur, provocateur, habituelle-ment prompt à profiter de tous les micros à sa portée, le Président est devenu plus silen-ciaux depuis la fin juin. La presse brésilienne évoque un "Bolsonaro paz e amor", repre-nant une expression surgie à propos de Lula lorsque ce dernier avait considérablement adouci son image de révolutionnaire agressif à la veille du scrutin présidentiel de 2002. Le chef de l’Etat actuel ne brandit plus la menace de rupture institutionnelle et de coup de force militaire, une de ses harangues préférées depuis le début du mandat. Soudain, la priorité de l’Administration fédérale est devenue l’assistance aux groupes de la popu-lation les plus pauvres. Le 30 juin, Jair Bolsonaro a annoncé la prolongation du dispositif d’aide d’urgence pour deux mois supplémentaires (juillet et août). Lancé au début de l’épidémie de Covid-19, le système a permis de verser une allocation de 600 réais par mois pendant la période avril-juin aux travailleurs de l’économie informelle, aux béné-ficiaires du dispositif Bolsa-Familia[1] et aux personnes à bas revenus. Au total plus de 59 millions de Brésiliens (souvent privés d’activité en raison de la crise sanitaire) ont pu bé-néficier de l’allocation. Pour juillet et août, la prestation totale devrait atteindre 1200 réais mais les versements seront effectués en trois étapes. Le Trésor devra assumer une dé-pense supplémentaire de 100 milliards de réais, le double de ce qu’avait envisagé dans un premier temps le Ministère de l’économie. Ce dernier avait prévu une prolongation mais annoncé des allocations d’un montant plus faible. La prodigalité présidentielle ne procède pas d’une générosité soudaine. C’est une néces-sité politique. Lorsque l’épidémie de Covid-19 amorcera un reflux au Brésil sur les pro-chains mois (à partir de septembre ?), le bilan de la crise sanitaire et de la politique adop-tée par le gouvernement fédéral sera établi par les médias, la population, les respon-sables politiques. Il sera catastrophique. Le nombre de personnes décédés après avoir contracté le virus devrait dépasser 110 000 au début d’août et approcher 140 000 à la fin du même mois. Le pays se retrouvera en tête de la liste des nations pour le nombre de morts liées à la pandémie. A ce bilan sanitaire désastreux, viendra s’ajouter un cata-clysme économique et social avec la progression du nombre des chômeurs, la dégra-dation probable des revenus des travailleurs informels, la plongée de la monnaie nationale, la récession. Aujourd’hui, alors que la période de reflux est encore difficile à anticiper, les protestations croissantes d’une population scandalisée par le com-portement du chef de l’Etat se limitent aux réseaux sociaux. Demain, c’est probablement dans la rue et bruyamment que des millions de Brésiliens exigeront la destitution de ce Président irresponsable. Le sous-emploi croissant, les dizaines de milliers de morts, l’économie en panne, la corruption (voir l’article cité ci-dessus) seront associés au nom de Jair Bolsonaro. A Brasilia, depuis des semaines, l’exécutif phosphore. Comment le Président pourrait-il éviter un tel piège ? Le chef de l’Etat et ses conseillers ont trouvé une réponse vieille comme le populisme de tous bords au Brésil : il faut remplir le porte-monnaie des pauvres. Bolsonaro et son clan sont convaincus que s’ils rallient les couches les plus modestes de la population, les chances de destitution du président seront minimes. Les études d’opinion évaluant régulièrement l’évolution de la popularité de Jair Bolso-naro montrent effectivement que ce ralliement a commencé. Au cours des trois premiers mois de distribution de l’allocation mensuelle d’urgence (avril-juin), la composition sociale du secteur de la population favorable au Président a changé. La pandémie, la récession, l’affaire "Queiroz" ont entraîné une érosion de la popularité de l’ancien capi-taine auprès des classes moyennes du Sud et du Sud-est du pays. A l’inverse, les cou-ches les plus pauvres et les régions où les familles bénéficiaires de programmes sociaux sont très nombreuses (Nord-Est par exemple) ne font pas preuve d’ingratitude. En 2019, dans les enquêtes d’opinion, les classes les plus modestes représentaient 32% des Brésiliens qui évaluaient favorablement l’exécutif et sa politique. Depuis, le Président a maintenu une popularité nationale stable ou en léger déclin (entre 27% et 30% d’opinions favorables) mais sur 100 partisans déclarés du chef de l’Etat, 52 appartiennent désormais au secteur de la population disposant de revenus faibles ou très faibles. Pour Bolsonaro, il est essentiel de faire prospérer ou de maintenir ce capital de sympathie nouveau. Il faut donc faire du social. Lula lance le programme Bolsa-Familia en 2004. La méthode empruntée aujourd’hui par le chef de l’Etat rappelle la tactique utilisée avec succès par Lula en 2006 pour assurer sa résurrection politique. A la fin de l’hiver austral 2005, après le scandale du mensalão[2] et à un an du scrutin présidentiel d’octobre 2006, la popularité de Lula s’était effritée. Les Brésiliens qui soutenaient alors l’ancien syndi-caliste ne représentaient plus que 28% de la population, soit un pourcentage inférieur à celui des mécontents (29%). Une situation assez proche de celle qu’affronte Bolsonaro aujourd’hui (33% d’opinions favorables et 43% d’opinions défavorables). En décembre 2005, Lula se maintenait en position délicate dans les enquêtes d’opinion. Pour la pre-mière fois, il passait même en seconde position derrière son challenger (José Serra du PSDB) lorsque les sondages portaient sur les intentions de vote pour octobre 2006. Deux mois plus tard, la situation avait changé radicalement. En février 2006, le principal concurrent de Lula s’était désisté et 36% des électeurs envisageaient alors de voter pour le Président sortant. Seules 23% des sondés affirmaient rejeter cette hypothèse. Entre temps, le gouvernement fédéral avait su faire du programme Bolsa-Familia un atout électoral majeur auprès des populations les plus pauvres. Bolsa Familia a commencé à fonctionner en 2005. Dès la fin de cette première année, le programme va améliorer la vie de 5,5 millions de familles plongées dans la grande pauvreté. Il est devenu à juste titre une référence internationale. Les observateurs étrangers n’ont pas forcément perçu qu’il permettait aussi de capter le vote des bénéficiaires. Aujourd’hui, les bolsonaristes croient qu’ils peuvent répéter l’exploit en utilisant l’allo-cation d’urgence comme s’il s’agissait d’une nouvelle prestation de Bolsa Familia. Pour le chef de l’Etat et ses partisans, l’opération représente un virage stratégique impression-nant. Jusqu’au début de la pandémie, le gouvernement fédéral ne se préoccupait guère du sort des Brésiliens les plus pauvres. Il a même essayé de supprimer la prestation dite BPC, une allocation mensuelle équivalente au salaire minimum versée aux personnes de plus de 65 ans et aux handicapés et destinée à compléter des revenus très faibles. Il a aussi voulu éliminer le dispositif dit d’abono salarial, une prestation payée par l’Etat aux travail-leurs salariés les moins bien rémunérés. L’Administration Bolsonaro a par ailleurs montré sur un autre terrain et dès 2019 que la question sociale n’était pas sa priorité. Alors que les demandes de départ à la retraite au titre du régime général (émanant souvent de futurs pensionnés très modestes) connaissaient une forte hausse dès 2019, elle n’a pas renforcé les moyens humains de l’INSS, l’organisme national de gestion de ces prestations. Jusqu’en mai dernier, les files d’attentes aux portes des agences de l’or-ganisme réunissaient encore plus de 1 million de personnes. Lorsque l’épidémie de Covid-19 a touché le Brésil, ce gouvernement a voulu limiter l’allocation mensuelle d’urgence à 200 reais (40 euros) avant de se résoudre à verser 600 reais. Jusqu’en mai dernier, le Ministre de l’économie affirmait qu’il s’opposerait à la prolongation du dispositif au-delà des trois mois initiaux. Pour justifier cette réserve, il n’hésitait pas à reprendre le discours des grands bourgeois européens au début du XXe siècle qui rejetaient les premières politiques sociales. Stigmatisant les pauvres, il affirmait que le gouvernement fédéral les encouragerait à l’indolence, au confinement volontaire s’il annonçait la prolongation du dispositif à chaque trimestre. Jouissant d’un revenu garanti, les travail-leurs de l’économie informelle allaient se couler une vie douce et la mise en hibernation de l’économie durerait alors plusieurs années… Depuis juin dernier, le discours a radicalement changé. Le ministre s’est engagé à réfor-mer le programme Bolsa Familia, à le transformer en un dispositif de revenu minimum permanent et à étendre ce dernier aux millions de travailleurs de l’économie informelle… Files d'attente de bénéficiaires de l'allocation d'urgence devant une agence de la Caixa. La tactique peut-elle fonctionner ? Hélas, les conditions ne semblent pas remplies au-jourd’hui pour que Bolsonaro puisse capter le soutien des pauvres et suivre les pas de Lula. Au cours des derniers mois, après avoir fait des annonces, le gouvernement a mani-festé une extrême incompétence dans la gestion de la distribution de l’allocation d’urgence. Incapable de communiquer efficacement avec les bénéficiaires potentiels, il a suscité la formation de files d’attentes kilométriques aux abords des agences de la Caixa, la banque publique chargée de verser les prestations. La propagation du virus a ainsi été accélérée et amplifiée. L’organisme fédéral chargé de contrôler l’utilisation des fonds publics a identifié au fil du trimestre 300 000 cas de fraude. Il a même constaté que des militaires et des fonctionnaires civils comptaient parmi les bénéficiaires. Passée une pre-mière phase, le dispositif de versement a été amélioré mais trois mois après le lance-ment, les critères d’attribution de l’allocation ne sont pas encore très précis. De nouveaux allocataires apparaissent au fil du temps. Quant aux modalités de mise en œuvre du futur dispositif de revenu minimum garanti, le flou reste total. Imaginons cependant que le gouvernement devienne rapidement efficace. Une autre difficulté, majeure, devra être résolue. Lula a gouverné pendant huit ans avec une économie en croissance, portée par le cycle de hausse des cours mondiaux des produits de base. Sur les années 2005 et 2006, le PIB augmentait encore de 2,3% et de 4,2%. L’Etat fédéral a disposé pendant les années Lula de marges de manœuvre budgétaires confortables. Le mandat Bolsonaro a commencé avec une économie qui sortait à peine de la récession. Il va se poursuivre avec une économie qui vient de plonger dans la pire récession de l’histoire du Brésil. Une fois engagé le reflux de la pandémie, Bolsonaro ne sera pas automatiquement menacé par une procédure de destitution. Pour que le Congrès s’engage sur cette voie, il faut qu’il perçoive clairement un soutien populaire. En 2005 et en 2006, les forces poli-tiques qui s’opposaient à Lula n’ont pas envisagé de destitution. Il ne s’agissait pas alors de faire preuve de bonté à l’égard d’un Président fragilisé. A l’époque, aucun mouvement ne s’est dessiné dans la population pour exiger l’impeachment de l’ancien syndicaliste. Les enquêtes conduites par la Justice sur le dispositif du mensalão n’avaient alors pas permis de démontrer la responsabilité personnelle du chef de l’Etat. Les partis d’oppo-sition ne voulaient donc pas prendre le risque de lancer une procédure qui n’aurait reçu ni l’appui de la rue ni un vote majoritaire au Congrès. L’opposition actuelle au gouvernement Bolsonaro est confrontée au même dilemme. Le Congrès dispose désormais de tous les éléments pour engager une procédure d’im-peachment (il a reçu à la fin juin 48 dénonciations émanant de groupes politiques, d’orga-nisations de la société civile, de simples citoyens). Néanmoins, tant que la destitution du Président ne sera pas une revendication exprimée par la rue et ne mobilisera pas des foules, les parlementaires ne bougeront pas. De son côté, Jair Bolsonaro sait qu’il ne dis-pose pas d’une majorité solide au Congrès. Dès le début de son mandat, il a cru qu’il pourrait se dispenser d’un tel appui et qu’il suffirait pour gouverner d’intimider ses oppo-sants sur les réseaux sociaux et de brandir la menace d’un coup de force militaire. Aujourd’hui, la méthode ayant atteint ses limites, il veut essayer de séduire les millions de pauvres dont il ne s’occupait guère depuis le 1er janvier 2019. [1] Bolsa Família (en français : « bourse familiale ») est un programme d’allocations fami-liales destiné à lutter contre la pauvreté et mis en place pendant la présidence FH Cardoso (1994-2002) puis systématisé sous les gouvernements Lula (2002-2010). Le versement d'une allocation mensuelle est conditionné au respect par la famille bénéficiaire d’obligations en matière d’éducation (scolarisation des enfants) et de santé (suivi des enfants par des dispensaires du réseau public de santé). [2] Le scandale du mensalão (mensualité) est le nom donné à la crise politique qu'a traversé le gouvernement brésilien en 2005. En portugais, le nom mensalão fait référence à l'accusation de paiement de pots-de-vin mensuels à des députés en échange de leur vote en faveur des projets de loi du pouvoir exécutif. En 2012, des condamnations impor-tantes ont été prononcées contre les principaux protagonistes. Après la crise politique, pour la première fois depuis la fin du régime militaire en 1985, le Tribunal suprême fédéral inflige des peines d'emprisonnement pour corruption et association de mal-faiteurs à des personnages clés du pouvoir.

  • Le clan Bolsonaro, ses disciples et la justice.

    Le chef de l’Etat, ses fils et ses adeptes ont maille à partir avec l’institution judiciaire depuis la période qui a suivi l’élection de Bolsonaro en octobre 2018. Ces derniers mois, l’avancée de procédures en cours, l’ouverture de nouvelles informations ont singu-lièrement compliqué l’action du Président, la vie de sa famille et de ses partisans. Une offensive judiciaire conduite sur plusieurs fronts a aussi considérablement dégradé les relations entre l'exécutif et le troisième pouvoir. Le chef de l’Etat considère en effet que les enquêtes ouvertes relèvent d’une entreprise concertée de persécution politique. Les magistrats seraient des agents de l’opposition ou transgresseraient les règles en s’enga-geant sur le terrain de la lutte politique. Les éléments réunis à ce jour par les services de polices locales et ceux de la Police Fédérale aboutissent pourtant à considérer que les juges font leur travail et que les trajectoires politiques des membres de la famille Bolsonaro ne sont pas des parcours d'édification morale. Trois procédures ont été ouvertes ces derniers mois par des Juges de la Cour suprême (STF). La première concerne une possible tentative d’interférence du chef de l’Etat dans des enquêtes conduites par la Police Fédérale. La seconde a été engagée pour identifier les auteurs de fake news diffusées sur les réseaux sociaux et qui menaçaient directement les hauts magistrats de la Cour. La troisième information lancée par le STF porte sur les modalités de financement et d’organisation de manifestations qui ont eu lieu ces derniers mois et au cours desquels les participants exigeaient la fermeture de la Cour suprême et du Congrès national. Outre ces trois affaires qui concernent la plus haute instance du système judiciaire, une enquête a été lancée en 2018 par le Ministère Public de l’Etat de Rio de Janeiro. Elle concerne le fils le plus âgé du chef de l’Etat, Flavio Bolsonaro. L’infor-mation ouverte porte sur des faits qui remontent à la période au cours de laquelle Flavio était député et membre de l’Assemblée législative de l’Etat. L’ancien élu est soupçonné d’avoir organisé au sein de son cabinet de député un système d’emplois fictifs et d’avoir retenu puis détourné les rémunérations reçues par les salariés fantômes. Cette affaire est devenue publique fin 2018, après les premières enquêtes de la Justice. Une cinquième procédure a été ouverte par le Tribunal Supérieur Electoral (l’organe de la Justice qui supervise les consultations électorales, évalue les comptes de campagne et valide les résultats). Elle porte sur les conditions de réalisation de la campagne menée en 2018 par Jair Bolsonaro et le candidat à la vice-Présidence Hamilton Mourão. Le cabinet des salariés fantômes. Commençons donc par ce fils aîné du Président, âgé aujourd’hui de 39 ans et entré très tôt en politique. Sénateur fédéral élu en octobre 2018, il a été auparavant et pendant 16 ans député de l’Etat de Rio de Janeiro sur quatre mandats successifs. La Justice soup-çonne l’élu d’avoir organisé au sein de son cabinet à l’Assemblée législative de l’Etat un système d’emplois fictifs. Une partie ou la totalité des salaires versés par l’institution au-rait été retenue par l’élu puis versée à Fabricio Queiroz, un ami de la famille Bolsonaro[1]. Queiroz a aussi été l’assistant et l’homme à tout faire du fils aîné du Président lorsque celui-ci était député. Il avait été auparavant policier militaire et a régulièrement travaillé comme garde du corps et chauffeur au service de la famille Bolsonaro. Entre Fabricio Queiroz et cette famille, il y aurait les liens d’un pacte de sang, d’un genre mafieux, selon la presse brésilienne. A la fin de 2018, l’enquête montre que parmi les employés titulaires de postes fictifs au sein du cabinet figurent des membres de la famille de l’ancien policier militaire (sa femme, deux filles et une nièce). L’agence gouvernementale chargée de surveiller les transactions financières, la COAF, met par ailleurs en évidence que des "transactions atypiques" (483 dépôts suspects) d’un montant total de 1,2 million de réais (envi-ron 200 000 euros) ont abouti entre 2016 et 2017 sur les comptes de Queiroz et sont incompatibles avec ses revenus déclarés. En réalité, les transferts vers les comptes de l’ancien conseiller se seraient étalés sur trois ans et porteraient sur près de 1,2 million d’euros). Le Ministère public soupçonne Flavio Bolsonaro d’avoir utilisé les comptes de son homme à tout faire comme une première étape et d’avoir ensuite blanchi cet argent, par le biais d’un magasin de chocolats de Rio (dont il détient la moitié des parts) ainsi que par l’achat en espèce puis la revente de deux appartements (grâce à la complicité de membres des milices paramilitaires qui contrôlent plusieurs quartiers de la périphérie de Rio de Janeiro). De gauche à droite, Flavio Bolsonaro, Fabricio Queiroz (levant les deux pouces) et Jair Bolsonaro partagent un déjeuner en 2018 à Rio de Janeiro. Selon la presse brésilienne, dans la liste des employés recrutés au cabinet de l’ancien député Flavio Bolsonaro, se trouvent la mère et la fille d’un capitaine de la Police Militaire Adriano Magalhães da Nóbrega. Mort en février 2020, da Nóbrega était considéré par le parquet de Rio de Janeiro comme un des responsables du groupe de miliciens dénom-mé le "bureau du crime". A ce titre, il était soupçonné d’avoir été impliqué dans l’assas-sinat de Marielle Franco, élue de l’Assemblée municipale de la ville, le 14 mars 2018. Les investigations menées par la police et par le COAF ont montré que la mère du capitaine da Nóbrega aurait réalisé elle-même une partie des dépôts suspects qui ont alimenté les comptes de Fabrício Queiroz. Accusé par la Justice des crimes d’usure, d’acquisition frau-duleuse de terrains, de corruption de fonctionnaires et de construction illégales, le capitaine da Nóbrega était en fuite depuis 2019. En février 2020, il sera tué à l’intérieur de l’Etat de Bahia au cours d’un accrochage avec la Police Militaire locale. Selon son avocat, la mort du milicien n’aurait rien d’accidentel. En l’assassinant, des tueurs ont voulu faire disparaître un personnage qui connaissait bien les ramifications des milices à Rio et des groupes mafieux qui pourraient avoir facilité l’ascension politique de la famille Bolsonaro. En décembre 2018, Fabricio Queiroz a cessé d’exercer ses fonctions d’assistant au sein du cabinet du député Flavio Bolsonaro. Il avance alors des raisons médicales pour refu-ser de répondre à des convocations des Juges puis disparaît. Activement recherché depuis le début de cette année, il est retrouvé et arrêté par la Police Civile de l’Etat de São Paulo. L’ancien ami et homme à tout faire de la famille Bolsonaro vivait caché dans une villa de la commune d’Atibaia, une maison appartenant à Frederick Wassef, l’avocat de la famille Bolsonaro. Ami très proche de la famille du Président et du chef de l’Etat lui-même, l’avocat avait depuis des mois ses entrées au Planalto, le palais présidentiel. Jair Bolsonaro et ses fils ne pouvaient donc pas ignorer où se trouvait Queiroz au cours des mois passés. Dès le 18 juin, ce dernier a été incarcéré à Rio de Janeiro[2]. L'arrestation de Fabricio Queiroz, le 18 juin dernier, dans l'Etat de São Paulo. Cette affaire est très fâcheuse pour l’exécutif. Elle fait tache sur Jair Bolsonaro, qui s’est présenté devant les électeurs en 2018 en grand pourfendeur de la corruption et en gar-dien d’un gouvernement propre et honnête. Pour cette raison, elle incommode fortement les militaires du gouvernement qui se sont ralliés à l’ancien capitaine parce qu’ils souhai-taient participer à l’entreprise annoncée de moralisation de la vie publique. Avec l’affaire Queiroz, la Justice se rapproche des cercles mafieux qui entourent Jair Bolsonaro, mais également des milices armées qui font régner la terreur dans plusieurs quartiers de Rio de Janeiro, réalisent d’importantes opérations immobilières et se confondent de plus en plus avec les groupes de narco-trafiquants qu’elles étaient sans cesse combattre à l’origine. L’arrestation de l’homme de main de Flavio Bolsonaro et ami de la famille est venue aviver le climat de tension entre le Président et un appareil judiciaire qui multiplie depuis décembre dernier les procédures contre le chef de l’Etat, ses fils et ses parti-sans[3]. Désormais incarcéré, Queiroz peut obtenir de ses Juges la possibilité d’utiliser la procédure dite de "délation récompensée" et livrer d’importantes informations sur les relations entre la classe politique de Rio de Janeiro et le monde des milices, voire sur les liens existants entre ces dernières et la famille Bolsonaro… Au cours des investigations engagées dès 2018, des procureurs sont allés jusqu'à qualifier Flavio Bolsonaro de "chef d’une organisation criminelle" destinée au "détournement de fonds publics et au blanchi-ment d’argent". Interférences, manifestations factieuses, WhatsApp…. Une seconde affaire, liée à la première, est instruite à la demande de la Cour suprême (STF). En mai dernier, la Cour a accepté la demande du Procureur Général de la Répu-blique d’ouvrir une enquête sur les accusations lancées contre le Président par son ancien ministre de la Justice Sérgio Moro (qui a démissionné le 24 avril dernier). Ce dernier a accusé le chef de l’Etat d’essayer d’interférer dans les enquêtes de la Police Fédérale. Il soupçonne Jair Bolsonaro d’avoir voulu remplacer le Directeur Général de l’organisation afin de pouvoir collecter des informations auprès d’un fonctionnaire plus docile. Le chef de l’Etat chercherait ainsi à suivre de plus près et à anticiper les initiatives de la Police Fédérale concernant deux enquêtes en cours visant ses fils Flavio (l’affaire dite des "rachadinhas") et Carlos (diffusion de fausses nouvelles). Le Président est encore au centre d’une troisième information ouverte par le STF et portant sur la diffusion de calomnies, de menaces et d’attaques concernant directement les magistrats de la Cour suprême sur les réseaux sociaux. Ouverte en 2019, la procédure pourrait conduire à la cassation du mandat du chef de l’Etat. Sur les derniers mois, des mandats de perquisition ont été délivrés et ont permis à la Police de conduire des investigations ciblant des partisans et des alliés du chef de l’Etat qui seraient impliqués dans les campagnes de calomnies menées contre les Juges. La quatrième information concernant le chef de l’Etat, ses proches et partisans a été également ouverte par le STF. Elle porte sur les conditions d’organisation et de finance-ment de manifestations convoquées ces derniers mois à plusieurs reprises par des partisans de Bolsonaro pour exiger la fermeture de la Cour suprême et du Congrès national. De telles initiatives constituent des pratiques illégales dans la mesure où sont remis en cause des piliers de la démocratie. Au cours des rassemblements en question, les participants ont régulièrement demandé et justifié une intervention militaire. A plu-sieurs reprises, le chef de l’Etat lui-même, des ministres, des élus du Congrès ont parti-cipé à ces réunions. A la demande des Juges, la Police Fédérale a exécuté plusieurs mandats d’amener et de perquisitions en juin dernier sur six Etats et le District Fédéral. Plusieurs hommes d’affaires, des députés et de sénateurs proches du Président ont été les cibles de ces investigations. Le 15 juin, les forces de sécurité procédaient à l’arres-tation d’une militante extrémiste leader du groupe radical 300 du Brésil, une des factions organisatrices de ces manifestations. La cinquième information a été ouverte par le Tribunal Supérieur Electoral (TSE). Elle porte sur les conditions de réalisation de la campagne menée par le candidat à la Prési-dence et le candidat à la vice-Présidence à la veille du scrutin de 2018. Selon les enquêteurs, Jair Bolsonaro et Hamilton Mourão auraient utilisé l’application WhatsApp selon des modalités non confirmes avec les règles électorales. WhatsApp a en effet révélé avoir dû supprimer plus de 400 000 comptes de son service durant la campagne, entre le 15 août et le 28 octobre[4]. Selon les administrateurs de la messagerie, cette fermeture a eu lieu parce que le règlement de l’application interdit expressément l’utilisation de toute application ou robot pour envoyer des messages de masse ou pour créer des comptes ou des groupes de manière non autorisée ou automatisée. L’enquête du TSE ne portait pas au départ sur le contenu des messages diffusés au cours de la campagne. Les Juges estimaient que les deux candidats avaient contrevenu aux lois électorales en mobilisant des financements privés (des entreprises proches de Jair Bolsonaro auraient financé à hauteur de 2,8 millions d’euros les services des quatre entreprises spécialisées dans l’envoi de messages automatisés sur WhatsApp). À cette première accusation sérieuse vient s’ajouter l’utilisation frauduleuse de listings d’élec-teurs brésiliens. La loi électorale locale autorise seulement le démarchage des sympa-thisants de son parti politique. Le siège du Tribunal Supérieur Electoral à Brasilia. Si les investigations en cours sont concluantes, le TSE pourrait prononcer la cassation de l’élection des deux candidats victorieux du scrutin présidentiel d’octobre 2018. La pro-cédure conduite au TSE a été récemment relancée grâce au lieu établi entre l’utilisation de la messagerie WhatsApp et l’enquête conduite sur les fake news. Parallèlement aux informations ouvertes par les autorités judiciaires, les députés et sénateurs du Congrès fédéral ont créé en novembre 2019 une Commission Parle-mentaire Mixte d’Enquête (CPMI) sur les fake news. Les membres de la Commission conduisent des audiences visant à enquêter sur la participation de deux fils du Président (Carlos et Eduardo) et de conseillers de ceux-ci à des campagnes de diffamation d’ad-versaires politiques (utilisation fréquente de fausses informations ou d’informations calomnieuses) sur les réseaux sociaux. Selon des membres de la CPMI, les proches du Président (les fils, des conseillers de la Présidence, des députés) organisés en "milices digitales" diffusent des attaques sur des messageries contre les opposants grâce à l’utilisation de robots. Toutes ces informations et enquêtes ouvertes parfois depuis des mois inquiètent le Pré-sident et ses partisans. Le premier cherche à s’en sortir avec son arme habituelle : la pro-pagande et la dénonciation de complots fomentés par des adversaires. Les proches et les adeptes du Bolsonaristes ripostent en attaquant directement le système judiciaire, en menaçant des magistrats, en se déchaînant sur des plateformes numériques contre toutes ces procédures qui relèveraient d’une entreprise de persécution politique. La Justice semble bien décidée à conduire jusqu’à leur terme les procédures engagées. Passé le congé judiciaire et parlementaire de juillet, les tensions entre les trois pouvoirs devraient donc persister. [1] C’est le système dit des rachadinhas qui consiste de la part d’un fonctionnaire ou d’un prestataire de services aux pouvoirs publics à transmettre tout ou partie de la rému-nération reçue à des personnalités politiques ou aux conseillers de celles-ci. [2] Son arrestation a été décidée par le parquet de Rio. Les magistrats estiment que Queiroz “interférait dans la collecte des preuves”, et “risquait de fuir” à l’étranger. [3] La Justice a ouvert des informations concernant Eduardo (député fédéral) et Carlos Bolsonaro (membre de l’assemblée municipale de Rio de Janeiro), accusés d’irrégularités durant la campagne électorale, de dissémination de fausses nouvelles ou de corruption. Carlos dirigerait un instance informelle chargée de polluer les univers numériques de fausses nouvelles pour diviser et indigner les Brésiliens au profit du président. [4] WhatsApp est massivement utilisée au Brésil. Près de 96% des Brésiliens propriétaires d’un smartphone ont installé l’application. En mai 2017 le Brésil était le deuxième pays en nombre d’abonnés, 120 millions, sur la messagerie. Cette performance rend de fait l’ap-plication attractive pour les personnalités politiques en campagne. Contrairement à une page de Facebook où les conversations ne sont pas limitées, WhatsApp reste une mes-sagerie où les conversations sont limitées à 256 utilisateurs. Pour passer outre cette diffi-culté quatre entreprises spécialisées (Quick Mobile, Yacows, Croc Services, SMS Market) dans l’envoi massif de messages standardisés auraient été sollicitées par des entreprises privées proches de la campagne des deux candidats.

  • A nouveau, le Brésil est au bord de l'abîme.

    Les Brésiliens se sont habitués à surmonter les crises. Mais les circonstances actuelles sont très différentes de celles qui ont prévalu dans le passé. En 2020, si l’on scrute l’avenir à court et moyen terme, que peut-on entrevoir ? Le Brésil est officiellement entré en récession au premier trimestre, alors que les pre-miers effets de l’épidémie du covid-19 se faisaient sentir. A l’époque, le Ministre de l’économie répétait tel un magicien égaré que l’économie était sur le point d’atteindre des rythmes de croissance surprenants….Depuis avril, la conjoncture économique n’a cessé de se dégrader. Près de 1,5 million de travailleurs du secteur formel ont perdu leurs emplois. Les salariés qui ont subi une réduction de leurs salaires parce qu’ils ont bénéficié du dispositif de chômage partiel ou qu’ils ont dû accepter de travailler sur des horaires réduits sont 11,6 millions. On estime à 65 millions les Brésiliens du secteur informel et leurs familles qui ne survivent depuis avril que grâce à l’allocation mensuelle d’urgence fournie par l’Etat fédéral. Selon la FGV (une des institutions de recherche en questions économiques et sociales les plus réputées) les trois mois allant d’avril à juin 2020 auront constitué en termes d’activité économique le pire trimestre observé sur les 40 dernières années. Comment peut-on se sortir d’une récession aussi grave ? Le monde entier souffre d’une crise à deux dimensions, à la fois sanitaire et économique. Pour sa part, le Brésil semble confronté à l’hydre de Lerne de la mythologie grecque. Le monstre, au corps de chien ou de serpent, avait de multiples têtes. Chaque fois que l'on coupait l'une d'entre elles il en repoussait plusieurs. Le Brésil vient de connaître une des pires réponses à l’épidémie conçue par des autorités publiques dans le monde. La pres-sion que subissent les élus locaux pour rouvrir les commerces dans les grandes villes va provoquer de nouvelles vagues de panique, de contaminations et de décès. Le système de crédit facilité lancé par le gouvernement fédéral pour soulager la trésorerie des entreprises n’a pas fonctionné. Si le rythme et le nombre des faillites a été limité jusqu’en fin juin, c’est d’abord parce que l’administration fiscale a reporté la date de versement des impôts et taxes. Le déficit primaire du secteur public (avant paiement des intérêts de la dette) sur l’année 2020 devrait dépasser 706 milliards de BRL (9,6% du PIB) et le risque de voir le pays incapable de revenir à la discipline budgétaire en 2021 et 2022 est très élevé. La dette de l'Etat pourrait atteindre rapidement l'équivalent de 100 % du PIB. Le Président Bolsonaro se maintient au pouvoir en utilisant comme une menace per-manente le soutien supposé des forces armées dont il bénéficierait. Si la crise politique gravissime qui a accompagné la crise du Covid-19 n’a pas encore débouché sur une impasse institutionnelle, un tel scénario ne peut être exclu pour les prochains mois. L'image du Brésil à l'étranger se rapproche de celle d'un Venezuela de droite, avec un facteur aggravant en plus : le pays est d'évidence responsable d'une nouvelle accélé-ration de la déforestation en Amazonie. Le Brésil est à nouveau au bord de l’effondrement, mais cette fois la crise n’est pas seu-lement économique. C'est un pays politiquement déchiré, en grande souffrance, où le dialogue entre les différents courants d’opinion est de plus en plus difficile. Il affronte une crise multidimensionnelle (sanitaire, sociale, économique, politique). Pourtant, au lieu de chercher à réduire une polarisation mortifère, de faire face au cataclysme, le chef de l’Etat ne se préoccupe que de sa clientèle de supporters et de ses fils qui ont maille à partir avec la Justice. Reste que la catastrophe annoncée ne peut pas être imputée au seul Président Bolsonaro, quelles que soit ses faiblesses, ses carences et l'irrespon-sabilité qu'il affiche sans complexe. Le drame que traverse le premier pays d’Amérique du Sud depuis le début de 2020 met en évidence les lacunes, les oublis, les faiblesses de toute une génération de dirigeants et responsables. Il met en évidence les énormes défis que va devoir relever la nouvelle génération. Les pétitions défendant la démocratie qui circulent depuis quelques semai-nes dans les grandes villes du pays et les déclarations de leaders dénonçant avec véhémence les tartuferies, les incohérences et les inepties de Bolsonaro apparaissent comme très décalées par rapport à une réalité dramatique. Comme si l’on suggérait aux chômeurs et aux masses appauvries de choisir la brioche si le pain vient à manquer. Le débat lancé sur l’impeachment du Président (la destitution) est du même acabit. L’urgen-ce n’est pas de générer plus d’instabilité politique mais de lancer un programme permanent de revenu de base pour permettre aux dizaines de millions de victimes actuelles et futures de la crise sanitaire et économique de ne pas aller grandir les effectifs des miséreux ou ceux des morgues. La politique monétaire de la Banque Cen-trale (les autorités monétaires ont ramené le taux directeur à un niveau historiquement bas de 2,25% par an à la fin juin) est moins importante que la capacité du système bancaire à libérer effectivement des crédits pour les petites et moyennes entreprises. Pendant la crise sanitaire, les élus du Congrès ont enfin adopté une loi qui doit faciliter l’accès de tous les Brésiliens à l’eau courante et au tout-à-l’égout, une étape essentielle pour améliorer la capacité collective de résistance contre les grands problèmes de santé publique et notamment les épidémies. L’initiative louable est cependant chimérique. On ne voit pas comment des collectivités territoriales aux finances exsangues ou des con-cessionnaires privés appelés à la rescousse vont investir dans la distribution de l’eau et la collecte des eaux usées si le pays ne parvient pas à sortir rapidement de la récession historique dans laquelle il plonge aujourd’hui (la contraction du PIB sur 2020 pourrait approcher 10%). Les Brésiliens sont habitués à affronter les crises et à les surmonter. La population a souvent manifesté une résilience exceptionnelle. En 1984, avec l’hyperinflation, la hausse des prix atteignait 200% sur un an. Après 20 ans de régime autoritaire, le pays faisait face à un endettement extérieur colossal et à une instabilité des prix permanente. La pauvreté progressait. La population a su alors choisir des responsables politiques et des dirigeants capables de tirer l’économie et la société d’une pareille ornière. En 1992, lorsque le Prési-dent Fernando Collor a été destitué, la plupart des forces politiques (y compris les partis d’opposition) ont soutenu le vice-président Itamar Franco. Les débuts de ce chef de l’Etat par intérim ont été difficiles mais un consensus s'est créé pour affronter le défi majeur à l'époque. C’est sous le gouvernement Franco (en 1994) que le pays a mis en œuvre le Plan Real qui a permis de rétablir la stabilité économique et de terrasser l’hyperinflation. Entre fin 2002, après la victoire de Lula au scrutin présidentiel, la transition politique entre le gouvernement Cardoso et celui d’un socialiste qui effrayait les marchés financiers a été exemplaire. Après quelques mois d’inquiétude marqués par une forte dépréciation de la monnaie nationale, la menace d’une inflation à deux chiffres et un effondrement de la bourse, Lula lui-même a su rassurer les investisseurs et le FMI (qui avait fourni un soutien et engagé avant l’élection un programme d’ajustement). Une succession de crises a sans doute conduit les Brésiliens à relativiser des chocs qui traumatiseraient durablement d’autres sociétés. Voici un pays qui en moins de 40 ans sera parvenu vaille que vaille à surmonter les affres et les douleurs de la dictature, à vaincre une inflation débridée, à adopter une nouvelle Constitution, à s’engager sur la voir difficile de l’intégration sociale de dizaines de millions de pauvres. Depuis plusieurs décennies, tout se passe comme si le corps social et le monde politique abordaient une crise nouvelle comme s’il s’agissait d’une nouvelle secousse de plus qui sera finalement et fatalement surmontée. Un dicton populaire ne dit-il pas qu’à la fin tout ira bien et que si tout n’est pas encore parfait, c’est que la fin n’est pas encore arrivée….Le Brésil s’est habitué à marcher auprès du précipice, à côtoyer l’abîme. Au cours des quatre derniers mois, il a cependant enregistré des dizaines de milliers de morts liées à l’épidémie du Covid-19 (les chiffres officiels sont une grossière sous-esti-mation du bilan réel). Il disposait pourtant d'un énorme avantage au début de cette pandémie. Il a eu le temps de voir le virus progresser en Europe avant qu’il ne débarque en Amérique du Sud. Il a l’expérience du combat contre les épidémies (Zika, dengue, etc…). Il pouvait anticiper le pic de la pandémie du coronavirus. En ce début de second semestre, le bilan se résume pourtant d’une expression terrible : le pays a tout fait de travers. Les hôpitaux se sont remplis. Les cimetières encore plus. Le provocateur Bolsonaro ne s'est pas contenté d'être irresponsable sur le plan sanitaire. Il a ajouté une crise institutionnelle et politique qu’il a largement alimentée, nourrie, relancé depuis le début de l’année. Entre les trois pouvoirs de l’Etat brésilien, le dialogue est désormais difficile, il est toujours armé. Au lieu de riposter unies au chef de l’Etat qui menace la démocratie, les oppositions se battent entre elles comme des crabes dans un panier étroit. Le pronostic n’est malheureusement pas très risqué : le Brésil va sortir de 2020 plus pauvre, plus malade et en colère. De nouveau, il danse au bord de l’abîme. Les funam-bules qui sont supposés le guider n’ont cependant pas l’adresse de leurs prédécesseurs. Ils ne semblent même pas voir l'abîme.

  • L’armée au pouvoir ? (4).

    Scénarios pour les militaires. (Première partie). Les forces armées suivront-elles jusqu’au bout l’ancien capitaine dans son projet d’ins-tauration d’un régime autoritaire ? Si l’on en croit de nombreux commentaires brésiliens et étrangers, l’aggravation de la crise institutionnelle des derniers mois va conduire à un coup d’Etat, un putsch, un renversement brutal des institutions par le Président avec le soutien des armées. Les références explicites ou implicites aux expériences dramatiques et spectaculaires du passé fleurissent et continuent à prospérer. Les fantômes de 1964 ont ressurgi. A l’époque, les forces armées et les tanks avaient occupé les rues et les sites stratégiques. Les militaires avaient imposé la fermeture des institutions répu-blicaines, arrêté des hommes politiques. Ils s’étaient octroyé les pleins pouvoirs, avaient pris le contrôle des médias et suspendu l’Etat de droit. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui une disparition brutale de la démocratie brésilienne par un coup d’Etat classique. Le projet de Bolsonaro consiste à transformer graduel-lement le régime politique et d’aller vers une démocratie illibérale. S’il parvient à ses fins, la démocratie va donc mourir à petit feu[1]. L’expérience des premiers dix-huit mois de gouvernement (notamment à partir de la crise du covid-19) a montré qu’il existait au sein du gouvernement un noyau dur de délinquants extrémistes, habités par un imaginaire putschiste évident. Ce noyau dur et le chef de l’Etat lui-même utilisent régulièrement depuis janvier 2019 plusieurs des mécanismes grâce auxquels d’autres régimes sont passés de la démocratie pluraliste à une démocratie illibérale. Le premier consiste à affaiblir les médias et les forces politiques d’opposition[2]. Le second est un populisme de gouvernement qui passe par la tentative de simplifier de manière abusive les insti-tutions démocratiques, d’affaiblir tous les contre-pouvoirs et les formes diverses de mé-diation qui existent entre le pouvoir et le peuple. A l’affaiblissement des contre-pouvoirs, les dirigeants autoritaires ajoutent systématiquement un autre moyen de contrôler étroi-tement la vie politique : la réduction de l’incertitude de la compétition électorale. Sur tous ces plans, les bolsonaristes ont tenté sur les 500 premiers jours du mandat Bolso-naro de réaliser quelques avancées, sans succès évidents pour l’instant. Elu pour un mandat de quatre ans, le chef de l’Etat brésilien doit, selon la constitution, exercer des pouvoirs et des compétences strictement limités et encadrés par des freins et des contrepouvoirs institutionnels. Il est soumis à l’Etat de droit. Il doit gouverner selon des normes juridiques établies, en utilisant des mécanismes définis. Dès son investiture, Jair Bolsonaro s’est présenté comme l’incarnation du peuple au pouvoir. Il s’est claire-ment inscrit dans une logique d’autoritarisme illibéral. Elu par un scrutin majoritaire, il considère qu’il détient le monopole de la volonté populaire. La seule réalité politico-institutionnelle qui compte, c’est le lien plébiscitaire qu’il aurait noué avec le peuple brésilien et qui fonderait un pouvoir autocratique. Dans le régime souhaité par l’ancien militaire, le chef de l’exécutif peut s’immiscer à volonté dans l’exercice du pouvoir lé-gislatif. Il peut édicter de règlements ou d’ordonnances ayant force de loi. Il peut évidem-ment s’arroger les pleins pouvoirs en cas de crise grave. Son action et ses initiatives ne sont pas tempérées et contrôlées par la Cour suprême. Il n’y a plus de risque d’im-peachment (destitution). Les autres pouvoirs sont perçus comme des obstacles, comme des forces qui empêchent le chef de l’Etat de mettre en œuvre la volonté du peuple, qui conspirent pour usurper le pouvoir que ce chef a reçu des urnes. Manifestation de Bolsonaristes en mai 2020 à Brasilia. Les protestataires demandent une intervention militaire pour soutenir Bolsonaro au pouvoir. Dans le régime rêvé par Bolsonaro et ses partisans, les institutions démocratiques (élec-tions, représentation nationale, libertés fondamentales, indépendance des pouvoirs, res-pect et application des lois) continuent d’exister mais les conditions assurant leur fonc-tionnement effectif ne sont plus assurées. Les élections ont bien lieu mais de solides opérations d’influence orchestrées sur les réseaux sociaux permettent de détruite l’ima-ge et le crédit des opposants. Le Congrès fonctionne mais la majorité parlementaire est aux ordres de l’exécutif. Combattue et affaiblie, la Justice devient un pouvoir dominé. Au fil du temps, les structures démocratiques sont soumises à un processus de dévita-lisation, d’érosion. La presse, les médias et les réseaux sociaux sont l’objet un harcè-lement juridique, financier puis policier. Les forces d’opposition ne sont pas interdites mais leurs leaders sont contraints au silence par un pouvoir qui propage des rumeurs, des fake-news, exerce un chantage sur les personnes. Les instances supérieures de la Justice sont mises au pas grâce à la nomination de magistrats favorables au chef de l’Etat et choisis pour transformer le système judiciaire en machine de destruction des dissidents. La majorité constituée au Congrès au terme d’élections fabriquées se résout à voter des lois liberticides. Peu à peu, la Constitution restée officiellement en vigueur devient une lettre morte. Les exemples de régimes qui correspondent au projet du bolsonarisme sont malheu-reusement nombreux dans le monde d’aujourd’hui. A Caracas avec le chavisme, à Ankara avec Erdogan ou à Minsk avec le bielorusse Loukachenko, la construction d’un pouvoir discrétionnaire a été conduite en maintenant une démocratie de façade. Le régime démocratique a été progressivement affaibli, contraint dans sa respiration par un virus qui envahirait progressivement ses poumons avant de les paralyser. Cette érosion lente a déjà été initiée au Brésil. Il n’y pas de tank dans la rue. Il n’y a pas de censeurs dans les rédactions et internet fonctionne encore normalement. Les contrepoids institutionnels n’ont pas été détruits et continuent à contraindre le chef de l’Etat. Les médias et les insti-tutions fournissant de l’information de qualité sont cependant directement confrontées aux pressions du gouvernement. Les chiffres sur le chômage publiés par l’IBGE sont contestés. Les recherches menées par l’Institut Fiocruz sur la consommation de stupé-fiants sont invalidées. Dirigé par un militaire, le Ministère de la Santé a tenté pendant plusieurs semaines de suspendre toute publication de statistiques sérieuses sur la progression de l’épidémie du Covid-19 qui a pourtant déjà fait plus de 60 000 morts. Le gouvernement affaiblit ou démantèle les organes de contrôle de l’environnement, il refu-se de reconnaître la déforestation en Amazonie et encourage même celle-ci. Sur cette région, la violence augmente contre les indiens alors que le pouvoir ferme les yeux sur l’orpaillage illégale, l’accaparement frauduleux des terres publiques. La chasse aux sor-cières a commencé dans l’administration. Les attaques contre la presse se multiplient. Bolsonaro tente (mais n’a pas encore réussi) de suspendre la Loi sur l’accès à l’infor-mation[3]. Comme dans d’autres pays, la démocratie au Brésil ne va pas disparaître d’un seul coup. Les lumières de l’édifice sont éteintes progressivement, les unes après les autres. Le gouvernement Bolsonaro n’est parvenu à ce jour qu’à plonger dans l’obscurité un bout d’étage. L’entreprise d’extinction des lumières se heurte heureusement à de solides ré-sistances. La presse se défend et les réseaux sociaux ne sont pas uniquement occupés par les hordes de propagandistes agressifs qu’entretient le bolsonarisme. Le Congrès empêche le Président d’approuver des textes inconstitutionnels. Il contribue aux investi-gations sur les activités des groupes qui utilisent systématiquement les réseaux sociaux pour défendre l’exécutif et propager des rumeurs et des fake-news destinées à faire taire les opposants. La Cour suprême (STF) reste vigilante. Elle suit les réquisitions du Minis-tère Public en ouvrant une enquête sur les modalités d’organisation de manifestations contre la démocratie auxquelles Bolsonaro lui-même a participé ces derniers mois (la Constitution n’autorise pas le financement et la propagation d’idées contraires à l’ordre constitutionnel et à la démocratie ou l’organisation de manifestations revendiquant la rupture de l’Etat de droit). A chaque attaque et à chaque initiative de résistance prise par les contrepouvoirs, la ten-sion monte. Le leader populiste mobilise ses troupes pour qu’elles repartent à l’assault des institutions représentatives et de l’Etat de droit. La polarisation politique s’aggrave. Les militaires qui participent à l’exécutif paraissent souvent appuyer le Président. Ils répètent qu’ils respectent la démocratie mais ne précisent guère quelle serait selon eux la portée et la dimension du régime démocratique. Ils laissent encore entendre que le pouvoir judiciaire et les institutions représentatives outrepasseraient leurs compétences et ne chercheraient qu’à affaiblir le Président avant de le contraindre à abandonner son poste. Imaginons que sur les prochains mois le chef de l’Etat et ses troupes persistent à "éteindre des lumières", à s’attaquer à tous les contrepouvoirs, à remettre en cause l’Etat de droit et les normes constitutionnelles. Les militaires du gouvernement ne pourront plus se contenter de propos lénifiant rejetant l’hypothèse d’un coup d’Etat. Les officiers d’Etats-Majors qui dirigent des troupes et disposent effectivement de la force devront sortir de leur réserve. Trois scénarios peuvent aujourd’hui être envisagés. Le premier est celui d’un soutien affiché des forces armées à la mise en place d’un régime autoritaire et plébiscitaire. Le second est un divorce entre les militaires du gouvernement et les bolso-naristes, les premiers acceptant la mise en œuvre d’une procédure de destitution et préparant un gouvernement dirigé par le général Mourão. Le troisième est la mise sous tutelle (tardive) du Président. En cette fin du troisième semestre de l’Administration Bolsonaro, ce dernier scénario paraît le plus probable. Le coup de force improbable. Peut-on imaginer dans les mois à venir une intervention directe des forces armées destinée à conforter le pouvoir de Jair Bolsonaro et à faciliter la stratégie d’affaiblis-sement des institutions démocratiques dans laquelle ce Président est engagé ? Sur le plan constitutionnel, le chef de l’Etat dispose effectivement des moyens juridiques de faire appel aux militaires afin qu’ils assument une fonction de "modération" entre les différentes institutions de la République. La Loi fondamentale adoptée en 1988 définit en son article 142 les missions des forces armées placées sous l’autorité suprême du Président de la République. Ces missions sont "la défense de la Patrie, la garantie des pouvoirs constitu-tionnels et, à l'initiative de l'un quelconque de ceux-ci, de la loi et de l'ordre". Le texte reprend un principe de plusieurs constitutions antérieures qui attri-buaient aux forces armées un rôle politique et de police. Dans la constitution aujourd’hui en vigueur, l’exercice effectif du rôle de garantie des pouvoirs constitutionnel ne repose pas sur une initiative prise par l’un des trois pouvoirs en question (cette initiative n’est requise que pour la mission de maintien de la loi et de l’ordre). La garantie des pouvoirs constitutionnels signifie le maintien à la fois de l’indépendance de chacun des trois pou-voirs, l’existence d’un équilibre et d’une relation harmonieuse entre eux. Comme si la République doutait de sa capacité à se défendre elle-même, elle a confié une nouvelle fois un rôle de tuteur aux forces armées. Sur la base d’un tel texte, les forces armées peuvent effectivement justifier une inter-vention au nom de la protection des prérogatives du Président qui considèrerait que ses pouvoirs sont affaiblis en raison de l’attitude du Congrès ou de celle de la Justice. Quelle que soit la forme de cette intervention (une fermeture du Congrès et de la Cour suprême imposée par la force, un putsch classique, la suspension de la constitution, etc..), l’hypothèse paraît aujourd’hui très peu probable. Plusieurs raisons peuvent être avancées ici pour justifier cette affirmation. Les premières sont politiques. Jair Bolsonaro bénéficie du soutien d’une minorité de la population et de l’électorat (qui varie de 25% à 30% selon les enquêtes d’opinion et les périodes). Sa popularité s’est nettement effritée auprès des classes moyennes, notamment depuis le début de la crise du Covid-19, un effritement partiellement compensé par l’appui nouveau que lui apportent des couches plus modestes[4]. Il ne dispose pas d’une majo-rité parlementaire au Congrès. Il ne peut pas s’appuyer sur une majorité de haut-magistrats acquis à sa cause au sein du STF. Il est rejeté par la plupart des médias et des organes de presse. Si l’on considère les principaux Etats de la fédération brésilienne, rares sont les gouverneurs qui affichent encore un soutien à Bolsonaro. La gestion par le Président de la crise sanitaire a fait de lui un paria sur la scène internationale. Outre des membres d’Etats-majors, des groupes d’officiers et des secteurs de la troupe, il peut cependant compter sur la sympathie de policiers militaires, de fidèles des églises évangéliques, de militants d’extrême-droite, de chauffeurs routiers et de producteurs agricoles. Très mobilisée, cette base sociale est suffisante pour empêcher que s’engage une procédure de destitution. Elle n’est pas suffisante pour garantir aux militaires tentés par un coup de force ou une intervention quelconque qu’il bénéficieraient d’un franc soutien populaire et de l’appui de gouverneurs importants. Avec la crise sanitaire, ce Président qui a refusé d’engager une politique sérieuse de lutte contre la pandémie a ruiné le peu de crédit dont il jouissait encore avant le covid-19 auprès des gouverneurs et des responsables municipaux. Les attaques des bolsona-ristes et du chef de l’Etat lui-même contre le pouvoir législatif et la Justice, la menace brandie d’une rupture institutionnelle ont eu pour effet de renforcer l’attachement d’une large majorité de brésiliens au régime démocratique. Selon l’institut de sondages Data-folha, en décembre 2019, plus de six brésiliens sur 10 (62%) exprimaient leur attachement à la démocratie. Ils étaient plus de 75% à afficher cette opinion à la fin juin 2020. L’organis-me réalise la même enquête sur les préférences de la population en matière de régime politique depuis 1989. Jamais le taux d’adhésion à la démocratie n’avait été aussi élevé. Jamais le pourcentage de brésiliens qui estiment que la dictature peut être une option préférable dans des circonstances particulières n’avait été aussi faible. Il a atteint 17% à la veille des élections de 2018. Il n’était que de 10% dans le dernier sondage en date. En d’autres termes, si des militaires soutenaient dans les prochains mois les projets auto-ritaires de Jair Bolsonaro en recourant à la force, ils avanceraient à contrecourant de l’opi-nion majoritaire. Ils ruineraient totalement l’image favorable que les forces armées ont acquise auprès de la population depuis plus de trente ans, un crédit largement dû à leur retrait de la vie politique nationale. A ces raisons liées à l’état de l’opinion et de la société brésilienne, il faut en ajouter d’autres qui concernent le degré d’adhésion des Etats-majors et des soldats qui servent aujourd’hui au bolsonarisme et au projet politique du Président. Il existe effectivement chez les officiers de tous grades un courant de sympathie pour les thèses des idéo-logues entourant Jair Bolsonaro. Ces militaires radicaux et d’extrême-droite ont souvent démar-ré et réalisé leur carrière pendant la dictature (1964-1985). La plupart sont désormais réservistes ou réformés. Ils fréquentent les clubs militaires. Ils ont appartenu davantage à l’Armée de terre qu’à la Marine ou à l’Armée de l’air. Ces deux derniers corps sont moins réceptifs aux idéologies radicales. Fusillers-marins ou pilotes de chasse sont, comme leurs supérieurs, des techniciens souvent hautement qualifiés. Au sein des trois corps, des évolutions très importantes ont eu lieu depuis trente ans en matière de forma-tion des officiers, de recrutement, d’expérience militaire. Ainsi, au sein de l’Armée de terre, la part des officiers dont le cursus de formation se limite à la formation reçue à l’Académie militaire d’Agulhas Negras n’a jamais été aussi faible. La majorité des 28 332 officiers qui servent actuellement ont suivi des parcours universitaires complémentaires. Outre une compétence militaire, ils ont donc acquis une culture scientifique et huma-niste. Depuis les années 1980, les trois forces recrutent des femmes comme engagées ou militaires de carrière. Encore minoritaires (8,5% du total), les effectifs féminins progres-sent très rapidement depuis 2010. Sur les dernières décennies, un autre fait majeur a aussi contribué à modifier l’éthique et la culture institutionnelle de l’Armée de terre, force la plus directement concernée par un hypothétique coup de force ou une opération d’appui à la radicalisation du gouvernement Bolsonaro. Dans toutes les régions du pays et dans toutes les spécialités (métiers de combat, ser-vices d’appui, administration, médecine) on trouve aujourd’hui des soldats de l’armée de terre de carrière qui ont été engagés dans le cadre de missions de paix des Nations-Unies. Pour l’Armée de terre brésilienne, la plus importante de ces missions aura été la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) qui a duré 13 ans (2004-2017). La Mission a mobilisé des militaires de 15 pays. Pour sa part, le Brésil a fourni sur 13 ans 37 500 hommes en armes. Cet engagement aura été le plus important pro-gramme militaire du Brésil depuis sa participation à la Seconde Guerre Mondiale à partir de 1942. Alors que la formation de base des soldats de l’armée de terre se limitait avant la MINUSTAH à des entraînements effectués à l’intérieur des casernes ou sur des terrains ad hoc, une part importante des officiers et des troupes qui servent aujourd’hui ont connu une expérience concrète d’action sur un véritable terrain de combat. Les casques bleus mobilisés ont dû pendant plusieurs années affronter une situation de guerre civile, appli-quant un mandat qui autorisait les militaires à adopter une posture d’engagement actif pour imposer la paix par la force, contre la volonté des factions en conflit si nécessaire[5]. Les interventions, les occupations de quartiers par les militaires et policiers de la mission ont permis de rétablir une stabilité sociale et de pacifier des périphéries urbaines tenues par des groupes paramilitaires. Néanmoins, elles n’ont pas suffi pour garantir restruc-turation de l’Etat haïtien, l’établissement d’une paix civile durable et le fonctionnement normal des institutions. Soldats brésiliens de la MINUSTAH patrouillant dans un bidonville de Port au Prince en Haïti. Comment réagirait l’ensemble de l’institution militaire si les officiers et la troupe étaient appelés par un haut commandement fidèle à Bolsonaro à prendre des initiatives concrè-tes de rupture avec l’ordre constitutionnel qui pourraient aller de la fermeture du Con-grès par la force à un véritable putsh en passant par la suspension de la Cour Suprême et l’arrestation des haut-magistrats ou l’emprisonnement de gouverneurs ? Aujourd’hui, il est vraisemblable que chacune de ces opérations susciteraient des résistances au sein des forces armées, voire une opposition de la part d’officiers et de secteurs de la troupe. S’il est difficile d’anticiper une insoumission importante (les différents secteurs de l’Ar-mée de terre, de la marine et de l’Armée de l’air restent bien encadrés), il est possible d’imaginer que les résistances prennent diverses formes : ruptures dans les chaînes de commandement, immobilisme des troupes sur plusieurs régions, refus d’exécuter les missions demandées. Un soulèvement militaire, la mobilisation de troupes afin de porter atteinte au fonction-nement normal des institutions constituent des opérations risquées. Sur les derniers mois, des déclarations d’officiers de haut rang en situation de commandement ont mon-tré que le haut commandement de l’Armée de terre est divisé. Le général Pujol, com-mandant en chef de cette force a lui-même laissé entendre que son enthousiasme pour le gouvernement Bolsonaro était très limité. L’hypothèse d’un engagement effectif des forces armées dans la bataille politique que veut mener l’ancien capitaine fait réap-paraître la menace suprême que craignent tous les chefs militaires : l’affaiblissement de la cohésion de l’institution, de la règle de discipline et de respect de la hiérarchie. Comme plusieurs généraux, d’importants secteurs des forces armées savent que le Pré-sident qu’ils seraient invités à défendre et à soutenir est le pire chef de l’Etat de toute l’histoire républicaine. Ils savent que ce dernier a conduit le pays au bord de l’abîme. L’expérience des 18 derniers mois a montré que Jair Bolsonaro était entouré de hoo-ligans, de fauteurs de troubles, que des officiers généraux souvent réservistes n’auraient jamais dû s’associer à ce personnage trouble qui a maille à partir avec la Justice. Ces soldats lucides sont sans doute déjà parvenus à une conclusion évidente : il ne servirait à rien de conforter le pouvoir d’un Président qui, s’il chutait, serait automatiquement rem-placé par un successeur qui bénéficie de toute la confiance des Etats-Majors : le général Mourão, un conservateur assumé qui a manifesté un comportement responsable depuis son élection à la Vice-Présidence. Pourquoi les forces armées iraient-elles ruiner leur image afin de maintenir au pouvoir un ex-capitaine imprévisible, extravagant et inepte alors qu’elles pourraient favoriser l’investiture d’un général raisonnable ? Même s’ils parvenaient à maintenir l’unité et la cohésion de l’institution, les officiers de haut rang qui décideraient d’appuyer un processus de radicalisation du pouvoir bolsona-riste se trouveraient confrontés à des difficultés concrètes que leurs prédécesseurs ne pouvaient pas connaître. Imaginons par exemple que des troupes d’infanterie aidées du renfort de la cavalerie envahissent le Congrès et imposent par la force la fermeture de la Chambre des députés et du Sénat fédéral. Dans un monde connecté sur les réseaux so-ciaux, plusieurs centaines de parlementaires résisteraient et pourraient continuer à débattre à partir de lieux discrets, en utilisant une application permettant les réunions virtuelles. Du côté de la Cour suprême (11 magistrats), il suffirait qu’un seul des juges échappe à l’arrestation pour que (conformément à la loi) l’institution continue à fonction-ner. Comment imposer la censure dans un monde où les journalistes peuvent travailler n’importe où et sont concurrencés par de nombreuses plateformes numériques ? Un coup de force militaire qui ne parviendrait pas à réduire rapidement au silence les élus de la nation, les magistrats et les médias apparaitrait vite comme une erreur grotesque. A supposer que les auteurs du soulèvement parviennent à résoudre ces difficultés ini-tiales, il leur faudrait affronter un autre défi plus redoutable : le rétablissement du maintien de l’ordre dans un pays-continent qui serait forcément le théâtre de protes-tations, de mouvements divers, voire d’insurrections. Leurs pairs qui ont participé à la MINUSTAH anticiperont cette étape décisive. Ils sauront rappeler à temps à leurs collègues et à leurs supérieurs que la prévention d’une guerre civile a été très difficile dans un petit Etat d’une superficie de moins de 28 000 km2 et regroupant 10,5 millions d’habitants. La même tâche serait probablement un défi colossal sur un immense terri-toire de 8 516 000 km2 regroupant près de 210 millions d’habitants. A suivre : seconde partie. [1] Plusieurs déclarations émanant de l'influent "clan Bolsonaro" semblent soutenir cette thèse. En 2019, un des fils du président, Eduardo, a évoqué le possible retour de la dictature en cas de « radicalisation de la gauche ». Un autre fils, Carlos, a estimé que « la voie démocratique ne permettra pas de réaliser la transformation voulue par le Brésil à la vitesse désirée ». [2] Le pouvoir réduit progressivement des libertés qui sont essentielles pour que les citoyens puissent exercer leur pouvoir démocratique de manière effective : liberté d’ex-pression, de contestation, liberté d’association. [3] Cette loi adoptée en 2011 prévoit un principe général d'accès à l'information (avec des exceptions pour les données personnelles ainsi que pour les documents classifiés). L'accès aux documents est très large : il concerne les trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), tous les échelons administratifs (des municipalités à l'échelon fédéral) et également les entreprises publiques ou mixtes, les fondations, ainsi que les entités à but non lucratif. [4] Tous les mois, le site spécialisé en droit et en analyses politiques Jota établit un indice synthétique des résultats de diverses enquêtes d’opinion portant sur l’évaluation du chef de l’Etat. La dernière synthèse publiée le 12 juin dernier montraient que 45,7% des brési-liens jugeaient négative l’action du Président (contre 34% en début d’année). Les person-nes interrogées considérant cette action comme bonne ou très bonne représentaient 27,9% de l’échantillon (contre 34,5% en début d’année). La part des sondés estimant cette action comme acceptable est passée dans l’intervalle de 31,5% à 22,4%. Voir les graphi-ques retraçant la popularité de J. Bolsonaro sur le site : https://data.jota.info/aprovacao/ [5] Le Brésil a été chargé dès le début de la MINUSTAH d’en assurer le commandement militaire. Pendant les deux premières années (2004-2005), le général Augusto Heleno (aujourd’hui ministre-chef du GSI) a commandé 6700 soldats de 15 nationalités. Pendant ces deux premières années, les casques bleus ont dû affronter une véritable situation de guerre. Ils ont été obligés d’utiliser des blindés équipés de mitrailleuses et divers autres engins blindés pour venir à bout de factions armées qui tenaient une partie du territoire d’Haïti.

  • L'armée au pouvoir ? (3).

    Bolsonaro utilise les militaires. Jamais depuis la Seconde Guerre Mondiale, un gouvernement fédéral n’a été aussi peu-plé de personnalités issues du monde militaire ou appartenant encore à l’armée d’active. Le Président Bolsonaro lui-même a été capitaine dans l’Armée de terre. Le vice-Président Hamilton Mourão est un général d’armée réserviste. Le Porte-parole de la Présidence, Otavio de Rego Barros, est aussi un général réserviste. Le Président compte parmi ses proches conseillers un directeur du Secrétariat de questions stratégiques (SAE), poste occupé depuis février 202O par un amiral de la marine. Au niveau de l’équipe minis-térielle et du gouvernement, les anciens militaires paraissent avoir envahi les cabinets et la haute administration. En juin 2020, on comptait 23 portefeuilles ministériels, dont 17 ministres, deux secré-tariats et 4 organismes équivalents à des ministères. Dix de ces portefeuilles étaient détenus par des militaires de la réserve ou de l’active. Les ministres directement ratta-chés à la Présidence de la République étaient au nombre de quatre. Le premier poste est celui du chef de la Maison Civile de la Présidence, équivalent à une fonction de coor-dination du cabinet ministériel. Il est assumé depuis février 2020 par le Général Braga Neto, général d’armée, ancien chef de l’Etat-Major de l’armée de terre, versé à la réserve peu de temps après avoir assumé sa nouvelle mission politique. Le second poste est celui de Ministre-chef du cabinet de sécurité institutionnelle (GSI), assumé depuis le 1er janvier 2019 par le Général Augusto Heleno, général quatre étoiles à la retraite. Le porte-feuille de secrétaire du gouvernement est détenu par le Général Luiz Eduardo Ramos, général d’armée encore en activité. Enfin, le quatrième portefeuille, celui de Secrétaire général de la Présidence, est occupé par un ancien Major de la Police Militaire, Jorge Oliveira. Ainsi, la gestion du palais présidentiel et la garde rapprochée du chef de l’Etat sont totalement militarisés. Les services de la Présidence et les autres organes directement rattachés à la Présiden-ce font travailler aujourd'hui un peu plus de 3200 fonctionnaires civils et militaires. Le seul GSI mobilise 1141 militaires de tous grades (principalement des officiers intermé-diaires, supérieurs et généraux de l’Armée de terre). Le GSI (voir encadré) est l’organe de l’exécutif qui concentre aujourd’hui le plus grand nombre de militaires de l’active et de la réserve. Au sein du gouvernement proprement dit, six portefeuilles ministériels sont détenus par des hommes appartenant aux forces armées. C’est le cas de la Défense, ministère dirigé depuis le début du mandat de Bolsonaro par le général d’armée réserviste Fernando Azevado e Silva. Au sein du cabinet du ministre, de la haute administration et des direc-tions générales de la Défense, on ne compte pas moins de 1250 collaborateurs militaires (dont 307 issus de l’Armée de terre, 480 originaires de l’Armée de l’air et 395 marins). Le ministère des Mines et de l’Energie est dirigé par l’Amiral de réserve Bento Albuquerque. Le ministère des sciences et technologie est dirigé par le lieutenant-colonel de réserve de l’Armée de l’air Marcos Pontes. Le capitaine de réserve de l’Armée de terre Tarcisio Freitas détient le portefeuille des infrastructures. Le général Eduardo Pazuello assume depuis mai dernier par intérim le poste de Ministre de la Santé. Enfin, le capitaine de l’Ar-mée de terre Wagner Rosario détient le portefeuille de Ministre de la Transparence. Sur l’ensemble des ministères hors la Défense qui ne sont pas directement rattachés à la Présidence, on recensait en juin 2020 326 collaborateurs d’origine militaire occupant des postes au sein de cabinets et de directions générales. Au total, au niveau de l’exécutif fédéral 2716 postes sont aujourd’hui occupés par des militaires d’active et de la réserve. Outre les 10 officiers généraux détenant des porte-feuilles ministériels, on estime que plus de 1000 officiers (intermédiaires, supérieurs et généraux) occupent des postes de confiance au sein du gouvernement Bolsonaro (cabi-nets ministériels, directions d’administrations centrales et d’organismes relevant de l’Etat central). Sur les décennies passées, seul le gouvernement du Maréchal Castelo Branco, constitué après le coup d’Etat de 1964 comptait plus de ministres issus des forces ar-mées que le gouvernement Bolsonaro (12 contre 10). Aucun des Présidents qui ont suc-cédé à Castelo Branco pendant la dictature n’ont appelé autant de ministres militaires que Bolsonaro. Un malentendu initial. La participation d'officiers au gouvernement est fondée à l’origine sur une convergence idéologique et un énorme malentendu. Le monde militaire connaît très bien Jair Bolso-naro dont la carrière sous les drapeaux a été aussi météorique que traumatisante pour l’institution. Après une formation de quatre ans à l’Academie militaire d’Agulhas Negras, Bolsonaro est devenu officier de l’Armée de terre en 1977. Il servira dans cette force (comme parachutiste) pendant onze ans, obtiendra le grade de capitaine et sera con-traint de passer à la réserve en 1988 pour désobéissance et des problèmes graves de conduite. Il a alors commencé une longue carrière politique, d’abord comme membre de l’assemblée municipale de Rio de Janeiro (jusqu’en 1990) puis comme député fédéral de l’Etat au cours de sept mandats consécutifs. Sa trajectoire parlementaire sera aussi terne que longue. Membre de la Chambre des députés pendant 28 ans, il n’est parvenu à faire adopter que trois projets de loi qu’il avait rédigés. Il aura appartenu à ce que l’on appelle le "bas clergé" au sein de l’institution parlementaire. Bolsonaro aura cependant régulière-ment défrayé la chronique et sera fréquemment dénoncé auprès de la Commission d’éthique de l’assemblée en raison de ses attaques récurrentes contre les femmes, les homosexuels, les partis de gauche, la démocratie et de sa défense répétée de la dicta-ture militaire. Les propos du député Bolsonaro étaient si déplacés et insensés qu’ils ont fini par faire passer le député pour une figure folklorique que personne ne prenait vraiment au sérieux. Lors du scrutin de destitution de la Présidente Dilma Rousseff en août 2016, le député annoncera son vote favorable en soulignant que ce choix était "contre le communisme, pour notre liberté, contre le forum de São Paulo, pour la mé-moire du Colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, la terreur de Dilma Rousseff, pour l’ar-mée de Caxias, pour nos forces armées, pour le Brésil au dessus de tout et Dieu au dessus de tous…"[1]. Jair Bolsonaro a construit sa carrière de parlementaire en se présentent comme un dé-fenseur des secteurs les plus conservateurs des forces armées, ceux qui n’ont jamais vraiment accepté le régime démocratique restauré après 1985. Toute sa vie durant, il n’a cessé de répéter que la dictature de 21 ans avait empêché l’instauration d’un pouvoir communiste et constitué une période d’ordre et de progrès de la nation. Il s’est aussi spécialisé comme élu dans la défense des intérêts corporatistes du monde militaire (salaire des soldats, budget de défense). Dans les années 1990, il s’assure ainsi l'appui et la sympathie de membres des Etats-Majors et de soldats de la troupe. Le futur candidat Jair Bolsonaro visite les casernes dans les années 2000. Dès la réélection de Dilma Rousseff en octobre 2014, Jair Bolsonaro entre en précam-pagne pour le scrutin présidentiel de 2018. Il a compris que dans un pays lassé par la gauche au pouvoir et l’incapacité de l’Etat de répondre aux demandes de la société en matière de justice, de sécurité et de lutte contre le crime organisé, un espace politique s’ouvrait pour un candidat de l’extrême droite radicale. Tous les ans, entre 2014 et 2018, il participera à la cérémonie de remise des diplômes des cadets à l’Académie dont il est lui-même issu. Il cultive ses liens et le capital de sympathie qu’il a su constituer auprès de la troupe. Ce politicien local va aussi élargir sa clientèle électorale en défendant à la Chambre les intérêts des militaires mais aussi ceux de professionnels appartenant à d’autres organes de sécurité et de défense comme la Police Militaire. Ses fils seront également engagés dans la vie politique. Ils vont contribuer à élargir la base électorale de leur père en développant une stratégie populiste destinée à capter le soutien d’un électorat de la droite radicale en utilisant des techniques de manipulation digitales so-phistiquées sur les réseaux sociaux. Cette base électorale va en outre intégrer progres-sivement d’importants leaders des églises évangéliques, groupes religieux qui connais-sent un essor considérable à la périphérie des grandes métropoles brésiliennes à partir du début des années 1990. En mars 2016, le député officialise sa candidature à l’élection présidentielle. L’ancien capitaine se présente alors comme un candidat conservateur, ennemi de la corruption, antisystème, défenseur des valeurs familiales et partisan d’une politique de répression ferme dans le domaine de la sécurité publique. Dès 2016, des membres des Etats-Majors conservateurs, vont considérer avec intérêt la candidature de Jair Bolsonaro. Dans ce groupe, très nombreux sont les officiers généraux de l’active, de la réserve ou retraités qui sont des adhérents de longue date du club militaire de Rio de Janeiro, une institution particulièrement active dans la diffusion des théories conspirationnistes qui dénoncent l’emprise d’un "marxisme culturel" sur la société brésilienne, le règne d’un relativisme moral et l’affaiblissement des traditions de l’occident chrétien. Ces chefs militaires in-fluents défendent eux aussi la dictature militaire. Ils n’acceptent pas une République qui laisse l’Etat devenir l’instrument de l’enrichissement d’une classe politique cupide. La multiplication des scandales de corruption et de détournements de fonds publics sur les dernières années de la gauche au pouvoir les a ulcérés. Ils militent en faveur du rétablis-sement d’un ordre moral, craignent un retour de Lula au pouvoir en 2018, ambitionnent de restaurer un Etat respecté, respectable, défenseur de l’intérêt national et protégé des errements d’une démocratie trop libérale. Les officiers généraux qui s’intéressent à Bolsonaro connaissent l’homme de longue date. Ils n’ignorent rien de son passé militaire peu glorieux. Ils savent aussi que l’ancien capi-taine est populaire dans les casernes, que ce parlementaire hors norme a régulièrement défendu les intérêts de la corporation militaire au Congrès. Ils connaissent encore les limites de ce personnage autoritaire, sectaire, agressif, vindicatif et obtus. Pourtant, ce groupe d’officiers considère que la victoire de l’ancien capitaine au scrutin de 2018 pour-rait être une occasion historique. Cette victoire permettrait d’installer à la tête du pays un gouvernement conservateur de droite, énergique, capable de rétablir un fonctionnement normal des institutions et d’en finir avec les dérives morales d’une république jugée apathique et veule. Pour ces militaires attachés à l’ordre et à la discipline, il s’agit d’en finir avec la corruption généralisée, de rétablir le primat de la loi et du bien public, d’encadrer la démocratie représentative, de circonscrire le pouvoir des Juges. Ces gradés sont les héritiers d’une vieille tradition au sein de l’institution militaire brésilienne. Celle-ci se con-sidère depuis des lustres comme le tuteur d’une société civile instable, incapable par elle-même de gérer les conflits qui la traversent, menacée souvent par un risque d’af-frontements ouverts et violents. Les forces armées ont la mission de compenser une telle impuissance en rétablissant et en soutenant un Etat fort, capable d’assurer la paix civile, le respect de l’ordre et donc le progrès de la nation. En ce début du XXIe siècle, après plus de trente ans de régime démocratique, rares sont les officiers généraux et su-périeurs qui envisagent d’assumer cette mission en recourant à un coup de force, une rupture institutionnelle brutale. Les circonstances ne sont pas réunies pour un tel scé-nario. Pour mettre des limites au jeu démocratique, le "tuteur" doit épouser les règles du jeu, s’en servir pour les redéfinir ensuite. Mai 2018 : Le général Hamilton Mourão fait ses adieux à l'Armée avant de se porter candidat à la Vice-Présidence et former un ticket avec Jair Bolsonaro. Bolsonaro n’est pas le candidat idéal dont ces militaires ont pu rêvé. Pourtant, ils vont rejoindre la campagne du candidat. Deux évènements viennent renforcer cet enga-gement au cours de l’année 2018. Le premier est l’inconstance que va manifester la pouvoir judiciaire après l’arrestation et l’incarcération de l’ancien Président Lula en avril. Sur les mois qui suivent, la Cour suprême et des magistrats de rang inférieur envisagent à plusieurs reprises de libérer le condamné. La Justice va aussi longtemps tergiverser avant d’empêcher (conformément à la loi) le prisonnier de se présenter au scrutin prési-dentiel. Le second épisode est la grève des camionneurs qui paralysera pendant plu-sieurs semaines le pays en mai 2018. La campagne est officiellement lancée en aout 2018. Jair Bolsonaro a constitué un ticket avec le général réformé Hamilton Mourão, com-me candidat à la vice-présidence. Le candidat Bolsonaro n’a pas de programme structuré mais multiplie les phases provo-catrices et assassines contre le système politique en place. Encore marginal au début de sa campagne, il va bénéficier du renfort de ces officiers généraux conservateurs qui vont l’appuyer. La présence de ces gradés aux côtés du député confère un peu de sérieux à ce prétendant qui semblait folklorique et marginal. Bolsonaro va recevoir ainsi le soutien de personnalités expérimentées en matière de logistique, de gestion de ressources humaines, de planification, de discipline et de respect de la hiérarchie. Ces soldats croient que le puissant mouvement d’opinion qui a ruiné la réputation et le crédit des leaders politiques de tous bords, des partis, de la presse et des autres institutions va créer une conjoncture particulière, une conjoncture qui permettra au futur exécutif de remettre de l’ordre dans la gestion des affaires publiques et de la société, de rétablir l’Etat même si le prochain Congrès crée des obstacles. Ces soldats vont donc s’allier à un ensemble de forces politiques réunissant à la fois une extrême-droite très radicalisée, les leaders des églises évangéliques et de multiples fac-tions ambitionnant d’en finir avec la corruption, la gauche ou même la démocratie. Le projet commun de cette mouvance est pourtant assez différent de celui des hommes en uniforme. Les généraux qui intègreront l’exécutif fédéral à partir de janvier 2018 parta-gent une culture hiérarchique de discipline. Ils imaginent que le nouveau Président va construire un bon gouvernement, ordonné, harmonieux. La mouvance des forces bolso-naristes est elle engagée dans une guerre culturelle. Son ambition n’est pas de stabiliser des institutions mises à mal par les scandales politico-financier qui ont accompagné la fin de la gauche au pouvoir. Son programme ne consiste pas à rétablir un fonction-nement harmonieux et équilibré des trois pouvoirs. Son projet est au contraire de main-tenir et d’alimenter en permanence le climat de tension et de polarisation qui s’impose dans le pays depuis quelques années. Ce courant conservateur très réactionnaire entend bien, une fois installé au pouvoir, se consacrer entièrement à la guerre contre le "mar-xisme culturel". Il ne s’agit pas de rétablir la paix civile et le fonctionnement normal des institutions. Il s’agit au contraire d’amplifier la crise politico-institutionnelle, de provoquer le chaos, de cultiver et de provoquer les tensions et les conflits avec les institutions en place et avec les autres courants politiques. Les militaires conservateurs ont cru qu’ils pouvaient nouer une alliance stratégique avec ces conservateurs radicaux d’extrême-droite. Pour ces derniers, l’alliance est tactique. Elle présente plusieurs avantages. Bolsonaro, sa famille et les factions de l’extrême droite qui soutiennent la dynastie ont eu besoin de militaires pour constituer et structurer l’exécutif gouvernemental. La mou-vance bolsonariste ne disposait pas de cadres qualifiés en nombre suffisants pour occu-per des postes ministériels, constituer des cabinets et piloter la haute administration. Refusant de former un gouvernement d’ouverture et de faire appel aux leaders de formations de la droite classique et du centre, le clan entourant l’ancien capitaine a donc choisi de recourir à des militaires réformés ou retraités, sans expérience politique mais détenteurs de solides compétences techniques et administratives. Les leaders bolso-naristes n’ont évidemment pas choisi de s’associer à n’importe quels militaires. Les officiers généraux et supérieurs qui ont rejoint l’équipe gouvernementale et contribué à la formation de l’administration Bolsonaro partagent la vision conservatrice de la société que revendiquent les bolsonaristes, ils revendiquent une philosophie politique inspirée par les courants néo-conservateurs radicaux d’origine nord-américaine. Au-delà de cette proximité idéologique et de la contribution essentielle de militaires à la mise en place, à la structuration et au fonctionnement de l’exécutif, leur forte présence au sein du gou-vernement et de la haute administration a un autre avantage, fondamental pour les bolsonaristes les plus radicaux. Bolsonaro et plusieurs de ses ministres issus des Etats-Majors. La militarisation du pouvoir permet de convaincre la société que le Président est entouré d’une garde prétorienne qui n’hésitera pas à imposer la suspension des autres institu-tions républicaines si le mandat du chef de l’Etat venait à être menacé. Les généraux qui peuplent le palais présidentiel et plusieurs ministères ont accepté une alliance parce qu’ils voulaient imposer plus de rationalité et de bon sens dans la conduite des affaires publiques, lutter contre la politisation extrême de la gestion de l’Etat et contribuer à la lutte contre la corruption. De leur côté, Bolsonaro, ses fils et ses adeptes ont privilégié la nomination de militaires afin précisément de militariser un exécutif et avec l’objectif d’intimider ainsi le Congrès et le Pouvoir judiciaire. L’ancien capitaine et ses proches ont en quelque sorte "vampirisé" l’image des forces armées pour les utiliser dans la guerre qu’ils entendent mener afin de neutraliser les institutions démocratiques. Ils entendent ainsi tétaniser ces institutions en suggérant que toute remise en cause de la Présidence aurait pour effet de mobiliser sa garde prétorienne. Depuis plus de 18 mois, une Administration fédérale faible s’entoure de plus en plus de militaires pour simuler la force, se préserver ainsi en intimidant les deux autres pouvoirs[2]. La menace de la rupture institutionnelle, du coup d’Etat exécuté par la garde prétorienne doit permettre à l’exécutif de faire plier les deux autres pouvoirs, de contraindre les Juges de la Cour Suprême à la passivité, de transformer le Congrès en chambre d’enregistrement avant de suspendre son fonctionnement….Au sein du gouver-nement comme dans l’espace public et sur les réseaux sociaux, les bolsonaristes mè-nent un combat contre la démocratie représentative et l’Etat de droit. L’alliance des mili-taires issus des Etats-Majors est une alliance tactique. Un Président indomptable. La thèse a été défendue par de nombreux analystes dès le début du gouvernement Bolsonaro. Le président élu serait sous la tutelle des militaires. Il serait même l’instrument d’une stratégie de neutralisation des institutions républicaines particulièrement perverse conçue par les Etats-majors. L’ancien capitaine consacre l’essentiel de son énergie depuis qu’il est chef de l’Etat à provoquer des crises institutionnelles. Avec ses partisans sur les réseaux sociaux et dans les rues, il ne cesse d’attaquer le système politique, la Justice, les élus et leaders du Congrès, les gouverneurs des Etats, les maires, la presse et les médias. Rares sont les semaines depuis janvier 2019 sans déclaration borderline, propos agressif, violent, absurde ou déplacé contre les opposants, les minorités, les fem-mes, les journalistes, les gouvernements de pays étrangers, la communauté scientifique, les universitaires, les défenseurs de l’environnement ou tous ceux qui ne se rangent pas derrière ce Président hors norme. Depuis mars 2020, la gestion de la crise sanitaire a donné une illustration caricaturale de la posture d’un chef de l’Etat populiste totalement investi dans la séduction de sa clique d’adeptes et de partisans fanatisés, incapable de prendre la mesure de la catastrophe qui accablait le pays. Il a tour à tour dénoncé les gouverneurs qui tentaient de faire face, imposé une manipulation des statistiques de contamination et de décès, refusé de pra-tiquer des gestes-barrières élémentaires, proclamé à l’envie que la pandémie n’était qu’une petite grippe mais attribué à la Chine la responsabilité de la propagation d’un virus et d’une opération destinée à faire tomber son gouvernement. La tragédie sanitaire aura été aggravée au Brésil par une tragédie politique. A aucun moment le chef de l’Etat n'aura été capable manifester la moindre compassion pour les victimes. Par contre, il aura été capable de provoquer la démission de deux ministres de la santé (le dernier sera remplacé par un militaire qui n’a aucune compétence en médecine ou santé pu-blique), de flatter ses partisans qui ne voulaient pas entendre parler de confinement ou d’encourager des manifestations de rues contre le Congrès, la Cour suprême, le sys-tème…. Mai 2020 : Manifestion de bolsonaristes exigeant une intervention militaire et la fermeture du Congrès National et de la Cour Suprême (STF). La presse et les analystes se demandent depuis des mois comment les militaires du gouvernement parviennent à accepter et à supporter cette posture qui alimente en per-manence les conflits, les tensions, les blocages entre institutions, amplifie la polarisation (voire la violence) au sein de la société civile. Selon plusieurs universitaires experts en questions militaires, l’incontinence verbale, l’agressivité, la transgressivité, l’art de créer le chaos que démontre le Président et ses partisans les plus radicaux serviraient parfai-tement les desseins des militaires. Acteur d’un scénario conçu par les Etats-Majors, Bolsonaro serait chargé de créer le désordre, d’empêcher une diminution de la polari-sation politique, d’exacerber les tensions. Le chef de l’Etat, ses fils, son clan de partisans fanatiques seraient des agents provocateurs au service des Etats-Majors. Le Président est le principal acteur visible d’une chorégraphie écrite par les officiers généraux. Il met le feu pour permettre aux militaires d’apparaître ensuite comme des pompiers dévoués. Le chef de l’Etat peut ainsi susciter des manifestations de ses troupes contre la Cour Suprême, le Congrès et les parlementaires. Dans un premier temps, les militaires du gou-vernement vont souligner qu’ils ne peuvent pas réagir car ils respectent les règles de la démocratie. Les institutions attaquées répliquent alors. Les élus du Congrès peuvent aller au-delà de dénonciations en ajournant le débat et le vote d’un projet soumis par l’exécutif ou en rejetant le texte. Les magistrats de la Cour Suprême vont ouvrir une enquête pour identifier les liens existants entre les manifestants et les proches du Président. Les militaires qui intègrent l’exécutif insinuent alors que ce sont les Juges et les parle-mentaires qui ne respectent pas la démocratie, qu’ils dépassent des limites qui ne devraient pas être franchies, qu’ils portent atteinte aux droits de l’exécutif et empêchent le chef de l’Etat élu par une majorité de la population de gouverner. Cette gestuelle tactique n’a évidemment pas pour effet de rétablir un climat de concorde au sein d’une société civile extrêmement polarisée. C’est précisément un climat de crise qu’il faut en-tretenir pour justifier si besoin était dans l’avenir une intervention claire et explicite des militaires lorsque le chaos institutionnel sera à son paroxysme, que l’instabilité politique deviendra insupportable, que la paix civile sera effectivement menacée. Pour reprendre l’expression d’un des concepteurs de cette thèse, Bolsonaro et ses partisans fonction-neraient dans ce nouveau mode de gouvernement comme un paratonnerre sans con-ducteur de descente permettant d’écouler à la terre le fluide électrique contenu dans le nuage orageux et d’empêcher la foudre de tomber. La thèse peut séduire. Elle ne permet pas de rendre compte d’évènements majeurs qui ont marqué les 500 premiers jours du mandat. A plusieurs reprises, les militaires de l’exé-cutif sont entrés en conflit avec les leaders bolsonaristes et la famille du Président. Ils ont souvent du s’incliner. Certains d’entre eux ont même du démissionner. Depuis le début de la crise du covid-19, Jair Bolsonaro tente de neutraliser toute tentative d’engager une procédure de destitution au Congrès en cherchant à s’associer des parlementaires du centrão, ce marais formé par plus de 200 députés et plusieurs dizaines de sénateurs prêts à vendre leur appui à un exécutif qui sait payer le prix demandé. Devant ce retour spectaculaire de la vieille politique, les militaires du gouvernement se taisent….En réalité, au sein de l’Administration Bolsonaro, les généraux ne sont pas des superministres qui manipuleraient des marionnettes dociles. Ils sont traités comme les titulaires de porte-feuilles civils. Ils sont certes consultés par le chef de l’Etat mais ce dernier prend seul ses décisions. Disciplinés, les militaires du gouvernement obéissent au commandant. Et celui qui se trouve en situation de commander s’appelle Bolsonaro… Ce dernier n’est pas sous la tutelle d’un quarteron de généraux qui feraient la pluie et le beau temps en coulisse. La rumeur selon laquelle Bolsonaro serait devenu au fil des mois un personnage sous l’emprise de ses collaborateurs venus des casernes est propa-gée par les généraux eux-mêmes qui valorisent ainsi leurs nouvelles fonctions. Pourtant, il n’y a pas de junte militaire coordonnée par le général Braga Netto qui dirigerait la Présidence et définirait le rôle et le jeu d’un Président fantoche. Sur les dix officiers généraux qui détiennent aujourd’hui des portefeuilles ministériels, huit sont des militaires de la réserve[3]. Le général Luiz Eduardo Ramos qui assume le poste de secrétaire du gouvernement appartient encore à l’armée d’active mais devrait prochainement être versé à la réserve. Seul le général Pazuello (ministre de la santé par intérim) appartiendra encore à l’armée d’active. Certes, plusieurs des généraux occupant des postes clés sont encore proches de la troupe[4]. Aucun n’exerce évidemment de fonction de commandement. Il n’est d’ailleurs pas certain que les chefs d’Etats-Majors actuels soient exactement alignés sur les choix politiques faits par leurs collègues ap-partenant au gouvernement. Depuis plusieurs mois, le général Edson Leal Pujol, com-mandant en chef de l’Armée de terre laisse entendre qu’il ne partage pas tous les choix de l’exécutif, notamment en matière de lutte contre la pandémie du Covid-19. Les officiers généraux des trois armes qui exercent effectivement des fonctions de comman-dement se gardent de toute expression publique. Les militaires de la réserve que Bolsonaro utilise pour menacer la démocratie et affaiblir les institutions républicaines ne sont donc pas dans une situation confortable. Ils ne représentent pas leur institution d’origine au sein du pouvoir et ne constituent pas un haut commandement qui serait assuré de l’appui inconditionnel des officiers d’active qui disposent de troupes. Pourtant, leur participation à un gouvernement de moins en moins populaire écorne sérieusement l’image et la réputation des forces armées. Le soutien qu’ils apportent à une dynastie familiale dont la moralité ne semble pas à toute épreuve[5] suscite des critiques au sein même du monde militaire. Des officiers généraux de l’active et en position de commandement demandent désormais à ceux de leurs col-lègues qui participent à l’exécutif mais ne sont pas encore ni réservistes, ni retraités de clarifier rapidement leur situation. Jusqu’où l’institution et les officiers généraux du gouvernement sont-ils prêts à suivre Bolsonaro ? Quelle sera leur attitude après la crise du Covid-19 lorsqu’il faudra faire le bilan de la gestion par l’exécutif d’une catastrophe sanitaire et humanitaire dont l’ampleur aurait pu être limitée ? Comment aborderont-ils la phase post-covid dans un pays con-fronté à la fois à un récession économique majeure, au délabrement provoqué de son système politico-institutionnel et à la dégradation de la situation sociale ? Il n’est pas certain que le bolsonarisme puisse encore miser longtemps que le soutien des Etats-Majors… A suivre : Les scénarios des militaires. [1] Le Colonel Brilhante Ustra a été le premier militaire accusé par la Justice brésilienne pour crime de torture. Pendant le régime militaire, il a été entre 1970 et 1974 chef du DOI-Codi de l’Armée de terre à São Paulo, organe de répression. Sous ses ordres, près de 50 personnes seront assassinées ou disparaitront. Plus de 500 autres détenus politiques se-ront torturés. [2] Le Président et ses proches ont consolidé ce soutien et cette participation en répon-dant aux demandes très concrètes (budget de défense, soldes, retraites) des forces armées. Le millier d’officiers d’active et de réserves occupant des postes de confiance au sein de l’exécutif bénéficient de rémunérations plus élevées que dans leur corps d’ori-gine. La réforme des retraites adoptée en 2019 a maintenu pour l’essentiel le système de pensions très avantageux des militaires. Les soldes ont été augmentées. La Marine a été soutenue pour créer une entreprise publique de construction de navires de guerre. Les crédits attribués à la défense dans le budget de 2020 ne peuvent pas être bloqués (y compris les crédits permettant la construction d’un sous-marin nucléaire et l’acquisition de plusieurs avions de chasse). Même après la crise du Covid-19, la récession qui com-mence et l’aggravation du déficit budgétaire, les militaires sont assurés de voir les crédits de défense progresser dans le budget de 2021. [3]Le militaire d’active est une personne qui assume un poste, une mission, un service ou une activité de nature militaire à l’intérieur de l’une des trois forces armées, au sein des services de la Présidence de la République, de la Vice-Présidence, du Ministère des armées ou d’autres organes liés aux forces armées. Un simple soldat qui n’a pas progres-sé en grade peut demeurer dans l’armée d’active jusqu’à l’âge de 44 ans. La limite s’élève en fonction de la position occupée dans la hiérarchie. Elle est aujourd’hui de 66 ans pour un général d’armée ou grade équivalent. Une fois la limite d’âge atteinte, le militaire est versé dans la réserve. Un militaire réserviste peut être conduit à reprendre du service sur convocation de son corps d’appartenance et en cas de mobilisation. Le simple soldat demeure réserviste jusqu’à l’âge de 56 ans. La limite d’âge s’élève en fonction de la position occupée dans la hiérarchie. Elle est aujourd’hui de 68 ans pour un officier-géné-ral. Une fois la limite d’âge atteinte, le militaire est réformé, c’est-à-dire définitivement retraité et détaché du service. Un militaire peut être réformé avant d’avoir atteint l’âge limite en cas d’invalidité, d’incapacité physique définitive ou d’une condamnation qui le contraint à quitter les forces armées. [4] Ainsi, le Général Braga Neto (chef de la maison civile, coordinateur du gouvernement) a été commandant des armées de terre de l’Est de 2016 à 2018, puis responsable de l’opération de maintien de l’ordre à Rio de Janeiro de février 2018 à mars 2019. Pour sa part, le général Luiz Eduardo Ramos a commandé a été chef-adjoint de l’Etat Major de l’Armée de terre entre 2017 et 2018, avant de devenir commandant en chef de l’Armée de terre sur le Sud-Est du pays entre 2018 et 2019. Citons encore le cas du Général Eduardo Pazuello (Santé) qui a exercé une fonction de commandement jusqu’en mai dernier. [5] Depuis la fin 2018, le parquet de Rio de Janeiro enquête sur un système d’emplois fic-tifs et de détournements de salaires de fonctionnaires qui aurait fonctionné au cabinet d’un fils de Jair Bolsonaro (Flavio Bolsonaro) alors qu’il était élu de l’assemblée muni-cipale. Le 18 juin dernier, Fabricio Queiroz, un ex-conseiller de Flavio qui était en fuite depuis des mois a été arrêté. Il était caché dans la résidence secondaire de l’avocat de la famille Bolsonaro. Ancien officier de la Police militaire, Queiroz est soupçonné d’être membre de groupes paramilitaires qui dominent certains quartiers de Rio avec la com-plicité de responsables politiques en vue. L’enquête est très embarrassante pour Jair Bolsonaro qui avait fait de la lutte anticorruption l'un des grands thèmes de sa campagne électorale en 2018.

  • L'armée au pouvoir ? (2).

    Le projet politique des Etats-Majors. A partir du début du second mandat de la Présidente Dilma Rousseff (2015), le pays est plongé dans une crise multiforme. D’énormes scandales de corruption impliquant le parti de la Présidente sont révélés par une Justice très active. L’ancien chef de l’Etat Lula est inculpé dans plusieurs procédures. La récession économique s’amplifie. Les formations politiques au pouvoir se déchirent. En fin d’année, une procédure de destitution est en-gagée contre Dilma Rousseff. L’impeachment sera voté par le Congrès en août 2016. Déjà aux commandes depuis le début de la procédure, le Vice-Président Michel Temer devient chef de l'Etat et conserve ce poste jusqu'en fin 2019. Les militaires brésiliens ont été relativement discrets sur les trente premières années qui ont suivi le retour à la démocratie en 1985. La crise politique et institutionnelle surgie après 2014 conduit plusieurs officiers généraux d’active à intervenir dans le débat et la vie politiques. L’investiture de Michel Temer est une étape majeure de ce processus [1]. Sur-fant sur la popularité des forces armées dans le contexte de discrédit du système poli-tique, le Président par intérim s’entoure de généraux. Le Cabinet de Sécurité Institu-tionnel (Gabinete de Segurança Institucional, GSI), organe rattaché à la Présidence avait été supprimé par Dilma Rousseff en 2015. Il est restauré par Temer et sa direction est confiée au général Sérgio Etchegoyen [2]. Très conservateur, adepte de la militarisation la plus poussée possible des opérations de sécurité urbaine, Etchegoyen sera pendant deux ans le plus proche collaborateur du Président. Temer a également nommé des gé-néraux à des fonctions réservées depuis 1988 à des civils : la direction de la Fondation Nationale de l’Indien (Funai), le Secrétariat National de la Sécurité Publique et surtout du Ministère de la Défense confié, depuis février 2018, à Joaquim Silva e Luna, général de la réserve de l’armée de terre [3]. La présence accrue de généraux dans l’Exécutif fédéral est indissociable de la politique de militarisation du maintien de l’ordre public, qu’a adopté Michel Temer. L’armée de ter-re peut être sollicitée par le gouvernement fédéral, dans le cadre d’opérations de "Garan-tie de la Loi et de l’Ordre" (GLO) prévues par la Constitution, au cours desquelles les trou-pes sont employées ponctuellement comme forces de police. Le nombre de GLO, qui avait déjà fortement augmenté sous les mandats de Dilma Rousseff, a explosé après l’impeachment. En mai 2017, Michel Temer décrète une GLO pour garantir la sécurité des ministères à Brasilia, alors que se déroulent des manifestations exigeant le renvoi du chef de l’exécutif. De février à décembre 2018, c’est la sécurité publique de la métropole de Rio de Janeiro qui passe sous la coupe de l’armée [4]. La situation sur l’agglomération est alors calamiteuse. D’importants quartiers de la périphérie sont totalement passés sous le contrôle du crime organisé ou de milices paramilitaires. Les initiatives prises par le secré-tariat à la sécurité publique depuis des années ont été des échecs. Le développement d’une police communautaire de proximité n’a pas empêché la violence et les trafics de toutes sortes (stupéfiants mais aussi armes de gros calibres) de progresser. La population des banlieues est soumise quotidiennement à la loi imposée par les bandes de trafi-quants et les milices. La seconde métropole du pays est sur le point de devenir une zone de non-droit, abandonnée par les pouvoirs publics officiels dont les responsables sont impliqués dans la corruption la plus éhontée. L’insécurité atteint des niveaux jamais at-teints auparavant dans une des villes les plus dangereuses d’Amérique du Sud. Le pays est paralysé par la grève des camionneurs en mai 2018. Un autre épisode majeur va conduire les militaires à prendre d’importantes initiatives. En mai 2018, le pays est totalement paralysé, touché depuis quelques jours par une grève massive des camionneurs. Les pénuries se généralisent. Les files s’allongent devant les stations d’essence. Les supermarchés sont vides. Dans ce contexte de tensions sociales extrêmes, le Président Temer confie aux forces armées la responsabilité de libérer la cir-culation sur les axes routiers bloqués par les grévistes. En application d’un décret prési-dentiel, l’armée de terre va engager une nouvelle opération de "Garantie de la Loi et de l’Ordre" sur tout le territoire national. La mission sera coordonnée par le Général Serge Etchegoyen (GSI). Dès lors, les jours suivants, la population sera régulièrement informée par un amiral, chef de l’Etat-Major commun aux trois forces, de la reprise progressive des services publics essentiels (santé, sécurité publique, électricité) et du fonctionnement du système de transport. A quelques mois des élections générales d’octobre, il revient donc à un Général de l’armée de terre de piloter une action destinée à casser une grève. C’est un officier de la marine qui est porte-parole de l’opération. Les généraux Etchegoyen, chef du GSI, et Silva e Luna, ministre de la Défense, sont également omniprésents sur les ondes. Jamais, depuis le retour des civils au pouvoir en 1985, des hauts gradés n’avaient été à la fois si présents et si visibles dans la gestion d’un conflit social. Le nouvel ennemi intérieur. Une implication croissante d’officiers généraux dans le fonctionnement de l’exécutif, une expression publique régulière de haut-responsables des armées : ces faits ne sont pas dus au hasard. A partir de 2014-2015, la hiérarchie militaire entend peser sur le cours de la crise majeure qui menace le système politico-institutionnel. Elle ambitionne de neutra-liser les menaces qu’elle estime les plus dangereuses. Comment caractériser le positionnement idéologique, la conception de la politique de ces membres d’Etats-Majors dont la carrière a commencé pendant la dictature (1964-1985), puis s’est déroulée sur les trente années de vie démocratique qui ont suivi ? La lecture de la presse militaire, les enquêtes réalisées par des experts universitaires, les déclarations publiques (de plus en plus fréquentes sur les dernières années) de nom-breux gradés permettent de dresser un profil qui peut s’appliquer à la plupart des offi-ciers généraux occupant des postes-clés au sein des trois forces. Ils ont en commun de partager une vision conservatrice de la société. Ils aiment l’ordre. Ils considèrent que le coup d’Etat de 1964 (qu’ils appellent révolution ou mouvement) a été une rupture sal-vatrice et que l’instauration pendant 21 ans d’une dictature aura permis d’éviter un bascu-lement du pays vers le communisme. Ils n’ont pas accueilli avec enthousiasme l’arrivée de la gauche au pouvoir en 2002. Leur perception de la crise du système politico-insti-tutionnel et de l’évolution de la société brésilienne est marquée par un courant de pen-sée qui a fortement influencé la formation des élites militaires sur les dernières décen-nies. Dès les premières années du XXIe siècle, alors que la gauche qui s’est installée au pou-voir, des généraux en fin de carrière ou réservistes [5] sont les propagateurs au sein des forces armées (principalement l’armée de terre) de théories conspiratoires élaborées par des intellectuels des Etats-Unis [6]. A partir des années 1990, ce travail d’influence est notamment conduit par un officier de réserve : le Général de brigade, Sérgio Augusto de Avellar Coutinho. Longtemps responsable du Centre d’Information de l’Armée de terre (CIE), cet officier aura sans doute été un des intellectuels les plus écoutés au sein de l’institution militaire sur les vingt dernières années. Versé dans le cadre de réserve en 1991, le général va se consacrer à l’étude des thèses du penseur marxiste italien Gramsci. En 2002 puis en 2003, il publie deux ouvrages consacrés à son auteur de prédilection [7] Le Général sera aussi à cette époque directeur culturel du club militaire de Rio de Janeiro, une organisation très ancienne et influente (voir encadré). A partir de la fin des années 2000, il devient le gourou d’une nouvelle droite naissante et multiplie les inter-ventions publiques. Ses thèses sont alors étudiées et reprises dans les cercles militaires. Les idées du général deviendront au fil des années une référence pour les membres et futurs membres des Etats Majors. L’argument central de Coutinho peut se résumer ainsi. L’effondrement de l’empire et du système soviétique ne signifie pas que le communisme international ait disparu. En réalité, tel un virus, il a muté. Les marxistes ont modifié leur stratégie. A la démarche bien connue des premiers révolutionnaires qui entendaient prendre le pouvoir par la prise de contrôle des moyens de production, la suppression de la propriété privée et de l’économie de marché, ils ont substitué une autre approche. Le terrain sur lequel le communisme international agit en priorité désormais n’est plus le champ économique, celui des infrastructures de production. La sphère privilégiée de l’action révolutionnaire est la sphère culturelle. Les communistes ambitionnent dorénavant la conquête du pou-voir par une action graduelle dans le champ des idées, des idéologies, des repré-sentations du monde. Ils suivent la stratégie préconisée en son temps par Antonio Gramsci. Un nouveau type de guerre froide a succédé au premier. A l’opposition an-cienne entre le capitalisme et le socialisme marxiste s’est substitué un antagonisme aux contours moins discernables entre la puissance désormais hégémonique du camp occi-dental et un ensemble d’organisations et d’entités difficilement identifiables. Le monde serait entré il y a trente ans dans une guerre hybride qui voit s’affronter sur le terrain politico-idéologique et militaire les Etats-Unis et le monde occidental d’une part et de l’autre le communisme international allié aux pays islamiques. Selon le général, les intellectuels au service du communisme ont engagé une offensive insidieuse pour promouvoir un "marxisme culturel". Coutinho soutient que les agents du communisme international entendent désormais mener une politique graduelle de conquête du pouvoir passant par la domination du champ culturel. Ces agents cons-cients ou non sont les intellectuels qui occupent des postes-clés dans la sphère de l’éducation, de la production littéraire et artistique, des médias. Cette intelligentsia utilise et influence toutes les organisations de la société civile (associations, syndicats, forma-tions politiques, églises). Elle suscite l’essor de nouvelles ONGs capables créer une agi-tation sociale autour de causes comme la protection de l’environnement, la défense des minorités ou les droits des femmes. Elle investit tous les moyens de communication, les institutions d’enseignement, les églises et organisations religieuses, les formations politi-ques pour imposer un mode de pensée unique, le politiquement correct, et faire pro-gresser un projet politique occulte qui consiste à détruire les traditions et les valeurs oc-cidentales. Tous les mouvements sociaux que cette intelligentsia lance ou instru-mentalise assurent en se développant l’emprise croissante sur la société civile d’un "mar-xisme culturel". Ils sont la manifestation visible de l’offensive du communisme interna-tional qui a déplacé le terrain de la lutte révolutionnaire du champ économique à la sphère culturelle. La doctrine du Général Coutinho sera étudiée et diffusée au sein d’institutions comme l’Academia Militar d’Agulhas Negras (formation des officiers de l’Armée de terre), l’Ecole Supérieure de Guerre ou l’Ecole de commandement de L’Etat-Major de l’Armée de l’air. Jusqu’en 2010, ces thèses n’influencent cependant que des cercles restreints. Elles seront plus diffusées auprès des Etats-majors et dans les institutions de formation mili-taire à partir du début de la dernière décennie, lorsque la gauche semble en mesure de conserver le pouvoir sur une longue durée. Selon Coutinho, la menace socialo-com-muniste serait devenue importante au Brésil avec l’arrivée au pouvoir au début des années 1990 (avec le premier gouvernement Cardoso), de sociaux-démocrates fabiens [8], qui constitueraient un mouvement proche du communisme international et préconi-seraient l’avènement d’un socialisme mondial. Cette menace serait devenue encore plus forte avec l’avènement du gouvernement diri-gé par Lula et le Parti des Travailleurs. Sous les gouvernements Cardoso et Lula, une intelligentsia puissante et influente se serait acharnée à promouvoir une réforme culturelle et morale, une massification des esprits, destinées à préparer la révolution so-cialiste au Brésil. La liste de ces "intellectuels organiques" (terme de Gramsci) commence avec les leaders du parti social-démocrate de F.H. Cardoso, lié à des intérêts et des acteurs étrangers comme Georges Soros, Bill Clinton ou David Rockfeller. Elle intègre évidemment Lula et la direction du Parti des Travailleurs (PT). Ces leaders de gauche et d’extrême-gauche ont contribué à la création du Forum de São Paulo, une coordination de mouvements marxisants ou socialistes du continent latino-américain influencée par les communistes cubains et le régime chaviste vénézuélien. Le PT au pouvoir a aussi en-couragé ou soutenu le Forum Social Mondial des altermondialistes. Il a cherché à in-fluencer ou à instrumentaliser des mouvements sociaux anticapitalistes, des ONGs de protection de l’environnement, le monde des médias, les milieux artistiques, les insti-tutions d’enseignement et l’université, les groupes antiracistes et de défense des mino-rités, le mouvement des paysans sans terre, les secteurs de l’Eglise catholique engagés dans un travail social… Toutes ces organisations qui animent la société civile ne sont pas l’expression de conflits, de contradictions d’intérêts, de besoins, d’approches philosophiques propres à l’évolu-tion du corps social. Elles n’apparaissent pas spontanément ou par hasard. Elles sont créées, inspirées ou soutenues par un communisme international d’autant plus per-nicieux qu’il avance caché. Ce sont des forces auxiliaires dans la lutte des classes. Elles agissent comme éléments actifs de destruction de la famille traditionnelle, de l’ordre naturel, des valeurs de la civilisation chrétienne occidentale. Au Brésil, en ce début du XXIe siècle, l’offensive serait déjà très avancée. A la suite d’une première opération con-duite par des sociaux-démocrates, la formation de Lula aurait mis en œuvre une stratégie d’influence dans toute la sphère culturelle pour promouvoir un code du politi-quement correct, imposer insidieusement une vision du monde, préparer ainsi l’avène-ment d’une révolution sur le mode gramscien et assurer ainsi une transition vers le socialisme [9]. Pour le Général de réserve, les premiers succès de la stratégie gramscienne au Brésil seraient déjà repérables. Ils ne sont pas perçus par les jeunes qui n’ont pas connu les valeurs traditionnelles. Les plus âgés ne les discernent plus car les changements cultu-rels réalisés leur semblent naturels ou spontanés. Ils ignorent qu’ils sont le résultat d’une stratégie de pénétration culturelle conduite par les "intellectuels organiques". L’ensemble de la société serait ainsi soumis à une forme de police culturelle d’autant plus efficace qu’invisible. Dans le débat public, le concept de légalité est remplacé par celui de légitimité. La loi s’efface devant les revendications "justes" de toutes les minorités. Les invasions de terres ou de logements deviennent des initiatives légitimes parce qu’elles constitueraient des avancées dans la lutte pour la justice sociale. Selon Coutinho, la liste des dégâts est longue. La remise en cause des valeurs familiales traditionnelles, la mani-pulation de la question raciale par des groupes radicaux, l’utilisation du concept de droits de l’homme pour protéger des criminels (identifiés par nature comme des victimes de la société bourgeoise) alors que les victimes sont traitées avec indifférence et considérées comme des privilégiés, la diabolisation des détenteurs de l’autorité publique considérés systématiquement comme des bandits corrompus et exploitant le peuple, la référence à l’opinion publique comme critère de vérité plus important que la logique, l’utilisation de l’écologie au détriment du développement, l’essor d’un véritable écoterrorisme dont la seule fin serait d’affaiblir le capitalisme… Les thèses que le Général Sérgio Augusto de Avellar Coutinho a développé dans ses publications ont été reprises de façon récurrente depuis quelques années par des offi-ciers généraux réservistes et même par un militaire d’active influent comme le Général Villas Bôas, commandant en chef de l’Armée de terre de février 2015 à janvier 2019. En mars 2018, au cours d’un long interview, le Général affirme "que le Brésil comme le monde vivent à l’heure du politiquement correct [10], que cette mentalité est désormais si prégnante dans notre société qu’elle conduit à une forme de pensée unique. Le mode de pensée politiquement correct idéologise tous les enjeux sociaux. Il les transforme ainsi en conflits insolubles. Le monde n’est pas confronté à de graves défis écologiques. C’est l’idéologie écologique qui leur confère une dimension dramatique et les amplifie. C’est le radicalisme de ceux qui prétendent lutter contre le racisme qui favorise l’essor des préjugés racistes. C’est le débat "idéologisé" sur la question du genre qui engendre et nourrit les stéréotypes sur les homosexuels. La société brésilienne serait soumise à une dictature du relativisme culturel et moral qui aboutit à un relâchement de toutes les limites. Dans un autre entretien quelques mois plus tard, le même officier général souli-gnait "qu’une des fonctions de la défense et des institutions militaires est de préserver l’identité nationale, les valeurs essentielles propres à la nation brésilienne." [11]. Participant au programme Globo News Painel sur la démocratie au Brésil en septembre 2018 (en pleine campagne pour l’élection présidentielle), le Général de réserve Luiz Eduardo Paiva n’hésitait pas à reprendre clairement les propos de Coutinho en affirmant qu’une révolution gramscienne était en cours à l’initiative du PT de Lula et que les lea-ders de la formation n’avaient eu de cesse d’occuper et d’instrumentaliser toutes les sphères de l’Etat [12]. Les déclarations d’officiers généraux d’active ou de réserve allant dans le même sens abondent. Quelques mois plus tard, le 2 janvier 2019, participant éga-lement au programme Globo News Painel, le Général de la réserve Augusto Heleno, ministre du GSI, n’hésitait pas à considérer que le Brésil avait failli devenir socialiste sous l’influence du PT et du Forum de São Paulo, que ces forces avaient avancé masquées tout en prenant comme référence Cuba et le Venezuela de Chavez. Le général Augusto Heleno, Ministre du GSI (organe de renseignement de la Présidence de la République) de Jair Bolsonaro. Le Général Sérgio Augusto de Avellar Coutinho ne se contentait pas de dénoncer la nou-velle offensive d’un communisme international toujours agissant. Il a cherché à actualiser la théorie de la guerre révolutionnaire selon laquelle la défense doit se concentrer sur l’affrontement avec les agents d’un communisme d’abord infiltrés, venins idéologiques, agitateurs sociaux et politiques, acteurs de la dissolution de l’unité nationale puis se métamorphosant en guérilleros armés et prêts à prendre le pouvoir. Dans sa première version des années 1960, la théorie de la guerre révolutionnaire avait permis de réunir toutes les forces armées brésiliennes autour de l’objectif du coup d’Etat de 1964. Plus récemment, l’actualisation de la théorie en intégrant les nouvelles thèses de l’extrême-droite américaine doit permettre de rassembler la communauté militaire et de l’engager dans une guerre hybride contre les nouvelles formes que prend le danger communiste : l’activisme militant des ONGs, le "marxisme culturel", le politiquement correct qui seraient les nouveaux ennemis de la nation, qui fragiliseraient sa cohésion et empêcheraient le pays de construire un projet [13]. Sur les années 2017 et 2018, alors que Jair Bolsonaro commence à devenir un person-nage politique populaire, un mouvement s’ébauche au sein du monde militaire. Il est animé par des officiers généraux d’active ou de la réserve qui adhèrent aux thèses du Général Coutinho, affichent un conservatisme prononcé sur le plan des mœurs et des coutumes, vivent avec inquiétude la décomposition du système politico-institutionnel et prônent une société d’ordre. Ce mouvement croit qu’il existe une menace communiste, un risque de rupture avec les valeurs patriarchales et familiales traditionnelles, un dan-ger d’hégémonie d’un relativisme culturel et moral, de domination d’un libéralisme poli-tique honni. Cette idéologie paranoïaque et conspirationniste n’est pas seulement partagée par les chefs militaires. Elle est aussi reçue par des officiers intermédiaires et des secteurs de la troupe. Elle a l’avantage de définir un ennemi intérieur. Un prestige moral renforcé. La crise multiforme (économique, politique, institutionnelle, éthique) qui commence en 2014 va entraîner une perte profonde de légitimité des institutions existantes (Congrès national, partis politiques, gouvernement) et du pouvoir judiciaire (STF notamment). Cela signifie que les hommes qui les animent et les dispositifs qu’ils pourraient utiliser ne peuvent plus réduire les incertitudes et engager des actions coordonnées. Sur les six années qui vont de 2012 à 2018, le crédit que la population accorde aux institutions s’effondre. La part des Brésiliens qui font encore confiance au Congrès National passe de 36 à 18%. Les partis politiques bénéficiaient encore de la confiance de 29% de la popu-lation en 2012. Ce taux est de 16% en 2018. Pour l’exécutif fédéral et la Présidence, la chute est encore plus forte. On passe de 63 à 13% de citoyens confiants. Cette perte de crédibilité est liée à plusieurs facteurs : récession économique, destitution de la Présidente Dilma Rousseff, imprévisibilité grandissante du système judiciaire. La succession de scandales financiers majeurs révélés par l’opération Lavage-Express joue ici un rôle fondamental. Les pratiques de détournement de fonds publics, de versement de pots-de-vin et de corruption ont été systématisées sous les gouvernements Lula et Dilma Rousseff. Les partis de gauche et les formations associées au sein de la majorité présidentielle ont utilisé l’Etat à des fins d’enrichissement personnel et de renforcement du clientélisme. Avec l’engagement de poursuite par les juges, l’inculpation et l’arres-tation de nombreux dirigeants politiques, chefs d’entreprises et notables divers, l’opé-ration "Lavage-Express" va gagner en popularité et en légitimité aux yeux de l’opinion pu-blique. La corruption, les détournements de l’argent public, les malversations, le clientélisme ne sont pas des maux nouveaux au Brésil. Cette fois, les responsables appartiennent à des formations politiques qui avaient annoncé une rupture avec cette vieille politique. Cette fois, ils blessent une société mieux informée et mieux formée. Fait nouveau : la Justice ose s’attaquer à des personnages et à des intérêts qui avaient toujours été protégés des rigueurs de la loi. L’opération "lavage-express" dévoile les mécanismes d’un jeu politique où seuls comptent les appétits personnels, où la seule règle est celle l’enrichissement des leaders et de leurs clientèles. L’Etat et les institutions qui l’incarnent apparaissent comme des machines au service de clans, de castes et totalement aveugles aux besoins et aux demandes de la population. Dans ce contexte de crise morale profonde, une des rares institutions nationales qui parvient à conserver une crédibilité auprès d’une popu-lation désemparée, c’est l’armée. Au cours des années 2017 et 2018, des représentants des forces armées annoncent clairement qu’ils sont concernés par l’issue de cette crise et multiplient les interventions publiques. Interrogé par le quotidien Folha de São Paulo [14] en juillet 2017, Eduardo Villas Bôas, commandant en chef de l’armée de terre, explique que les institutions travaillent à la solution de la crise qui touche à l’essentiel de nos valeurs…Il précise qu’au-delà de la dimension politique, le Brésil traverse une phase marquée par l’absence de ré-férences morales et par une influence du politiquement correct qui freine toute évo-lution. Le général souligne que le pays manque d’une identité et d’un projet stratégique. Il ajoute que cette crise profonde est une opportunité, elle peut conduire à un assainis-sement de la nation libérée des influences idéologiques et partisanes. Pour le com-mandant en chef de l’Armée de terre, l’opération "lavage-express" est un espoir, l’espoir qu’advienne un changement fondamental si l’éthique devient une référence quotidienne et le sentiment d’impunité une chose du passé. Il ajoute enfin que la sortie de la crise est entre les mains des citoyens brésiliens qui pourront définir quel chemin doit être pris lors des élections d’octobre 2018. Entre le second semestre de 2017 et le début de 2018, des groupes organisés se constituent au sein de la société civile pour exiger une intervention militaire. Mais plus que ces organisations souvent marginales, ce qui compte c’est la succession d’initiatives que prennent des officiers généraux d’active et de la réserve pour répéter que les forces armées seront désormais des acteurs centraux de la sortie de crise. Le 15 septembre 2017, le Général Hamilton Mourão, alors membre du haut commandement intégré des forces armées, donne une conférence à Brasilia. Il souligne alors que "la constitution de 1988 prévoit une intervention avec l’utilisation des forces armées". Il n’hésite pas à affirmer que le pouvoir exécutif comme les assemblées législatives sont remplies de personnages corrompus et qu’il serait opportun d’envisager cette intervention alors que le Président de la République est pour la seconde fois accusé de corruption mais échappe à toute condamnation en achetant les parlementaires. Le général Hamilton Mourão en 2018. Hamilton Mourão définit le cadre dans lequel cette intervention devrait avoir lieu. Il s’agit de respecter la légalité, de répondre à l’attente de la société qui continue à croire aux forces armées. Il ne s’agit pas d’accroître une instabilité déjà extrême. Le général conclue en précisant que sa vision de la crise et de l’issue possible est partagée par tous les membres du haut commandement et que si les institutions en place ne parviennent pas à trouver une issue, il reviendra aux forces armées de prendre leurs responsabilités. Quand, comment ? Mourão se garde de préciser. A cette époque, cela fait déjà trois ans que le capitaine réformé de l’armée de terre Jair Bolsonaro a annoncé qu’il serait candidat à l’élection présidentielle prévue pour octobre 2018. En août 2017, les premiers sondages sur les intentions de vote commencent à être publiés. L’ancien Président Lula est considéré alors comme le candidat probable du Parti des Travailleurs [15]. Il occupe alors la première place avec 36% des intentions de vote. Il est suivi par Jair Bolsonaro qui recueille 16% des intentions de vote. Juin 2018 : en campagne, Jair Bolsonaro visite un bataillon de l'armée de terre. Après la conférence du Général Mourão, leaders politiques, médias et représentants de l’exécutif multiplient les protestations et exigent une punition sévère. Ils accusent le mili-taire de n’avoir pas respecté la Constitution (en envisageant le scénario d’une intervention militaire qui n’aurait pas été sollicitée par un des trois pouvoirs) et la hiérarchie militaire (en ayant parlé au nom du haut commandement). Le Ministre de la Défense du gou-vernement Temer convoquera le commandant en chef de l’Armée de terre pour exiger que des sanctions soient prises contre le Général conférencier. Le Commandant en chef réagit rapidement et annonce lors d’un interview qu’il n’y aura pas de punition et qu’il s’aligne totalement sur les analyses et les affirmations d’Hamilton Mourão. Il ira même jusqu’à souligner la pertinence des opinions affichés par son subor-donné, à le qualifier de grand soldat. Il ajoutera que l’article 142 de la Constitution prévoit une intervention militaire lorsqu’un des pouvoirs constitués ou si le pays est confronté à une situation de chaos imminent [16]…Le général Villas Bôas précisera cependant que les élections générales à venir seraient l’occasion de sortir de la crise et de rétablir l’ordre économique, politique et moral…Outre le soutien du commandant en chef de l’armée, Hamilton Mourão recevra l’appui explicite de nombre de ses pairs, notamment du Général de réserve Augusto Heleno, futur ministre de Bolsonaro. Une enquête réalisée par l’hebdomadaire national Isto é [17] montrera que dans sa con-férence Hamilton Mourão s’était contenté de résumer les échanges qui avaient eu lieu quelques jours plus tôt lors d’une réunion du haut commandement de l’Armée de terre à laquelle il participait. Le général conférencier s’était contenté de répéter l’opinion partagé par ses pairs. Les participants à cette rencontre nationale avaient convenu qu’il y aurait bien une intervention militaire pour en finir avec la corruption et l’influence du com-munisme dans la vie politique si les institutions civiles (notamment la Cour suprême, le STF) ne parvenait pas à condamner tous les leaders politiques inculpés ou condamnés dans le cadre de l’opération "Lavage-Express" et de ses suites, notamment l’ancien prési-dent Lula. A partir d’avril 2018, lorsque l’ex-Président Lula est arrêté et qu’il apparaît désormais comme un candidat très improbable aux élections d’octobre, de nombreux militaires commencent à croire à la candidature de Jair Bolsonaro. La victoire de l’ancien capitaine serait sans doute le moyen le plus simple pour les forces armées de renforcer leur in-fluence sur la gestion de l’Etat et la vie politique, de poursuivre ainsi la guerre hybride contre le "marxisme culturel"… A suivre : les militaires au gouvernement. [1] Une enquête d’opinion réalisée en juillet 2017 par l’institut Data Folha montre que l’armée est alors la seule institution nationale qui bénéficie encore d’un capital de con-fiance. Elle montre encore une perte considérable de crédibilité des institutions politi-ques, notamment des élus du Congrès et du chef de l’Etat. [2] Etchegoyen vient d’une vieille famille militaire, dont plusieurs membres ont été im-pliqués dans la répression politique sous la dictature et dénoncés par la Commission Nationale de la Vérité (instaurée en 2011 par Dilma Rousseff) pour leur responsabilité et participation directe dans des assassinats et la torture d’opposants. Le général s’est d’ailleurs élevé publiquement contre ces dénonciations et contre le travail de la commission. [3] Soucieux de s’assurer la fidélité des états-majors, le nouveau chef de l’Etat a cédé à leur principale revendication : une augmentation très nette (surprenante dans un con-texte de grave crise économique) du budget du ministère de la Défense. [4] La majorité du Haut Commandement de l’Armée de Terre est hostile au projet d’in-tervention de l’armée sur Rio de Janeiro. Les militaires savent qu’ils devront affronter une situation de guerre et que les populations civiles seront très exposées. Pourtant, la Pré-sidence et le général Etchegoyen mettent sur pied l’opération. Ils choisissent comme coordinateur le général Braga Netto, chef du commandement militaire de l’Est. Ce der-nier et plusieurs de ses collègues exigent que de nouvelles règles s’appliquent aux troupes terrestres, qu’elles puissent pratiquer des mandats d’arrêts collectifs et qu’elles soient autorisées à riposter à des tirs hostiles en situation de légitime défense. Les bandes armées qui contrôlent les quartiers n’ont en effet pas l’intention de se laisser faire. Face aux réactions hostiles d’une partie de l’opinion et de la classe politique, l’exécutif fédéral reculent. L’intervention militaire à Rio sera un demi-échec. [5] Les officiers généraux et supérieurs qui sont versés à la réserve relativement tôt restent très liés à l’armée d’active. Ils assurent souvent une fonction d’instructeurs auprès des jeunes générations des cadets d’écoles militaires ou d’officiers suivant des forma-tions de perfectionnement. [6] La pensée des néo-conservateurs américains est aussi diffusée au Brésil et auprès des forces armées par un intellectuel qui influencera aussi les proches de Bolsonaro : Olavo de Carvalho. [7] Le premier livre a pour titre A revolução gramscista no ocidente (La révolution gramscienne et l’occident). En 2003, un groupe formé par des militaires de réserve d’extrême droite publie le second livre du Général sous le titre Cadernos das Liberdade - Uma visão do mundo diferente do senso comum modificado (Cahiers des Libertés, une vision du monde différente du sens commun altéré). Le livre sera réédité ensuite par la Bibliothèque de l’Armée de terre en 2010. [8] Les fabiens défendaient une vision anglaise originale du socialisme. Elle se réclamait de J.S. Mill et de la recherche du bonheur du plus grand nombre. Elle considérait que le socialisme était le fruit d’une évolution naturelle, et que son établissement devait être progressif, démocratique et sans rupture. [9] Selon le Général Coutinho (dans l’ouvrage intitulé Cadernos das Liberdade - Uma visão do mundo diferente do senso comum modificado, publié en 2003), "la réforme intellectuelle et morale que Gramsci préconisait comme instrument de lutte pour la conquête de l’hégémonie au sein de la société civile a déjà produit des effets plus profonds et dommageables au Brésil qu’on ne pourrait le croire. En trente ans d’engagement, les intellectuels organiques, les néomarxistes d’orientation gramscienne sont parvenus à instaurer un aligne-ment involontaire et imperceptible de l’opinion populaire sur les idéologies et les mots d’ordre des forces de gauche. Il y a une acceptation passive de ce qui a été établi comme le politiquement correct…L’objectif intentionnel de cette pénétration culturelle est la transformation du sens commun bourgeois fruit de tra-ditions historiques, morales et culturelles de la société nationale". [10] Voir sur le site internet : https://www.youtube.com/watch?v=1jlE8b7CQTw [11] Voir sur le site internet : https://www.youtube.com/watch?v=j-LmW5GjX2k [12]Voir sur le site internet : https://www.youtube.com/watch?v=wHRbkLeeDkY [13] Contrairement aux officiers généraux qui ont dirigé le pays pendant les années de dictature, le Général Coutinho ne croit pas à l’Etat interventionniste sur le plan économique. Il reprend le credo libéral de ses inspirateurs nord-américains. Le rôle de l’Etat doit être réduit, l’économie nationale doit s’ouvrir à la concurrence, la globalisation peut être favorable au développement du pays. Le marché serait l’institution la plus efficace pour reconstruire une économie affaiblie. Cette approche était partagée par de nombreux militaires influents bien avant l’avènement du gouvernement Bolsonaro. Les nouvelles générations d’officiers supérieurs restent attachées à la défense de la patrie, de la nation, traditions nationales et des valeurs chrétiennes. Elles savent aussi que le Brésil ne peut plus s’isoler sur le plan économique. Les cadres des trois armes (qui ont souvent un bagage technique supérieur à celui de leurs aînés et une expérience internationale) sont favorables à l’économie de marché, prônent une politique d’ouverture aux investis-sements étrangers (plutôt nord-américains ou européens que chinois). [14] Voir le journal Folha de São Paulo du 29/07/2017 sur le site : https://www1.folha.uol.com.br/poder/2017/07/1905356-saida-da-crise-deve-vir-da-eleicao-de-2018-diz-comandante-do-exercito.shtml [15] Lula n’avait alors pas encore été condamné en seconde instance pour corruption et recyclage d’argent sale. Cette condamnation est intervenue en janvier 2018. [16] La référence à une "situation de chaos imminent" n’existe pas dans la Constitution. [17] Voir Isto é, 22 septembre 2017 sur la page : http://istoe.com.br/o-risco-da-radicalizacao/

Qui sommes nous?

Jean-Yves Carfantan, économiste, consultant en économie agricole. Analyse et suit l’évolution de l’économie et de la politique au Brésil depuis 30 ans. Vit entre São Paulo et Paris.  Il anime ce site avec une équipe brésilienne formée de journalistes, d’économistes et de spécialistes de la vie politique nationale.

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