top of page

Résultats de la recherche

161 results found with an empty search

  • Lula, le crépuscule (3).

    Loin, très loin du pays réel. Pourquoi le Président Lula et son gouvernement sont-ils en mauvaise posture dans les enquêtes d’opinion ? L’inflation ne suffit pas à expliquer cette perte de crédibilité. Pour aller plus loin, il faut revenir à l’élection de 2022. La victoire de Lula n’est pas alors l’ex-pression d’un puissant enthousiasme populaire. Le vote en faveur de Lula est d’abord un rejet de son rival, Bolsonaro. Dès le début du troisième mandat de leader de la gauche, les enquêtes d’opinion montrent que le nouveau gouvernement et son chef ne suscitent guère de grandes espérances. La situation s’est dégradée depuis. Les électeurs brési-liens de la droite modérée, du centre et les sociodémocrates ont découvert que le Prési-dent et son parti avaient vieilli, qu’ils n’avaient pas de vision claire de l’avenir, pas de programme capable de relever les défis du présent. Les gens de la gauche radicale feignent de ne rien voir. Lula et la gauche ne représentent plus un Brésil populaire qui a profondément changé. Dans le pays d’hier, la classe ouvrière organisée était un acteur social majeur et l’ancien dirigeant syndical parlait couramment sa langue. Aujourd’hui, cette classe a disparu et Lula n’est plus en phase avec la vision du monde de ces millions de nouveaux travailleurs autonomes des périphéries urbaines. Ces derniers sont résolument individualistes. Ils veulent profiter de la révolution numérique et des nouvelles opportunités de marché pour changer leur vie tout de suite. Avec leurs familles, ils sont de plus en plus attirés par les églises évangéliques, notamment les dénominations néo-pentecôtistes. Celles-ci annoncent aux fidèles le salut ici-bas s’ils obéissent aux commandements bibliques, s’ils privilégient l’effort et le mérite individuel, s’ils respectent la famille traditionnelle et suivent leurs pasteurs… Les temples se multiplient dans les favelas. La gauche persiste à considérer les millions de crentes (1) comme des fanatiques victimes d’une aliénation collective. Elle dénonce le conservatisme des églises sur le plan des mœurs et la droiti-sation des fidèles. Elle ne comprend pas que cette mutation religieuse ouvre de nouvel-les opportunités aux millions de pauvres qui ne croient plus en l’Etat, à l’action politique classique, aux lendemains qui chantent. Confirmation du scepticisme initial. En janvier 2023, lorsque Lula revient à la tête du pays, on est loin du climat d’espoir et de rêve qui avait accompagné sa première élection vingt ans plus tôt. Un sondage de l’insti-tut Data Folha montre alors qu’à peine 49% des Brésiliens prévoient que ce troisième mandat sera excellent ou bon. C’est le taux de confiance de plus faible observé pour un Président en début de mandat depuis la redémocratisation (2) . Lula a fait campagne en 2022 en se présentant comme le défenseur d’une démocratie menacée par l’extrême-droite et le Président sortant. Son image personnelle est très détériorée. La majorité des électeurs se rappellent qu’il a été condamné à plusieurs reprises pour corruption et trafic d’influence puis incarcéré à la suite du Lava Jato. Lula ne séduit plus comme il séduisait vingt ans plus tôt . Il est même devenu le symbole d’un classe politique qui utilise souvent l’Etat pour servir ses intérêts et ignore le bien commun. Pourtant, il finit par s’imposer au second tour. Une majorité étriquée a considéré que son passif pénal importait moins que la nécessité d’écarter un mal plus grand : la reconduction de Bolsonaro à la tête du pays. Lula n’a pas été élu en 2022 parce que le Brésil avait basculé à gauche. Tout au long de sa campagne, ce vainqueur par défaut avait utilisé le thème de la défense de la démocratie pour masquer une absence de projet nouveau, de propo-sitions solides pour améliorer la vie des Brésiliens. Résultat du second tour de la Présidentielle d'octobre 2022. Ce contexte particulier représentait au début de son troisième mandat à la fois une opportunité et un risque pour le leader du PT. L’opportunité, c’était la possibilité de surprendre positivement, de conduire une action gouvernementale bien meilleure que ce que la population attendait et de gagner ainsi le soutien et l’approbation d’une majorité croissante de l’opinion. Le risque était de confirmer le scepticisme initial, voire de faire chuter une côte de popularité et de confiance déjà faible au départ. La majorité des Brésiliens ne nourrissaient pas de grands espoirs par rapport à ce Prési-dent déjà âgé et son gouvernement d’alliance entre la gauche et une partie du centre. Elle anticipait sans doute une dégradation de la situation dans plusieurs domaines comme l’économie, la sécurité, les libertés publiques ou la lutte contre la corruption. Les études de psychologie sociale montrent que la population a tendance à ne retenir de toutes les informations qu’elle reçoit celles qui confirment ses attentes. Dès lors, à moins de conduire une action gouvernementale jugée excellente et de contredire les pro-nostics de début de mandat, Lula devait tôt ou tard tomber dans le piège d’un jugement populaire biaisé. Le piège d’une évaluation où les réussites (faible taux de chômage, élévation des revenus) sont effacées et où les erreurs et échecs (inflation persistante, insécurité croissante, ambition de contrôle des réseaux sociaux, etc..) sont mises en relief, dominent et confirment les expectatives initiales. C’est bien ce qui se concrétise depuis quelques mois. L’accumulation de difficultés (haus-se des prix alimentaires et de l’énergie, impuissance face à la criminalité grandissante, projet de contrôler les transactions PIX, dépréciation de la monnaie, etc..) confirment la perception initiale d’une majorité de Brésiliens qui n’attendaient pas grand-chose de positif de la part du gouvernement Lula 2. D’où l’effondrement de la popularité de Lula et de la côte de crédibilité du gouvernement dans toutes les études d’opinion menées depuis la fin 2024. Double vieillissement. En février 2025, le Parti des Travailleurs a célébré ses 45 années d’existence. Une fête où élus, apparatchiks et adhérents venaient réchauffer leurs ardeurs militantes en se réfu-giant dans un univers onirique, très éloigné de la réalité. Ce décrochage par rapport au réel est apparu clairement dans le discours fleuve prononcé par Lula. Le Président a martelé que le PT n'était pas seulement une organisation politique mais d’abord une idée et que, pour cette raison, personne ne pourrait tuer le parti. Il semble possédé depuis des années par un puissant syndrome de persécution, persuadé que des forces malé-fiques sont constamment prêtes à rayer de la carte la formation qu’il a contribué à fonder. Le vieux leader de la gauche a encore décrit une économie brésilienne dont la croissance profiterait enfin et grâce à lui à tous les habitants. A défaut de conférer au parti une emprise sur la société réelle telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, ce discours délirant a captivé tous les participants de la fête d’anniversaire. Depuis 1980, le PT a apporté au début de son existence un vrai souffle de rénovation dans la vie politique du pays. Mobilisant de larges secteurs de la société (monde ouvrier, intellectuels, catholiques de gauche), il tranchait par rapport aux formations tradition-nelles qui sont souvent des appareils au service de notables régionaux. Il annonçait un projet social-démocrate et prétendait vouloir en finir cet ancien régime de castes et de discriminations qui empêche le pays de rentrer dans la modernité. Au pouvoir comme dans l’opposition, le parti de Lula a aussi connu des phases difficiles et des crises. Il y a eu par exemple la période dramatique de la fin du gouvernement D. Rousseff lorsque les principaux responsables de la formation ont été poursuivis et in-culpés dans le cadre de l’opération dite Lava-Jato. Il y a eu encore les 580 jours d’incarcération de Lula entre avril 2018 et novembre 2019. Le leader politique avait alors été condamné pour corruption passive en blanchiment d’argent sale par plusieurs instances. Sur toutes les périodes noires, le parti a manifesté une incroyable capacité à travestir les faits, à caricaturer ses adversaires, à créer des boucs émissaires, à recourir aux mensonges. L’histoire permettra de faire un bilan sans doute nuancé. Aujourd’hui, alors que le PT vient de fêter ses 45 printemps, le présent et l’avenir de la formation ont des couleurs hivernales. Le Parti des Travailleurs apparaît comme l’incarnation d’un courant idéologique affaibli et vieilli. Cet envieillissement concerne à la fois les hommes et les idées. L’organisation ne par-vient pas à faire émerger de nouveaux leaders, de nouvelles personnalités. Elle con-tinue à dépendre de la figure du chef historique qu’est Lula. Le vieux leader a toujours été un recours lorsque les très nombreux courants du PT se battaient entre eux pour prendre le contrôle de la formation. Il est aussi devenu prisonnier d’un parti qui n’arrive pas à lui trouver un successeur qui soit à la fois politiquement influent et performant sur le plan électoral. Pendant longtemps, les apparatchiks ont cru que cet enjeu de la succession de Lula était un enjeu très lointain. La question est désormais d’actualité. Le Président est quasiment octogénaire (3) . Des accidents de santé récents, une fatigue évi-dente et la baisse de popularité ont semé le doute : le chef de l’Etat pourra-t-il et voudra-t-il postuler un quatrième mandat en 2026 ? L’incertitude est désormais totale. Pourtant, au sein du PT et de la gauche, il n’existe pas de plan B. Ni pour le scrutin de 2026, ni pour après. La question de l’âge des dirigeants serait sans doute moins problématique si le Parti ne manifestait pas aussi une incapacité criante à proposer un nouveau projet de société au pays, à rénover son programme et ses idées. Les électeurs du PT ne s’inquiètent pas de voir le principal parti de la gauche vieillir avec le temps. Ils sont surtout fatigués de constater que Lula et ses fidèles gouvernent en 2025 avec les mêmes références, les mêmes méthodes et propositions que celles qui ont émergé il y a cinquante ans. En apparence, les responsables de l’organisation semblent conscients de la nécessité de sortir d’une sorte d’ankylose mentale et idéologique persistante. Ainsi, lors de la fête d’anniversaire évoquée plus haut, Lula a souligné que le PT devait être attentif aux nouvelles formes d’organisation du travail, aux nouveaux modes de communication. Il reste pourtant rivé au monde d’hier. Car pour Lula, la voie de la rénovation du parti c’est le débat politique au sein des ateliers, dans les usines, sur les lieux de travail…Pour le vieux leader de la gauche, le monde du travail reste confiné aux grandes fabriques indus-trielles, aux syndicats. Il ne comprend pas que le milieu populaire, la nature du travail et le profil des travailleurs ont profondément changé. L’immobilisme et la rigidité idéologique dont souffrent Lula et sa formation constituent évidemment un sérieux handicap pour gouverner. Le candidat potentiel et le PT se trouvent fragilisés dans la perspective du scrutin de 2026. Le seul atout solide sur lequel ils peuvent compter est la polarisation du corps électoral. Le parti et le Président ne font donc rien pour réduire le fossé qui sépare de plus en plus deux Brésils. Au contraire. Ils misent sur le maintien d’un courant bolsonariste vivace dominant toute la droite de l’échiquier politique, de préférence représenté par l’ancien président, cette figure repoussoir idéale. Avec un piètre bilan, une posture autoritaire, complotiste et autoritaire, Bolsonaro avait assuré la victoire de Lula en 2022. Aujourd’hui, le PT rêve de voir le scénario se répéter. Le Président et sa formation n’ont rien de nouveau à annoncer et à proposer au pays. Il faut donc dans les prochains mois agiter comme en 2022 la menace que ferait peser une droite radicalisée sur le régime démocratique afin d’espérer rallier une fois encore la majorité d’électeurs qui n’est ni de gauche, ni de la droite extrême… Le Brésil des temples et la gauche. Lula et la gauche ne semblent pas comprendre que le Brésil a beaucoup changé depuis vingt ans. La mouvance dite progressiste a par exemple une difficulté à intégrer la logique décentralisée de communication qui prévaut sur les réseaux sociaux. Plus grave encore, elle n’est plus connectée aux millions de familles de condition modeste qui forment les bataillons croissants de fidèles d’églises évangéliques. Parce qu’il affiche un anticommunisme virulent, penche à droite, défend la famille traditionnelle, refuse l’éducation non genrée et l’avortement, ce peuple des temples est considéré par la gauche comme un peuple aliéné . De fait, ce peuple ne croit pas ou ne croit plus aux grands mythes du camp dit progressiste : l’incontournable organisation collective des travailleurs, l’affrontement entre classes comme moteur de progrès, le changement social par la prise de contrôle de l’Etat, le grand soir. Le peuple des temples est parti ailleurs. Il parie sur le mérite individuel, l’effort personnel et le travail pour atteindre le bien-être matériel sans attendre les mutations du corps social. Le monde des périphéries urbaines peuplé désormais de micro-entrepreneurs, de tra-vailleurs autonomes uberisés n’attend pas que l’Etat fasse le travail à sa place. Les croyants, fidèles des nombreuses dénominations évangéliques, veulent s’enrichir en comptant d’abord sur eux-mêmes et sur leurs proches. Les liens de solidarité, les pra-tiques d’entraide, les réseaux de confiance entre crentes modifient d’ailleurs bien plus leurs conditions de vie que ne pourraient le faire les responsables publics et les organi-sations politiques. Les évangéliques se prennent en main. Ils prennent des risques en créant leurs propres activités, apprennent à gérer le budget familial et leurs maigres finances sur la plateforme Primo Pobre (4) , tissent des liens de coopération avec les autres membres de la communauté religieuse. C’est sur la communauté réunie au temple que comptent les femmes exposées à la violence intra-familiale pour sortir de cet enfer. C’est la communauté qui organise un soutien pour les sans-emploi ou pour les mères qui élèvent seules leurs enfants. Les crentes lisent la Bible, ce qui améliore leur capacité de lecture et leurs résultats scolaires. Ils prennent la parole dans les cultes, ce qui leur permet d’acquérir de solides compétences en expression orale. Les commu-nautés évangéliques retissent une discipline collective et encouragent les personnes à respecter des règles et des pratiques (étude, lecture, solidarité, prise en charge des personnes en difficultés) qui constituent autant de leviers pour avoir accès à un capital socio-culturel et favoriser la réussite professionnelle. Les églises évangéliques sont devenues les espaces de socialisation privilégiés, les réseaux qui améliorent les condi-tions concrètes de vie de millions de familles. Le pari sur la réussite individuelle, la responsabilisation des personnes, l’esprit d’entre-prise, l’appétit d’enrichissement et de bien-être matériel sont largement associés à l’ex-pansion de ces nouvelles dénominations évangéliques que sont les organisations néo-pentecôtistes (5) . Celles-ci ont commencé à émerger au Brésil dans les années 1970 . Elles ont assuré leur essor en prêchant un retour à l’ordre moral, en pratiquant une liturgie utilisant tous les ressorts de la vie émotionnelle, l’interaction entre les fidèles. Ces dénominations défendent une philosophie de l’existence fondée explicitement sur le mérite individuel, la recherche du bien-être matériel et de l’aisance financière. Ce sont ces institutions religieuses qui ont diffusé et solidement implanté au Brésil la théologie dite de la prospérité. Le protestantisme historique défendait le principe selon lequel l’enrichissement est le fruit du travail. Pour les néopentecôtistes, la sortie de la pauvreté passe à la fois par un effort personnel, la volonté d'entreprendre et le strict respect du message biblique. La notion de prospérité mise en avant par les pasteurs est une notion large. Elle désigne l’aisance matérielle mais aussi la santé, le bonheur familial, l’équilibre émotionnel… Elle s’intègre dans un plan de salut des personnes et des âmes qui commence avec la vie terrestre. Selon les néo-pentecôtistes, conquérir de meilleures conditions socio-écono-miques d’existence n’est pas du tout incompatible avec l’idéal de vie chrétienne parce que la sécurité des biens et des personnes, la satisfaction des besoins de base (santé, logement, alimentation), l’accès à une bonne éducation permettent au fidèle d’avoir une vie conforme à l’idéal chrétien. La discipline et l'effort pour adopter les valeurs et les idéaux chrétiens sont renforcés lorsque la personne est moins vulnérable socialement, qu'elle a une maison, un emploi, qu'elle peut étudier et qu'elle parvient à alimenter correctement sa famille la maison. Pour le courant évangélique néo-pentecôtiste, chaque individu peut en permanence guérir de tous les maux qui le condamnaient à un destin médiocre, sortir de la misère et assurer son salut pourvu qu’il décide de se laisser guider par les préceptes de la Bible. Rassemblement des participants de la marche pour Jesus organisée par des églises évangéliques en mai 2024 à São Paulo. Les églises en question ont connu une spectaculaire expansion sur le continent brésilien entre les années 1980 et 1990, multipliant temples et noyaux communautaires, princi-palement à la périphérie des grandes métropoles (6) . La période est particulièrement propice. Le Brésil est alors entré dans une phase de croissance médiocre. La mobilité sociale est réduite. En Amérique du Sud comme dans d’autres régions du monde, les grands mythes qui alimentaient l’espoir de changer la vie par un bouleversement du système social, une rupture politique et institutionnelle commencent à s’effondrer. Dans le milieu populaire, chez les millions d’exclus de la société brésilienne, on croit de moins en moins que le salut des individus et des familles passe par l’instauration du socia-lisme, du communisme ou de tout autre forme de société en isme.. Le salut n’est plus perçu comme dépendant de mouvements collectifs, de ruptures sociétales, de changement de système. Bientôt, plus personne (sauf peut-être les adeptes de la théo-logie de la libération de plus en plus isolés) ne croit que le combat politique puisse déboucher sur la création d’une société meilleure (et à fortiori d’une société idéale). La foi dans le grand soir a disparu. Dans les quartiers populaires, l’ardeur des militants du ca-tholicisme social et des communautés ecclésiales de base est remplacé par le piétisme discipliné des groupes de fidèles évangéliques. Ces fidèles sont réunis par des pasteurs qui promettent le Royaume de Dieu ici et maintenant. Certes, nombre de ces pasteurs sont des beaux parleurs qui accumulent souvent très rapidement un solide patrimoine financier. Reste que les communautés de fidèles forment un tissu social efficace, un espace de solidarité et de protection. Les laissés pour compte des périphéries ont fini par ne plus croire aux promesses de changement de l’ordre politique et social. Les individus insérés dans les églises ont découvert qu’ils pouvaient casser à leur manière la fatalité de la solitude, de la misère et de la marginalité. La nouvelle théologie de la prospérité s’est répandue alors que le monde des périphéries accédait à de nouvelles technologies et affrontait une mutation radicale du marché du travail. Lula et un groupe de fidèles évangéliques : deux univers très éloignés. La révolution technologique en cours a favorisé l’aspiration à la réussite économique et sociale individuelle. L’invasion du quotidien par les outils digitaux et les applicatifs ouvres des opportunités inédites aux personnes créatives quelle que soit leur position sociale. Elle facilite l’essor et la diversification des services, l’émergence de clientèles nouvelles. Elle rend favorise le développement d’entreprises individuelles. Elle permet aux sans emplois de créer leur propre parcours professionnel, de s’illusionner parfois, de réussir aussi. La culture d’entreprise qui fleurit dans les banlieues est une culture de la débrouillardise, du talent et de l’effort, du mérite . Le phénomène se cristallise alors que le marché du travail change radicalement. Le profil des activités et la structure des emplois ne sont plus ceux des années 1980 ou 1990. Les grandes firmes industrielles n’ont pas disparu mais leur nombre a diminué. Surtout, elles ont accru leur productivité et ne sont plus aujourd’hui les grands pourvoyeurs d’emplois qu’elles étaient il y a quelques décennies. Au Brésil, comme dans les pays émergents et les nations avancées, les services sont désormais les principaux secteurs créateurs d’activités nouvelles et d’emplois. Dans le pays, comme dans la plupart des économies émergentes ou sous-développés, les services en question sont fournis très souvent par des entreprises infor-melles, de petite taille et dans la plupart des cas unipersonnelles. Selon les données officielles, en juillet 2024, le pays comptait 21 738 420 entreprises en activité, dont 93,6% étaient des microentreprises ou des petites structures. Sur le total de sociétés recensées, 51,5% opéraient dans les secteurs des services, 30,3% étaient des entreprises commerciales, 8,8% des firmes de l’industrie de transformation, 8% des opérateurs de BTP, 0,8% des exploitations agricoles et 0,1% des exploitants miniers. Sur l’ensemble des entreprises identifiées, 14 563 948 étaient des entreprises de taille familiale dont un grand nombre d’autoentrepreneurs. Près de la moitié des entreprises recensées n’avaient pas d’existence officielle et opèraient dans l’économie informelle. Au Brésil comme dans la plupart des pays du sous-continent, les entrepreneurs soulignent que l’environnement socio-économique ne favorise ni la régularisation de l’activité, ni la croissance. La bureaucratie est complexe et la déclaration d’une activité est une opération très coûteuse. En raison du faible revenu moyen de la population, la demande se porte principalement sur des biens et services de faible qualité. La réglementation officielle de l’activité est complexe, ce qui encourage les entrepreneurs à rester dans l’informalité. Enfin, l’informalité permet aux individus concernés d’échapper au fisc et à des impôts trop lourds. La théologie de la prospérité donne un sens à cette mutation sociologique. Les églises néo-pentecôtistes contribuent à accélérer la mutation en question. En quelques dé-cennies, le monde des périphéries urbaines a simultanément opéré une transition religieuse spectaculaire et une entrée massive dans l’économie des services animée par des entrepreneurs individuels qui cherchent sur des marchés très concurrentiels le salut et la prospérité. Le Brésil des pauvres et des nouvelles classes moyennes précaires parlent aujourd’hui une autre langue que celle de la gauche dite progressiste. Cette dernière défend encore de la théorie de la lutte des classes, préconise une organisation du prolétariat contre la domination de la bourgeoisie et persiste à croire à la construc-tion d’une société socialiste. Pour remplacer un prolétariat parti ailleurs, elle a pris en compte depuis peu toutes les revendications identitaires, celles des minorités sexuelles comme celle des peuples indigènes et des Brésiliens afrodescendants. Elle ne com-prend pas grand-chose à ce monde de crentes qui mise sur la relation personnelle avec Dieu pour assurer son salut, un salut qui dépend de chaque individu. Hélas pour le "camp progressiste", ce courant religieux devient de plus important. Vers un Brésil évangélique. Au début du XXI e siècle, moins de 15% des Brésiliens (autour de 25 millions de person-nes) se reconnaissaient comme évangéliques. Dix ans plus tard, à la fin du second mandat de Lula, la part des évangéliques dans la population était déjà de 22%, (soit 42,1 millions de personnes). En 2022, année d’élection présidentielle qui verra Lula gagner un troisième mandat, le Brésil comptait 68,8 millions de fidèles de diverses dénominations évangéliques, soit un tiers de la population. Selon les projections récentes, lors du pro-chain scrutin présidentiel de 2026, ce courant religieux représentera plus de 78 millions de Brésiliens. Les démographes et experts en sociologie religieuse l’affirment : en 2030, le Brésil sera aussi un des premiers pays évangéliques du monde. Le catholicisme y sera devenu une religion minoritaire, regroupant principalement les classes aisées urbaines et une frange du monde rural. L'importance croissante de la population de fidèles évangéliques (7) . Sur ce plan politique, cette dynamique démographique et religieuse change considé-rablement la donne. Elle signifie que l'adhésion du monde populaire aux valeurs, aux projets et aux ambitions de la gauche classique sera de plus en plus faible. La nouvelle sociologie religieuse est désormais le principal obstacle à la réélection de Lula ou à la victoire d’un autre candidat "progressiste" en 2026. Lula est de moins en moins le Président des pauvres qu’il prétend être. Ce n’est ni Bolsonaro, ni une autre figure de la vieille extrême droite brésilienne qui mettront fin demain à la carrière politique de Lula. C’est le Brésil populaire des temples. (1) Crentes = croyants. Terme utilisé pour désigner les millions de fidèles des églises évangéliques. ( 2) En 2002, immédiatement après sa première élection, 76% des personnes interrogées croyaient alors que le leader de la gauche allait faire un bon ou un très bon gouvernement. Lorsque Bolsonaro est arrivé au pouvoir en 2019, ce taux était de 65%. Il atteignait 73% dans les mois qui avaient suivi l’élection à la Présidence de Dilma Rousseff au début de 2011. (3) Le poids de l'âge ne pèse pas seulement sur les épaules de Lula. Il existe un grand fossé générationnel entre les dirigeants historiques du PT (de la génération de Lula) et des personnalités plus jeunes du parti. L'âge moyen de tous les députés fédéraux élus en 2022 était de 49 ans ; l'âge moyen des députés du PT était beaucoup plus élevé : 56 ans. En 2002, l'âge moyen des membres du PT était de 47 ans. En 1982, lors de la première élection où le parti a élu des députés, l’âge moyen au sein de son petit groupe parlementaire était de 38 ans. (4) Avec plus de 3,4 millions d'abonnés sur YouTube (fin mars 2025), Primo Pobre (cousin pauvre) est une plateforme d'éducation financière créée en 2020. Très accessible et gratuite, elle vise à aider les personnes à faible pouvoir d'achat mieux gérer leurs ressources et à épargner. Le fondateur est un jeune musicien issu de l’église baptiste (il prêche aussi lors des cultes). (5) La plus importante organisation est l’ Igreja Universal do Reino de Deus . (6) Les églises protestantes dites évangéliques se sont implantées dans le pays au cours du XXe siècle (notamment à partir de 1970). Des églises pentecôtistes commencent alors à multiplier temples et lieux de rencontres sur les périphéries des grandes mégapoles. Les dénominations du protestantisme historique (calviniste, luthérien, presbytérien) sont plus anciennes au Brésil mais sont toujours restées très minoritaires. Sur l'importance du mouvement des églises évangéliques au Brésil, voir notre série de posts de 2022 intitulée : Les églises évangéliques contre la démocratie. https://www.istoebresil.org/articles/page/6 (7) Source pour ces données : Vai na fé ! O impacto eleitoral do crescimento dos evangelicos; Mar-Asset Management, Janeiro de 2025. PowerPoint Presentation

  • Lula, le crépuscule (1).

    Le populiste devenu impopulaire.      L’année 2025 commence mal, très mal, pour le Président Lula. Les perspectives écono-miques ne sont pas bonnes. Les parlementaires du Congrès ont élu récemment (début février) les présidents de la Chambre des députés et du Sénat et confirmé que la gauche restait très minoritaire au sein des deux assemblées dominées par les forces du centrão . Le leader du Parti des Travailleurs (PT) est malmené sur des réseaux sociaux bien mieux maîtrisés par la droite que par le camp dit "progressiste". Il est aussi critiqué sur sa gauche, un secteur de son propre parti le pressant d’amplifier la politique d’expansion des dépenses sociales, de soutien de la demande et d’intervention dans l’économie. A droite et au centre, on reproche à l’inverse au Président de reproduire les erreurs de Dilma Rousseff en matière de politique économique. Opposants comme alliés consta-tent qu’à l’instar du gouvernement de la Présidente destituée, l’Administration Lula 3 s’isole, vit retranchée au sein du palais du Planalto . Cette administration paraît ne rien comprendre à la nature et à la dimension de la crise politique qu’elle traverse. Le Président est entouré de ministres qui consacrent l’essentiel de leur énergie à s’écharper, à flatter les parlementaires ou à les agresser. Tout ce monde converge pour dénoncer les médias et les réseaux sociaux qui seraient les seuls responsables des difficultés que traverse le troisième gouvernement Lula.   Le plus grave pour le leader de la gauche est sans doute la récente et forte érosion de sa côte de popularité dans l’opinion. Déjà, en décembre 2024, une enquête réalisée par l’institut Quaest montrait que le pourcentage des Brésiliens désapprouvant le gouverne-ment et son leader dépassait pour la première fois depuis deux ans celui des citoyens approuvant l’exécutif.  La dynamique d’érosion identifiée alors sera confirmée deux mois plus tard. Selon un sondage Datafolha réalisé à la mi-février 2025, seuls 24% des Brési-liens considèrent encore que le gouvernement de Lula est "bon" ou "très bon", une chute de 11 points par rapport à décembre. Parallèlement, la part de ceux qui le considèrent "mauvais" ou "très mauvais" a bondi de 34% à 41% en deux mois. Des chiffres préoccu-pants pour celui qui avait terminé ses deux premiers mandats (2003-2010) avec une popularité record. D’autant que l’analyse détaillée des résultats de ce sondage montre que la chute de Lula dans l’opinion concerne d’abord son propre électorat. Parmi les Brésiliens qui avaient voté pour le candidat de gauche aux élections de 2022, la baisse est de 20 points (contre 11 points en général). A la mi-décembre 2024, au sein de ce groupe, 60% des interrogés considéraient encore le travail du Président comme bon ou très bon. Ils n’étaient plus que 46% à afficher cette opinion en février 2025. Evaluation de l'action du Président Lula selon Data Folha (1).   L’assise populaire s’effrite.   La popularité de Lula a chuté dans tous les secteurs de la population. Le Président atteint un niveau de désapprobation sans précédent si l’on considère ses trois mandats présidentiels. Cette baisse est particulièrement marquée au sein de groupes sociaux importants au sein de la société brésilienne et qui ont traditionnellement soutenu le leader du Parti des Travailleurs. C’est le cas des femmes, de la population noire, des habitants du Nord-Est du pays, des segments les plus pauvres et les moins scolarisés. Ainsi, en décembre 2024, 38% des femmes interrogées accordaient un satisfécit au Prési-dent. Ce taux n’était plus que de 24% deux mois plus tard. La chute de popularité est également très forte au sein de la population noire et métis (qui représente 61% du total des habitants). En terme géographique, l’érosion de la popularité de Lula est très signi-ficative dans le Nord-Est, même si les habitants de cette région pauvre encore favo-rables à Lula (33%) restent plus nombreux que ceux qui désapprouvent le chef de l’Etat. De façon générale, la côte de Lula s’effondre au sein des catégories les plus défa-vorisées de la société brésilienne, celles formées par les habitants qui ont un niveau de scolarisation très faible et disposent de revenus modestes. Si l’on considère la stra-tification de la société par classes de revenus, la chute la plus importante est observée au sein d’une catégorie représentant 51% de la population et formée par les familles qui disposent de moins de 3036 BRL de revenu mensuel (environ 500 euros, soit moins de deux salaires minimum). Cette catégorie constituait 60% de l’électorat de Lula en 2022. En décembre 2024, 44% de ses membres jugeaient le travail du Président comme bon ou très bon. Ils n’étaient plus que 29% à avoir cette opinion en février 2025.   En ce début de 2025, la côte de popularité de Lula est plus faible qu’en fin 2005, lorsque l’image du Président s’était dégradée à la suite du scandale dit du mensalão . A l’époque, le premier gouvernement de gauche avait été accusé de verser des pots de vin à des parlementaires de l’opposition pour élargir sa majorité au Congrès.   Climat de fin de partie.   Les résultats du sondage de Datafolha ont renforcé l’impression que le lulisme venait d’amorcer une dynamique irrépressible de déclin, que désormais le troisième mandat de Lula ne pouvait plus apporter de grand changement positif, que les choses ne peuvent dorénavant qu’aller de mal en pis. Cette atmosphère de fin de règne anticipée s’est encore alourdie lorsqu’à la mi-février une étude portant sur les candidatures souhaitées pour la prochaine élection présidentielle de 2026 a montré que 62% des Brésiliens ne souhaitaient pas que Lula se représente.   Les plus ardents défenseurs du Président, ses affidés de toujours, cachent leurs inquié-tudes en rappelant qu’après le scandale du mensalão , Lula était parvenu à opérer une spectaculaire remontée dans l’opinion et avait été facilement réélu Président lors du scrutin de 2006. L’opposition n’avait pas su alors profiter de l’affaiblissement temporaire de la popularité du chef de l’Etat. Depuis 2005, les temps ont bien changé. Il faut s’interroger sur les divers facteurs qui expliquent l’érosion actuelle de la popularité de Lula. Il y a d’abord les conséquences d’évènements récents et de la conduite de l’Etat sous le troisième mandat. Il faut aussi aborder des éléments structurels plus profonds qui sont liés à la mutation de la société brésilienne depuis vingt ans, des mutations que la gauche ne comprend pas, qu’elle ne sait pas accompagner et qui ont pourtant touché en premier lieu son électorat historique.   Evoquons d’abord brièvement quelques facteurs récents. Sur la seconde partie de 2024, le monde économique et les milieux financiers ont fini par comprendre que le gou-vernement ne donnait pas la priorité à la réduction du déficit et de la dette publique. En fin d’année, la présentation d’un énième dispositif officiellement destiné à réduire les dépenses a brutalement affaibli la confiance des investisseurs. Le dispositif associait à la fois des mesures de réduction et un projet d’exonération de l’impôt sur le revenu pour les contribuables gagnant moins de 5000 BRL/mois. La ruée sur le dollar qui a suivi a accé-léré la dépréciation déjà engagée du réal (2) . L’effritement de la monnaie nationale est venu renforcer une dynamique inflationniste déjà très prononcée et se traduisant notamment par une hausse marquée des prix des produits alimentaires, de l’énergie (carburants, électricité) et des transports, des éléments qui représentent plus de 80% des dépenses des ménages les plus modestes.   Il faut aussi évoquer les multiples erreurs du gouvernement et le talent manifesté par l’opposition qui a su exploiter les difficultés de l’exécutif. La crise dite du Pix qui a éclaté en janvier dernier est un excellent exemple de ces nombreux faux pas de l'exécutif habi-lement utilisés par ses adversaires politiques. Le Pix est une plateforme de paiement digital instantané conçue par la Banque Centrale et déployée via les banques commer-ciales à la fin de 2020. Elle a été immédiatement adoptée par le grand public, notam-ment pour les paiements entre particuliers, très fréquents dans un pays où l’économie informelle est très forte, dynamique et innovante. Les banques ont favorisé l’usage du Pix qui a contribué à la réduction de leurs coûts et à une forte augmentation de l’ouverture de comptes bancaires. Pour utiliser cette plateforme, il suffit d’avoir un compte en banque, de disposer d’un téléphone portable (ou d’un PC) et d’une adresse Pix (qui peut être soit le code fiscal que possèdent tous les résidents, soit une adresse mail, ou un simple numéro de portable). Le Pix a largement remplacé le paiement en argent liquide et les virements bancaires, en forte diminution. Il permet au titulaire d’un compte bancaire de payer n’importe quand, de n’importe où (si l’on a son portable avec soi), n’importe quelle somme et à n’importe quel créancier localisé en tous points de ce pays continent. Exécutée en quelques secondes, la transaction est gratuite pour les particuliers. Ce système de paiements est devenu extrêmement populaire au sein de l’énorme secteur de la population qui vit de l’économie informelle.   Au début de cette année 2025, l’administration fiscale a envisagé la mise en place d’un dispositif destiné à mieux surveiller les transactions électroniques réalisées par la plateforme. Le gouvernement a été immédiatement confronté à une offensive puissante sur les réseaux sociaux. Incapable de réduire les dépenses de l’Etat fédéral mais affichant une volonté de réduire le déficit, l’Administration Lula est soupçonnée de vouloir créer de nouveaux impôts, de nouvelles taxes. L’opposition a donc eu beau jeu d’affirmer que le mécanisme de contrôle prévu était une première étape dans la mise en œuvre de nouveaux prélèvements fiscaux touchant les transactions réalisées grâce à la plateforme Pix. Mobilisant à plein les réseaux sociaux, les adversaires de Lula ont fait usage de toutes les munitions (dont les fake news) pout convaincre les familles les plus modestes que le gouvernement préparait une opération destinée à les appauvrir davantage. L’exécutif a réagi en ordre dispersé, les déclarations de certains ministres contredisant celles d’autres. Il dû finalement reculer en rase campagne et abandonner son projet de contrôle des transactions Pix. Les dégâts en termes d’image ont été consi-dérables, notamment auprès des travailleurs informels, des micro-entrepreneurs, de tous les ubérisés et précaires de la société brésilienne du XXIe siècle. Détail : ces out-siders sont aujourd’hui des dizaines de millions qui vivent ou survivent grâce au monde digital…   Le reflux de Lula et du Lulisme dans l’opinion n’est pas seulement lié à la conjoncture économique ou au fonctionnement de l’exécutif. Il résulte aussi des difficultés que ren-contrent un leader âgé et son entourage lorsqu’il s’agit de communiquer avec les jeunes générations qui refusent un projet de société centré autour de l’Etat, valorisent l’esprit d’entreprise, constatent depuis leur naissance que la puissance publique ne fait pas grand-chose pour améliorer leurs conditions de vie et se révèle impuissante face aux menaces effectives qui pèsent sur leur existence (criminalité, violence, insécurité). Entre la gauche dont la seule utopie est celle de l’universalisation d’un Etat providence tuteur de la société civile et la jeunesse attachée à la réussite individuelle, à la compétition et (de plus en plus) aux valeurs conservatrices, le divorce est criant. Les deux premières an-nées du gouvernement Lula apportent une démonstration éclatante de ce divorce. Lula a fait un pari politique dès le début de son troisième mandat. Il a souhaité doper la croissance en augmentant les transferts sociaux, en relevant le salaire minimum, en un mot, en multipliant les cadeaux aux plus modestes. De fait, le taux de chômage déjà faible a continué à reculer, la consommation a progressé. Le bénéfice politique attendu (un regain d’enthousiasme et de soutien des pauvres) semble pourtant désormais hors d’atteinte. Comme si les Brésiliens les plus défavorisés étaient aujourd’hui mus par une forme d’ingratitude qui n’existait pas lors des deux premiers mandats du leader de gauche.   Au-delà des facteurs récents, il faut aussi évoquer des caractéristiques du pouvoir actuel qui sont apparues dès les premiers mois du mandat. Les observateurs les plus bienveil-lants à l’égard du successeur de Bolsonaro ont souligné très tôt que le gouvernement Lula 3 ressemblait à un remake d’un scénario déjà connu, qu’il n’apportait ni idées, ni projets vraiment nouveaux. Ces mêmes observateurs répétent que depuis 2023 que l’exécutif n’a ni plan de navigation, ni cap, ni ambition claire, si ce n’est le recours permanent à toutes les manœuvres et alliances garantissant la pérennité de Lula au pouvoir et sa réélection en 2026. L’impression dominante est celle d’un exécutif qui avance au gré des récifs. Elu grâce à une alliance entre la gauche et le centre, Lula subit une pression permanente de la part du "camp progressiste" le plus radical. Le Président et son gouvernement souffrent d’une sorte de schizophrénie politique.   La gauche et son avenir.   Au début de cette année, pendant quelques semaines, le parti de Lula et l’exécutif ont voulu croire que la baisse de popularité du Président n’était qu’un simple trou d’air dû à une communication gouvernementale inadaptée ou insuffisante. On sait désormais à Brasilia que la crise politique est plus profonde. Dépourvus de toute imagination, les secteurs les plus radicaux de la gauche croient qu’il est possible de redorer l’image du leader et de retrouver des niveaux de popularité confortable en augmentant une nouvelle fois les dépenses sociales et en multipliant les cadeaux fiscaux. Le projet d’exempter de l’impôt sur les revenus les contribuables gagnant moins de 5000 BRL/mois n’a pas été vraiment abandonné. Selon le ministère de l’économie, le relève-ment du taux d’imposition des super-riches (la rengaine des gauchistes de toujours) ne suffirait pas à compenser une perte de recettes fiscales estimée à plus de 50 milliards de BRL. Lula veut encore élargir les facilités d’accès au crédit pour les ménages les plus modestes justifiant de revenus réguliers qui bénéficieraient de taux bonifiés. La facture de gaz de ces 22 millions de familles pourrait être prise en charge par l’Etat. On évoque encore une dotation qui serait fournie à tous les jeunes qui commencent à épargner tout en démarrant des études supérieures ou encore la création de circuits de commer-cialisation à bas prix des aliments ou des carburants…   Autant de mesures qui nourriront une inflation déjà élevée et renforceront un sentiment déjà très répandu dans les milieux populaires : ce que le gouvernement donne d’une main il le reprend de l’autre. Au début de cette année, les partisans de Lula se rassuraient encore en répétant que les enquêtes conduites jusqu’alors avaient montré que leur candidat restait favori pour l’élection prési-dentielle face à n’importe quel postulant soutenu par l’opposition. Les sondages de ce type sont plus incertains depuis février et l’élection effective n’aura lieu qu’en octobre 2026. D’ici là, le capital politique et l’image du Président peuvent encore se dégrader. Une récession peut surgir, précipitée par une crise financière qui succéderait à une période de forte expansion de la dépense publique. Dans un pays désormais plongé dans un climat de campagne électorale anticipée, une question obsède les observateurs de la vie politique : Lula sera-t-il candidat une fois de plus en 2026 ? Certains analystes soulignent qu’en abandonnant la compétition, Lula renoncerait ipso-facto à laver une biographie entachée par plusieurs condamnations et les scandales de corruption qui ont marqué ses premiers mandats. C’est effectivement cette ambition qui avait convaincu l’ancien syndicaliste à se représenter en 2022 après avoir passé plus d’un an et demi en prison. D’autres commentateurs croient à l’hypothèse d’un renoncement. En octobre 2026, Lula aura 81 ans. Il a connu ces derniers mois de sérieux problèmes de santé. Le leader n’est pas de ceux qui se lancent dans une campagne sans avoir de sérieuses chances de l’emporter.   Très nombreux sont désormais les partisans du Président qui n’envisagent qu’une seule hypothèse de victoire en 2026 pour un candidat Lula décidé à ne pas tirer le rideau : celle d’un nouvel affrontement avec un Bolsonaro pour l’instant hors-jeu mais qui aurait bénéficié d’ici 2026 d’une amnistie. I l faudrait donc rejouer la partie de 2022. Le pari est pourtant très risqué. La société brésilienne glisse vers la droite depuis de nombreuses années. La question est désormais celle de la succession d’un Lula qui n'offre plus de perspective. Sera-t-il remplacé dans deux ans par un représentant de la droite modérée ou du centre ? Les échecs d’un populisme de gauche vieillissant ouvrent-ils la voie au retour fracassant de la droite dévastatrice qu’incarne Bolsonaro ?   Lula est-il en train d’entamer la dernière étape d’une carrière longue ? C’est le sentiment qu’ont désormais les observateurs les plus lucides et froids de la scène politique brési-lienne. Vu de l’extérieur du Brésil, le constat peut sembler péremptoire. Pour dissiper cette impression, il faut revenir sur la dégradation du pouvoir d’achat des plus modestes entraînée par la politique de dopage de la croissance menée depuis 2023. Il faut surtout aborder les mutations profondes que connaît la société brésilienne depuis vingt ans et qui devraient se consolider d’ici 2026. C’est à ces deux thèmes que seront consacrés les deux prochains posts de cette série. A suivre : L'inflation dans l'assiette des pauvres.   (1) Source : DataFolha, Pesquisa Nacional,   AVALIAÇÃO DE DOIS ANOS E DOIS MESES DO PRESIDENTE LULA, Fevereiro de 2025. (2) Voir le post intitulé Lula, la facture du populisme économique, https://www.istoebresil.org/post/lula-la-facture-du-populisme-economique

  • Lula, le crépuscule (2).

    L'inflation dans l'assiette des pauvres. Comment rendre compte de la chute très significative de la popularité de Lula observée sur les derniers mois de 2024 et confirmée sur le début de 2025 ? Au Brésil plus qu’ailleurs, l’opinion est très sensible à l’évolution du pouvoir d’achat. C’est d’abord de cette donnée conjoncturelle qu’il faut traiter . Depuis 2024, le pays connaît un regain d’in-flation, une augmentation des prix liée d'abord à la politique d’expansion de la dépense publique menée depuis le début de son troisième mandat par Lula. Cette inflation est très marquée sur trois postes qui pèsent très lourd dans le budget des ménages les plus modestes : l’alimentation, le transport, les services (notamment santé et soins person-nels). Ensemble, ces trois groupes représentent 65% de la hausse des prix en 2024. Face à ce regain d’inflation préoccupant, le gouvernement Lula nage en pleine contradiction. D’un côté, il cherche à convaincre qu’il lutte effectivement contre la hausse du coût de la vie qui touche la majorité de la population et d’abord les plus modestes. De l’autre, il multiplie les initiatives qui favorisent l’inflation dans une économie déjà en situation de plein emploi. Ainsi, en février dernier, il a annoncé un élargissement de l’accès au crédit consigné (1) aux salariés du secteur privé, des mesures facilitant l’utilisation par ces mêmes salariés de l’épargne salariale (2) et une augmentation de l’allocation versée aux scolaires qui achèvent un parcours dans l’enseignement secondaire. Ces initiatives géné-reuses et électoralistes créent une demande nouvelle qui n’est pas accompagnée par un accroissement de l’offre de biens et de services. Elles contribuent à maintenir les tensions qui existent depuis 2023 sur le marché de l’emploi (taux de chômage très bas) et des niveaux de salaires élevés. Dans ces conditions, l’inflation est inévitable. Entre la politique budgétaire poursuivie par l’exécutif et la politique monétaire de la Banque Centrale, la divergence est flagrante. Le premier inonde l’économie de liquidités. L’Institut d’émission cherche à freiner l’envolée des prix en relevant les taux d’intérêt, ce qui renchérit le crédit, accroît l’endettement des agents économiques (notamment des ménages) et ralentit l’activité. Le gouvernement veut convaincre l’opinion publique qu’il est fermement engagé dans la lutte pour la stabilité des prix mais il ne veut pas renoncer à sa politique d’expansion des dépenses, une politique censée in fine permettre d’améliorer la popularité affaiblie du Président. Sensibilité collective à l’inflation. Dans le pays que dirige aujourd’hui Lula, plus d’un habitant sur trois a connu une époque pas si lointaine (avant le début des années 1990) où l’hyperinflation fermait l’horizon éco-nomique, amputait les revenus des plus modestes et ruinait la crédibilité des gou-vernements. Toutes les générations nées à la fin du XXe siècle savent à quel point la maîtrise de l’instabilité des prix obtenue grâce au Plan Real (1994) mis en œuvre par le Président Cardoso a signifié l’entrée dans une nouvelle ère, l’accès à une normalité que le Brésil ne connaissait plus depuis des lustres. Depuis, toute dérive inflationniste même mineure suscite un stress particulier au sein de la société et inquiète les leaders politiques. Le dérapage des prix est d’ailleurs représenté dans la presse et par les humoristes sous la forme d’un dragon qui continue à hanter les mémoires. Lula lui-même a été victime de ce fantôme. A deux reprises, en 1994 et en 1998, il a perdu les élections présidentielles face au candidat Cardoso parce qu’il annonçait une politique susceptible de faire "renaître le dragon". La sensibilité des Brésiliens à toute instabilité des prix est notamment marquée lorsque la valse des étiquettes concerne des achats quotidiens faits au supermarché, les courses alimen-taires, les prix des transports, le coût de la santé. Lula et le dragon de l'inflation... Lula sait cela. C’est d’ailleurs l’accusation majeure qu’il avait proféré contre son concurrent lors de la campagne présidentielle de 2022. Le candidat sortant Bolsonaro avait été présenté par la gauche comme le grand responsable d’une hausse des prix des aliments (due principalement à la crise sanitaire) qui rongeait le pouvoir d’achat des classes les plus modestes. Les communicants de Lula savaient qu’au Brésil, la population évalue les gouvernants d’abord à partir de ce que coûtent les courses faites au supermarché. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils avaient conseillé à leur client d’user et d’abuser d’un argument simple mais percutant. A la fin du gouvernement Bolsonaro, avec 100 BRL, le consom-mateur pouvait acheter un petit paquet de saucisses de Francfort, une douzaine d’œufs et un litre de lait. Par comparaison, avec la même somme, à la fin du premier gouver-nement Lula (2006), le client du supermarché réglait tous les achats permettant à la famille de réaliser trois repas par jour, achetait la viande de boeuf pour le barbecue du week-end (le fameux churrasco ) et la ration de bière pour accompagner ce festin hebdo-madaire. Après avoir scandé cet argument imparable, Lula ajoutait d’ailleurs que, s’il gagnait, la viande de bœuf serait vendue à des prix accessible à tous. Il promettait le barbecue pour tous à bon marché et à chaque fin de semaine. Les annonces de la campagne présidentielle de 2022. Lula promettait alors pour tous les vaccins, la picanha (pièce de boeuf privilégiée les churrascos) et la bière.... Cette promesse ne sera pas tenue, loin s’en faut. En février dernier, à la veille du carnaval, le sujet était sur toutes les lèvres : jamais le churrasco du dimanche n’a été aussi cher. Si cher que dans la plupart des jardins et des espaces réservés aux grillades sur les ter-rasses d’appartements, on grille désormais du poisson, de la viande de volailles ou… des abats. L’inflation alimentaire est sans doute une des explications de l’effritement de la popularité du dirigeant de gauche. Les Brésiliens (notamment les électeurs traditionnels de Lula) se sentent frustrés face à des promesses non tenues. Les familles les plus modestes constatent que leur pouvoir d’achat diminue au fil des mois, en raison de l’envolée des prix alimentaires. Les ménages qui se disent touchés par l’inflation alimentaire sont de plus en plus nombreuses ces derniers mois. Fin janvier 2025, 83% des personnes interrogées par divers instituts de sondages estimaient que les prix des denrées alimentaires avaient augmenté sur le mois qui venait de s’écouler. A la fin octo-bre 2024, ce pourcentage n’était que de 65%. Ces ménages ne sont pas victimes d’une illusion ou d’un sortilège. L’année écoulée a effectivement été marquée par une forte dégradation du pouvoir d’achat alimentaire des Brésiliens. En moyenne, l’augmentation des prix de l’alimentation aura été de 8,23% au niveau du commerce de détail alors que l’inflation générale s’élevait à 4,5%. De tous les articles, ceux dont la hausse des prix a le plus touché les ménages modestes et ceux des classes moyennes est précisément les pièces de viande bovine. Toutes découpes confondues, le prix du bœuf s’est accru de près de 21%. La hausse concerne aussi la viande de porc, celle de volailles (+20,2% pour le filet de poulet, par exemple), les huiles de consommation (soja, olive), le café, les œufs (+35%) ou le lait UHT (+18,8%). Cette inflation alimentaire a contribué à fragiliser le capital de sympathie et de soutien dont bénéficiait Lula dans trois secteurs clés de son électorat historique : les femmes, les Brésiliens qui disposent d’un revenu mensuel inférieur à deux salaires minimum, la population des Etats du Nord-Est du pays. A la fin 2024, en moyenne, l’alimentation représentait 19,4% des dépenses mensuels d’un ménage bré-silien. Ce taux était beaucoup plus élevé chez les catégories les plus modestes (variant de 30% à 50%) qui forment l’écrasante majorité de la population. Pendant longtemps, le parti de Lula a prétendu représenter et défendre les intérêts de ce Brésil pauvre… Causes secondaires et principales. Comment expliquer cette forte hausse des prix de nombreuses denrées alimentaires, une hausse concentrée principalement sur les derniers mois de 2024 ? On peut ici mentionner des facteurs climatiques. Les faibles précipitations enregistrées en 2024 ont ainsi contribué à réduire les récoltes de blé, de maïs et d’autres céréales (avoine, orge). Le phénomène El Nino a provoqué des épisodes sévères de sécheresse qui ont affecté la production nationale de café arabica, provoquant une hausse des cours sur le marché intérieur comme au plan mondial. Pour aller plus loin dans l’identification des causes de l’inflation alimentaire, il faut s’intéresser de plus près à trois catégories d’articles qui sont les viandes (de bœuf, de porc et de volailles), les produits laitiers et le café. Ensemble, ces trois groupes représentent 90% de l’inflation enregistrée sur les achats des ménages destiné à couvrir la consommation alimentaire à domicile. Deux facteurs sont à souligner. Sur ces trois groupes, on observe d’abord une hausse des prix internationaux. Le Brésil est un exportateur majeur de viandes. Il est même un des premiers fournisseurs mon-diaux sur les marchés de la viande bovine et de celle de volailles. C’est le premier pays exportateur de café (32% du total mondial). Les prix obtenus par les producteurs na-tionaux sur les marchés extérieurs sont donc des déterminants directs des prix pratiqués sur le marché domestique. Aucune coopérative exportatrice de poulets, aucun industriel disposant de clients à l’extérieur du pays ne vont approvisionner des filières de distri-bution nationales si les acquéreurs locaux n’acceptent pas des prix équivalents (en monnaie nationale) aux prix négociés à l’exportation. Cette logique est aussi appliquée par les négociants collecteurs de café ou de grains. Dans le cas des produits laitiers et notamment du lait de consommation, le pays n’atteint pas l’autosuffisance. Il doit donc importer une partie de son appro-visionnement. Il subit donc directement la hausse éventuelle des cours mondiaux en dollars. Le second facteur qu’il convient d’évoquer amplifie les mécanismes qui viennent d’être évoqués. Il s’agit de la forte dépréciation subie par le réal brésilien par rapport au dollar (-27,9% au cours de l’année 2024). On a montré ici dans un précédent post que cet affaiblissement spectaculaire de la monnaie nationale n’était pas seulement la consé-quence d’une conjoncture internationale favorable au billet vert mais qu’il résultait du manque de contrôle des finances publiques par le gouvernement fédéral et de la résistance du pouvoir exécutif à contenir la croissance des dépenses . Les mesures de freinage du déficit annoncées en fin d’année par le ministre des Finances de Lula étaient très insuffisantes. Elles ont alimenté l’inquiétude des marchés financiers au lieu de rassurer les investisseurs car elles ont montré qu’il n’y avait pas d’engagement réel de l’exécutif en matière de discipline budgétaire. Le dollar est une composante importante des prix des denrées agricoles et alimentaires, que celles-ci soient en partie exportées ou que les importations couvrent une part importante de la demande intérieure. Toute appréciation significative du dollar entraîne des hausses mécaniques des prix des produits exportables et de ceux qui sont importés. Cette appréciation génère même des comportements de précaution de la part de tous les acteurs des filières concernées. Par exemple sur celle du blé. Le Brésil consomme près de 12 millions de tonnes de cette céréale. Pains, pâtes alimentaires, pizzas sont des articles de consommation courante en milieux urbains. Sur les années récentes, la récolte nationale a fluctué entre 7 et 10 millions de t. Il faut donc importer une partie des ressources nécessaires. Les négociants réalisant ces opérations définissent les prix facturés aux meuniers brésiliens an fonction des cours mondiaux et du change anticipés. Considérons maintenant un produit exporté comme le poulet. Dans le Sud du pays, plusieurs coopératives d’éleveurs exportent de la viande de volailles et livrent aussi à l’intérieur du pays. Les tarifs qu’elles proposent aux clients brésiliens évoluent en fonction des prix en dollars à l’exportation et du taux de change qu’elles anticipent dans l’avenir. Le prix intérieur est un prix dit de parité d’exportation. La dynamique inflationniste très marquée sur les marchés alimentaires brésiliens en 2024 vient amplifier un mouvement qui n’a pas commencé avec le gouvernement Lula. Depuis 2020, les prix domestiques des denrées agricoles et alimentaires ont augmenté de plus de 50%. Il y a d’abord eu l’impact de la pandémie de covid qui a entraîné une insuffisance de l’offre par rapport à la demande à l’échelle mondiale. Il y a eu ensuite une aggravation de la situation en raison de guerres (comme celle provoquée en Ukraine par l’invasion russe) et de crises climatiques de plus en plus fréquentes. Au Brésil, il y a enfin la détérioration de la conjoncture économique observée depuis la fin 2024. Au début de 2025, l’acquisition au supermarché de tous les articles composant un panier alimentaire de base couvrant les besoins d’une famille moyenne sur un mois représentait une dépense de 700 BRL, soit 50% du salaire minimum. Avant la pandémie, cette proportion n’était que de 40%. La situation est devenue très critique sur les derniers mois de 2024 pour les groupes sociaux les plus modestes. L’élévation des prix des produits alimentaires se poursuit depuis le début de cette année. Selon l’Association Brésilienne des Supermarchés (ABRAS), à la fin janvier 2025, le prix moyen des 35 articles du rayon alimentation les plus consommés était supérieur de 9,29% à ce qu’il était un an auparavant. Pour les 12 produits qui composent le panier alimentaire de base, la hausse est encore plus marquée : +12,89%. Selon les experts, l’inflation alimentaire devrait persister tout au long de 2025, avec une probable accélération à partir du second semestre. De son côté, face au phénomène, le gouvernement multipliait les incantations. Lula répétait depuis plusieurs mois qu’il n’avait qu’une seule obsession : celle de fournir au peuple une nourriture à bon marché… Un exécutif bavard et impuissant. E n réalité, il a fallu attendre les premiers jours de mars 2025 pour que l’exécutif propose des mesures concrètes face à l’envolée des prix alimentaires. Des mesures à première vue pertinentes mais dont l’efficacité est improbable. Avant ces annonces, le gouvernement a réagi en multipliant des annonces toutes aussi irréalistes les unes que les autres. De son côté, au cours de meetings destinés à reconquérir la sympathie d’un électorat qui le lâche, Lula s’est laissé aller à des propos déplacés, voire offensants pour les plus modestes. La communication calamiteuse mise en œuvre au plus haut sommet de l’Etat à l’heure où de plus en plus de Brésiliens avaient du mal à remplir leur caddy a aussi contribué à dégrader la côte de confiance du Président. En janvier dernier, le chef de la maison civile (coordinateur du gouvernement fédéral) déclarait dans une interview que l’exécutif envisageait l’introduction d’un dispositif de blo-cage des prix. C’était là ignorer totalement l’empreinte de la mémoire collective. Entre 1986 et 1990, les diverses mesures de contrôle des prix agricoles et alimentaires mises en oeuvre avaient conduit à des résultats désastreux : multiplication de pénuries dans les supermarchés, désorganisation de filières, commerce clandestin, etc …Le chef de la maison civile a dû changer de ton et rectifier le tir en répétant qu’aucune mesure hété-rodoxe ne serait adoptée, qu’il n’y aurait pas de gel des prix, pas de tarification imposée, pas de subvention pour réduire artificiellement les prix pratiqués, pas de contrôles ou d’inspection. Le bruit a ensuite couru que le gouvernement fédéral envisageait de créer son propre réseau de distribution, ses magasins d’Etat. Les points de vente en question allaient être gérés et approvisionnés par les leaders du mouvement d’extrême-gauche dit des paysans sans terre. Il a fallu ici encore que les autorités démentissent en multipliant les messages sur les réseaux sociaux. En février, des membres de l’exécutif ont cru avoir trouver la solution miracle mais se sont bien gardés d’évoquer leur projet avec le ministre directement concerné : celui de l’agri-culture. L’idée était simple. Il suffisait de suivre l’exemple de l’Argentine, un pays qui taxe ses exportations agricoles. Le gouvernement Lula allait donc créer un système national de retenciones , les taxes sur les exportations de grains, de viandes ou d’autres denrées que pratique le voisin du sud. Les porteurs de ce projet semblaient ne pas savoir qu’en Argentine le dispositif de taxation en question (utilisé de manière continue depuis 2003 mais pratiqué de façon intermittente sur les décennies antérieures) a eu au fil du temps deux effets particulièrement calamiteux. Il a d’abord affaibli la compétitivité à l’exporta-tion des filières agricoles touchées. Les parts de marché détenues par l’Argentine à l’étranger ont stagné, quand elles n’ont pas diminué. Les retenciones ont aussi amputé les revenus des filières agricoles et des producteurs argentins. Ces derniers ont limité leurs investissements. L’ affaiblissement de la croissance ou la stagnation de l’offre ont contri-bué à provoquer des tensions sur les marchés agricoles intérieurs et donc des hausses de prix. In fine, ces tensions ont contribué à renforcer une inflation générale galopante. Adopter une telle mesure au Brésil serait une régression (dans les années 1990, les taxes touchant les exportations sur les grandes filières agricoles ont été éliminées) et pénaliserait un secteur de l’écono-mie qui contribue fortement à la croissance. Le Ministre de l’agriculture actuel a finalement été informé de ce projet calamiteux. Il est lui-même exploitant dans le Mato Grosso, un des grands pôles agricoles du pays. Il sait évidemment que l’introduction de taxes sur les exportations serait très mal accepté par les agriculteurs de sa région. Il a rapidement fait savoir que si le projet de création de retenciones voyait le jour, il quitterait immédiatement le gouvernement. Au catalogue des propositions irréalistes ou inefficaces, il faut encore citer celle du ministre du développement agraire (3) qui veut accroître les prêts à taux bonifiés desti-nés aux exploitations de taille familiale qui seraient ainsi encouragées à accroître la pro-duction des aliments essentiels dans la diète quotidienne des Brésiliens. Notons d’abord qu’une fois la mesure mise en œuvre, elle n’aurait évidemment pas d’effet immédiat sur le volume de produits offerts sur le marché intérieur, et donc sur les prix pratiqués. Ajou-tons encore que ce projet relève d'une idée falacieuse. La production agricole destinée à couvrir les besoins d'une population largement urbanisée est d'abord le fait de d'entre-prises de grandes dimensions. Ce sont ces entreprises et des exploitations familiales à vocation commerciale et organisées en coopératives qui assurent l'approvisionnment des consommateurs en fruits, légumes, haricot noir (feijão), grains, lait et viandes… .Les petites structures agricoles dont s'occupe le ministère dit du développement agraire ont une fonction sociale et assurent l'auto-approvisionnement des familles concernées. Pendant de longues semaines, le pouvoir ne s’est pas contenté d’évoquer des projets in-conséquents ou irréalistes. Le repli du dollar sur le marché des changes observé depuis janvier et l’annonce d’une récolte exceptionnelle en 2025 ont suffi pour que ministres et porte-paroles évoquent avec assurance la fin prochaine de l’inflation alimentaire. De son côté, le Président a mobilisé tous ses talents d’orateur, martelant d’interviews en discours qu’il faisait tout son possible pour faciliter la baisse des prix de la viande, des œufs ou des produits laitiers… A chaque annonce de nouvelle hausse observée par les instituts spécialisés, Lula répétait qu’il allait réunir grossistes, distributeurs afin que tout ce monde se rende à la raison, fasse des efforts et terrasse une fièvre qui n’avait pas de raison d’être… Les déclarations ne suffisant pas, le Président allait ajouter l’image aux paroles. Dans un reportage commandé diffusé fin janvier 2025, Lula était filmé se pro-menant dans le potager de sa résidence officielle à Brasilia. Parcourant rangées de salades, de tubercules et de fruits, le Président déguisé en jardinier rassurait : la hausse du dollar, les problèmes climatiques et la bonne tenue de la consommation suffisaient à expliquer un dérapage regrettable des prix qu’il s’engageait à corriger. En février, sans doute de plus en plus irrité par les sondages qui confirmaient sa baisse de popularité, c’est le chef de l'Etat lui-même qui allait déraper. Lors d’un rassemblement de sympathisants dans le Nord-Est, il a voulu responsabiliser les consommateurs en leur demandant de ne pas acheter les produits alimentaires qu’ils estiment trop chers, laissant entendre que les distributeurs seraient alors contraints de revoir leurs tarifs à la baisse afin d’éviter les stocks ou la dégradation de la qualité des denrées périssables. Le propos est très mal passé. Il ressemblait à cette injonction prêtée à la reine Marie-Antoinette : si le pain est cher, mangez de la brioche !.. Une autre fois encore, évoquant le prix très élevé des œufs de poule, Lula a conseillé aux ménages les plus modestes de passer aux œufs de canne ou d’envisager la consommation d’œufs d’autruches, voire de tortues. Les injonctions du Président ont été reçues comme autant de provocations par une population irritée…. L’opposition a immédiatement souligné que les suggestions du Président n’étaient pas conformes aux recommandations des nutritionnistes (les œufs de canne sont très gras) ou à la législation protégeant les espèces sauvages menacées (ce qui est le cas des autruches et des tortues)…. Le Président encourage la consommation d'oeufs d'autruches (emas), des oiseaux que l'on rencontre dans le centre du pays et à Brasilia... Finalement, début mars, l’exécutif a annoncé des mesures concrètes destinées à réduire les prix des denrées alimentaires de base et… à améliorer l’indice de popularité du Président. Le plan du gouvernement comporte trois dispositions essentielles. La pre-mière consiste à éliminer les taxes douanières sur plusieurs catégories de produits (vian-des, maïs, sucre, huiles végétales, pâtes alimentaires, biscuits, conserves de poissons). Les droits perçus sur les éventuelles importations varient de 7,2% pour le maïs à 32% pour les conserves de poissons en passant par 16,2% pour les biscuits ou 10,8% pour les viandes…La seconde est de renforcer la politique de stocks régulateurs de la Compagnie Nationale d’Approvisionnement (CONAB), une agence dépendante du Ministère de l’agriculture. Enfin, le plan prévoit des mesures d’encouragement à la production des denrées qui composent la diète alimentaire de base. Le premier volet est une initiative de communication destinée à marquer les esprits. Dans un pays où les protections com-merciales sont très élevées, l’abandon des droits douane est une mesure innovante. Elle n’influencera pourtant pas la formation des prix sur des marchés intérieurs où l’offre domestique dépasse largement la demande locale (comme le sucre, les viandes, le maïs ou l’huile de soja) et où les importations sont résiduelles. Elle peut se traduire en revanche par des baisses de prix sur des articles alimentaires qui ne constituent pas des composantes centrales de l’alimentation quotidienne : biscuits, conserves de poisson, huile d’olive (largement importée). Plus généralement, la suppression des droits de douane ne peut pas avoir d’impact significatif sur les prix à la consommation dans un pays où ce sont d’abord les impôts indirects intérieurs (notamment l’ICMS prélevé par les Etats fédérés) qui constituent l’essentiel des taxes facturés aux clients finals. En moyenne, les charges fiscales représentent 22% du prix au détail des aliments. Ce taux sont très élevés pour des produits alimentaires de base qui constituent les composantes majeures de la diète quotidienne de la population (voir graphique). C’est donc sur un allégement significatif de la fiscalité concernant les biens de consommation essentiels que les pouvoirs publics devraient jouer pour réduire effectivement les prix des denrées alimentaires. A ce sujet, le gouvernement fédéral se contente d’encourager les Etats fédérés à faire des efforts . Il sait bien cependant que les marges de manœuvre budgétaires des pouvoirs publics locaux sont limitées. Dans ces conditions, la seule élimination des droits de douane sur les produits choisis par le gouvernement est une mesure plus symbolique qu’efficace. Part des taxes dans le prix final des aliments à la fin 2024. Source ; Instituto Brasileiro de Planejamento Tributario (IBTP). * Pain dit pain français vendu en boulangerie. Sur les autres dispositions du plan, l’exécutif reste très vague. Le renforcement de la régulation des marchés par la CONAB passe par un accroissement des volumes stockés. Pratiquer aujourd’hui des achats importants sur les marchés où les prix sont déjà très élevés serait aggraver la situation dans l’immédiat. La proposition signifie donc au mieux que la Compagnie pourra influencer la formation des prix dans un avenir éloigné, après avoir freiné un mouvement baissier par des achats destinés à renforcer ses stocks. Le gouvernement n’a pas précisé ce qu’il envisageait de faire pour encourager la production de biens alimentaires de base. La question centrale est cependant ailleurs. Le plan de l’exécutif ne s’attaque pas aux causes fondamentales de l’inflation alimentaire. Outre les questions climatiques, l’inflation en question est la conséquence des choix de politique économique faits par le pouvoir. Il faut rappeler le refus d’un ajustement effectif des comptes publics et un endettement croissant. Il faut aussi souligner l’impact infla-tionnistes (dans une économie de plein emploi) des mesures populistes récentes : élar-gissement du crédit consigné à plusieurs dizaines de millions de bénéficiaires potentiels (salariés du secteur privé), flexibilisation des retraits de l’épargne salariale, paiement anticipé des indemnités de retraites et pensions, primes versées aux scolaires, etc…En somme, le gouvernement fait peu pour freiner effectivement la hausse des prix de l’alimentation, un poste budgétaire qui pèse très lourd dans les dépenses des plus modestes. Il s’attache d’abord à faire des cadeaux supposés ranimer la popularité en berne du Président. En fin 2002, Lula remportait pour la première fois l’élection présidentielle. Lors de son investiture en janvier suivant, il s’était engagé à garantir à tous les Brésiliens le droit de faire trois repas par jour. Il avait même esquissé un plan de lutte contre la faim (le fome zéro). Plus de deux décennies plus tard, cet objectif, comme tant d'autres, n'a toujours pas été atteint et la patience de la population à l'égard du président s'amenuise. La vague de rejet qui est apparue depuis six mois va s'amplifier si le gouvernement s'obstine à faire des diagnostics erronés, s’il est incapable de créer les conditions d’une croissance durable et s’il continue à verser dans le populisme. L'inflation tourmente aujourd’hui de nombreux secteurs de la population. Ces secteurs sont aussi préoccupés par un horizon économique qui s’assombrit. Tout cela pourrait coûter cher à Lula en 2026. A suivre : Une gauche déconnectée du pays réel. (1). Créé sous le premier mandat de Lula, ce type de crédit permet aux fonctionnaires, pensionnés, retraités et bénéficiaires d'allocations sociales régulières d'avoir leurs mensualités de crédit pré-levées à la source. Ce dispositif réduit le défaut de paiement auxquelles sont exposées les banques créancières qui proposent donc des taux d'intérêt inférieurs à ceux pratiqués sur les autres types de crédit. (2). Chaque mois, pour chaque salariés déclaré, l'employeur approvisionne un compte d'épargne tenu par la Caixa Economica Federal (banque publique). Jusqu'alors, le salarié pouvait débloquer cette épargne pour faire face à des évènements exceptionnels (licenciement, mariage, etc..). Désormais, il peut débloquer une partie de son épargne chaque année. (3). Le dit ministère est un organe créé par la gauche. Il a pour vocation de s'occuper de la petite agriculture familiale d'autosubsistance et des bénéficiaires de la réforme agraire.

  • LULA, la facture du populisme économique.

    Le Brésil a abordé 2025 confronté à une sorte de paradoxe économique. Pour la qua-trième année consécutive, la croissance aura été supérieure à 3% en 2024. Le taux de chômage est à son minimum historique, les revenus des ménages augmentent et la pauvreté recule. Pourtant, les agents économiques affichent désormais un franc pessi-misme et ne croient plus aux prévisions et promesses du gouvernement Lula . Ces agents regardent vers l’avenir et le scénario pour 2025 et 2026 est plutôt inquiétant. Les pré-visionnistes annoncent au mieux une période de stagflation. Le rythme de croissance atteint sur les deux années écoulées n’est pas compatible avec la stabilité des prix. En témoigne la progression de l’inflation (qui n’a jamais reflué en dessous de 4,5%/an depuis la crise du covid et aura été proche de 5% sur l’année 2024) et les tensions sur le marché de l’emploi. Cette expansion de l’économie supérieure à son potentiel a été alimentée à partir de 2023 par une augmentation vigoureuse de la dépense publique. Sur une première phase, les investisseurs et les marchés ont voulu croire que l’orientation prise par le futur Président Lula fin 2022 (avant même l’investiture) d’abandonner la règle de discipline budgétaire (créée en 2017 et qui gelait les dépenses publiques en termes réels pendant 20 ans) et d’ouvrir des marges de manœuvre pour accroître les transferts so-ciaux serait passagère. Que rapidement, le nouveau gouvernement saurait remplacer le fameuse règle (dite de plafond budgétaire) par un autre mécanisme de discipline effi-cace et convaincant. Au début du troisième mandat présidentiel du leader de la gauche, les observateurs qui dénonçaient un populisme économique passaient alors pour des esprits grincheux. Ils sont moins critiqués aujourd’hui. Les marchés ont perdu leurs illusions tardivement. Il a fallu pour cela que l’Administration Lula présente fin 2024 un dispositif de maîtrise des dépenses publiques fédérales qui n’en était pas un (les mesures annoncées sont très insuffisantes). La facture de l’irres-ponsabilité budgétaire a pris la forme en 2024 de fortes turbulences financières (sur le marché des changes, le réal a dévissé de 27% en un an par rapport au dollar), d’un resserrement de la politique monétaire, d’ une hausse significative des taux d’intérêt et d’un emballement de l’inflation qui pourrait s’amplifier sur les deux prochaines années . Taux de change du real brésilien (1 USD = BRL) au cours de l'année 2024. Source : CEPEA/Esalq - USP. La faute originelle. Dès son élection, en octobre 2022, Lula souligne qu’il n’a pas abandonné la vieille thèse chère à la gauche de nombreux pays. Cette conception du développement est connue des sociétés latino-américaines qui n’ont jamais vécu dans un véritable système capitaliste de marché. Selon cette conception, le développement est l’affaire d’un Etat entrepreneur, planificateur, distributeur de crédits et protecteur du capital privé national. La vigueur de la croissance dépend aussi de l’Etat qui doit être prodigue pour doper l’activité. L’accroissement des dépenses et des déficits publics est le moteur principal de la croissance. Lorsqu’il prend ses fonctions, Lula trouve une économie en situation de plein-emploi, qui croît au rythme de 3%. Le chômage est en baisse. L’inflation recule lente-ment. Dès la période de transition, le Président et son futur cabinet ont pourtant pris la décision de stimuler la consommation en augmentant les dépenses, notamment les transferts sociaux aux familles les plus modestes. Avant même l’investiture, le futur exécutif obtient du Congrès le vote d’un amendement constitutionnel qui prévoit l’abandon du mécanisme de discipline budgétaire en vigueur (introduit en 2017 sous la Présidence Temer, qui induisait le gel des dépenses en termes réels sur 20 ans) et l’augmentation des dépenses prévues dans la loi budgétaire de 2023. La hausse n’est pas insignifiante : 168 milliards de BRL, soit 2% du PIB. Il s’agit alors de la plus forte augmentation des dépenses fédérales de l’histoire récente, après celle pratiquée en 2020 pour faire face à la pandémie du Covid 19. Détail essentiel : le correctif budgétaire au début de la crise sanitaire prévoyait des crédits et des allocations exceptionnels et temporaires. L’amendement voté par le Congrès en décembre 2022 (alors que la pandémie du Covid n'était plus qu’un très mauvais souvenir) autorisait une augmentation de dépenses per-manente. L’affectation de crédits supplémentaires et l’élévation substantielle du salaire minimum légal allaient permettre un relèvement des transferts du gouvernement fédéral aux familles (indemnités de retraites, d’assurance chômage, de minimum vieillesse, de complément annuel de salaire (versé aux travailleurs recevant le salaire minimum). En termes réels (ajustés de l’inflation), les transferts totaux à la charge de l’Etat fédéral sont passés de 1100 milliards de BRL en décembre 2022 à 1300 milliards de BRL en octobre 2024. Alors que des dépenses permanentes augmentent, le gouvernement et le Président répètent que la progression des recettes sera au rendez-vous, au pire en 2024. En réalité, le modeste excédent primaire du secteur public de fin 2022 (1,2% du PIB) se transformera en déficits considérables en 2023 (4,6% du PIB) et en 2024 (8,8% du PIB). La dette publique de l’ensemble du secteur public (assumée par l’Etat fédéral) passe dans le même intervalle de temps de 71,7% à 78,8% du PIB… Evolution des finances publiques (en % du PIB). Source : Banco Itau. Solde primaire = solde avant paiement des intérêts de la dette publique. Solde nominal = après paiement des intérêt de la dette publique. Au début de l’année 2023, analystes financiers et investisseurs ne veulent pas croire que ce gouvernement nouveau pourrait répéter les erreurs de l’Administration Dilma Rousseff qui avaient plongé le pays dans une des pires récessions de son histoire (entre 2015 et 2016). Les grands acteurs du marché financier brésilien qui financent et refi-nancent la dette publique fédérale (qui est avant tout une dette intérieure) oublient cette injection de 168 milliards de BRL dans l’économie et se laissent amadouer par un gouvernement qui annonce de nouvelles règles de discipline budgétaire destinées à remplacer l’ancien plafond abandonné . Les marchés seront d’ailleurs rassurés en août 2023 lorsque le Congrès approuve une loi fixant un cadre budgétaire qui contraint l’exécutif à limiter la croissance réelle des dépenses à 2,5% par an. Tous les économistes sérieux soulignent à l’époque qu’un tel dispositif sera rapidement inapplicable et qu’il ne suffira pas à rétablir sur la durée les excédents primaires qui permettraient de réduire la dette publique. Le législateur brésilien a approuvé en 2021 une loi créant le statut d’autonomie de la Banque Centrale. A partir de d’août 2023, constatant un reflux de l’inflation, l’autorité monétaire a ramené prudemment son taux directeur de 13,75%/an à 10,5% (en juin 2024). La baisse est jugée très insuffisante par le gouvernement Lula qui ne cesse de tempêter contre le Président de l’Institut d’émission. Pour la gauche au pouvoir, ce dernier serait l’acteur central d’un complot mené par la droite contre le gouvernement de Lula. La fermeté de l'autorité monétaire permettra de contrer l’incontinence budgétaire de l’exécutif et d’éviter que l'inflation ne devienne incontrôlable pendant près de deux ans. Sur le terrain de la politique conjoncturelle, les deux premières années de ce troisième gouvernement Lula peuvent être résumées en affirmant que la discipline budgétaire n’a jamais été à l’ordre du jour (malgré les promesses et nouveaux projets d’ajustement annoncés) et que l’autorité monétaire a fait le travail qu’elle devait faire. 2023-2024 : une économie en surchauffe. Il faut s’arrêter un instant sur la croissance obtenue au cours des deux premières années du mandat de Lula. Les taux de progression du PIB sont respectivement de 3,2% en 2023 et de 3,6% en 2024. Donc, des résultats à première vue positifs. Cette appréciation est effectivement celle que se plaît à répéter le gouvernement fédéral dans sa communi-cation. Il aurait effectivement raison si ces taux de croissance étaient soutenables. Or, tout porte à considérer que ce niveau de croissance ne peut pas être maintenu indéfini-ment. Notons tout d’abord qu’il s’agit d’une expansion qui, sous l’optique de la demande, est tirée principalement par l’essor de la consommation. Ainsi, en 2023 (et dans une moindre mesure en 2024) la consommation représente autour des 2/3 de la progression de la demande intérieure. D’où vient cette augmentation de la consommation ? Il est principalement lié au relèvement du montent des transferts sociaux dont bénéficient les familles les plus modestes (niveaux des retraites du régime général, bolsa familia, mini-mum vieillesse dit BPC, complément de salaire ou abono , indemnités versées aux chômeurs). Au sein des catégories de ménages qui bénéficient de la progression des transferts sociaux, toute amélioration des revenus se traduit en élévation de la con-sommation. Logique : sur les deux années écoulées, la consommation des ménages reste le moteur principal qu’a cherché à stimuler Lula en accroissant les dépenses sociales. La progression de la consommation a été très régulière sur 24 mois. A l’inverse, la dynamique de l’investissement aura été très irrégulière (contraction en 2023, reprise nette en 2024). La hausse cumulée sur deux ans est de 4%. Enfin, le taux d’investisse-ment (17,6% du PIB fin 2024) reste au Brésil très inférieure au niveau de 25% que tous les observateurs considèrent comme le seuil à partir duquel serait garanti au Brésil une croissance robuste et durable. La politique budgétaire engagée dès le début de 2023 a donc favorisé les ménages. L’économie a répondu mais les différents secteurs d’activité n’ont pas réagi de la même manière. En 2023 comme en 2024, la croissance du secteur des services est bien plus marquée que celle de l’industrie. Les écarts entre taux de croissance ne sont pas gigantesques (2,8% contre 1,7% la première année, 3,8% contre 3,3% la seconde) mais comme le secteur des services représente une part du PIB (près de 70%) plus grande que celle de l’industrie (10,8%), sa contribution en termes de progression de la valeur ajoutée est très élevée (80% en 2023). En résumé, la dynamique de l’économie stimulée par la politique d’expansion et de déficit budgétaire s’est traduite par une expansion des services, c’est-à-dire d’une branche très hétérogène regroupant des prestations diverses qui ne peuvent pas être importées ( commerce & e-commerce, transport, finance, éducation, santé, tourisme, information-communication, services profes-sionnels et aux familles, services en ligne, etc..). Cela signifie que si les utilisateurs finals consomment plus de services, il faut produire plus de services, c’est-à-dire recruter davantage de travailleurs salariés. Dans une économie où la quantité de main d’œuvre disponible est importante, où le taux de chômage est élevé, l’augmentation de l’offre de services peut être réalisée sans nuire à l’expansion de l’activité industrielle. Ce n’est pas le cas du Brésil au début du troisième mandat de Lula. Le taux de chômage est déjà alors en baisse. Dans ces conditions, l’accroissement de l’offre de services se fait au détriment de l’expansion des activités industrielles. La consommation supplémentaire de biens manufacturés induit donc une progression des importations. La croissance pendant les deux premières années du mandat a entraîné de facto une progression des importations, l’offre intérieure étant insuffisante pour répondre à la demande en produits industriels. Cette croissance a aussi induit une progression de l’écart de production, le PIB observé étant supérieur au PIB potentiel, le niveau de production compatible avec la stabilité des prix. Le taux de chômage a fortement diminué au cours de ces deux années (de 9,3% en 2022 à 6% fin 2024) mais l’inflation s’est accélérée. En fin 2023, des économistes clairvoyants répétaient déjà qu’une croissance supérieure à 3% entraînerait de sérieuses difficultés. Ils étaient évidemment récusés par la gauche au pouvoir. S’appuyant sur une expérience historique pourtant récente (celle vécue sous le second gouvernement D. Rousseff entre 2014 et 2016), ces augures annonçaient que la politique menée par Lula allait ouvrir un scénario difficile à terme, avec une combinaison d’inflation élevée, d’endettement public croissant, de hausse des taux d’intérêt, de chute de la monnaie nationale et de contraction de l’activité. La facture est arrivée. L'inflation a atteint 4,9% en 2024 (contre 4,6% l’année précédente). Elle se situe donc au-delà de la limite supérieure de la cible de la Banque centrale, fixée à 3% avec une marge de tolérance de +/- 1,5%. Outre une activité économique plus dynamique que prévu (voir plus haut) et les tensions sur le marché du travail entraînant une progression sensible des salaires, cette poussée inflationniste est évidemment alimentée par la forte dépréciation subie par le réal sur la seconde partie de l’année . La Banque centrale a donc entamé un cycle de resserrement monétaire en septem-bre 2024. Elle a alors augmenté son taux directeur à 10,75%, après l’avoir ramené à 10,5%, contre 13,75% en août 2023. Pour justifier cette première hausse, l’Institut d’émission a évoqué des incertitudes croissantes sur le plan externe (en raison des élections alors à venir aux Etats-Unis et de la politique monétaire de la FED) et interne (le laxisme budgétaire du gouvernement Lula et du Congrès). Face à des pressions inflationnistes persistantes et au désencrage des anticipations d’inflation pour 2024 et 2025 (de plus en plus éloignées de la cible), la Banque centrale a déjà relevé son taux directeur à 11,25% en novembre 2024 puis 12,25 % un mois plus tard. Elle a aussi prévu deux autres augmentations sur les premiers mois de 2025. Ce taux pourrait atteindre 14,75% ou même 15% en fin d’année. Un tel resserrement va peser sur la dette publique. Une partie des titres émis portent une rémunération indexée sur le taux directeur de la Banque centrale. De leur côté, l’exécutif et le Congrès jouent un jeu qui ne trompe plus les marchés. A la fin de la session parlementaire de 2024, les parlementaires ont adopté un pro-gramme de réduction des dépenses publiques présenté comme un dispositif destiné à éviter un dérapage de la dette publique. Pour les investisseurs, il s’agit d’un nouveau trompe l’œil. Fernando Haddad, le ministre des Finances de Lula, a dû faire des concessions pour faire adopter son programme budgétaire par le Congrès. Le plan d'économie est insuffisant (il prévoit des exonérations qui vont limiter sérieusement les coupes prévues) pour inverser la trajectoire de la dette brute du gouvernement général qui n’a pas cessé de croître depuis janvier 2023 Le ratio dette publique/PIB devrait continuer à augmenter au moins jusqu’en 2030 et dépasserait fin 2026 le niveau observé pendant la crise sanitaire du covid 19 (il serait alors de 88,6% du PIB contre 86,9% en 2020). Le climat de défiance à l’égard de la politique économique de Lula qui prévaut depuis la mi-2024 n’est donc pas prêt de se dissiper. La dette du gouvernement général (prise en charge par le Trésor fédéral) est une dette financée principalement par captation de l’épargne intérieure. Elle atteint un niveau supérieur à ce qui est observé dans d’autres pays émergents. La dynamique de la dette publique brésilienne contraste d’ailleurs avec la trajectoire de stabilisation observée dans d’autres nations sud-américaines. Les marchés ne peuvent pas être convaincus par quelques ajustements à la marge. Pour inverser la trajectoire de la dette, le gouver-nement fédéral devrait s’attaquer à la progression des dépenses obligatoires qui repré-sentent 92% des crédits budgétaires. A cette fin, il faudrait revoir les règles d’indexation qui font que les dépenses d’éducation et de santé progressent automatiquement avec les recettes fiscales. Ou ces dispositifs qui prévoient que le montant de nouveaux trans-ferts sociaux évolue dans le temps en fonction des hausses du SMIC. Il faudrait aussi avoir le courage de remettre en cause des régimes de retraite spéciaux, les salaires et les multiples avantages dont bénéficient des castes de haut fonctionnaires privilégiés…. Il faudrait encore que le gouvernement fédéral montre clairement et sur la durée qu’il con-tribue à ancrer les anticipations d’inflation au lieu de dénoncer en permanence le soi-disant complot forgé par les dirigeants de la Banque centrale…Pour rétablir la crédibilité de la politique budgétaire, l’Etat fédéral doit chercher à retrouver des excédents pri-maires afin de réduire dans le temps le coût du financement de la dette publique, de restaurer la confiance des marchés (c’est-à-dire ici des épargnants brésiliens et des investisseurs étrangers…. Dette brute du gouvernement général* en % du PIB. *Etat fédéral + Etats fédérés + autres entités du secteur public; Source : Banco Itau. C’est à peu près le contraire qui a été fait depuis des mois. La défiance est d’abord venu des investisseurs étrangers. D’où la forte dépréciation du réal observée depuis le début du second semestre 2024. Jusqu’en novembre, les sortes de capitaux (notamment du Brésil vers les Etats-Unis ont atteint 10,6 milliards d’USD, soit le dou-ble du flux observé sur les dix premiers mois de 2023. La situation des finances publiques et l’absence de discipline budgétaire véritable ont élevé la perception du risque chez les investisseurs. La défiance s’est traduite par une véritable saignée sur le marché des changes entre octobre en décembre. Le real a ainsi dégringolé (à plus de 6 réais par dollar), battant ainsi les records nominaux successifs depuis l'adoption du Real. La Banque centrale a été contrainte de vendre au cours de plusieurs opérations menées sur 12 jours la bagatelle de 32,57 milliards de dollars pour stopper l'hémorragie. Jamais une intervention d’une telle ampleur n’avait été enregistrée depuis l’instauration des changes flottants il y a 25 ans. Dans un tel contexte, les investisseurs exigent des primes de plus en plus élevées pour absorber le volume d'obligations publiques que le Trésor doit mettre sur le marché pour financer les déficits budgétaires récurrents et la dette publique croissante. La perte de confiance se traduit par des taux d’intérêt extrêmement élevés à plus de 15% par exemple sur les titres à dix ans émis par le Trésor. Le taux d'intérêt réel (supérieur à l'inflation) que le Trésor applique aujourd'hui est au même niveau qu'au plus fort de la crise en 2015 et 2016. Mais aujourd'hui, alors que la dette brute représente près de 80 % du PIB, contre 57 % à l'époque, elle augmente beaucoup plus rapidement. La situation est donc beaucoup plus délicate. Quelles conséquences sur l’économie ? Le dollar a atteint un niveau record à la fin 2024 et devrait se maintenir autour de 6 réais pendant l’année 2025. Le taux directeur de la Banque centrale pourrait atteindre rapidement 14,25%/an. Les taux réels pratiqués sont très élevés (la courbe des taux d’intérêts nominaux est supérieure à 15%, ce qui signifie une courbe des taux réels supérieure à 7%). Considérons d’abord la forte chute de la monnaie nationale par rapport au billet vert enregistrée en 2024. Celle-ci va impacter les prix intérieurs de tous les biens importés. Le Brésil est un importateur de combustibles et de carburants. Le renchérissement des importations de diesel ou de gaz va mécaniquement entraîner une hausse des coûts de transport et de la facture énergétique. Le décrochage de la monnaie nationale va encore induire une augmentation des prix de produits agricoles et alimentaires importés (blé par exemple) et ceux de certains produits agricoles et alimentaires exportés (viandes, produits de la filière soja, sucre, etc..). Ajoutons encore que de nombreuses entreprises nationales sont endettées en devises étrangères et que l’affaiblissement de la monnaie nationale a déjà sérieusement accru l’importance de leurs passifs, déstabilisé les trésoreries, voire conduit à l’incapacité d’honorer les engagements. Cette dynamique d’appauvrissement relatif du pays pourrait s’accentuer dans les prochains mois si le réal connaît de nouvelles faiblesses. Soulignons cependant qu’elle peut être contenue. Le Brésil dispose de près de plus de 350 milliards de dollars de réserves - près de 250 milliards de dollars nets. La difficulté majeure est liée aux niveaux des taux d’intérêts. Aucun investissement productif ne permet de dégager une rentabilité supérieure à un taux réel supérieur à 7% par an. Aux niveaux des taux pratiqués désormais, les entreprises reportent leurs projets d’investissements, placent leurs disponibilités sur le marché financier. Pour celles qui sont endettées, les charges financières à assumer finissent par être asphy-xiantes. Le Brésil peut connaître dans les prochains mois une progression des situa-tions d’insolvabilité tant du côté des entreprises que de celui des ménages. Dans ces conditions, l’économie va connaître un ralentissement prononcé en 2025 (la croissance devrait être de 1,8 à 2%), évolution qui devrait peser plus lourdement en 2026. Pour de nombreux observateurs, le scénario pourrait être encore plus sombre. La combinaison d’une forte dépréciation de la monnaie nationale et de taux d’intérêt élevé pourrait accroître l’aversion au risque des investisseurs, entraînant une dégradation plus rapide de l’activité et même une récession dès la fin de 2025… Un populisme électoral déraisonnable. Tous les observateurs indépendants savent que Lula va faire tout ce qu’il pourra faire au cours des deux prochaines années pour empêcher une décélération de l’activité économique avant l’élection de 2026. La crise de confiance qui s’est ouverte entre le gouvernement et les marchés financiers en 2024 exige pourtant un net recalibrage de la gestion des finances fédérales. Sinon, le Brésil risque de se retrouver dans un scénario de dominance budgétaire où l'autorité monétaire perd le contrôle de la trajectoire de l'inflation en raison d'une forte expansion des dépenses publiques. La Banque centrale n'est pas en mesure, à elle seule, d'écarter la menace de dérive inflationniste, même si elle a annoncé à la fin 2024 qu'elle augmenterait fortement les taux d'intérêt. Cette annonce permet de gagner du temps. Mais s’il n’y a pas de changement clair de politique budgétaire sur les mois à venir, la menace d’un glissement vers la dominance budgétaire sera de plus en plus forte. Le grand risque désormais est que le gouvernement fédéral persiste dans le laxisme et fasse tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher un ralentissement de l'activité économique jusqu'à la fin de 2026, date de l'élection. Il est d’ailleurs suivi par un Congrès où les partisans d’un ajustement budgétaire sont assez minoritaires. En réalité, le Président et son parti ont un objectif central : créer les conditions qui permettraient à Lula d’être réélu pour un quatrième mandat en 2026. La gestion macroéconomique est d’abord inspirée par la stratégie électorale. La chute du réal et les tensions inflationnistes sont perçues par le pouvoir politique comme des dommages collatéraux qu’il faut tolérer…Le gouvernement justifie aujourd’hui cette gestion en avançant que l’économie se porte bien, que la croissance observée débouche sur le plein emploi, sur la réduction de la pauvreté. Il ne cesse de répéter depuis des mois que la rigueur imposée par la Banque centrale est une machination contre la politique sociale généreuse conduite avec courage par Lula. Un pari déraisonnable. Le resserrement de la politique monétaire engagé en 2024 peut éviter un temps une forte progression de l’inflation, guère plus. Tant que l’exécutif ne lève pas le pied de l’accélérateur en matière de dépenses, le ratio de la dette publique par rapport au PIB va continuer à augmenter (la facture des intérêts sera plus élevée et le déficit à financer plus important). L’ensemble des investisseurs dans le monde vont donc considérer que pour se financer le Brésil doit assumer des primes de risque plus élevée. Au ralentis-sement de l’activité généré par le durcissement des conditions de financement, le gouvernement répondra par plus de prodigalité en matière de dépenses. On peut ainsi parfaitement imaginer d’ici à 2026 un nouveau train de mesures destinées à renforcer les transferts sociaux, à renflouer temporairement les budgets des ménages les plus modestes, à pousser ainsi artificiellement la croissance. Tant qu’elle le pourra, l’autorité monétaire fera tout pour freiner la progression de la demande alors que l’Etat fédéral sera mobilisé pour atteindre l’objectif opposé. Il est pro-bable que l’Etat gagnera cette épreuve de force et que l’inflation continuera à progresser. L’exécutif fédéral imagine d’ailleurs sans doute qu’au milieu de cette bataille, des divisions puissent apparaître entre les gouverneurs de la Banque centrale et que celle-ci finisse par s’incliner… Si tel n’est pas le cas, la situation de dominance fiscale apparaîtra lorsque la Banque centrale perdra le contrôle de l’économie, lorsque ses initiatives de lutte contre l’inflation commenceront à avoir des effets négatifs. On peut ainsi imaginer que suite à une élévation des taux d’intérêt, le réal se déprécie par rapport au dollar, que les anticipations d’inflation se dégradent, que la perception du risque aug-mente. Le pari de Lula et de son camp est déraisonnable. Rien ne permet de considérer que l’appréciation du dollar et l’envolée des prix n’atteindront pas des proportions qui menaceront le projet de réélection de Lula en 2026. En fin 2025 et au cours de 2026, l’inflation des biens essentiels (alimentation, transport, énergie) peut atteindre des ryth-mes très élevés. La valse des étiquettes touchera évidemment avant tout les ménages les plus pauvres. Le ralentissement de l’activité déjà annoncé peut précéder la récession, c’est-à-dire une dégradation de l’emploi, la baisse des revenus. Lula et son camp pourront alors insister pour blâmer les marchés financiers, dénoncer un complot diabolique. Ces arguments ne suffiront pas à convaincre les couches populaires et des classes moyennes. Lula et les forces politiques qui le soutiennent pourraient alors perdre leur pari et connaître une sévère défaite électorale en 2026 pour avoir mis en péril la stabilité économique, c’est-à-dire l’acquis le plus cher à la société brésilienne depuis trente ans. Si les prévisions les plus sérieuses se vérifient dans les prochains mois, la gauche au pouvoir aura provoqué à nouveau un désastre économique. Les millions de pauvres brésiliens n'auront alors qu’une seule consolation en 2026 : la déroute électorale de ceux qui prétendent depuis des décennies les représenter et les défendre.

  • Lula, le Brésil et le monde (2).

    Une diplomatie régionale hors-sol. Lorsque Lula revient à la tête de l’exécutif fédéral brésilien en janvier 2023, il annonce clairement que son objectif majeur en matière de politique étrangère est de redonner au Brésil toute la place qu’il avait acquise sur la scène internationale à la fin de ses deux premiers mandats (2003-2010). Dans le camp occidental comme au sein du monde en développement, les chancelleries attendent beaucoup du retour de Lula au pouvoir. D’abord qu’il permette au Brésil de retrouver son rôle de puissance régionale assumant un leadership à l’échelle du sous-continent. Ensuite qu’il redevienne un acteur majeur dans le combat contre le réchauffement climatique. Enfin, qu’il anime un dialogue cons-tructif entre les nations avancées et les pays du Sud. Autant de chantiers essentiels que la Présidence Bolsonaro avait systématiquement ignorés ou méprisés. " Le Brésil est de retour", annonçait la propagande officielle du gouvernement fédéral après l’investiture de Lula pour son troisième mandat. Les diplomates étrangers en poste à Brasilia ont cru un temps à cette promesse. Ils savaient que la politique étrangère allait être un des rares domaines d’action où Lula disposerait de marges de manœuvre conséquentes face à un Congrès dominé par les forces d’opposition. Ils n’imaginaient sans doute pas que c’est précisément dans ce secteur de l’action gouvernementale que le parti de Lula allait peser de toute son influence. Ils ont un temps ignoré le poids des rigidités idéologiques, de cette vision binaire du monde évoquée dans le premier post de cette série. Certes, le nouveau Président a dû aborder à partir de 2023 des enjeux et des tensions interna-tionales très différents de ceux qu’il avait connus 13 ans auparavant. Un monde sans doute davantage travaillé par des guerres. Le candidat de longue date a eu cependant tout le temps de se préparer à ce choc des réalités. Il aurait pu pendant plus d’une dé-cennie impulser une réflexion au sein de son camp pour que leaders et les intellectuels du Parti des Travailleurs révisent leurs boussoles internationales, actualisent leur vision géopolitique, abandonnent les vieux catéchismes. Pour qu’ils changent leurs lunettes, regardent le nouveau monde en face, y compris celui qui est à leur porte, sur le continent sud-américain. Le rève annoncé : Lula grand voyageur et pacificateur de la planète Rien de tout cela n’a été vraiment fait. Les conséquences, c’est d’abord la mise en œuvre d’une diplomatie partisane et désormais totalement alignée sur l’axe sino-russe à l’échel-le globale. Poutine peut compter aujourd’hui sur des "petits télégraphistes" brésiliens tra-vestis en messagers de la paix. Lula et ses proches ont demandé à l’Ukraine violemment attaquée et envahie de cesser de se défendre et de céder des territoires pour calmer son agresseur russe. Le Président brésilien refuse à Israël le droit de se défendre et reprend à son compte les pires clichés antisémites. Totalement soumis aux objectifs chinois au sein du club des Brics, Lula renforce le partenariat avec la dictature de Xi Jing Ping et va même jusqu’à afficher un soutien sans équivoque à la Chine à propos de Taïwan. Il faudra examiner les difficultés que cette diplomatie soumise créera pour le Brésil durant le prochain mandat de D. Trump. Ces enjeux globaux seront abordés dans un troisième post de cette série. Ce second post est consacré aux conséquences en Amérique du Sud de la diplomatie promue par Brasilia. Au début de son troisième mandat, Lula croyait encore qu’il pourrait rétablir le statut de puissance régionale écoutée et suivie qu’a pu avoir le Brésil dans le passé. Qu’il pourrait ressusciter une dynamique d’intégration régionale moribonde. Il a rapidement découvert que la réalité ne correspondait plus à ses rêves. Entre les orientations politiques des pays du sous-continent, les divergences et les conflits sont désormais bien plus prononcées qu’il y a vingt ans. Les projets et les structures d’inté-gration continentale qui fleurissaient au tournant du XXIe siècle ont été abandonnés ou affaiblis. Certes, les apparences, les conférences protocolaires ou les rencontres média-tisées demeurent. Dès mars 2023, Lula a réuni tous les chefs d’Etat sud-américains pour un sommet à Brasilia. Cinq mois plus tard, les représentants des pays du bassin amazo-nien se sont retrouvés à Bélem pour évoquer les enjeux sécuritaires et environ-nementaux de la zone. En décembre 2024, le Président brésilien a contribué à faire aboutir les négociations finales du fameux traité Union Européenne-Mercosur qui aura fait beaucoup parler en Europe et en Amérique du Sud. S’il est demain mis en œuvre, le dit traité ne suffira pas à colmater les brèches entre pays membres du marché commun du cône sud. Les nations du sous-continent sont de plus en plus hétérogènes sur le plan politique. Un enjeu commun pourrait les réunir : celui que représente la montée en puis-sance de la grande criminalité, de réseaux mafieux transnationaux de plus en plus influents et capables demain de soumettre les institutions existantes si une forte résis-tance ne leur est pas opposée. Hélas, pour le Brésil de Lula et pour la région, cet enjeu de souveraineté et de paix civile n’est pas une priorité. Le Brésil n’est plus un leader régional. Retour à la seconde moitié des années 2000. L’économie brésilienne connaît alors une forte croissance tirée principalement le secteur extérieur et la consommation interne. Sur les marchés mondiaux, la demande en matières premières est dopée par l’envol de l’économie chinoise. Le Brésil devient un des premiers fournisseurs en grains et protéines animales, en pétrole et minerai de fer de la puissance asiatique. Il connaît une sensible amélioration de ses termes de l’échange. Les revenus exceptionnels captés par ses fi-lières exportatrices contribuent à améliorer les recettes de l’Etat, l’emploi et la demande intérieure. Sur le plan continental, les banques et les entreprises brésiliennes commen-cent à investir dans les pays voisins. La banque de développement BNDES qui dépend de l’Etat fédéral finance largement des investissements en Amérique latine et fournit un précieux soutien financier aux exportateurs brésiliens. Créé en 1991, le Marché Commun du Cône Sud (Mercosur) connaît une nouvelle impulsion. Il devient une des premières unions douanières de la planète en termes de PIB et de puissance agricole. A partir de 2003, il réunit six pays de la région (Brésil, Argentine, Paraguay, Venezuela, Uruguay) et six autres Etats associés (Chili, Colombie, Equateur, Guyana, Pérou et Surinam). Le Brésil de Lula tient alors une place centrale au sein de ce club qui est devenu capable de négocier avec d’autres blocs économiques dans le monde. Sous la direction de Lula, le Brésil va contribuer à la création de l’UNASUR (Union des Nations Sud-américaines) qui verra le jour en 2008. La nouvelle structure de coopération régionale réunira à la fin du second mandat de Lula 12 pays (Brésil, Argentine, Bolivie, Chili, Équateur, Guyana, Pérou, Suriname, Venezuela, Uruguay, Colombie et Paraguay). Regroupant près de 400 millions d’habitants, l’UNASUR est présentée par les forces de gauche sud-américaines (alors au pouvoir dans plusieurs des pays membres) comme l’alternative au projet de Zone de Libre Echange des Amériques (ZLEA) lancé par le Président G. Bush dans les années 1990. Elle répond à la volonté d’unification régionale qu’affichent alors les gouvernements de gauche du sous-continent. l’union devait faire contrepoids à l’Organisation des États américains (OEA) menée par les États-Unis, et réduire les tensions entre pays. Au sein de cette entité régionale, le Brésil semble destiné à exercer un rôle de force motrice, en raison de la taille de sa population, de la dimension de son territoire et du dynamisme de son économie. Les amis de la Chine et de la Russie en Amérique latine : Arce (Bolivie), Maduro (Venezuela), Diaz Canel (Cuba) et Ortega (Nicaragua). Quinze ans plus tard, les réalités sud-américaines sont très différentes. L’expansion de l’activité n’est plus portée par le dynamisme des filières d’exportation de matières pre-mières. Après la courte reprise qui a succédé à la crise du covid, les pays du cône sud ont retrouvé un rythme de croissance très modeste. Dans ce nouveau contexte, plusieurs pays sont en train de rejoindre le "modèle" cubain. Ils ont rompu avec la démocratie, mis en œuvre un système politique de plus en plus autoritaire. Après avoir abandonné l’Etat de droit, ces régimes dérivent vers la dictature. L’essentiel des ressources économiques est capté et distribué par un clan aux forces de répression qui se sont ralliées à lui. Le Venezuela chaviste, le Nicaragua appartiennent à cette catégorie et sont en train de devenir comme Cuba les alliés les plus fidèles de la Chine et de la Russie sur le sous-continent. Auprès de ces régimes, la capacité d’influence d’un Lula est aujourd’hui prati-quement nulle. Après l’élection présidentielle truquée de juillet dernier qui devrait per-mettre le maintien de Maduro au pouvoir à Caracas, le Président brésilien n’a pas voulu dénoncer les manœuvres chavistes. Il n’a pas non plus clairement reconnu le résultat du scrutin. Pendant plusieurs semaines, il a alterné les propositions grotesques (allant jus-qu’à suggérer de nouvelles élections), les silences coupables et les commentaires am-bigus. Il s’est ainsi éloigné davantage d’autres pays voisins du Venezuela qui ne nour-rissent plus aucune illusion sur la nature du pouvoir en place à Caracas (1) . Plusieurs de ces nations subissent d’ailleurs depuis des années les conséquences directes de la crise humanitaire vénézuelienne. Quelques 7,7 millions d’habitants ont fui le pays depuis le début de la dernière décennie (24% de la population qui vit aujourd’hui encore au Venezuela). La Colombie, le Pérou, le Chili, le Brésil et l’équateur ont été et sont encore les principaux pays de destination de cette vague migratoire sans précédent historique sur la région et qui a repris depuis juillet dernier…. Si l’on excepte précisément la République bolivarienne, tous les autres pays du sous-continent dirigés par la gauche dans les années 2000 (la fameuse vague rose) sont ensuite passés un temps à des gouvernements de droite ou de centre-droit. Désormais, même dans les Etats où la gauche est revenue ou arrivée à la tête de l’exécutif (Brésil, Colombie, Chili, Bolivie, Pérou, Uruguay), elle doit composer avec un Congrès dominé par la droite. Elle est donc contrainte d’abandonner ses projets et promesses les plus radicaux. En Equateur, au Paraguay, en Argentine, des gouvernements de droite tentent d’abandonner le vieux modèle d’économie dirigée et protégée permettant à l’Etat de distribuer les ressources aux corporations et groupes de pressions les mieux organisés. Dans ce contexte nouveau, très différent de celui des années 2000, la capacité d’un lea-der comme Lula à impulser une nouvelle dynamique d’intégration régionale est très réduite, voire inexistante. Plusieurs épisodes l’ont montré au cours des deux dernières années. Lula a évidemment essayé de relancer l’UNASUR moribonde qui depuis la dernière décennie a perdu peu à peu presque tous ses membres. Le résultat de cette initiative a été la réaction du chef de l’Etat chilien soulignant que désormais de tels entités fondées sur des proximités idéolo-giques n’avaient plus guère de sens. Lula a aussi misé sur le Mercosul et une relance des négociations en vue d’aboutir à un accord (attendu depuis 25 ans) avec l’Union euro-péenne. L’union douanière est aujourd’hui affaiblie par des forces centrifuges que Brasilia ne parvient plus à freiner. L’Uruguay fait depuis quelques années cavalier seul en tentant de négocier un accord de libre-échange avec la Chine. Une telle négociation devrait pourtant être conduite par des représentants du Mercosur au nom de tous les pays membres. La relations entre le Brésil et l’Argentine, pierre angulaire de l’Union douanière, s’est fortement dégradées avec l’ élection à la Présidence de l’Etat argentin du libéral-libertaire Xavier Milei. Dès son investiture, Milei a engagé une politique de réduc-tion drastique des dépenses publiques et de libéralisation de l’économie qui est à peu près l’exact opposé de ce que tente de faire Lula au Brésil. Il entend prendre ses distances vis-à-vis de la Chine et se rapprocher des Etats-Unis de son ami Trump. Lula et Milei : la grande désunion. En juillet 2024, Milei n’a pas assisté au sommet des chefs de l’Etat du Mercosul qui se tenait à Assunção, la capitale du Paraguay. Il a préféré à la place se rendre à Balneário Camboriú, dans le Santa Catarina (sud du Brésil), pour participer à la Conférence de l’Action Politique Conservatrice (CPAC), un forum de rencontres (2) entre leaders politi-ques et formateurs d’opinion conservateurs de tout le continent où il a pu rencontrer l’ancien chef de l’Etat brésilien Jaïr Bolsonaro. Quelques mois plus tard, le Président argentin s’est enfin rendu au sommet des chefs d’Etat du Mercosur qui se déroulait cette fois à Montevideo et allait permettre de finaliser avec les représentants de la Commission européenne un accord UE/Mercosur. Tout en se félicitant d’un accord entre les deux parties (après 25 ans de pourparlers), le Président argentin n’a pas cessé pendant le sommet de critiquer l’Union douanière en la présentant comme un carcan. A Buenos Aires, on entend désormais suivre les pas de l’Uruguay et négocier des accords bilatéraux de libre-échange avec des pays tiers. Milei ne veut plus respecter à la lettre les règles d’une politique commerciale commune (droits de douane élevés, quotas, barrières non tarifaires) qui garantissent à l’industrie et aux services brésiliens une préfé-rence sur le Mercosur mais empêchent les autres Etats membres du bloc de faire des concessions aux pays tiers qui s’ouvriraient davantage à leurs propres exportations. Milei a plusieurs fois répété à Montevideo que le Mercosul empêchait une puissance agricole comme l’Argentine de tirer parti de ses avantages comparatifs…. Au Brésil, les commu-nicants de Lula ont surtout souligné l’importance de l’accord avec l’Union européenne qui représenterait une victoire pour les diplomates de Brasilia. On n’a évidemment pas insisté sur les obstacles qui peuvent survenir en Europe avant que le traité entre effectivement en vigueur. Les officiels brésiliens savent de leur côté que le Mercosur est une entité de plus en plus fragile et qu’il sera très difficile de mettre en œuvre des engagements pris dans le traité concernant l’accès au marché commun latino-américain pour les produits industriels et services européens, ou concernant la protection de l’environnement…. La priorité sécuritaire du sous-continent est ignorée. Ce contexte géopolitique régional et l’angélisme persistant de la gauche font du troi-sième gouvernement Lula un acteur quasiment immobile et impuissant face au risque le plus grave et plus urgent qui pèse sur la souveraineté du pays et la sécurité de sa popu-lation. Ce risque s’appelle l’essor d’une criminalité transnationale organisée. Cette passivité face à l’insécurité et au crime organisé n’est pas nouvelle. Elle avait déjà marqué les premiers gouvernements Lula dans les années 2000. Depuis, l’ampleur des pro-blèmes de sécurité au Brésil n’a fait que croître. Cette évolution funeste n’est évidem-ment pas liée à la seule progression de la petite délinquance. Elle résulte avant tout de l’essor d’une véritable contre-société contrôlée par de puissants réseaux de criminels organisés. Ces réseaux contrôlent le trafic national et international de stupéfiants, l’exploi-tation minière et forestière illégales, les commerces de contrebande les plus divers (ar-mes, animaux sauvages, objets d’art). Sur le bassin amazonien, leur implication dans la destruction de la biodiversité et la déforestation est de plus en plus grande . Sur les périphéries urbaines surpeuplées comme à l’intérieur du monde rural, des réseaux concurrents s’affrontent dans de véritables guerres pour imposer leur mainmise sur les territoires convoités. Une fois assuré le contrôle d’une zone, le vain-queur neutralise les institutions officielles en soudoyant les fonctionnaires, des repré-sentants de la loi, des forces de police aux magistrats. Le bassin de l'Amazonie : une des régions les plus violentes du monde. L’essor du crime organisé fragilise les activités économiques légales, limite leur essor ou les fait reculer. Les réseaux dominant un territoire pratiquent en effet un racket systéma-tique. L’extorsion de fonds vise à intimider, à soumettre ou à faire fuir les entrepreneurs et commerces ciblés. Last but not least , l’emprise exercée par le crime organisé sur de larges espaces ruraux et urbains interdit à l’Etat de promouvoir et d’exécuter une politi-que sérieuse et efficace de préservation de l’environnement. Lorsque des réseaux crimi-nels transnationaux contrôlent des parcs naturels ou des réserves indiennes en Amazonie, lorsqu’ils gèrent les favelas de nombreuses mégapoles, les ambitions écolo-giques du pouvoir légal deviennent des artifices de communication. Les projets annon-cés d’une COP à l’autre ou d’un G20 à un sommet régional ne trompent plus que les diplomates occidentaux débutants. L’immobilisme du gouvernement Lula face à cet enjeu crucial n’est pas seulement la conséquence de dégradation des relations entre pays du cône sud. I l traduit aussi l’an-gélisme de la gauche brésilienne qui persiste à considérer (comme c’est le cas dans d’autres pays) que les enjeux sécuritaires sont surestimés (voire imaginés) et exploités par ses adversaires politiques de droite. A gauche, on souligne volontiers qu’au Brésil comme dans les Etats voisins, le crime organisé est alimenté par les profondes inégalités de revenus et de richesses existantes. De larges couches de la jeunesse sont privées d’avenir et constituent un énorme réservoir de main-d’œuvre bon marché pour les gangs. Il est aussi facile de corrompre des bataillons de petits fonctionnaires mal-rémunérés et sous-équipés. Un tel constat ne justifie pourtant pas un angélisme aveugle qui définit trop souvent le criminel comme une victime car le crime est le résultat d’une violence sociale, celle qui est imposée aux opprimés pauvres par leurs oppresseurs dominants. Refusant d’appréhender la complexité du phénomène criminel, cette gauche ne croit pas qu’il existe un véritable enjeu sécuritaire. Les vrais enjeux sont des enjeux d’inégalités sociales, d’intégration, de reconnaissance et de défense des minorités, de lutte contre les discriminations.. Le crime organisé sud-américain est désormais une contre société extrêmement pros-père, souvent infiltrée au sein même des institutions officielles, utilisant des acteurs poli-tiques. Il mobilise de véritables armées et des arsenaux conséquents. Il profite davantage des inégalités existantes et de la pauvreté qu’il n’offre une alternative aux masses miséreuses. Ses premières victimes sont souvent les Brésiliens les plus défavorisés. Dans ces conditions, la riposte de l’Etat ne peut plus se limiter à des initiatives utiles mais insuf-fisantes ou hors-sujet comme l’augmentation des transferts sociaux ( bolsa familia ), la reprise des grands programmes d’infrastructures et de logement, l’amélioration de l’ac-cès à l’école…. Il s’agit pour l’Etat de concevoir une véritable stratégie de guerre et de mettre en œuvre une offensive adaptée, capable de faire reculer des forces puissantes et organisées à l’échelle du continent. Le problème de la sécurité au Brésil a en effet un sud-américain. Ce pays continent compte environ 16800 km de frontières internationales, dont une grande partie avec les trois plus grands producteurs de coca au monde : la Colombie, le Pérou et la Bolivie (3) . La coca est la matière première de la cocaïne, et les ports brésiliens de la côte atlantique offrent de nombreuses possibilités d'exportation de drogues (4) . Le Brésil abrite également la plus grande partie de la plus grande forêt tropicale du monde, l'Amazonie. De la Colombie ou de l’altiplano bolivien et péruvien aux Etats brésiliens d’Amazonas, de l’Acre ou du Pará, les organisations criminelles utilisent son territoire de 6,7 millions de kilomètres carrés - presque la taille des États-Unis hors Alaska - pour transporter de la drogue à travers ses rivières. Ces groupes profitent de la porosité des frontières de l'Amazonie brésilienne (où les effectifs des forces de sécurité sont insuffisants et sans coordination internationale) et de la difficulté de pénétrer dans la jungle. Les mineurs illégaux exploitent également les riches gisements de minerais de la région, en s'insta-llant sur les terres des indigènes Yanomami au Brésil, dans l'arc minier de l'Orénoque au Venezuela et à la frontière entre l'Équateur et le Pérou. Loin de l’Amazonie, plus au Sud, des réseaux criminels brésiliens contrôlent les systèmes carcéraux de Bolivie et du Paraguay. Ils utilisent les territoires de ces pays pour animer également des activités commerciales illicites. En réalité, au lieu d’annoncer une diplomatie globale prétentieuse, l’Etat brésilien devrait se donner comme axe prioritaire de son action internationale la construction et l’appli-cation d’une stratégie internationale concertée de lutte contre la contresociété qui ne cesse d’élargir son emprise. Il s’agit partout sur le cône sud de lutter contre ces réseaux qui organisent la sécession effective de larges pans des territoires nationaux et l’essor d’une puissante économie sous-terraine. Officiellement, depuis janvier 2023, le Brésil est engagé dans cette guerre. Les annonces succèdent aux annonces. Le sommet de Bélem en 2023 : un grand cinéma.... Brasilia fait dans la communication. Ce fut le cas avec la signature par plusieurs pays voisins de la déclaration de Bélem, en août 2023 (lors du sommet de l’Amazonie réunissant 8 pays de la région). Après ce sommet, le Brésil a effectivement engagé la construction d’un centre international de police à Manaus, la plus grande ville amazo-nienne. Il a encore participé à des forums comme celui de l’initiative REMJA (réseau interaméricain de lutte contre les crimes touchant les enfants et leurs familles) parrainée par l’Organisation des Etats Américains (OEA). Il est aussi membre du réseau Galifat de lutte contre le blanchiment de l’argent qui regroupe 18 pays de l’ensemble du continent américain. Le Brésil a également signé récemment un accord en vue de la création d'Ameripol, un mécanisme visant à intégrer les forces de police de l'ensemble de l'hémi-sphère américain. On pourrait ajouter enfin la signature début 2024 d’un traité bilatéral avec le Paraguay afin de lutter contre la corruption et le crime organisé. Toutefois, ces initiatives régionales de politique étrangère visant à lutter contre la criminalité trans-nationale organisée sont dispersées et de portée insuffisante. En ce début de 2025, le Brésil n’a pas encore défini les moyens techniques et financiers qu’il compte affecter au programme de coopération que se sont engagés à mettre en œuvre les signataires de la déclaration de Bélem. Ces signataires ne sont d’ailleurs pas d’accord entre eux sur les objectifs à atteindre et les modalités de l’action à engager. Certes, depuis le sommet d’août 2023, des réunions bilatérales ont réunis les autorités brésiliennes et des membres des gouvernements péruvien, argentin ou colombien. Ces initiatives sont cependant souvent de simples rencontres protocolaires débouchant sur de vagues déclarations d’intention qui ne sont guère suivies d’effet. De toutes façons, l’offensive annoncée contre le crime organisé en Amazonie ou sur d’autres régions du continent n’est pas une priorité absolue pour aucune des personnalités politiques de pre-mier plan à Brasilia. Encore une fois, les initiatives de communication ne manquent pas. En octobre 2023, le Ministère brésilien de la Justice dont le titulaire était alors un proche de Lula a annoncé le lancement d’un programme national de lutte contre les organi-sations criminelles (Enfoc). Le gouvernement promettait d'investir environ 180 millions USD dans de nouveaux équipements pour les forces de police de l'État central, tout en réalisant l’intégration entre les polices d’investigation et de répression des 27 Etats de la fédération brésilienne sur les trois années commençant en 2024. En février 2024, le Ministre responsable quittait le gouvernement pour rejoindre la Cour suprême (STF). Le poste de titulaire du porte-feuille de la Justice allait rester vacant jusqu’en avril dernier. L’intégration des 27 polices reste un vœu pieux. D’autres exemples illustrent l’importance très relative que l’Administration Lula accorde à la lutte contre la grande criminalité. Aujourd’hui comme sous les gouvernements précédents, le réseau d’attachés que la police fédérale brésilienne possède dans plu-sieurs ambassades en Amérique du Sud reste un réseau inefficace dans la lutte contre les réseaux criminels internationaux. En réalité, sous Lula 3, on a nommé à ces postes d’attachés les gradés de la dite police que l’on trouvait trop proches de Bolsonaro ou pas assez alignés sur les orientations du nouveau gouvernement. Les partenariats existants entre les autorités brésiliennes et les polices d’investigation et de répression des pays voisins n’ont guère d’utilité. Lorsque le Brésil prend de rares initiatives concrètes comme l'offre d'une assistance à l'Équateur par sa police fédérale, il s'agit d'actions tactiques qui ne s'inscrivent pas dans une stratégie de sécurité globale. Depuis début 2023, les hommes de pouvoir de l'administration Lula n’ont pas réfléchi à une stratégie qui associerait et coordonnerait corps diplomatiques et appareils répressifs, établirait des priorités communes et un calendrier d’action. Les gouvernements des Etats voisins du Brésil ont leur part de responsabilité dans cet immobilisme. Brasilia ne cherche pas vraiment à lutter contre une inertie collective. Cette grave défaillance du gouvernement est d’autant plus inquiétante que le dit crime organisé n’attend pas et que les enjeux sécuritaires sont au cœur des préoccupations des citoyens. Le pays est un des plus violents au monde. Selon le groupe de réflexion Forum brésilien de la sécurité publique, le taux d'homicides au Brésil en 2022 était de 23,3 homicides pour 100 000 habitants. Cette année-là, le Brésil a enregistré 47 000 meurtres. La dernière enquête de l'institut de sondage Atlas Intel a révélé que 59 % des personnes interrogées au niveau national pensent que la violence et le trafic de drogue sont les pires problèmes du Brésil. Lors d'un événement organisé en janvier 2024 à Brasilia, Lula a reconnu l'ampleur du problème de la criminalité organisée, ce qui est rare, mais il a admis devant l'auditoire qu'il ne savait pas comment le combattre. "Le crime organisé est devenu une entreprise multinationale, plus grande encore que General Motors, Volkswagen ou Petrobras", a déclaré le président avant d’en revenir aux vieilles thérapies sociales désormais dérisoires chères à la gauche : le soutien financier apporté par l’Etat aux collégiens issus de familles pauvres et susceptibles d’être recrutés par les gangs, la dépénalisation de la consommation de crack dans les quartiers pauvres….. Pendant ce temps, les organisations criminelles s’implantent plus profondément et plus solidement au sein de la société brésilienne et dans les pays voisins. Elles ne limitent plus leurs champs d’action au trafic de stupéfiants, au blanchiment des capitaux, au commerce clandestin d’armes ou à l’exploitation minière illicite. La diversification s’étend, de la gestion d’hôpitaux publics (grâce à des sociétés-écrans qui remportent des appels d’offre) à l’agribusiness (après la déforestation et l’installation d’élevages en Amazonie). Les réseaux de crime organisé infiltrent certains partis politiques, parviennent à contrôler les administrations de collectivités locales, gèrent des chaînes de la grande distribution. Si le Brésil continue à délaisser les enjeux de sécurité et de lutte contre la grande criminalité, si le gouvernement Lula ne parvient pas à se mobiliser pour mener cette guerre, la société atteindra dans quelques années ou sur la prochaine décennie un point de non-retour. Le pouvoir continuera sans doute à avoir une apparence : celle des institutions officielles. Il aura une réalité : celle de factions en guerres permanentes. Ce pouvoir n’aura plus besoin de diplomates. Les relations internationales sont déjà le quotidien de ces réseaux qui montent en puissance protégés par l’angélisme et l’impuissance de l’Administration Lula. A suivre : Lula et Trump... (1) Voir la série de post consacrée à ces questions et intitulée Lula et le piège vénézuélien, mise en ligne en août 2024. Lien : https://www.istoebresil/org/post/Lula-et-le-piege-venezuelien-1 (2) Créée en 1974 aux Etats-Unis, la Conférence est une structure très influente à l’échelle du continent. Les rencontres qu’elle organise réunissent des leaders politiques conservateurs et les militants de leurs partis, des formateurs d’opinion sympathisants et le public intéressé. (3) À titre de comparaison, la frontière entre les États-Unis et le Mexique s'étend sur environ 3 100 kilomètres. (4) L’essentiel des stupéfiants embarqués sur les ports est destiné aux marchés européens.

  • Lula, le Brésil et le monde (1).

    Généalogie d'une diplomatie manichéenne. Au sein du gouvernement Lula 3, il y a les titulaires officiels de portefeuilles ministériels. Il y a aussi les vieux compagnons de route du leader de la gauche qui ont souvent plus de marges de manœuvre que les ministres en titre. Il y a par exemple le conseil spécial aux relations internationales Celso Amorim, dont la capacité d’influence auprès du Président est infiniment plus grande que celle de l’obscur ministre des Affaires Etrangères Mauro Vieira. Amorim est le grand concepteur de cette étrange politique extérieure menée par le Brésil depuis janvier 2023. Le ministre en est le simple exécutant. Cette politique fait de plus en plus polémique au Brésil. Elle permet de continuer à cultiver l’image (de plus en plus irréelle) d’un Lula leader du Sud. Elle est pourtant de plus en plus contraire aux intérêts véritables du pays. La stratégie internationale que prétendent conduire Amorim et son chef est fondée sur une représentation du monde, une vision, que les leaders actuels de la gauche brésilien-ne cultivent depuis leur jeunesse, c’est-à-dire depuis le temps de la guerre froide. Au fil du temps, les acteurs porteurs de cette représentation n’ont pas cessé d’utiliser des con-cepts, des raisonnements, un système d’interprétation, un ensemble de croyances ex-ceptionnellement résistants aux faits, à la complexité du réel, aux changements ob-servés dans la vie économique, sociale et politique. Pour les leaders de la gauche bré-silienne aujourd’hui au pouvoir, la lecture géopolitique qui fondait leur foi tiers-mondiste déjà ancienne n’a pas lieu d’être révisée, bien au contraire . La scène internationale est animée par deux catégories d’acteurs : les opprimés du Sud et les oppresseurs du Nord et le sort des premiers est la conséquence mécanique de la domination exercée par les seconds. On tentera dans ce premier post d’explorer la généalogie de cette géopolitique binaire et manichéenne en s’intéressant aux personnalités qui pilotent aujourd’hui les relations du Brésil avec le reste du monde. Ces leaders ont inspiré la lecture géopolitique qui est celle du Parti des Travailleurs (PT) depuis plus de 40 ans, celle de Lula et des anciens militants qui l’entourent jusqu’à aujourd’hui. L’empreinte de la guerre froide. A sa création, en 1980, la nouvelle formation politique réunit des intellectuels d’extrême-gauche, des militants chrétiens des communautés de base (1) et des syndicalistes ou-vriers. Elle se distingue des partis traditionnels brésiliens sur plusieurs points. Fortement ancré au sein du monde des salariés, le PT défend des orientations politiques arrêtées. Il possède une identité idéologique bien définie (ce qui n’est pas souvent le cas dans la vie politique brésilienne). Le parti rassemble des acteurs divers dont beaucoup ont com-battu le régime autoritaire qu’a connu le Brésil depuis 1964. Certes, ces acteurs en-tendent en finir avec la dictature mais ils veulent aussi provoquer une transformation en profondeur de la société brésilienne en suscitant un puissant mouvement des classes populaires. Les fondateurs du parti souhaitent un retour rapide à la démocratie. Mais pour nombre d’entre eux ce retour ne s’arrête pas au rétablissement de la démocratie libérale. Ces militants radicaux restent fascinés par la révolution castriste, un modèle qui sert de référence. Le Brésil de demain auquel ils rêvent doit se rapprocher de cette so-ciété insulaire qui serait animée par une énergie révolutionnaire puissante, qui fonction-nerait comme une communauté fraternelle de travailleurs dont le destin est conduit par un leader forcément éclairé. Dans le mouvement qui doit mener à l’instauration du socia-lisme, les normes et les règles de la démocratie libérale ne sont que des obstacles dres-sés par la bourgeoisie pour retarder le basculement économique et social inéluctable qui mettra fin à son règne…. Réunion de fondation du PT en 1980 (au micro, déjà, Lula). Le crédo qu’imposent ces leaders est inspiré par la doctrine marxiste-léniniste et anti-impérialiste. C’est ce credo qui sera retenu pour définir les relations que le parti construit avec les acteurs étrangers. Dans un pays très fermé à l’extérieur, jusqu’aux années 1980, l a vision de la géopolitique dominante (et celle qui prévaut à gauche) est largement in-fluencée par le bagage idéologique et culturels d’intellectuels issus de la bourgeoisie ou des classes moyennes et qui ont combattu la dictature militaire. Ces personnalités mili-tantes ont été contraintes à l’exil pendant plus de quinze ans. Dans les pays d’accueil, elles ont été reçues et soutenues par des institutions universitaires, des organisations po-litiques dont elles étaient proches. Leurs premières expériences internationales auront été des expériences au sein de réseaux culturels et militants qui confortent la doxa idéo-logique des réfugiés politiques. Lorsque l’exil a conduit ces intellectuels engagés vers l’Europe occidentale, ils se sont naturellement rapprochés des sanctuaires d’une pensée marxiste alors florissante. Adoptés par de grandes figures de la vie intellectuelle parisienne ou romaine, ils ont été encouragés à persister dans le catéchisme de leur jeunesse. Ce sont ces personnages que l’on retrouvera au début des années 1980 au sein des instances dirigeantes du Parti des Travailleurs. Ce sont elles qui vont concevoir la politique internationale de la forma-tion, et "éduquer" ensuite plusieurs générations de jeunes militants qui continuent à voir le monde avec les lunettes à la mode à l’époque de la guerre froide. Cette généalogie intellectuelle est essentielle pour comprendre la politique internationale du Brésil de 2024. On y reviendra plus loin. La jeune organisation qu'est le PT affiche à partir des années 1980 un programme et des propositions inspirées par l’expérience du socialisme étatique (celle du modèle cubain davantage que celle de la planification centralisée soviétique) et revendique une posture anti-impérialiste, c’est-à-dire anti-américaine. Ajoutons que pendant ses vingt premières années d’existence, le parti et les organisations syndicales qui se sont ralliées à lui (CUT (2) et syndicats proches dans le monde universitaire et le secteur public) sont financiè-rement soutenus par le régime cubain, par les syndicats et partis socialistes de pays oc-cidentaux (DGB et SPD en Allemagne, CGT et CFDT en France, AFL-CIO aux Etats-Unis), par des mouvements de guérillas d’extrême-gauche actifs dans les pays voisins d’Amé-rique du Sud (les Farc de Colombie par exemple). Ces soutiens n’ont jamais été dévoilés par le Parti de Lula et par la CUT mais ont pu être vérifiés par de nombreux enquêteurs indépendants. Ces liens très concrets ont aussi favorisé l’immobilisme idéologique du PT et sa fidélité à une vision du monde construite pendant la guerre froide et directement inspirée par la propagande et les réseaux d’influence de l’Union Soviétique. Au Brésil comme ailleurs en Amérique du Sud, les affinités politiques de formations de gauche n’ont pas été remises en cause ni même ébranlées par la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’empire soviétique. L’horreur du Goulag et la révélation de tous les crimes commis par la dictature de Staline et de ses successeurs n’ont pas ébréché la foi ni conduit à de profondes ré-visions idéologiques. La fin des régimes communistes en Europe ne provoquera donc pas au sein du PT une sorte de "Bad Godesberg". Il n’y aura ni inflexion vers un projet social-démocrate compatible avec l’économie de marché, ni affirmation d’un attache-ment sans faille à la démocratie libérale et à l’Etat de droit. Au moment de l’implosion du socialisme soviétique et du début de la transition vers le capitalisme dans tous les pays qui étaient jusqu’alors sous tutelle de Moscou, le Parti des Travailleurs brésilien reste donc accroché à ses dogmes originaux. Les personnalités lucides et clairvoyantes font dissidence ou abandonnent le militantisme. Les fidèles res-tent, plus rigides que jamais. Ils ne peuvent plus compter sur le précieux soutien que feu l’empire soviétique fournissait à toutes les formes de "résistance à l’impérialisme", des satellites cubain et nicaraguayen en passant par les diverses guérillas et partis de gauche officiels…La Chine est encore peu influente dans la région. Cuba renforce donc ses liens avec tous ces alliés que le régime castriste fait encore rêver. Le régime castriste a des amis solides au Brésil où le Parti des Travailleurs continue à former cadres et militants en utilisant la contribution d'universitaires pour qui le marxisme est un horizon indépassable. Les références théoriques dont se réclame l’organisation restent fonda-mentalement inspirées par la vieille sociologie marxiste et la "dénonciation de l’impé-rialisme". A ce référentiel jamais vraiment revisité viendra s’ajouter sur les années récentes la prise en compte de revendications identitaires, l’intégration de nouveaux "concepts" produits par le wokisme. Le mélange du vieux marxisme-léninisme avec les élucu-brations de la "pensée décoloniale" a renforcé au sein du PT et de l’extrême-gauche brésilienne la vigueur de la dénonciation de l’oppression qu’exercerait le vieux monde occidental sur les pays du "sud global"…. Lula et Fidel Castro à Cuba en 2004 (à gauche Frei Beto, prêtre catholique lié au PT). Le creuset initial. Les personnalités qui ont créé le Parti des Travailleurs ont vécu leur jeunesse dans le Brésil des années cinquante et soixante. Elles appartiennent pour l’essentiel à deux sec-teurs de la société. Il y a d’une part des intellectuels issus des classes aisées qui ont pu faire des études universitaires (3) . Il y a d’autre part des militants syndicaux issus pour la plupart des mouvements d’action catholique actifs au sein des quartiers populaires (communautés de base) et des organisations syndicales de salariés. Dans ces deux uni-vers sociaux, dès les années cinquante, les débats politiques et idéologiques foisonnent. A l’université et autour de la vie universitaire, étudiants, enseignants, leaders politiques et formateurs d’opinion débattent sans fin de questions majeures qui touchent à l’état du pays, son retard de développement, les énormes inégalités sociales, le conserva-tisme rigide des moeurs favorisé par un catholicisme largement dominant …Ces questions préoccupent aussi les militants du christianisme social qui ont de plus en plus de mal à s’identifier à une église catholique figée dans la tradition, justifiant souvent le statuquo social et économique. Ces militants défendent un christianisme engagé aux côtés des pauvres. Des théologiens en marge de l’institution ecclésiale les encouragent à accepter la lecture marxiste de la société. Le Brésil des premières décennies suivant la Seconde Guerre mondiale alterne crises économiques et périodes de relative prospérité. L’émergence d’un capitalisme national générant croissance, distribution de revenus et intégration sociale paraît impossible ou improbable. Pourquoi le pays reste-t-il relativement pauvre ? Ils sont déjà nombreux au Brésil les économistes universitaires qui proposent un système d’explication de ce blo-cage historique : la domination des économies périphériques (dont celles d’Amérique du Sud) par les pays riches occidentaux. Entre ces deux pôles, l’échange imposé par les "puissances capitalistes centrales" est inégal. Il appauvrit systématiquement les périphé-ries contraintes à n’être que des fournisseurs de matières premières. Au sein de ces pé-riphéries, des élites contrôlant les ressources naturelles (la terre et les richesses mi-nières) sont les seules à tirer parti de ce pillage organisé par le monde occidental riche. Le Brésil est un de ces nations périphériques. Certes, il possède déjà une base indus-trielle mais celle-ci est dominée par quelques grandes multinationales américaines ou européennes qui ne cherchent qu’à profiter de la main d’œuvre locale surexploitée. Le pays doit donc rompre avec le monde extérieur pour décoller. Il doit soustraire son éco-nomie à l’emprise des marchés et capitaux étrangers pour sortir du sous-dévelop-pement. A ce credo, les forces de gauche ajoutent un élément essentiel. Il ne suffit pas de pro-mouvoir un développement autocentré, de fermer le marché national, d’en finir avec l’échange inégal. D’autres impératifs complémentaires s’imposent : éliminer la puissance économique et politique des élites, faire de l’Etat contrôlé par les forces de gauche l’instrument central du décollage économique et de la redistribution des ri-chesses. Le nationalisme doit s’accompagner d’une révolution sociale. Un pays comme le Brésil ne sortira pas de la misère si le peuple ne rejoint pas le combat qu’ont mené les camarades cubains, que mènent d’autres forces sur le sous-continent. Un combat que soutiennent les forces du camp socialiste dominé par la patrie soviétique…Cette lecture n’est pas seulement celle des mouvements marxisants qui se multiplient au Brésil en ce début des années soixante. Elle inspire aussi de plus en plus le combat des militants catho-liques de gauche engagés dans un combat contre les inégalités sociales, contre la pau-vreté… Une trajectoire exemplaire. Il faut s’arrêter à la trajectoire de quelques-uns des intellectuels militants qui ont grandi dans cet univers culturels et idéologique et qui créeront le PT après la fin du régime militaire pour comprendre ce que sera l’influence de cette génération sur la gauche d’aujourd’hui et sa vision de la géopolitique. Retenons ici un seul exemple, celui d’une personnalité peu connue du grand public en dehors des cercles militants brésiliens et internationaux qu’il a très longtemps fréquenté et animé. Pendant plus de trente ans, à partir de la création du Parti des Travailleurs et durant les quatre gouvernements dominés par la formation de Lula (de 2003 à 2016), nul n’a eu plus d’influence sur les relations entretenues par la gauche brésilienne avec le monde extérieur que l’intel-lectuel et universitaire Marco Aurélio Garcia. Au cours de la longue période évoquée ici, l’homme sera tour à tour le penseur des relations internationales du PT, l’architecte des réseaux que la formation crée avec ses partenaires étrangers puis le conseiller spécial aux affaires étrangères de Lula et de D. Rousseff au cours de leurs mandats présidentiels respectifs. Ce gaucho (4) est né à Porto Alegre en 1941. Il est le fils d’une famille de la bourgeoisie intellectuelle locale. A la fin des années cinquante, il commence des études univers-sitaires de philosophie et d’histoire. Il est aussi déjà un militant actif au sein du mou-vement étudiant. Il devient alors membre du Parti Communiste Brésilien (PCB) puis re-joint la direction de l’Union Nationale des Etudiants (UNE, une organisation déjà très marquée à l’extrême-gauche) dont il sera vice-président. En 1964, après l’instauration de la dictature, M.A. Garcia rejoint un groupe trokyste dissident du PCB. Il commence à enseigner la pensée marxiste à l’université puis séjourne en France une première fois à partir de 1967. A Paris, il poursuit sa formation en suivant les enseignements du philo-sophe marxiste L. Althusser. Revenu brièvement au Brésil, il fuit vers l’Argentine puis s’ins-talle au Chili en 1970. Dans le pays où S. Allende vient d’accéder au pouvoir, Garcia se rapproche du MIR, une formation de la gauche radicale qui apporte un soutien critique au nouveau gouvernement. Après le coup d’Etat de Pinochet (septembre 1973), le Brésilien reste un temps au Chili mais fini par se réfugier en France en 1974. A Paris, l’intellectuel militant est intégré au corps professoral de l’université de Nanterre. Il se rapproche de tous les milieux de la gauche culturelle et va profiter de son exil pour développer des relations avec les forces politiques locales dont il est proche. Pendant les six années qu’il passe en France, l’universitaire en exil multiplie les contacts avec des "forces progressistes", qu’il s’agisse des partis communistes de l’empire so-viétique, d’organisations de réfugiés politiques à l’étranger ou de représentations de mouvements nationalistes de ce que l’on appelle alors le tiers-monde. Dans les années soixante-dix, c’est à Paris que se multiplient les associations, groupes militants qui ac-cueillent des réfugiés de tous les pays d’Amérique du Sud alors gouvernés par des dic-tateurs. C’est à Paris que fleurissent les espaces universitaires et cercles militants enga-gés "contre l’impérialisme" et le combat en faveur du tiers-monde (voir encadré). Comme d’autres exilés, l’intellectuel originaire de Porto Alegre va tisser à Paris des ré-seaux de contacts dans ces milieux partageant sa vision du monde, contacts qui seront très utile plus tard. M.A.Garcia apprend à connaître les institutions françaises et les organisations politiques nationales. Il se déplace dans les pays voisins. Il noue des liens avec les Iraniens qui entourent l’Imam Khomeiny refugié dans les Yvelines. C’est encore à Paris ou dans les nations proches de la France qu’il a pu prendre langue avec des représentants d’organisations palestiniennes, avec ceux de partis africains au pouvoir ou dans l’opposition. Cette période d’exil aura été pour ce personnage comme pour d’autres réfugiés brésiliens une exceptionnelle phase d’incubation, d’expérience internationale, de construction de réseaux. En 1979, à la faveur de l’ouverture que pratiquent les militaires au pouvoir, le militant marxiste revient au Brésil et devient enseignant d’histoire à l’Université de Campinas, une institution déjà très marquée à gauche. En 1980, il participe avec ses amis trotkystes à la création du nouveau Parti des Travailleurs. L’homme a déjà une ample expérience inter-nationale. A son retour au Brésil, le carnet d’adresse de Garcia est très étoffé. Il possède une expérience hors pair des réseaux militants socialisants, communisants ou dits de résistance à l’échelle globale. A partir de 1980, Garcia devient donc un des grands inspirateurs et promoteurs des relations de partenariats et d’amitié que le PT développe et entretient avec des réseaux politiques étrangers. Dès 1990, il sera coordi-nateur aux relations internationales de la formation de Lula. Rencontre du Forum de São Paulo à Caracas en 2012. Au centre Hugo Chavez. A gauche, JL Melenchon. La même année, le PT Brésilien, Lula et leurs amis de nombreux partis de la gauche latino-américaine annoncent la création du "Forum de São Paulo". A son apogée, dans les années 2000, cette organisation continentale réunira 115 formations politiques de gauche et d'extrême-gauche, mouvements de guérillas et intellectuels de tous les pays latino-américains. Elle accueillera aussi les dirigeants des Etats où la gauche détient le pouvoir au cours de la première décennie du 21e siècle. Le forum sera une des tribunes pré-férées d’Hugo Chavez dont M.A. Garcia n’a jamais cessé de faire les louanges. C’est lors des assemblées du Forum que Lula retrouvera ses camarades Fidel Castro, Daniel Ortega, Evo Morales (Bolivie) ou Nestor Kirchner. Plus tard, le Forum recevra Maduro et accueillera aussi des leaders de l'extrême-gauche européenne comme J-L Melenchon. C’est au sein du Forum que les dirigeants de la gauche sud-américaine vont développer des liens avec les responsables du Parti communiste chinois (PCC), avec les représentants du Parti de Wladimir Poutine ou ceux de la gauche du Parti démocrate américain. C’est encore le Forum qui fournira l’occasion de contacts renouvelés avec toutes les "forces progressistes" de ce qui va être appelé bientôt le "sud global". Le mentor d’une troïka. En 2003, quand Lula et son parti prennent la tête de l’Etat fédéral, la gauche doit faire preuve de pragmatisme sur le terrain économique. Néanmoins, la politique extérieure officielle va suivre les orientations et les directives du PT. Les relations entre le Brésil et le monde vont être conçues, organisées et pilotées par une troïka formée de deux diplo-mates de carrière placés sous la tutelle de M.A. Garcia. Officiellement, le Ministre en charge des relations extérieures pendant les deux premiers mandats de Lula a été l’ambassadeur Celso Amorim. En réalité, la politique extérieure du Brésil est définie au Palais présidentiel par le chef de l’Etat et son conseiller spécial. Le ministre s’occupe de questions commerciale et assure toutes les missions protocolaires de représentation. Lula a d’ailleurs confié le poste à un homme qui ne peut pas gêner ses grandes ambi-tions diplomatiques. Celso Amorim n’est pas vraiment un militant de la gauche radicale. A la fin du régime militaire, déjà intégré au corps diplomatique, il a adhéré au MDB, la seule formation d’opposition au régime militaire alors tolérée. Après le retour à la démocratie en 1985, l’ambassadeur reste membre du parti (devenu alors PMDB) qui défend alors des positions centristes très modérées. Cette filiation ne gêne en rien la carrière d’un homme qui occupe les postes les plus prestigieux (5) . Amorim attendra d’ailleurs 2009 pour se décider à devenir enfin membre du parti de Lula. Sans doute considère-t-il alors que la gauche tient désormais pour très longtemps les rênes du pouvoir…Entre temps, pendant huit ans, il s’est occupé essentiellement de négociations commerciales. Il sera notam-ment remarqué sur la scène internationale lors des pourparlers du cycle de Doha de l’OMC. M.A. Garcia, C. Amorim et Lula dans les années 2000. La gestion administrative du personnel diplomatique échappent aussi largement au mi-nistre en titre. Cette tâche est confiée au second personnage du ministère également di-plomate de carrière, Samuel Pinheiro Guimarães. En 2003, Lula a nommé cet ambas-sadeur au poste de secrétaire général d’Itamaraty (Ministére des Affaires Etrangères). L’homme est aussi économiste. Il n’a jamais occupé un poste à l’étranger et pour cette raison connaît à fond une administration centrale qu’il n’a jamais quittée. Pinheiro Guimarães est l’exemple type de l’idéologue nationaliste, profondément anti-américain et allergique à toute forme de libéralisme, radicalement opposé à l’économie de mar-ché, partisan d’un développement entièrement dirigé par l’Etat, défenseur d’un protec-tionnisme absolu. Après avoir élaboré cette vision du développement dans plusieurs ouvrages, cet intellectuel dénoncera dans les années 2000 toutes les tentatives d’inté-gration du Brésil à l’économie en voie de globalisation. A partir de 2003, le diplomate va profiter de son long mandat à la tête de l’administration du ministère (il occupera ce poste jusqu’en 2009) pour tenter de catéchiser l’ensemble du corps des fonctionnaires en imposant comme norme une vision nationaliste, protectionniste et anti-impérialiste de la diplomatie. Il est alors difficile de trouver une personnalité plus proche de M.A. Garcia. Dès le début des années 2000 et au sein des gouvernements Lula. Pinheiro Guimarães sera un autre grand défenseur de la révolution bolivarienne conduite par Chavez au Venezuela avec les réussites que l’on sait…. Dans le second gouvernement Lula, il devient Ministre en charge des questions stratégiques… Les grands dossiers diplomatiques restent l’affaire du conseiller spécial aux affaires étrangères de Lula. M.A. Garcia va exercer cette fonction pratiquement sans discon-tinuité pendant treize ans, de 2003 à la fin du gouvernement Roussef en 2016. Il sera l’architecte des projets d’intégration du sous-continent que souhaitait voir aboutir Lula pour contrecarrer les propositions d’union commerciale des Etats-Unis. Il sera le pilote des relations étroites que Lula établit dès sa première présidence avec le régime cha-viste du Venezuela. Il entretiendra toujours les liens d’amitié avec le pouvoir cubain et la famille Castro. La politique de rapprochement avec l’Afrique qu’engage alors le Brésil est avant tout l’affaire de Garcia qui est aussi à la manœuvre lorsqu’il s’agit de renforcer les liens avec le monde arabe, avec les Etats du Proche-Orient et notamment l’Iran. Sur la seconde moitié des années 2000, alors que plusieurs pays émergents préparent le lancement du club des BRICS, M.A. Garcia est à la manœuvre pour négocier l’adhésion de la Chine avec ses partenaires chinois, russes et indiens. L’intellectuel gaucho sera encore l’artisan d’un rapprochement entre le Brésil et l’Iran des mollahs. En 2009, le président Mahmoud Ahmadinejad est reçu en visite au Brésil. L’année suivante, Lula va parrainer un accord tripartite (avec l’appui de la Turquie) par lequel Téhéran s’engage à reporter ses prétentions au nucléaire militaire. Le leader brésilien prétend alors que l’accord évitera au régime des mollahs des sanctions économiques. En réalité, l’Iran ne tiendra pas ses engagements. Tant que le PT sera au pouvoir, les relations entre les deux pays resteront pourtant très fraternelles… Sur tous ces terrains, la diplomatie progressiste mis en oeuvre pendant plus d'une décennie par Lula et son mentor sera abandonnée pendant les sept années qui séparent la destitution de D. Rousseff et le retour de Lula à la présidence. En janvier 2023, dès son investiture, Lula annonce que Celso Amorim (désormais bien aligné sur la diplomatie du PT) occupera le poste qui a longtemps été celui de M.A. Garcia….On annonce alors à Brasilia que le "Brésil est de retour". Il est vrai que la Présidence Bolsonaro n'avait pas été très brillante sur le terrain diplomatique comme sur beaucoup d'autres. Depuis janvier 2023, le Brésil a tracé une route qui l'éloigne de plus en plus du camp occidental. Est-ce son intérêt ? Est-ce la bonne voie alors que les années à venir vont être marquées sur le continent américain par le retour de D. Trump à la tête des Etats-Unis ? Est-ce un choix qui correspond aux aspirations des Brésiliens ? Prochain post : une diplomatie contre les intérêts du pays. (1) Les communautés ecclésiales de base étaient des cellules militants catholiques issus des classes les plus pauvres. Lancées dans les années 1950 en Amérique latine, inspirées notamment de la théologie marxisante de la "libération", elles ont connu un certain succès jusqu’aux années 1970, avant d’être remises au pas et interdites par la hiérarchie catholique sous la papauté de Jean-Paul II (1978-2005). (2) Central Ūnica dos Trabalhadores, une des grandes centrales syndicales du pays, très proche du PT depuis sa création. (3) Jusqu’en 1985-1990, les études universitaires ne sont accessibles qu’à une faible minorité de jeunes issus de l’enseignement secondaire. Cette minorité est essentiellement composée d’enfants des classes aisées. (4) Natif de l’Etat du Rio Grande do Sul. (5) C. Amorim a été le représentant permanent du Brésil auprès de l'ONU, du GATT et de la Confé-rence du désarmement à Genève (1991-1993) puis chef de la délégation brésilienne auprès de l’ONU à New-York (1995-1999). En 1999, il est revenu à Genève pour occuper le poste de représentant permanent auprès de l’OMC. Il sera ambassadeur au Royaume-Uni de 2001 à 2002. Après avoir été ministre des Affaires Etrangères dans les deux premiers gouvernements de Lula, il assumera le portefeuille de la défense au sein du gouvernement D. Rousseff entre 2011 et 2015.

  • Une élection qui annonce celle de 2026 (3).

    Le début de la fin de l'ère Lula ? La question est récurrente à chaque veille de scrutins municipaux : les choix que feront les électeurs pour des consultations par nature locales auront-ils une portée et une signification nationales, permettront-ils de dessiner déjà le paysage et les rapports de force politiques qui prévaudront lorsque les Brésiliens seront convoqués pour des élec-tions générales ? L’expérience historique montre que depuis le retour à la démocratie (1985), les résultats des municipales ont souvent permis d’anticiper ceux des élections législatives fédérales qui ont lieu deux ans plus tard. Dans le système politico-institu-tionnel brésilien, le chef de l’exécutif fédéral est très dépendant du Congrès où il doit constituer une majorité de parlementaires appuyant ses projets politiques. Même si l’is-sue d’un scrutin municipal n’autorise pas à faire des pronostics définitifs sur le sort que réservera la prochaine consultation présidentielle aux personnalités en lice, il constitue un sérieux baromètre politique. Pour Lula, ce baromètre est préoccupant. Il montre que la politique qu'il conduit ne mobilise guère, n'enthousiasme pas, est très éloignée des préoccupations et aspirations de la majorité des Brésiliens. Cette distance entre le pouvoir et les attentes de la population doit être absolument réduite pour que Lula puisse envisager une réélection en 2026. La gauche et son leader ont un peu plus d'un an (dès le début 2026, le Brésil entrera en campagne) pour mettre en oeuvre un véritable aggionarmento . Il est peu vraisemblable qu'ils parviennent à réaliser en un temps si court ce qu'ils n'ont pas fait depuis des années. Lula peut-il envisager un quatrième mandat à partir de 2027 ? Un Brésil conservateur mais moins radical. Le verdict est tombé dès le lendemain du premier tour du 7 octobre dernier : les partis du centre et de droite sont les grands vainqueurs du scrutin municipal. Les maires élus ou réélus qui assumeront la direction des 5569 municipalités appartiennent pour plus de 86% d’entre eux à ces familles politiques. Ce résultat n’a pas vraiment surpris. Les partis vainqueurs n’ont pas de programme et d’orientation politique bien définis. Ce sont des organisations assez opportunistes, capables de faire alliance avec toutes les majorités pour décrocher des postes de pouvoir et accéder à des fonds publics. Elles accueillent et soutiennent donc facilement des notables locaux qui entendent péren-niser les mandats conquis en adoptant un profil idéologique attrape-tout. Elles forment ce que les observateurs de la vie parlementaire désignent sous le terme de centrão , un ensemble de forces qui se rallient au pouvoir exécutif dès lors que celui-ci est disposé à leur offrir postes et contrôle de lignes budgétaires. Ces partis du centrão sont aussi ceux qui dominent le Congrès. Pour cette raison, ils ont pu mobiliser des fonds d’origine publique considérables (1) pour leurs campagnes et avaient avant le scrutin conforté les caisses des municipalités tenues par leurs adhérents grâce à la multiplication d’amendements budgétaires . La proportion de maires réélus en octobre dernier (80%) est sans précédent depuis vingt ans. Dans les 112 communes qui ont reçu le plus de crédits au titre de ces amendements, le taux de réélection atteint 93,7%. La majorité des amendements exécutés sur les quatre années de mandats de ces maires sortants ont été sollicités par des députés et sénateurs du fameux centrão qui cherchaient ainsi à entretenir leurs clientèles locales, à garantir la réélection de ces élus municipaux qui sont leurs précieux alliés et agents électoraux au niveau des communes. En multipliant les amendements, les parlementaires du centrão ont renforcé la capil-larité des réseaux régionaux et locaux qu’ils mobilisent à chaque élection nationale. Ils seront remerciés dans deux ans lorsque les centaines de maires et des milliers de vereadores qu’ils ont aidé à gagner feront campagnes pour eux, seront leurs agents électoraux les plus efficaces, assureront leurs réélection et l’arrivée de nouveaux élus du centrão au Congrès. La victoire de la droite et du centre comporte aussi sa part de surprise. Elle marque un changement par rapport à la dynamique qui avait porté à la tête du pays l’extrêmiste J. Bolsonaro en 2018. Les partis qui ont élu le plus de maires et de vereadores ne sont pas seulement des organisations travaillées par le clientélisme, disposées à accepter toutes les alliances en échange de faveurs. Ce sont aussi des formations modérées, animées à l’échelle locale par des leaders politiques souvent soucieux de répondre aux attentes de la population, moins obsédés par les confrontations idéologiques qui déchirent le pays depuis des années. Les principales victoires (au niveau des grandes villes notamment) remportées par ces formations attestent d'un affaiblissement relatif de l’extrême-droite bolsonariste. En 2018, il y a six ans, cette droite radicale gagnait l’élection présidentielle et s’imposait comme une force majeure au Congrès. Elle avait su capter et exploiter habilement le désespoir et la peur qui travaillait de larges secteurs de la population. Elle dressait alors un bilan complet des échecs (criminalité galopante, éducation, bureau-cratie envahissante, récession historique entre 2015 et 2016), des promesses non tenues et des turpitudes (des scandales de corruption sans précédent depuis le retour de la démocratie) de la gauche au pouvoir. Cette extrême-droite autoritaire apparaissait hier comme une alternative moralisatrice, une force désignant un ennemi et engageant une stratégie pour le combattre. Le diag-nostic de tous les problèmes de la société brésilienne (et des souffrances des couches les plus modestes) qu’elle proposait était simple. L’insécurité publique, l’inefficacité des services publics, la bureaucratie effrayante imposée aux PME et aux entrepreneurs individuels, l’impuissance des élites et des institutions démocratiques, l’éclatement des familles dans les milieux les plus pauvres : tous ces maux étaient les symptômes d’une corruption morale généralisée. Cette corruption servait "les intérêts du système et de l’élite". Elle obéissait aussi à un plan visant à soumettre le pays, les familles et les indi-vidus à des idéologies exogènes et perverses. Idéologies que la droite radicale identifiait à un communisme menaçant, au dérèglement profond du corps social conçu par des forces de gauche exclusivement préoccupées d’imposer une vision du monde que l’on appelle aujourd’hui le wokisme. Séduits par cette interprétation, une majorité de Brésiliens déjà conservateurs ont été gagnés par une sorte de peur panique. Le conservatisme dominant est devenu franchement réactionnaire. La droite autoritaire s’est imposée un temps. Elle a perdu en influence sous le mandat de Bolsonaro parce qu’elle suscitait à son tour trop d’incertitudes, ne résolvait aucun des problèmes quoti-diens de la population, se révélait tragiquement impuissante au moment de la crise du covid. Belo Horizonte, octobre 2024 : Bolsonaro fait campagne pour le candidat de son partie au poste de maire, un candidat qui sera battu au second tour... Les élections municipales de 2024 attestent que la radicalité incarnée par Bolsonaro n’est plus le seul courant à la droite de l’échiquier politique. Le conservatisme a commencé à se différencier du courant réactionnaire et conspirateur que représente l’ancien Prési-dent. Le scrutin municipal montre que la majorité des électeurs ne veut plus de leaders politiques qui menacent en permanence la démocratie, l’Etat de droit, le fonction-nement normal des institutions. Elle rejette aussi les politiques alternatives qui génèrent des déséquilibres économiques, sont souvent synonymes de mauvaise gestion des finances publiques et de corruption. Elle entend vivre dans un monde stable. Elle vient de plébisciter au plan local les forces politiques qui apparaissent à la fois les moins aventureuses, les moins dangereuses. La dernière consultation électorale avant les scrutins nationaux de 2026 fait apparaître une majorité de Brésiliens prudents, séduits par les forces politiques les moins radicales, les plus modérées mais aussi les plus traditionnelles. Cette consultation est aussi une défaite préoccupante pour la gauche . En revenant à la tête de l’exécutif fédéral en janvier 2023, le Président Lula et les forces qui l’appuient n’ont guère innové. De nouveau, on a resservi aux Brésiliens les vieilles recettes de l’induction de la croissance par expansion de la dépense publique, du renforcement du secteur étatique et de l'élévation de la pression fiscale, de l'essor des mesures d’assistance aux plus modestes. Rien de tout cela n’a suscité jusqu’à présent l’enthousiasme attendu au sein des nouvelles classes moyennes qui dominent désormais la base de la pyramide sociale. Ces classes sont dominées par une population de nouveaux entrepreneurs plus ou moins prospères, qui attendent de l’Etat qu’il assure le maximum de stabilité économique, qu’il réduise son périmètre d’intervention, fournisse les services attendus en faisant reculer la bureaucratie. Faute d’avoir compris cela, la gauche vient d’essuyer sa plus grande défaite électorale depuis plusieurs décennies. Dépouillements. La droite (2) va prendre en janvier prochain les commandes de 2674 municipalités (48% du total où réside plus de 45 ,7% de la population du pays), soit une progression de 5% par rapport à 2020 lorsque ce courant était parvenu à faire élire 2539 maires. C’est le meilleur résultat de la droite aux municipales depuis 2000. Dans ce total sont comprises 54 des 103 communes du pays comptant plus de 200 000 électeurs et 11 des 26 capitales d’Etats fédérés. La droite, c’est d’abord le Parti Libéral dont un des leaders (désormais aussi encombrant qu’influent) est Bolsonaro. Les élus de la formation dirigent aujourd’hui 344 municipalités. Ils gèreront 517 communes à partir de janvier 2025, soit une progression de 50,3%. Ces élus seront notamment conduits à administrer 16 des 103 communes les plus importantes, contre 2 après le scrutin de 2020. Plus généralement, les partis de droite vont gouverner des villes qui, ensemble, représentaient en octobre dernier 70,5 millions d’électeurs, soit 45,1% du corps électoral. Nombres de maires élus en octobre 2024 par affiliations politiques. Cette progression du camp conservateur n’est pas le résultat d’un retour en force du cou-rant incarné par J.Bolsonaro. Ce dernier a perdu en capacité d’influence au sein de la droite et de son propre parti. En juin 2024, la Cour Suprême l’a déclaré inéligible pour une durée de huit ans . Eloigné désormais du pouvoir depuis près de deux ans, l’ancien chef de l’Etat n’a pas réussi à faire élire ses plus proches alliés au sein du parti ou ceux qu’il avait résolu de soutenir lors du second tour. La droite qui sort gagnante de ces élections municipales est une droite moins radicale, plus pragmatique, soucieuse de marquer ses distances par rapport à un leader clivant, extrêmiste et qui n’a pas su se faire réélire en 2022. Ce succès de la droite ne se concrétise pas seulement par l’élection de centaines de maires. Il se traduit aussi par une augmentation significative des suffrages qui se sont portés sur les candidats de ces formations aux postes de vereadores (membres d’as-semblées municipales). Lors du scrutin à la proportionnelle du premier tour désignant ces élus, les partis de droite ont réuni 38,9% des votes valides (contre 33,7% en 2020). Un peu plus de 20 100 personnalités de ce camp politique (contre 18677 aujourd’hui) assu-meront un mandat de vereadores à partir de janvier prochain. Le seul Parti Liberal a capté 9,7% des voix, parvenant à faire élire 4957 de ses candidats. Le parti disposera notam-ment d’un réseau de 306 vereadores répartis au sein de 94 des 103 assemblées muni-cipales des grandes villes du pays (soit un taux de capillarité de 91,26%) où se con-centrent aujourd’hui 39% des électeurs. Autant de militants et d’agents électoraux pré-cieux dans la perspective des deux élections pour lesquels les candidats à des sièges au Congrès (députés fédéraux et sénateurs) sont d’autant plus efficaces dans leurs campagnes qu’ils comptent sur le soutien d’élus locaux connus de la population. A droite encore, la formation União Brasil a réuni 9,2% des suffrages à l’échelle nationale pour cette élection et sera représenté dès janvier par 5482 de ses membres dans les assemblées municipales. Ils seront 208 élus du parti à siéger dans les assemblées de 84 villes parmi les 103 comptant plus de 200 000 électeurs (taux de capillarité de 81,5%). Le scrutin d’octobre est aussi très satisfaisant pour plusieurs formations classées au cen-tre (3) . Cette mouvance a vu ses candidats aux postes de maires l’emporter dans 2142 communes, une progression là encore de près de 5% par rapport à 2020. Les forces politiques centristes ont vaincu dans 37 des 103 villes citées plus haut et vont prendre la direction des mairies de 13 capitales du pays. L’ensemble des communes qui auront des maires appartenant à cette mouvance représentent une population totale de plus de 86 millions d’habitants, soit 4,3 Brésiliens sur 10. L’ensemble des localités qui vont être diri-gées par des élus du centre représentaient en octobre dernier 67,7 millions d’électeurs, soit 43,3% du corps électoral. Dans ce camp, une formation se distingue : le Parti Social-Démocrate (PSD) dirigé par l’ancien ministre et ancien maire de São Paulo, Gilberto Kassab. A compter de janvier prochain, ses élus vont diriger 891 communes (contre 657 en 2020), dont 15 des 103 plus grandes villes et 5 capitales d’Etats fédérés (Belo Horizonte, Rio de Janeiro, Curitiba, Florianopolis, São Luis). Cette formation typique du centrão manifeste une capacité d’adaptation aux opportunités politiques exceptionnelles. L’ancien maire de São Paulo est aujourd’hui membre du gouvernement de l’Etat de São Paulo, dirigé par l’ancien ministre modéré de Bolsonaro Tarcisio de Freitas (Parti Répu-blicanos ) et opposant à Lula. Le PSD du même Kassab est aussi à la tête de trois mi-nistères au sein du gouvernement du même Lula à Brasilia... Outre ses succès dans la conquête de postes de maires, le PSD a réuni 10,3% du total des suffrages lors des élections proportionnelles des vereadores . A partir de janvier prochain 6622 membres des assemblées municipales porteront les couleurs du parti (contre 5700 en 2020), dont 220 au sein de 84 des fameuses 103 communes principales (taux de capillarité de 81,5%). Avec ces succès, le parti va certainement chercher dans l’immédiat à occuper plus de place au sein du gouvernement Lula et à peser davantage au sein de la coalition qui dirige l’Etat fédéral. Il peut d’ores et déjà compter sur un énorme réseau d’élus locaux pour soutenir ses candidats aux élections législatives et sénatoriales nationales de 2026. Il pèsera fortement sur l’issue du scrutin présidentiel prochain. Si la droite est représentée dans la compétition par un candidat radical comme Jaïr Bolsonaro, le PSD choisira de soutenir Lula, candidat probable à la réélec-tion. Si la droite modérée impose un candidat de son choix, elle peut compter sur le renfort du PSD. La girouette tourne avec le vent…. Nombre de vereadores élus le 7 octobre par affiliations politiques. La gauche poursuit la dynamique de recul engagée en 2016. Elle a obtenu en octobre dernier son plus mauvais résultat depuis l’élection municipale de 2000. L’année 2016 avait été marquée par la crise provoquée par une succession de scandales de corruption révélés par l’opération Lava Jato au début du premier mandat de Dilma Rousseff. Cest aussi l’année ou la successeur de Lula à la Présidence est destituée. En 2024, alors que Lula est revenu depuis janvier 2023 à la tête de l’Etat fédéral, son camp ne progresse pas. Les élus de la gauche gouverneront à partir de janvier 2025 752 municipalités alors qu’ils avaient conquis 852 mandats de maires en 2020 (recul de 11,7%). Cette année, les succès de la gauche concernent principalement des villes moyennes ou des localités modestes concentrées principalement dans le Nord-Est. A partir de 2025, ce camp ne gérera plus que deux capitales d’Etats fédérés et à peine 10 des 103 villes de plus de 200 000 élec-teurs (contre 13 après 2020). L’ensemble des communes que des élus de gauche vont administrer à compter de janvier 2025 regroupent aujourd’hui 17,9 millions d’électeurs, soit 11,4% du corps électoral. Le Parti des Travailleurs (PT) de Lula est parvenu à faire élire 252 de ses candidats aux postes de maires. Il ne détenait que 182 municipalités après le scrutin de 2020. Il y a donc pour cette organisation une inversion de la tendance engagée il y a huit ans. Le parti du Président est cependant encore très loin de son résultat au scrutin municipal de 2012, lorsqu’il avait remporté 635 mairies. Cette année, sur les 26 capitales d’Etat, il ne con-quiert que le poste de maire de Fortaleza dans le Nord-Est. Le PT va diriger à partir de 2025 l’administration de 6 des 103 grandes communes de plus de 200 000 électeurs. Dans l’ensemble du pays, le nombre d’électeurs résidant sur des localités administrées dans l’avenir par le parti progresse, passant de 4 à 7,6 millions de personnes. C’est néanmoins un net recul que connaît le parti dans l’Etat le plus peuplé du pays et le plus développé : São Paulo. C’est le cas notamment sur la région métropolitaine de la ville de São Paulo où la formation est née au début des années 1980. Au cours des seize dernières années, le PT a perdu le contrôle de 10 des 39 communes de ce territoire très industrialisé. Il ne conservera plus dès janvier prochain qu’une seule mairie dans la région. Il avait perdu le contrôle de la municipalité de l’agglomération de São Paulo en 2016. En 2020 et cette année, le PT n’a pas présenté de candidat, préférant soutenir à chaque fois Guilherme Boulos, un militant radical de l’extrême-gauche (PSOL). Boulos avait déjà échoué en 2020. Il est à nouveau défait cette fois-ci par le maire sortant, n’ayant réuni qu’un peu plus de 40% des suffrages (le même pourcentage qu’en 2020) . C’est sans doute la défaite la plus douloureuse pour Lula et son parti. L’autre grand fiasco de la gauche concerne l’élection du maire de Porto Alegre. Le sortant présenté par le MDB centriste partait avec un lourd handicap. La capitale du Rio Grande do Sul a été en-tièrement submergée par des précipitations catastrophiques en début de 2024. L’exécutif municipal en place a été accusé d’être un des responsables de ce drame exceptionnel. Pourtant, son chef n’a eu aucun mal à s’imposer au second tour face à la candidate du parti de Lula. Février 2024 : Porto Alegre sous les eaux. Octobre 2024 : le maire sortant fête sa réélection. Pour la gauche, les revers subis dans le scrutin majoritaire qui permet de désigner les maires des municipalités ne sont pas compensés par une progression significative lors de l’élection à la proportionnelle des vereadores. L’ensemble des formations totalisent 22,4% des suffrages (contre 20,5% en 2020). Au total, ce camp sera représenté à l’échelle des 5569 communes par 10 307 vereadores (contre 10 864 aujourd’hui), dont 3127 élus appartenant à la formation de Lula. Dans ce dernier groupe, on compte 167 vereadores qui siègeront dans les assemblées municipales de 82 des 103 premières communes (taux de capillarité de 79,6%). Le PT est la seule formation de gauche qui aura des élus dans plus des 2/3 des instances législatives des grandes villes du pays. Une droite et un centre-droit divisés. L’élection la plus importante de ce scrutin était celle du maire de São Paulo, première ville du pays. Ricardo Nunes, le maire sortant, a été réélu en bénéficiant de l’appui du gouverneur de l’Etat du même nom. Signe de l’affaiblissement à droite de Bolsonaro, le soutien de ce dernier a peu compté. La victoire de Nunes est d’abord celle du gouverneur Tarcisio de Freitas, un représentant de la droite pragmatique et modérée qui se positionne désormais comme un candidat potentiel en vue de la prochaine élection présidentielle. Partout où la droite et le centre-droit ont enregistré des succès impor-tants, ce sont des personnalités ayant marqué leurs distances avec Bolsonaro qui ont gagné. C’est le cas à Goiânia (capitale de l’Etat du Goiás) où le candidat appuyé par le gouverneur Caiado (União Brasil) l’a emporté. C’est encore le cas à Curitiba (capitale du Paraná). C’est aussi le cas à Belo Horizonte (capitale du Minas Gerais) avec la victoire du candidat du PSD. La droite brésilienne a montré qu’elle ne se limitait pas à la mouvance bolsonariste. La droite modérée doit s’imposer désormais face à une extrême-droite radicale qui (avec ou sans Bolsonaro) est loin d’avoir dit son dernier mot. Elle doit aussi dépasser les rivalités qui apparaissent déjà entre toutes les personnalités qui voudraient succéder à Lula à la tête du pays et représenter la droite à la prochaine élection présidentielle. Enfin et surtout, il importe qu'elle propose un programme crédible et mobilisateur. Gauche : une mise à jour improbable. Si le leader de la gauche ne tient pas compte de cette défaite municipale, Lula et son camp aborderont les scrutins nationaux de 2026 en position de grande faiblesse. Les mises à jour à opérer dans le camp dit "progressiste" sont considérables. Pour le gouver-nement et le Président, il s’agit d’abord de contribuer à apaiser davantage le climat de polarisation et d’extrême tension politique qui recule mais existe encore. La majorité des Brésiliens sont fatigués de ce climat de pré-guerre civile. En 2002, lors de la campagne qui devait conduire à sa première élection au poste de Président, Lula se présentait comme un homme de concorde et de paix (Lula, Paz e Amor, annonçaient affiches et spots télévisés). Une fois au pouvoir, à partir de 2003, Lula et ses proches n’ont pas cessé de se présenter comme les représentants du camp du bien, du Brésil populaire et "pro-gressiste" opposé au Brésil des élites forcément réactionnaires. Ils n’ont pas cessé d’amplifier et d’exploiter cette opposition. Aux vieilles rengaines héritées d’une culture dirigiste, étatiste et anti-marché, ils ont ajouté l’ensemble des thèmes chers au wokisme. Autant d’options qui hérissent la majorité des Brésiliens, et notamment les couches les plus modestes. En matière de politique étrangère, le gouvernement de Lula a multiplié les errements. Il cultive le catéchisme usé d’une gauche anti-américaine qui se met au service des intérêts de l’empire chinois et de son valet russe.. Un choix anti-occidental qui ne séduit guère la majorité des Brésiliens, notamment la jeunesse des classes moyennes et aisées qui rêve d’Amérique du Nord ou d’Europe occidentale. Seconde priorité pour les prochains mois : se mobiliser et mobiliser le Congrès pour obtenir des résultats concrets sur cinq chantiers que l’opinion considère comme es-sentiels : la conclusion de la réforme de la fiscalité, la réduction des dépenses et la contraction du déficit public, la lutte contre le crime organisé, une amélioration sensible de la qualité des services de santé et d’éducation. La majorité des Brésiliens veulent désormais des réponses concrètes à leurs difficultés quotidiennes. C’est en commençant à fournir ces réponses que le gouvernement fédéral peut redonner des chances à la candidature annoncée de longue date de Lula pour un quatrième mandat. La gauche brésilienne peut-elle opérer en un temps limité ce virage vers une social-démocratie soucieuse de maintenir les grands équilibres économiques, d’apporter des réponses concrètes aux revendications des plus pauvres et ayant rompu avec des rigi-dités idéologiques archaïques ? Récemment des leaders de ce camp ont remis en cause les vieux catéchismes. Fernando Haddad, Ministre de l’économie de Lula, est une des rares personnalités de la gauche ayant une dimension nationale. Il a affirmé après la déroute municipale qu’il fallait abandonner des convictions qui vieillissaient mal et défendre désormais les valeurs de la gauche à partir d’un projet neuf combinant un minimum de protection sociale pour le plus grand nombre, plus de liberté économique et moins d’intervention de l’Etat. Au sein même du Parti des Travailleurs de Lula, des militants remettent en cause l’appui persistant de leur formation au régime dictatorial de Maduro au Venezuela ou la priorité qu’accorde la vieille garde au secteur productif nationalisé et au tout-Etat. Il y a même des alliés du PT qui dénoncent les pratiques de détournement de fonds publics, de pots de vin et de corruption dont la gauche s’est faite la championne dans les années 2000 et 2010. Des alliés qui savent que si la gauche avait reconnu ces crimes elle n’aurait pas facilité l’ascension de la droite radicale qui a débouché sur l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro. Les espoirs suscités par quelques personnalités lucides ne suffiront sans doute à en-traîner en quelques mois un aggionarmento que les appareils ne sont guère disposés à faciliter. Lula et son gouvernement vont donc sans doute persister sur la voie empruntée depuis janvier 2023. La gauche cherchera certainement à favoriser un réveil de la droite la plus radicale afin de restaurer le leadership menacé de Bolsonaro. Elle est déjà encouragée à jouer cette carte par la Cour suprême (où les haut magistrats nommés par la gauche au pouvoir forment désormais une majorité) qui ne cesse depuis quelques années de détricoter toutes les procédures engagées contre les responsables des scandales de corruption révélés par l’opération Lava Jato . Le retour en grâce des cri-minels pourtant condamnés en première et deuxième instance par des magistrats disposant de preuves va certainement renforcer le camp de la droite antisystème et populiste qui surfera à nouveau sur le désespoir de larges pans de la société pour radicaliser son programme et sa future campagne. La gauche misera sur le retour en force de cette droite-épouvantail et sur l’aura personnelle de son leader pour apparaître à nouveau comme un rempart contre l’autoritarisme en 2026. Le pari est jouable mais n’est pas sans risque. Si l’épouvantail fonctionne, les forces du centrão plus puissantes que jamais viendront se mettre au service de la campagne de Lula. Assurées de dominer le prochain congrès car les élections législatives leur seront sans doute très favorables, elles auront intérêt à soutenir un candidat âgé ( 81 ans en 2026), fatigué, très minoritaire à la Chambre comme au Sénat et donc facilement "gérable". Lula sera alors élu pour un troisième mandat. Celui d’un Président entièrement à la merci des pressions et des caprices des secteurs les plus clientélistes du vieux monde de la politique brésilienne. A gauche : le duel avec Bolsonaro que souhaite Lula en 2026. A droite, le duel qu'il veut éviter : avec Tarcisio de Freitas, actuel gouverneur de l'Etat de São Paulo et rival de Bolsonaro au sein de la droite. Le pari est aussi très risqué. Pour compenser l’immobilisme de la gauche, son incapacité persistante à prendre en compte les attentes de la majorité des Brésiliens, il ne suffira peut-être pas d’agiter un éventail déjà utilisé en 2022. Résolue à calmer un climat de hautes tensions idéologiques et politiques, la majorité des Brésiliens peut convaincre la droite modérée et le centre de s’imposer, de choisir un leader plus attirant que Bolsonaro. Dans cette hypothèse, les forces politiques du centrão sauront s’adapter. Elles percevront très vite que le vent change. Que ce n’est pas de la gauche qu’elles doivent attendre postes, nominations, crédits et faveurs. Les puissants réseaux de soutien locaux créés en octobre dernier par le PSD, le MDB, União Brasil feront la campagne du nouveau leader de la droite. Un tel scénario n’est plus du tout improbable désormais. S’il se vérifie, la carrière politique de Lula qui avait commencé dans les années 1980 s’achèvera à la fin de 2025. (1) Voir le second post de cette série consacré aux amendements parlementaires et aux modalités du financement public des partis et des campagnes électorales. (2) Les critères utilisés pour classer les formations politiques brésiliennes sont inspirés de la méthodologie propo-sée par le site Poder 360 . Voir la présentation : https://www.poder360.com.br/poder-eleicoes/direita-e-centro-dominam-prefeituras-no-brasil-em-2024/ . Les formations classées à droite et ayant participé à l’élection municipale de 2024 sont le Partido Progressistas (PP), União Brasil, Partido Liberal, Republicanos, Partido Social-Democrata Brasileiro (PSDB), Partido da Renovação Democratica (PRD), Novo, Democracia Cristão (DC) et Partido Renovador Trabalhista Brasileiro (PRTB) . (3) Selon les critères retenus par le site Poder 360, les formations de gauche sont le Partido dos Trabalhadores (PT) de Lula, le Partido Socialista Brasileiro (PSB) , le Partido Democratico Trabalhista (PDT) , le Partido Verde, le Partido Comunista do Brasil (PC do B), Rede et le Partido Socialismo e Liberdade (PSOL) . (4) Il a été déclaré coupable d'«abus de pouvoir politique et usage indu des moyens de communication». L'ancien président va faire appel de la décision. (5) Les formations classées au centre sont le Partido Social-Democratico (PSD) , le Movimento Democratico Brasi-leiro (MDB), Podemos, Avante, Solidariedade, Cidadania, Mobiliza et Agir .

  • Une élection qui annonce celle de 2026 (2).

    Des édiles municipales dépendants du Congrès.     Le scrutin municipal et celui désignant les membres du Congrès national ont une in-fluence l’un sur l’autre. Au niveau communal, les maires et les membres d’assemblées municipales ( vereadores ) membres d’un parti organisent et animent les réseaux locaux qui forment la base électorale de leurs parlementaires nationaux. Ils mobilisent ces ré-seaux lorsque députés et sénateurs fédéraux postulent un nouveau mandat ou cher-chent à faire élire des successeurs. Ils investissent du temps et des ressources finan-cières pour que ces parlementaires nationaux conservent et accroissent leur propre capital de popularité locale. Que peuvent attendre en retour ces élus municipaux ? A cette question, il y a une première réponse convenue : maires et membres d’assemblées municipales espèrent que les élus au Congrès porteront à Brasilia leurs préoccupations d’élus de base, qu’ils sauront prendre en compte les intérêts et les demandes de leurs électeurs lorsque tel ou tel projet national sera débattu au Congrès. En somme, les élus locaux attendent des parlementaires qu’ils soient de bons représentants des territoires qui les ont choisis. Au-delà de cette mission noble, les leaders politiques municipaux espèrent d’autres contreparties. Ils savent qu’en se plaçant sous le parrainage d’élus du Congrès, ils peuvent bénéficier d’avantages financiers appréciables.   Le premier est constitué de transferts financiers de l’Etat central vers les communes que peuvent imposer députés fédéraux et sénateurs. Chaque année, en adoptant le budget national, députés et sénateurs arrêtent des crédits destinés à doper les programmes d’investissement des communes dont ils parrainent les édiles municipales. Un appui qui se révèle décisif lorsque ces derniers cherchent à se faire réélire. Les élus municipaux ont donc tout intérêt à entretenir avec les parlementaires du Congrès une étroite relation de clientèle, relation qui s’entretient et se consolide très souvent au sein d’une même formation politique. Second avantage : l’accès à des fonds fédéraux destinés à soutenir les partis et à financer les campagnes électorales. L’enveloppe des fonds fédéraux auxquels maires et vereadores  ont accès pour faire vivre leur parti à l’échelle locale et pour mener des campagnes électorales dépend de la représentativité de ce parti au Congrès. Plus le parti détient de sièges, plus généreuse sera cette enveloppe.   Qu’ils cherchent à se faire réélire ou qu’ils se présentent pour la première fois, les can-didats aux scrutins municipaux sont en général très pragmatiques, prudents par rapport à telle ou telle idéologie. Ce pragmatisme traduit souvent la volonté de servir l’intérêt commun sans être prisonnier d’un catéchisme rigide. Il est aussi dans de nombreux cas la marque de personnalités carriéristes, mues par des ambitions personnelles et la défense d’intérêts particuliers. Quels que soient leurs profils et leurs objectifs, ces acteurs prag-matiques souhaitent pérenniser ou conquérir un mandat local. Ils sont alors fréquem-ment conduits à rejoindre les rangs les partis les plus "efficaces" au Congrès, ceux qui utilisent le clientélisme comme un levier de leur développement et détiennent un nombre conséquent de sièges au sein des deux chambres.   Le jeu d’échanges de services ou de faveurs entre élus locaux et représentation natio-nale domine le fonctionnement du système politique. Dès lors, les résultats du scrutin municipal constituent effectivement une photographie anticipée de ceux des élections législatives nationales qui ont lieu deux ans après. Les maires et vereadores qui viennent d’être élus en ce mois d’octobre 2024 seront les meilleurs agents électoraux des candidats qui souhaiteront conquérir ou conserver un siège au Congrès en 2026. Le jeu d’échanges de faveurs fonctionne au sein de toutes les formations politiques. Il est particulièrement efficace et conduit sans états d’âme ni scrupule au sein des partis dits du centrão [1] , des appareils qui n’affichent aucune idéologie trop rigide si ce n’est un prudent conservatisme. Des appareils dont les leaders possèdent une capacité innée à sentir d’où vient et viendra le vent, savent s’adapter et changer de cap opportunément. Le clientélisme est leur mode de fonctionnement, voire leur raison d’être. En intégrant les rangs de ces organisations, les élus municipaux maximisent leurs chances d’avoir accès à d’importants crédits budgétaires et de faire prendre en charge par l’Etat fédéral une part importante des frais de fonctionnement des appareils politiques locaux et les coûts de campagne.   Bolsonaro (à gauche) et Lula appuient des candidats aux postes de maires (octobre 2024). Les deux leaders savent que les résultats des municipales sont préfigurent la conjoncture politique de 2026. Précieux amendements budgétaires.   Chaque année, au Brésil comme ailleurs, les parlementaires du Congrès fédéral adop-tent une loi budgétaire. Les dépenses obligatoires [2] absorbent une part énorme du total des crédits inscrits dans le projet soumis au Congrès (92% pour 2024). Le débat parlementaire porte donc sur les dépenses dites discrétionnaires, celles qui devraient permettre à l’exécutif d’imprimer sa marque, de concrétiser ses priorités politiques. Dé-putés et sénateurs peuvent affecter une partie de ces dépenses discrétionnaires en for-mulant des amendements à la loi budgétaire. Ils manifestent ainsi leur souhait de destiner des crédits d’investissement aux projets des élus locaux (autorités des Etats fé-dérés et responsables d’exécutifs municipaux). Depuis le début de la précédente décen-nie, ces crédits budgétaires votés au titre d’amendements par les parlementaires du Congrès représentent une contribution financière de plus en plus importantes aux budgets des collectivités territoriales, en particulier les municipalités [3] .   Les amendements parlementaires représentent aussi une part croissante des dépenses discrétionnaires prévues dans la loi budgétaire (20,03% en 2024, contre 7,4% cinq ans plus tôt). Cette progression signifie que les députés et sénateurs ont conquis un pouvoir de décision croissant concernant l’affectation des moyens financiers dont dispose le niveau fédéral . En conséquence, le gouvernement fédéral a perdu le contrôle d’une part de plus en plus importante du budget. Le Congrès se comporte de plus en plus comme s’il était lui-même en charge de l’exécution de politiques publiques (compétence qui revient norma-lement exclusivement au gouvernement). Depuis le milieu de la décennie pas-sée, ces amendements parlementaires ont provoqué un conflit politique majeur entre le pouvoir exécutif et les institutions législatives fédérales. L’accroissement spectaculaire du montant des crédits votés au titre d’amendements parlementaires a changé l’équilibre entre les deux pouvoirs. Il a aussi modifié la logique de fonctionnement de l’activité par-lementaire et de la vie politique en général.   Il existe trois types d’amendements parlementaires au budget. Les premiers sont des amendements individuels, définis par chaque élu. A ce titre, selon la loi budgétaire de 2024, les 513 députés et 81 sénateurs peuvent assurer l’affection de crédits sur leurs circonscriptions dans la limite totale de 44,67 milliards de BRL (8,3 milliards d’USD). Selon la législation, 50% de ces fonds doivent être destinés au développement de services publics de santé (construction d’hôpitaux et dispensaires, équipements de services, etc). L’autre partie est affectée à des investissements divers. Lorsqu’il sollicite l’inscription dans la loi budgétaire d’un amendement individuel, le parlementaire doit normalement justifier et documenter la destination des fonds (références à des projets d’élus locaux, études de faisabilité, identification des opérateurs impliqués, etc..). Il fournit obligatoirement tous les éléments d’information garantissant une parfaite traçabilité des flux financiers destinés aux Etats fédérés et municipalités. Point essentiel : une fois que la loi de finances est votée, les crédits correspondant à ces amendements individuels doivent obliga-toirement être libérés au cours de l’année budgétaire par les ministères du gouver-nement fédéral compétents. Ces administrations doivent acheminer les fonds vers les bénéficiaires sélectionnés par les parlementaires qui seuls décident de l’affectation des crédits . En formulant un amendement individuel, le député ou le sénateur peut légiti-mement chercher à répondre à des besoins de sa circonscription, besoins que l’Administration fédérale distante des territoires n’appréhende pas facilement. Il cherche aussi souvent à "renvoyer l’ascenseur" à ceux des élus de base qui animent son parti à l’échelle locale, à entretenir un lien précieux avec tous ceux qui forment son réseau de soutien, influencent l’opinion régionale, animent la vie économique et sociale.   Faveurs des parrains du Congrès aux mairies amies.   Pour renforcer le soutien qu’ils apportent à leurs clientèles locales, les parlementaires du Congrès fédéral ont imposé en 2022 un nouveau type d’amendement individuel. A l’épo-que, fragilisé politiquement (crise du Covid, faible majorité parlementaire) le Président Bolsonaro cherche à éviter une procédure de destitution. Il est donc prêt à accepter toutes les demandes du Congrès. Il ratifie une législation qui autorise des amendements individuels particuliers qui permettent aux élus d’affecter des crédits aux collectivités locales sans avoir à indiquer l’objet du transfert et la destination de ces fonds, sans préciser comment ces ressources publiques seront dépensées . L’exécutif fédéral et les contribuables brésiliens sont ainsi privés de tout contrôle sur l’usage de l’argent public, utilisé par des leaders politiques locaux dans une opacité totale. Ce modèle de transfert, qui ne laisse aucune trace, est connu sous le nom d'amendement pix [4] , car les fonds passent d’un ministère au Trésor d’une commune sans que le parlementaire donneur d’ordre soit contraint d’indiquer comment ils seront dépensés. En 2020, ces amen-dements pix  représentaient un crédit total de 621,2 millions de BRL (120 millions USD). Depuis, l’enveloppe n’a cessé de progresser. Elle est de 8,152 milliards de BRL (1,5 milliard USD) pour 2024. Avec ce dispositif, l’amendement individuel est devenu le levier d’une logique purement politicienne et clientéliste . L’absence de traçabilité, de justification technique des programmes à financer permet au parlementaire auteur de l’amendement de contribuer au financement de projets et d’investissements locaux dont la rentabilité électorale est élevée (travaux ostentatoires et somptueux, acquisition d’équipements de travaux, construction de piscines ou de ponts,  installation de citernes, multiplication de crèches, etc) mais dont la nécessité n’est pas toujours justifiée. Autant d’initiatives qui ne font pas l’objet d’études de viabilité ou d’utilité publique sérieuses mais correspondent souvent aux seuls intérêts des élus locaux qui peuvent se servir de telles réalisations à des fins de propagande. La distribution de ces fonds obéit évidemment à une pure logique de consolidation des fiefs électoraux des parlementaires. Evolution de l'enveloppe totale des amendements parlementaires (milliards BRL). *Groupes d'élus représentants un Etat. Le graphique ne prend pas en compte les amendements du rapporteur de la Loi budgétaire, créés en 2020 et supprimés en 2023. L’auteur d’un amendement pix  ne cherche pas à répondre à des besoins réels de la po-pulation d’un territoire. Il favorise ses alliés et amis politiques locaux et les collectivités territoriales qui font partie de sa base électorale. Il ignore souvent les autres. Cette logique empêche la mise en œuvre de politiques publiques cohérentes à l’échelle d’un ensemble de communes. Elle creuse les inégalités entre les localités et les régions. Il y a les municipalités dont les maires n’ont pas de parrains politiques (ou pas de parrains "efficaces") au Congrès . Ces communes peuvent se retrouver sans ressources pour faire face à des investissements cruciaux : réserves en eau pour lutter contre la sécheresse, construction d’écoles, programme de logements sociaux, etc.. Il y a aussi les muni-cipalités dont les élus ont développé des liens solides avec des parlementaires qui savent entretenir leur base électorale et leurs clientèles régionales. Députés et sénateurs allouent très souvent les crédits d’amendements à des maires alliés, à des organisations ou associations privées proches de leur parti. En somme, ces parle-mentaires clientélistes interférent de plus en plus dans la vie politique au sein des Etats fédérés et dans le cadre municipal.   Outre des amendements individuels, les parlementaires peuvent aussi décider de l’affectation de crédits budgétaires par le biais d’amendements définis par des groupes d’élus représentant chacun un même Etat. En 2024, chacun de ces groupes peut ainsi formuler des amendements dans la limite de 317 millions de BRL (58,7 millions d’USD), le montant étant réparti entre les élus du groupe.  Au total, dans le budget de cette année, les amendements de groupes représentent un montant de 8,56 milliards de BRL (2,1 milliards d’USD). Ici encore, le gouvernement n’a pas le choix de libérer ou non les fonds concernés. Il doit transférer aux collectivités locales indiquées les crédits définis par les groupes de parlementaires . Il existe enfin une troisième catégorie d’amendements : ceux dits des commissions spécialisées (développement régional, sports, tourisme, etc..) que mettent sur pied à chaque mandature les parlementaires [5] . Les amendements de com-missions ne sont pas obligatoires. L’exécutif peut s’opposer ici à la libération de tout ou partie des crédits votés. Ainsi, en 2024, la somme totale définie par le Congrès de 16,5 milliards de BRL a été ramenée à 11,05 milliards après veto du Président Lula.   Les ressources budgétaires affectées par les parlementaires au titre des trois modalités d’amendements ont représenté sur les cinq derniers exercices des fonds de plus en plus conséquents. La majorité des municipalités sont confrontées à des difficultés financières croissantes. Elles dépendent des amendements adoptés au Congrès pour développer les services de santé ou d’éducation, réaliser des investissements justifiés ou non. Grâce aux amendements budgétaires, le parlementaire fédéral peut assurer dans sa circons-cription un financement de projets qui dépasse largement les capacités de la plupart des communes. En 2024, l’enveloppe moyenne que mobilise chaque député fédéral au titre des amendements individuels dépasse les ressources consacrées à l’investissement sur l’année antérieure dans 4502 municipalités, soit 84% du total. Le montant d’amen-dements individuels réservé à chaque sénateur était de 30,7 millions de BRL, soit un niveau supérieur à ce qu’ont pu investir en 2023 93% des communes. Cela signifie que le pouvoir réel des parlementaires par rapport aux maires est considérable. De l'élaboration et de l'éxécution d'amendements individuels dépend une large part des dépenses d’investissement (justifiées ou non) que les responsables de l’exécutif municipal pourront réaliser. En réalité, le pouvoir des parlementaires est encore plus grand si l’on considère les amendements de groupes régionaux et de commissions.   Devenus une source de financement essentielle pour les Etats fédérés et les munici-palités, les amendements des députés et sénateurs sont aussi et de plus en plus des leviers que les parlementaires utilisent pour accroître leur capital de popularité dans leurs circonscriptions, consolider leurs alliances avec des élus locaux et développer sur les territoires les réseaux du parti auquel ils sont affiliés. Même lorsqu’ils n’ont pas d’autre ambition que celle de gérer loyalement leurs communes, ces élus locaux ont tout intérêt d’être proches d’organisations politiques bien représentées au Congrès et obéissant sans scrupule à une logique clientéliste.   Ces organisations ont progressé en termes de sièges détenus dans les deux chambres depuis 2018 et encore plus depuis 2022. Les groupes parlementaires dits du centrão  sont les plus entraînés à ce jeu d’élaboration d’amendements dont les bénéficiaires locaux sont ciblés sur la base de critères de proxi-mité politique, de liens personnels ou familiaux. Ils forment aussi des bataillons d’élus fédéraux très fournis au sein du Congrès. Plus les parlementaires d’un même parti sont nombreux, plus élevé est le nombre d’amendements que ces élus peuvent imposer. Plus grande est leur capacité de soutenir et d’avantager leurs protégés à l’échelle locale. La multiplication d’investissements dans les communes tenues par des partenaires ne sert pas seulement les intérêts des députés et sénateurs (ou d’autres représentants du parti lorsque les sortants ne se représentent pas) lorsque ces parlementaires entrent en campagne. Elle sert aussi les élus municipaux qui entendent durer et peuvent donc lors des campagnes se présenter comme des bâtisseurs, des aménageurs, des bienfaiteurs de la population.   Financements des campagnes.   Les maires et élus municipaux ont tout intérêt à maintenir des liens solides avec les lea-ders des formations politiques nationales qui sont les mieux représentées au Congrès pour une autre raison. C’est sur la base de cette représentation qu’est largement déter-minée la capacité des différents partis à préparer tous les scrutins (locaux et nationaux), à soutenir des candidatures, à parrainer les sortants ou les postulants à des mandats. Partout, les campagnes électorales sont des entreprises de plus en plus coûteuses. Cela est encore plus vrai dans les pays de taille continentale comme le Brésil. Les candidats aux municipales maximisent leurs chances s’ils peuvent ajouter à une bonne con-naissance de la sociologie communale, aux contacts directs avec les formateurs d’opi-nion locaux une caisse de campagne bien remplie. Pour que cette caisse soit suffisam-ment approvisionnée, le mieux est d'avoir le soutien d'un parti bien représenté à la Chambre des députés et prêt à exploiter toutes les opportunités d'alliances locales. La législation autorise trois modes de financement des campagnes : les ressources pro-pres des candidats, les dons de personnes physiques et l’utilisation de fonds mis à la disposition des partis par l’Etat fédéral. Première ressource d’origine publique : les transferts du fonds de soutien aux partis politiques, créé il y a quarante ans après le retour à la démocratie. Les sommes allouées aux organisations peuvent servir à financer des campagnes électorales. Elles couvrent aussi une partie des frais de fonctionnement des structures bénéficiaires (charges salariales,  logement, transport, communication, etc) [6] . L’enveloppe du fonds est votée chaque année par le Congrès lors de l’adoption de la Loi budgétaire. Elle est constituée de trois types de ressources : dotation budgé-taire, amendes pour infractions à la législation électorale, dons de personnes physiques.. Chaque année, un quota équivalent à 5% du fonds total des partis est alloué à parts égales à tous les partis politiques dont les statuts ont été enregistrés auprès du Tribunal supérieur électoral (TSE). Les 95 % restants sont distribués aux partis au prorata des voix obtenues lors des dernières élections générales à la Chambre des députés. Les versements aux organisations bénéficiaires se font sur une base mensuelle [7] .   Sur l’année 2023, les ressources affectées au fonds représentaient une somme totale de 1,18 milliard de BRL, montant à répartir entre 17 organisations éligibles. Le Parti Libéral auquel appartient J. Bolsonaro a été le mieux doté. Le transfert (205, 868 millions de BRL) augmente de 73% par rapport à 2022 pour tenir compte des résultats atteints par le parti lors du scrutin législatif fédéral de la même année (16,62% des voix et 99 sièges). Le Parti des Travailleurs de Lula vient en seconde position (152,9 millions de BRL). La formation détient 69 sièges à la Chambre (12,09 % des voix en 2022). Outre ces deux organisations, les principales formations bénéficiaires du fonds sont des forces du centrão. Ensemble, le MDB , União Brasil , le PSD le Partido Progressistas  et Republicanos  ont reçu 42% des ressources du fonds. Ces partis détiennent 230 sièges à la Chambre et avaient reçu plus de 39% des votes valides en 2022. Répartition en 2024 des sièges à la Chambre des députés élue en 2022.   A ces transferts du fonds de soutien aux partis viennent s’ajouter des contributions publiques plus conséquentes sur les années d’élections. En 2015, La Cour suprême (STF) a interdit le financement des campagnes électorales et des partis politiques par des entreprises, pratique qui était au coeur de nombreux scandales de corruption qui touchaient la plupart des grandes firmes nationales. Deux ans plus tard, pour compenser les pertes de recettes subies par les partis, le législateur a créé un Fonds électoral. Les ressources du fonds sont définies lors de l’élaboration du budget fédéral et transférées au Tribunal Supérieur Electoral qui a la charge de les répartir entre les formations politiques avant la fin du mois de juin de l’année lorsque des élections ont lieu au second semestre.Le fonds électoral sert exclusivement à financer les campagnes électorales et n'est distribué que l'année de l'élection. Le fonds des partis, quant à lui, est destiné à faciliter le fonctionnement des partis politiques et est distribué mensuellement pour couvrir les dépenses courantes (factures d'électricité et d'eau, loyers, transport, salaires des employés). Les transferts du fonds vers les organisations politiques sont calculés selon trois critères. Un premier apport égal à 2% du Fonds est réparti également entre tous les partis déclarés et reconnus. Un second apport égal à 35% du fonds est versé aux partis qui ont au moins un député à la chambre fédérale. Il est calculé sur la base du pourcentage des votes obtenus lors de la dernière élection des parlementaires de la Chambre. Un troisième apport égal à 48% du fonds est réparti en fonction du nombre de sièges détenus par chaque parti à la Chambre. Enfin, un dernier apport égal à 15% du fonds est réparti en fonction des sièges détenus au Sénat [8] .   A l’approche des élections générales de 2018, 1,7 milliard de BRL a été distribué par le Fonds électoral aux partis pour financer leurs campagnes. Lors du scrutin municipal de 2020, le montant total s'élevait à 2,03 milliards de BRL. Il était de 4,9 milliards de BRL pour les élections générales de 2022, somme alors répartie entre les 32 partis en lice reconnus. Cette année, pour les élections municipales, le fonds disposait de 4,961 milliards de BRL, à répartir entre 29 organisations. Si l’on excepte la contribution minimale égale pour chaque parti, la répartition entre ces 29 formations dépendait principalement des résultats obtenus lors de la dernière élection des députés fédéraux de 2022 (pourcentage de voix et nombre de sièges). A l’issue de ce scrutin, le Parti Liberal auquel appartient Jaïr Bolsonaro avait obtenu 16,62% des votes valides et détenait alors 99 sièges de députés. En 2024, à la veille des municipales, il a reçu 879,8 millions R$ (161,4 millions US$) du fonds électoral. Avec un tel apport, le PL a été en mesure de présenter 1498 candidats aux postes de maires (26,9% des communes) et plus de 33 000 prétendants aux mandats de vereadores (7,6% du total des candidats).   Lors des législatives nationales de 2022, le Parti des Travailleurs de Lula arrivait en seconde position avec 12,09 % des voix et gagnait 69 sièges à la Chambre des députés. En 2024, pour les municipales, il a bénéficié de 12,5% du total des transferts opérés par le fonds électoral. L’organisation a pu ainsi présenter 1401 candidats aux postes de maires et 27 383 pour des mandats de membres d’assemblées municipales. Ces deux partis situés respectivement à droite et à gauche de l’échiquier politique ne sont pas nécessairement très attractifs pour des candidats qui ne souhaitent pas revendiquer une identité idéo-logique marquée. Ces candidats pragmatiques peuvent avoir des motivations respec-tables. Ils souhaitent par exemple avant tout défendre l’intérêt de leur commune et maximiser leurs chances d’élection ou de réélection. Ils peuvent aussi représenter un clan local prêt à se vendre aux "écuries" nationales les plus offrants qui pourront fournir les moyens d’une campagne efficace, soutenir un grand nombre de candidats sans s’encombrer de considérations idéologiques et de principes politiques bien définis. Ces partis existent. Les formations du centrão  ont engrangé des résultats très satisfaisants lors de l’élection législative de 2022. Les cinq partis les plus importants qui dominent ce secteur de la vie politique ont alors réuni 39,05 % des votes valides et conquis 230 sièges à la Chambre des députés fédérale. A la veille du scrutin municipal d’octobre dernier, ces 5 organisations ont capté ensemble 42,8% des ressources du fonds électoral (soit 2,123 milliards de BRL). Compte tenu des moyens dont ils disposaient, de la neutralité idéologique et de la souplesse programmatique affichées, ces cinq partis n’ont pas eu de difficulté à mobiliser 7557 postulants aux mandats de maires (48,5% du nombre total de candidatures à l’échelle nationale) et 168 580 candidats aux mandats de vereadores (39% du total national). Ces milliers de personnalités en campagne ont pu compter sur des soutiens financiers conséquents. Dotations du fonds électoral reçues par les principaux partis (millions de BRL).   Refus d’une polarisation politique très poussée, pragmatisme des acteurs politiques mu-nicipaux qui se rallient aux formations politiques nationales capable d’offrir les meilleurs retours sur investissement  (amendements budgétaires, financement de campagnes) : ces éléments rendent compte des résultats qui apparaissent à l’issue du scrutin mu-nicipal d’octobre. La droite progresse mais est divisée, la gauche est affaiblie et les grandes formations du centrão  sont les grands gagnants de la consultation.   A suivre : quels scénarios politiques après les élections générales de 2026 ?   [1]  Sur le centrão , voire notre post du 9 février 2021, le troisième d’une série intitulée Petite incursion dans la vieille politique, https://www.istoebresil.org/post/petite-incursion-dans-la-vieille-politique-3 [2]  Dépenses que l’Etat doit assumer en raison de dispositions constitutionnelles et  d’engagements juridiques pris (rémunération des fonctionnaires, retraites, autres prestations sociales, transferts aux collectivités territoriales, etc.. [3]  Lignes budgétaires inscrites dans la loi de finance fédérale à partir des requêtes formulées par des membres des deux chambres, ces amendements sont destinés à financer des projets d’in-vestissements et de travaux dans les circonscriptions des parlementaires qui choisissent l’affectation des crédits en concertation avec des élus locaux.  [4]  La rapidité du paiement leur a valu le surnom d'« amendement Pix » en référence à un système de paiement très rapide mis en place par la Banque Centrale en 2022. Le Congrès considère que la ressource est une sorte de "don" et qu'elle devient la propriété des États fédérés et des muni-cipalités lorsqu'elle est versée.. [5] Jusqu’à la fin de 2022 et depuis 2020, existaient aussi des amendements de rapporteur. Ces amendements conféraient au parlementaire rapporteur de la loi de finances annuelle le droit d'al-louer des ressources à d'autres membres du Congrès sans transparence quant à la responsabilité de l'argent et à sa destination, sans aucun critère de distribution ou d'allocation. Après de nom-breuses controverses, ces amendements ont été déclarés illégaux par la Cour suprême à la fin de l'année 2022. Dans le flux d'argent, il était très difficile de savoir quel politicien en avait bénéficié. De plus, ce type d'amendement laissait à une seule personne - le rapporteur général de la commission budgétaire conjointe du Congrès - le soin de décider quel politicien recevrait l'argent.   [6]  Pour bénéficier des contributions du fonds des partis, chaque formation politique déclarée doit respecter les conditions prévues par la législation (justifier de l’emploi des transferts reçus et fournir des comptes). Le non-respect de ces conditions entraîne la suspension de transferts sur l’année suivante. [7]   Seules les organisations qui ont atteint un pourcentage minimum de votes valides lors des der-nières élections ou conquis un minimum de sièges à la Chambre ont accès au fonds de soutien des partis (clause dite de barrière).  [8]  Pour avoir accès à ces fonds, chaque formation doit délibérer et décider de la répartition des res-sources du fonds entre ses candidats. Une fois conclue la campagne, les organisations doivent rendre des comptes au Tribunal Supérieur Electoral. [9]   Par rapport aux précédentes élections municipales de 2020, la hausse du montant est de +626 %.

  • Une élection qui annonce celle de 2026 (1).

    Le 6 octobre dernier, 155,9 millions d’électeurs brésiliens ont voté pour les élections mu-nicipales. Cette consultation se déroule toujours deux ans après et avant les élections générales, celles qui désignent le Président de la République, les parlementaires fé-déraux, les gouverneurs et les députés des Etats fédérés. En général, ce scrutin muni-cipal intéresse peu les médias étrangers. Ils ont tort. Comme ce fut le cas lors des consultations locales dans le passé, les "municipales" fournissent une photographie solide des rapports de force politique dans le pays. Elles permettent aussi d’anticiper avec une certaine fiabilité ce qui se passera à l’échelle nationale à l’issue des prochaines élections générales de 2026.   L’enjeu du scrutin municipal n’est pas mince. Il permet d’attribuer la grande majorité des postes électifs que peuvent occuper les représentants des forces politiques existantes. Les consultations nationales désignent 513 députés fédéraux, 27 gouverneurs et 988 dé-putés des Etats fédérés. Elles renouvellent aussi une partie des effectifs du Sénat fédéral (1/3 ou 2/3 des sièges, selon les scrutins). Les municipales sont une opération d’une toute autre dimension. Il s’agit pour les électeurs de choisir 5568 maires (et autant de maires adjoints) et près de 60 000 membres d’assemblées communales. Les mandats électifs les plus importants au niveau des Etats fédérés et de l’Etat central sont en fait la partie émergée d’un système de représentation qui dépend largement de l’échelon mu-nicipal. C’est au niveau communal que se recrutent les élus qui formeront l’élite politique nationale. C’est lors des scrutins municipaux que la classe politique se structure et prend forme. C’est lors de ces échéances que les différents partis et leurs leaders (ré)affirment leur force, leur poids sur l’échiquier politique et leurs orientations. L’élection municipale est en fait le plus large et le plus solide des tests de l’importance des différentes forces politiques en présence. Le siège de la mairie de Santos dans l'Etat de São Paulo. Ce scrutin n’est pas seulement local. La société est très polarisée depuis plusieurs an-nées et les préférences partisanes, les options idéologiques influencent aussi et de plus en plus les choix des électeurs, même dans les agglomérations les plus modestes. Le paysage politique qui apparaît à l’issue de ce scrutin municipal permet donc de projeter avec une marge d’erreur relativement limité ce que seront les résultats des élections générales (assemblées des députés des Etats, gouverneurs, parle-mentaires fédéraux, président de la République) qui viennent deux ans après. En d’autres termes, les résultats de la consultation du 6 octobre 2024 autorisent déjà l’observateur à se prononcer sur des sujets majeurs de la vie nationale. Lula a-t-il désormais des chances d’être réélu s’il est à nouveau candidat à la présidentielle de 2026 ? S’il sortait vainqueur de l’élection, quelle serait la composition du Congrès avec lequel il devrait gouverner ? On montrera ici pourquoi les municipales déterminent largement les conditions dans lesquelles se dérouleront les consultations nationales de 2026 et ce que sera le paysage politique à l'issue de ces dernières.   L’échelon municipal a toujours été important dans l’histoire du Brésil dès l’époque colo-niale (la couronne portugaise a très tôt autorisé des élections communales auxquelles participaient les représentants des élites régionales). Depuis l’indépendance, c’est à l’échelle d’une municipalité que l’écrasante majorité des élus font leurs premiers pas en politique. Les postes électifs municipaux sont les premiers que convoitent la plupart des personnalités qui envisagent ensuite une carrière parlementaire au niveau national. Certes, il existe des parlementaires qui commencent immédiatement leur parcours politique en assumant un mandat de député de l’Etat ou de la fédération. Néanmoins, c’est au niveau d’une commune ou d’un ensemble de communes où ils ont des attaches qu’ils trouvent et entretiennent leur base électorale. Dans un pays où les identités locales et régionales sont très marquées, les personnalités politiques les plus connues à l’échel-le du pays continent ont toujours eu et doivent encore avoir un ancrage local défini. L’ancien Président Getulio Vargas était un gaucho (natif du Rio Grande do Sul) de la commune de São Borja et a toujours été connu comme tel par la majorité de la popu-lation. Lula est né dans une petite commune de l’Etat du Pernambouc (Nord-Est), Garanhuns. F.H. Cardoso (Président de 1994 à 2002) était originaire de Rio de Janeiro. Les parlementaires du Congrès les plus en vue sont identifiés dans l’opinion par leur territoire d’origine et la commune où leur carrière a débuté. Sur cette nation de taille continentale, les personnalités politiques les plus populaires ne tombent pas du ciel. Elles doivent être nées quelque part.   Mécanique électorale.   Les maires des 5568 communes sont élus au scrutin majoritaire : les candidats qui reçoi-vent le plus grand nombre de votes valides emportent l’élection. Un second tour a lieu dans les communes de plus de 200 000 électeurs [1] lorsque le candidat ayant obtenu le plus de voix n'atteint pas la majorité absolue, c'est-à-dire la moitié plus une des voix valides (sans compter les votes nuls et blancs). Les deux candidats arrivés en tête au premier tour se retrouvent alors en compétition trois semaines après le premier tour (soit le 27 octobre pour cette consultation de 2024). Le candidat qui obtient la majorité simple l’emporte. Cette année, plus de 15 570 candidats présentés par 29 partis différents con-couraient pour un poste de maire (et autant pour le poste de maire-adjoint). Ces pré-tendants étaient soutenus par des alliances de partis (formées pour la campagne ou conclues pour la durée du mandat) ou par des partis isolés. La fédération constituée par le Parti de Lula (PT), le Parti Communiste du Brésil et le Parti Vert présentait ainsi 1557 candidats. D’autres formations de gauche proposaient 1683 postulants. Les organisations de droite appuyaient 5468 prétendants (35,1% des candidatures retenues) et les forma-tions du centre 6678 (42,9% du total). A noter un point essentiel : plus de la moitié des municipalités brésiliennes n'avaient pas de candidat de gauche à la mairie en 2024. La situation est plus marquée encore dans le groupe des municipalités de moins de 10 000 habitants, ce que l'on peut appeller le "Brésil profond". Sur les 2 466 villes brésiliennes de cette catégorie, 1 558 (soit 63 % du total) n'avaient pas de candidat à la mairie affilié à un parti de gauche.   Le maire est élu pour un mandat de quatre ans et travaille en partenariat avec une chambre municipale. Les membres de cette assemblée (les vereadores ) exercent au sein de la commune un véritable pouvoir législatif. Ils élaborent des lois municipales que le maire devra ensuite appliquer. Ils contrôlent l’action du chef de l’exécutif local et sont responsables de la gestion budgétaire de la commune. Le nombre des membres de l’assemblée municipale varie en fonction du nombre d’habitants de la commune admi-nistrée (de 9 au minimum dans les petites agglomérations à 55 au maximum dans des mégapoles comme São Paulo). Ces vereadores sont élus pour un mandat de quatre ans selon un scrutin proportionnel. Les sièges obtenus au sein de l’assemblée à l’issue de l’élection sont attribués aux partis en lice et pas aux candidats selon des règles précises. On définit d’abord quels sont les partis qui ont obtenu les pourcentages de voix les plus importants. On prend ensuite en compte les nombres des voix obtenus par chaque candidat dans chacun de ces partis. Pour réaliser ces calculs, les deux indicateurs rete-nus sont le quotient électoral et le quotient de parti. Le premier est le rapport du nombre total de suffrages valides à la quantité de sièges disponibles. Dans une commune où il faut désigner un maximum de 20 vereadores et où on a compté 500 000 suffrages va-lides, le quotient électoral est de 25 000.  Le quotient du parti est déterminé en divisant le nombre de votes valides obtenus par un parti ou une alliance de partis par le quotient électoral. On obtient alors le nombre de sièges qui reviennent au parti. Pour reprendre l’exemple, un parti qui a obtenu 100 000 votes valides aura un quota de 4 sièges (100 000 divisé par 25 000) [2] . En octobre dernier, un peu plus de 431 900 personnalités se sont présentées à cette élection législative locale. Les formations de gauche appuyaient 89427 candidats (20,7% du total), les partis de droite 158 832 (36,8%) et les organisations du centre 183 723 (42,5% du total).   Réunion pleinière des vereadores de la chambre municipale de Rio de Janeiro. Une élection commande l’autre.   Ce scrutin a évidemment d’abord une portée locale. Le premier magistrat de la ville et les élus de l’assemblée qui participent à la gestion municipale sont choisis en fonction des réponses qu’ils apportent ou prétendent apporter à la vie quotidienne des admi-nistrés. En tant que chef de l'exécutif local, le maire a des compétences relativement importantes. L’administration municipale lève et perçoit plusieurs impôts : sur les services et les biens immobiliers par exemple. Elle assure évidemment l’entretien et l’illumination de la voirie, les travaux d’infrastructures urbaines et rurales votés, la sécurité dans les lieux publics (police municipale), la vie culturelle. Aspect essentiel : c’est au niveau municipal et dans le cadre de partenariats entre la commune et les échelons supérieurs que sont mises en œuvre et gérées des politiques décidées et programmées par le gouvernement fédéral et les gouverneurs de l’Etat fédéré. C’est le cas de politiques fédé-rales comme celles du logement, de la santé (la mairie administre et anime le réseau de dispensaires où sont fournis les services de santé de base gratuits, elle peut gérer des hôpitaux), de l’éducation (la municipalité a la charge des locaus et de la gestion des écoles primaires), ou de l’environnement (certaines missions reviennent à la municipalité). C’est encore et surtout l’administration municipale qui gère la distribution des allocations sociales fédérales dont bénéficient souvent une part importante de la population défavorisée. Ainsi, les cartes à puce qui permettent aux bénéficiaires du programme bolsa familia (revenu minimum garanti) d'effectuer des retraits et des paiements sont gérées et distribuées par les secrétariats municipaux à l'assistance sociale. Pour fournir tous ces services, la commune reçoit évidemment des transferts du gouvernement fédéral et de l’Etat fédéré (transferts qui constituent une autre recette importante après les impôts locaux). Néanmoins, pour le citoyen moyen, c’est bien l’administration muni-cipale qui est responsable de la qualité de ces services, des conditions dans lesquelles ils sont fournis, des moyens mis en œuvre. Pour la majorité des électeurs, c’est le gouvernement municipal qui peut ou non améliorer les conditions de vie quotidienne. C’est d’abord le maire et la politique qu’il conduit qui sont jugés par les habitants d’une commune. L’évaluation par la population de la qualité de la gestion municipale est déterminante dans l’appréciation de la politique conduite à d’autres niveaux de la vie publique.   C’est là une des raisons pour lesquelles le choix d’un maire (ou la réélection d’un sortant) et des membres de l’assemblée municipale contribue indirectement à la dynamique et aux résultats des autres consultations qui viendront deux ans plus tard. Lorsqu’une for-mation politique a emporté un grand nombre de mairies et élu des bataillons consé-quents de membres d’assemblées municipales, elle a de fortes chances de faire élire ses représentants aux niveaux supérieurs de représentation et d’exercice du pouvoir. Au-delà de la popularité et de la crédibilité d’un exécutif municipal, comment expliquer un tel phénomène ? Considérons ici l’influence de l’élection municipale sur l’élection des parlementaires du Congrès fédéral. Dans le système électoral brésilien, les députés et sénateurs fédéraux sont choisis par les électeurs de l’Etat fédéré dans lequel ils sont candidats. Le pays est de taille continentale. La circonscription législative a ici souvent la dimension d’un grand pays européen. Ainsi, dans l’Etat du Minas Gerais (586 528 km2), ce sont 16,47 millions d’électeurs inscrits qui désigneront en 2026 les 53 élus qui les repré-senteront à la Chambre des députés fédérale. Compte tenu des paramètres géogra-phiques, de la distance existante entre les formations politiques et la grande majorité des électeurs, la personnalité qui envisage de se porter candidat pour la première fois à la députation est en général totalement inconnue de la majorité des électeurs dont elle va convoiter les suffrages. Le député qui cherche à se faire réélire a souvent été éloigné de son Etat d’origine, notamment s’il est très engagé dans la vie politique nationale à Brasilia et au sein de la Chambre où les travaux des élus ne se résument pas aux débats en plénière.   Dans les deux cas, ces postulants ont besoin de l’appui très engagé et permanent de responsables politiques locaux qui seront des intermédiaires obligés entre eux et le corps électoral. Ils ne peuvent pas envisager de campagne sans avoir à leur côtés les animateurs de réseaux solidement implantés au sein des territoires, des animateurs ayant créé une relation de proximité avec toutes les composantes de la population. Le maire, le maire-adjoint, les membres d’assemblées municipales sont les acteurs les mieux placés pour former ces réseaux et les développer. Ils entretiennent souvent dans les petites communes des relations personnelles directes, sinon avec la plupart des habitants, au moins avec les corps intermédiaires que sont les organisations profes-sionnelles, les syndicats, les associations, les représentants de quartiers, etc..   Affiches présentant des candidats au poste de maire : des annonces très personnalisées. L’élection des édiles municipales et des vereadores est donc une étape essentielle et cruciale dans la constitution de ce qui sera la base électorale de candidats à des mandats par nature distants des territoires. Grâce au soutien constant de ces élus lo-caux, le candidat lointain acquiert ou conserve la dimension d’un personnage concret. Il s’insère dans le paysage politique local. Il devient recommandable parce qu’il est re-commandé par des leaders politiques que l’on connaît, que l’on peut voir à l’œuvre tous les jours. Le constat vaut dans n’importe quel contexte géographique. Il acquiert ici une dimension cruciale. A l’échelle d’un pays où les distances sont considérables, où la diversité des populations est énorme, où les relations sociales sont largement déterminées par les affinités affectives (parfois plus que les affinités politico-idéologiques), les liens créés avec les élus locaux sont décisifs. Les campagnes mobili-sent désormais la communication sur les réseaux sociaux, sur les médias classiques, la publicité et le marketing. Tout cela est indispensable. La relation de proximité cependant reste pourtant un atout essentiel. Plus un parti peut compter sur un maillage dense de maires et d’élus d’assemblées municipales, plus grande sont ses chances de faire élire des députés fédéraux, des sénateurs, des gouverneurs, des membres d’assemblées d’Etats. A l’heure de faire campagne, ces relais municipaux sont des acteurs essentiels. Ce sont eux qui vont mobiliser les militants de base et recruter des agents électoraux rémunérés [3] . Ce sont eux qui vont transformer une compétition entre postulants souvent anonymes en choix quasi-affectif de personnalités aimables et recomman-dables. Un candidat à la députation fédérale qui a bénéficié de nombreux messages sur les plateformes numériques ou d’autres supports publicitaires peut se promener dans les rues des communes où ils sollicitent les suffrages des électeurs, il peut serrer des milliers de mains, distribuer des prospectus. Il n’aura jamais l’efficacité du concurrent qui participent à des réunions organisées et parrainées par des élus locaux.   Pour toutes ces raisons, le scrutin municipal n’est pas seulement une consultation locale. C’est une étape essentielle dans la consolidation ou la mutation des rapports de force politiques nationaux. Intervient ici une question essentielle. Pourquoi les élus municipaux sont-ils conduits à jouer ce rôle de relais local indispensable dans les élections natio-nales et les scrutins destinés à élire le gouverneur et les députés de l’Etat ? Pourquoi acceptent-ils avec enthousiasme de consacrer l’essentiel de leur temps pendant plusieurs semaines à concevoir et animer la campagne de candidats à des mandats de parlementaires au Congrès, de gouverneurs ou de députés de leurs Etats ? Interviennent bien sûr les affinités idéologiques, la solidarité entre leaders d’un même parti ou d’une alliance de formations. Notons d'ailleurs que la solidarité en question ne repose pas toujours sur une communauté de vision politique. Fréquemment les liens personnels (voire familiaux) comptent plus que les sympathies idéologiques. L’essentiel ici est que les élus fédéraux et ceux qui gèrent l’Etat fédéré soient de bons partenaires pour les édiles municipales et les membres de l’assemblée . Qu’attendent précisément les res-ponsables politiques d’une commune de ceux dont ils organisent les campagnes, de ceux pour qui ils entretiennent une base électorale, un réseau de connaissances et d’alliances décisif à l’heure des campagnes pour les élections générales ?   Considérons ici le cas des candidats à la députation fédérale ou des parlementaires du Congrès qui souhaitent postuler pour un nouveau mandat à Brasilia. Que peuvent-ils ap-porter aux élus municipaux en contrepartie des multiples et précieux services que ces derniers leur rendent. Ces élus sont avant tout des gestionnaires de ressources finan-cières. La majorité des dépenses que doit engager un maire est formé de que l’on appel-le des dépenses obligatoires : paiement des salaires et des retraites des fonctionnaires municipaux, entretien des bâtiments publics et de la voirie, frais de fonctionnement des services administratifs. Dans la très grande majorité des 5568 communes du pays – no-tamment sur les grands pôles urbains -, ces dépenses obligatoires progressent année après année plus rapidement que les recettes, induisant au mieux un affaiblissement de la capacité d’investissement des municipalités, au pire des déficits. A l’heure où le maire en place cherche à se faire réélire, la bonne gestion du budget et des dépenses obligatoires n’est pas un argument de campagne très efficace. Pour défendre sa gestion, consolider ou conquérir les votes des administrés, le premier magistrat vante ses prouesses de bâtisseur, de transformateur du cadre de vie, de "fournisseur de bien-être" pour la population. Il souligne qu’il a multiplié la construction de crèches et dispensaires, qu’il a installé de nouveaux systèmes d’éclairage de rues, bâti un stade ou construit une piscine, accru et modernisé les moyens de la police municipale, ouvert de nouveaux axes de circulation, amélioré l’état de la voirie, multiplié les réservoirs d’eau (élément essentiel dans les régions de grande sécheresse). Pour engager de tels chantiers au cours de son mandat, le maire de n’importe quelle commune a toujours été dépendant de crédits fixés par les élus fédéraux au Congrès. Lors de la discussion et de l’élaboration de la loi budgétaire au niveau fédéral, députés et sénateurs votent en effet des amen-dements qui fixent le montant des fonds qui seront acheminés vers leurs régions d’origine. Il y a des amendements définis et sollicités par un parlementaire isolé. Une seconde catégorie est définie par le groupe politique auquel le parlementaire en question est rattaché à la Chambre et au Sénat. Il y a encore des amendements définis par le regroupement que forment les parlementaires d’un même Etat fédéré. Les trois modalités se cumulent. Pendant la campagne, les investissements réalisés comptent. A droite, un maire remercie son partenaire député fédéral qui a permis d'équiper la commune d'une pelleteuse. Les critères de destination et d’attribution de ces crédits dépend des bonnes relations que les élus municipaux entretiennent avec les parlementaires nationaux. Depuis une bonne décennie, les parlementaires ont conquis plus d’autonomie par rapport à l’exécutif. Le Congrès a renforcé ses prérogatives budgétaires. Les parlementaires ont pu accroître considérablement les enveloppes destinées aux amendements. Surtout, ils ont imposé au gouvernement fédéral une obligation d’exécution des crédits concernés. Députés et sénateurs sont ainsi devenus les partenaires indispensables que doivent s’allier les élus municipaux. Les maires qui perdent les faveurs de députés et de sénateurs fédéraux ne pourront pas dire qu’ils ont accompli des miracles pendant leurs mandats. Pas de citerne pour faire face à la sécheresse, pas de nouvelle école, pas de poste de santé supplémentaire…Les candidats qui postulent pour la première fois à des postes d’élus municipaux doivent montrer qu’ils entretiennent de très bonnes relations avec les parle-mentaires qui siègent à Brasilia….et que leurs demandes de crédits seront promptement satisfaites.   Un second post de cette série sera consacré à ce dispositif d’amendements parle-mentaires dont dépend de plus en plus le sort des élus municipaux et le démarrage de la carrière des nouveaux postulants. On montrera aussi que le financement des campagnes municipales d’un maire et des vereadores d’un même parti est très lié à l’importance que ce parti a au sein du Congrès. Un troisième et dernier post conduira à présenter le scénario politique le plus probable pour 2026 à partir des résultats de ce scrutin municipal d’octobre 2024. Le paysage politique de la fin du troisième mandat présidentiel de Lula est déjà défini. Il n'est pas vraiment favorable au chef de l'Etat.... A suivre : Des élus municipaux dépendantes du Congrès.     [1]  Dans les communes comptant moins de 200 000 électeurs, c’est le candidat ayant obtenu la ma-jorité simple au premier tour qui l’emporte.   [2]  C’est le parti qui attribue ensuite ces sièges à ses candidats. Seul le candidat au poste de verea-dor  qui a obtenu au moins 10 % du quota électoral peut être élu. Dans l’exemple choisi, 2 500 voix.  [3]  La législation permet aux candidats de recruter et de rémunérer des salariés temporaires em-ployés comme agents de propagande électorale. Le nombre des recrutements autorisé dépend du nombre d’électeurs inscrits dans la commune. En octobre 2024, un candidat au poste de maire dans une commune de plus de 500 000 électeurs pouvait recruter jusqu’à 801 agents rémunérés. Le can-didat à un mandat de vereador  peut embaucher 401 propagandistes temporaires.

  • Lula et le piège vénézuélien (3).

    Face au dictateur, Lula impuissant.     Dès la campagne présidentielle de 2022, Lula avait indiqué que, s’il était élu, une de ses priorités serait d’assurer le grand retour du Brésil sur la scène diplomatique mondiale. L’ancien Président Bolsonaro avait réussi à faire du pays un véritable paria international, allant même jusqu’à froisser ses principaux partenaires commerciaux. Pendant la pre-mière année de son troisième mandat, multipliant voyages à l’étranger et déclarations pompeuses, Lula s’est érigé en médiateur de conflits pourtant géographiquement très éloignés du Brésil. Ses proches et sympathisants ont alors cru que le vieux leader de la gauche allait pouvoir concrétiser le rêve qu’il caresse depuis près de vingt ans : se voir décerner le prix Nobel de la paix. Selon l’entourage de Lula, celui-ci allait même devenir le "Nelson Mandela du Brésil". Comparaison déplacée :  incarcéré pendant plusieurs mois entre 2018 et 2019, Lula n’a pas été un prisonnier politique, quoiqu’en disent ses admi-rateurs. Depuis le début de 2023, ses initiatives à l’international n’ont pas été vraiment convaincantes. Ses deux tentatives de médiation de conflits ont piteusement échoué : la guerre en Ukraine d’abord, celle entre Israël et le Hamas ensuite. Dans les deux cas, des prises de position pour le moins équivoques, des dérapages verbaux calamiteux ont érodé l’image du Président et distendu les relations du pays avec de nombreux gouver-nements de la planète. Récemment, en refusant de condamner clairement et fermement la fraude électorale organisée au Venezuela par le régime chaviste, Lula a montré qu’il restait attaché à de vieilles solidarités partisantes. Il a surtout révélé que ses marges de manœuvre à l’international étaient devenues quasiment insignifiantes.   Maduro a été déclaré vainqueur du scrutin du 28 juillet par Conseil National Electoral (CNE) que son régime contrôle. Cette "réélection" a été officialisée fin août par la Cour Suprême du pays, également aux ordres du pouvoir. En réalité, les opérations de dépouillement ont été manipulées. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les procès-verbaux des résultats n’ont pas été publiés et ne le seront sans doute jamais. Des orga-nisations internationales crédibles ont confirmé la victoire d'Edmundo González, le candidat de l'opposition.  Après la fraude électorale, Maduro a eu recours à la répression, brutale, massive et sanglante. Contesté dans les urnes, dénoncé par la rue, le dictateur n’a pas hésité à employer la méthode forte. En plus des forces de l’ordre officielles, il a mobilisé les colectivos , ces groupes paramilitaires bolivariens et s’appuie sur le renfort de policiers venus de Cuba pour affronter les manifestants. Bilan à la mi-août : près de 30 morts, 200 blessés et 1400 arrestations, dont des mineurs et des handicapés, promis aux camps de rééducation idéologique et à la prison.   Dans un tel contexte, l’attitude normale d’un démocrate qui prétend assumer un rôle de leader régional serait de dénoncer les atrocités commises par le pouvoir dans un pays voisin. Tel n’a pas été le choix de Lula. Le Président brésilien est aujourd’hui un des rares dirigeants d’Amérique du Sud à ne pas avoir condamné le régime chaviste, à ne pas parler d’élection truquée (alors que les preuves se multiplient). Les partisans de Lula Président veulent faire croire que ce silence prudent traduit un prétendu pragmatisme politique. En ne prenant pas parti, Lula adopterait la posture d’un véritable médiateur de la crise, exécuterait une manœuvre tactique sophistiquée. Balivernes. En réalité, le dit médiateur est terriblement embarrassé. Le Président ne peut plus afficher comme hier ses liens avec le chavisme sans fragiliser sa trajectoire politique future. Il ne peut pas en même temps se dissocier du camp formé par les grands pays autoritaires qui parrainent Maduro, le soutiennent et profitent de son régime. Lula est le Président élu d’une démo-cratie où la majorité des électeurs n’ont aucune passion pour la révolution bolivarienne et ne voudraient surtout pas qu’elle inspire leurs dirigeants. Il est aussi le dirigeant d’un pays qui n’a pas cessé depuis vingt ans d’intensifier ses relations économiques avec la Chine. Le Brésil a accepté avec un enthousiasme ingénu l’étreinte de la République populaire qui se révèle aujourd’hui étouffante. Difficile de continuer à plaire au partenaire chinois si l’on dénonce clairement et fermement le comportement de son premier pro-tégé sud-américain.  Calculs illusoires.   Lorsque Lula rétablit des relations avec le régime chaviste et son chef en 2023, il sait que Maduro et ses partisans vont affronter une échéance électorale importante en 2024. Brasilia est convaincu que si le scrutin apparaît comme régulier et loyal, le Venezuela pourra réintégrer le Mercosur et redevenir un participant acceptable de la dynamique d’intégration régionale que prétend relancer Lula. Ce dernier et son entourage croient Maduro lorsque ce dernier affirme qu’il l’emportera facilement. Tout ce monde est per-suadé que ce qui s’est passé au cours de scrutins antérieurs va se répéter. Grâce au contrôle total du processus de préparation de l’élection (choix des candidats, inégalité de traitement par les médias officiels), à la censure généralisée, à la violence politique contre l’opposition et au vaste réseau d’influence que le parti chaviste est supposé avoir encore au sein des couches populaires, Maduro n’aura aucun mal à répéter la même mascarade qu’en 2013 et en 2018. Il ne sera donc pas nécessaire d’intervenir au moment des opérations de dépouillement, de cacher les résultats obtenus et d’en inventer d’au-tres de toute pièce. Les apparences seront sauves. L’opposition fera du bruit pendant quelque temps puis tout se calmera. Aux yeux des diplomates des pays voisins qui voient la réalité vénézuelienne depuis les balcons de leurs ambassades, Maduro apparaîtra comme un  Président "propre" et fréquentable à défaut d’être estimé et estimable. Maduro accueilli à Brasilia en mai 2023. Lula et une large part de la gauche brésilienne croyaient à ce scénario parce qu’il cor-respond à un souhait profond et à leur représentation du monde. Pour ce secteur de l'opinion brésilienne, le scrutin que Maduro préparait dès 2023 s’inscrit dans une nouvelle géopolitique globale qui verrait s’affronter le camp du bien et les forces du mal, les partisans d’un nouvel ordre international (la Chine, la Russie, l’Inde mais aussi le Brésil de Lula et les autres Brics) et le monde occidental hier hégémonique. Au Venezuela, les forces du mal ne devaient pas l’emporter mais il fallait que le représentant du camp du bien respecte un minimum de règles pour ne pas mettre ses partenaires régionaux dans l’embarras. L’hypothèse d’un échec de Maduro était difficilement pensable. Il signifierait une victoire de l’impérialisme occidental. Le régime devait l’emporter en utilisant ses atouts habituels mais sans adopter des méthodes de gangster. La nouvelle victoire attendue signifierait une nouvelle défaite des Etats-Unis dans la région et le triomphe des pays antagonistes (la Chine, la Russie et le reste du Sud).   Ce prisme idéologique a conduit Lula et ses proches à multiplier les erreurs dans l’éva-luation de la complexité de la crise politique vénézuélienne. Premier faux pas : le vote de confiance accordé à l'avance par le gouvernement brésilien à Caracas. D’où le traitement de faveur réservé à Maduro lors de sa première visite à Lula en mai 2023. L’exécutif brésilien a cru qu’en déroulant le tapis rouge au dictateur il disposerait d’un atout pour influencer le cours des évènements politiques ultérieurs dans le pays voisin. La seconde erreur aura été de croire au discours de Maduro lui-même, un autocrate qui n’a pas cessé de se présenter comme la victime de forces étrangères diaboliques. Dès lors, convaincu ou attendri, le compère brésilien n’a exigé dès le début de ces retrouvailles ni enga-gements fermes, ni contreparties. Pourtant, au fil des mois, il est devenu clair que Maduro ne quitterait le pouvoir sous aucun prétexte. Sa stratégie pour falsifier l’élection n’a pas commencé le jour du scrutin mais bien en amont, lorsque le pouvoir chaviste a com-mencé à arrêter les opposants au régime, à interdire des candidatures, à limiter les mar-ges de manœuvre de ses adversaires pendant la campagne, à intimider les électeurs…Une autre grave erreur aura été de cautionner les accords de La Barbade comme si ce compromis allait représenter un obstacle effectif aux menées autoritaires les plus grossières de Maduro. Comme si le dictateur dépendait du Brésil au point de devoir prendre en compte les désidératas de Brasilia. En réalité, le régime chaviste dépend de la Chine, de la Russie et de Cuba. Il a su ces derniers mois habilement manipuler Brasilia et convaincre les conseillers de Lula qu’il aurait la capacité de remporter les élections de manière "appropriée", sans avoir à adopter des méthodes de gangster….   Une cleptocratie impopulaire.   La gauche brésilienne et son leader ignorent ou sous-estiment depuis des années les conséquences sociales de la pérennisation au pouvoir de la cleptocratie chaviste. La poule aux œufs d’or du régime a été pendant plusieurs années l’industrie pétrolière. Evolution défavorable des cours mondiaux, gestion clientéliste à outrance de la com-pagnie nationale, chute conséquente de la production : la rente pétrolière a fondu. Il a fallu développer de nouvelles activités pour assurer la prospérité d’une élite soutien du régime. Caracas a dû flexibiliser le contrôle de l’économie et autoriser une dollarisation de fait. Ces mesures ont fourni de l’oxygène, principalement au commerce extérieur et aux activités illégales très développées (contrebande, exploitation minière illicite, trafic de drogues). Cette évolution a profité essentiellement à une bourgeoisie bolivarienne formée par l’appareil du Parti chaviste, l’élite militaire et l’ensemble des haut-fonction-naires placés par le régime à la tête de toutes les institutions nationales, de la Cour Suprême aux gouvernements des 23 Etats fédérés. Maduro et quelques uns de ses nombreux officiers supérieurs. La caste des officiers supérieurs de l’armée est une composante essentielle de cette néo-bourgeoisie. Endoctrinés, les 2500 généraux que compte le pays (un nombre re-cord au plan international) font tout. Ils sont ministres, responsables d’administrations et de compagnies publiques, en charges de collectivités territoriales [1] . Ils ont aussi été placés à la tête d'importants secteurs économiques, ce qui offre des possibilités consi-dérables de pots-de-vin et de corruption. Ils ont également été autorisés à jouer un rôle central dans le trafic de drogues, ainsi que dans l'exploitation minière illégale, l'extorsion et d'autres opérations criminelles. Ces possibilités d'enrichissement illicite ont été facilitées en confiant aux militaires la responsabilité d'industries et de zones géographiques.   Dans les rangs des fidèles avantagés par ce système cleptocratique, il faut aussi compter l’ensemble des collaborateurs et exécutants de la politique de sécurité du régime. A cet univers des chavistes convaincus et intéressés, le régime a su garantir une certaine prospérité. Les forces spéciales de la police vénézuélienne, créées en 2017, jouent un rôle central dans le maintien de Maduro au pouvoir en terrorisant ceux qui menacent le régime. Elles sont complétées par le Servicio Bolivariano de Inteligencia Nacional , l'organisation de renseignement du chavisme. Au sein du groupe des  exécutants du régime, il faut mentionner encore le contre-espionnage militaire, bastion de l'influence cubaine au sein du gouvernement, qui joue également un rôle important. Le régime compte enfin sur la Garde Nationale Bolivarienne (une force chargée de la surveillance des frontières et très impliquée dans le commerce de contrebande) [2]  et sur des grou-pes de militants chavistes armés (les colectivos ). Il s’appuie encore sur les dissidents  de guérillas colombiens (FARC, ELN) que le pouvoir chaviste a accueilli sur le territoire véné-zuélien.   File d'attente devant un supermarché au coeur d'un quartier pauvre de Caracas (mars 2024). Pendant que toute cette caste de privilégiés du régime prospérait, près de 52% des Vénézuéliens vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2023. Une majorité encore plus importante d’habitants est confrontée à l’érosion des revenus, à de multiples pénu-ries, à la dégradation de l’ensemble des services publics. Les inégalités sont criantes au pays du "socialisme bolivarien". Le revenu per capita moyen des 10% les plus riches est 35 fois supérieur au revenu moyen des plus pauvres. La cleptocratie favorise l’élargis-sement des inégalités. C’est ce contexte social, marqué par l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie prédatrice qui a provoqué un net décrochage des couches les plus pauvres par rapport au chavisme. En juillet dernier, au vote de rejet du régime habituel au sein de la  bourgeoisie traditionnelle et des classes moyennes s’est ajouté un vote populaire. Les populations des périphéries urbaines confrontées à la fois à la misère et à l’arbitraire des milices organisées par le régime ont basculé. Elles ont choisi l’opposition parvenue à s’unir et à capter la désespérance de la majorité des Vénézuéliens.   Complaisance et cécité de Lula.   Au Brésil, dans l’entourage de Lula, avant et après le retour au pouvoir, on n’a pas pris la mesure de ces changements. La surprise est donc grande le 28 juillet au soir et les jours d’après. Suivent alors plusieurs semaines de déclarations alternant cynisme, incohérence et irréalisme total. Dès la fin du scrutin, alors que l’opposition revendique la victoire, Lula déclare que rien de "grave" ou "d'anormal" ne s'est produit lors de l'élection. Plus tard, il indiquera qu’il attend la publication des procès-verbaux des bureaux de votes pour se prononcer. Pendant ce temps, le régime chaviste intensifie sa politique de répression. En août, lorsque l'ONU conclut dans un rapport que le Venezuela n’a pas rempli les exigen-ces de base en matière de "transparence et d'intégrité", le président de l'Assemblée vénézuélienne, Jorge Rodríguez, du même parti que Maduro, qualifie le document d’ordurier et menace d'interdire la présence d'observateurs étrangers lors des futures élections.   Un peu plus tard, Lula suggère à Caracas de tenir de nouvelles élections ou bien de constituer un gouvernement de coalition. Ces propositions fantaisistes sont évidemment rejetées par le dictateur et par l’opposition. Cette dernière se sent offensée, elle qui a démocratiquement remporté les élections malgré tous les obstacles et les manipu-lations créées par le chavisme. Comme le fera remarquer le site Internet d'humour vénézuélien, El Chigüire Bipolar , "le Brésil propose de répéter les élections jusqu'à ce que Maduro gagne". Soufflée à l’oreille de Lula par son conseiller spécial Celso Amorim, cette proposition est d’un cynisme absolu. Des opposants vénézuéliens ont d’ailleurs posé la question : Lula aurait-il accepté de participer à une nouvelle élection ou à un "gouverne-ment de coalition" avec Jair Bolsonaro si ce dernier avait truqué l'élection de 2022 et était resté à la présidence en s’appuyant sur la force [3] .   A l’approche du 15 août, en visite dans le Rio Grande do Sul, cherchant à prendre quel-ques distances avec le pouvoir de Caracas sans s’attirer les foudres de Maduro, Lula se lance dans des appréciations surprenantes sur le régime chaviste. Pour le Président bré-silien, le gouvernement de Maduro "n'est pas une dictature", mais "un régime très désagréable". Autant de considérations choquantes pour les 7,7 millions de Vénézuéliens qui ont dû fuir leur pays (dont 580 000 vivent au Brésil), pour les milliers de prisonniers politiques, les opposants torturés, les journalistes persécutés, les responsables d’Ongs menacés…Les propos décousus, les phrases incohérentes ou provocantes sont exprimés par un Président brésilien qui sait pertinemment qu’il n’a plus guère de marges de ma-nœuvre dans la crise vénézuélienne. S’il n’avait à tenir compte que de l’opinion publique au Brésil, il romprait clairement avec la dictature chaviste. Dans le contexte géopolitique et économique qui est celui de son pays aujourd’hui, il doit faire comme s’il n’avait rien vu de ce qui se passe vraiment au Venezuela.   L’étreinte étouffante de la Chine.   Les cercles diplomatiques brésiliens cultivent encore un mythe selon lequel le Brésil serait le leader naturel en Amérique du Sud et aurait donc vocation à gérer des processus de pacification sur la région, voire à intervenir dans la vie politique intérieure de pays voisins. Lula sait aujourd’hui que la réalité est différente. La Chine et d’autres pays autoritaires exercent une influence économique et politique croissante sur le sous-continent [4] . C’est le cas au Venezuela où la dictature chaviste perdure parce que le régime est totalement soumis aux intérêts de la Chine et de la Russie. De ce fait, les tensions globales entre les grandes démocraties (Etats-Unis en premier lieu) et l’axe des pays autoritaires conditionnent désormais la dynamique des relations entre les pays d’Amérique du Sud et ont même un impact croissant sur la politique intérieure de chacun de ces Etats. Le Brésil aurait sans doute pu encore jouer un rôle de pacificateur au Venezuela s’il était demeuré une nation équidistante, refusant à la fois de s’aligner sur les pays de l’axe autoritaire et d’être l’allié passif et soumis du monde occidental. Ce n’est plus le cas.   Les choix économiques faits  par plusieurs gouvernements successifs – et renforcés par l’Administration Lula – ont placé peu à peu le Brésil aux côtés des puissances anti-occidentales. Ce déplacement géopolitique n’est pas seulement le résultat du retour au pouvoir d’une gauche qui revendique encore un antiaméricanisme primaire, rêve de rompre avec le capitalisme et l’occident qui l’incarne. L ’alignement croissant du Brésil (membre des BRICS depuis la création du club) sur les puissances de l’axe autoritaire correspond aussi à une dynamique d’emprise croissante de la Chine sur l’économie bré-silienne. Entre le géant sud-américain et l’empire du milieu s’est constituée au fil des années une relation de dépendance commerciale asymétrique qui s’apparente aujour-d’hui à un rapport de sujétion. La Chine est de loin le premier débouché des exportateurs brésiliens (30,7% des exportations totales en 2023) et la première origine pour les im-portations. Le Brésil fournit principalement des produits agricoles, du pétrole brut et du minerai de fer. Pour ces trois secteurs-clés de l’économie brésilienne, la perte du dé-bouché chinois ou des difficultés d’accès seraient dévastateurs. Cela signifie que le monde agricole, les acteurs pétroliers et les exploitants miniers soumettent le gou-vernement de Brasilia à une pression constante pour qu’il fasse preuve de bonne volonté à l’égard de Pékin. Chaque initiative des autorités brésiliennes doit être calculée pour ne pas offenser le meilleur client du pays…Le Brésil fait tout ce qu’il faut pour ne pas être exposé à la diplomatie coercitive de la Chine. Pour éviter par exemple de subir des mesures sanitaires et des barrières tarifaires qui pénaliseraient son agriculture....   Pour la Chine, le Brésil est un marché secondaire où sont écoulés des produits indus-triels. Le pays sud-américain est cependant la première destination des investissements réalisés en Amérique du Sud par la République Populaire. Objectif poursuivi depuis plus de quinze ans : conférer aux firmes chinoises des positions clés dans le secteur de l’électricité (génération, transmission), du pétrole (extraction), de l’exploitation minière, de la téléphonie, de la logistique. Equipant le Brésil en convertisseurs solaires, développant l’extraction de niobium et fournissant des véhicules électriques, les Chinois influencent encore le rythme et les modalités de la transition énergétique au Brésil. Cette étreinte économique est facilitée par un  lobbying intense mené par les diplomates et agents du régime chinois au sein même des institutions fédérales brésiliennes. Le fil conducteur est toujours le même : il s’agit de montrer aux décideurs publics, aux membres du Congrès, aux formateurs d’opinion que pour bénéficier de l’essor et du soutien de la Chine, le Brésil doit manifester de très bonnes dispositions à l’égard de son partenaire. L’étreinte perdure si des preuves d’attachement sont renouvelées.   Dès son retour au pouvoir, Lula a confirmé un alignement sur la Chine, l’axe des pays au-toritaires, le club des Brics. Il doit cependant aussi tenir compte des fortes contraintes intérieures qu’impose le fonctionnement d’une démocratie, celle dont il est Président. La crise vénézuélienne le contraint donc à un positionnement schizophrénique. Il doit cau-tionner une dictature, comme si celle-ci était légitime. Il doit prendre quelques distances sans provoquer un divorce. Cette schizophrénie pourrait lui coûter de plus en plus cher sur le terrain où se décide son avenir : celui de la vie politique intérieure.   Coût politique élevé.   Lula a été élu (de justesse) pour un troisième mandat parce qu’il s’est présenté comme le combattant de la démocratie, un leader capable d’éviter au Brésil la dérive autoritaire incarnée par son rival, Bolsonaro. Ce n’est pas le programme de gauche de son parti qui lui a permis de rallier une large part de l’électorat modéré du centre et même de la droite. C’est la défense alléguée de la démocratie menacée. C’est sur cet enjeu que Lula est parvenu à élargir son électorat bien au-delà d’une gauche très minoritaire dans l’opinion [5] . L’attitude qu’il a adopté depuis le dernier scrutin présidentiel au Venezuela conduit aujourd’hui de nombreux électeurs brésiliens à s’interroger sur les convictions démocratiques du Président qu’ils ont élu il y a moins de deux ans.   L’alignement de Lula sur les pays dits du Sud global et sur les grands Etats autoritaires de la planète, sa neutralité bienveillante à l’égard du régime chaviste après le scrutin truqué de juillet dernier : tout cela conduit désormais une large part de l’électorat brésilien à considérer qu’il a été trompé en 2022 et que le Président élu alors n’est pas un vrai démocrate, qu’il préfère en réalité une dictature vénézuélienne alignée sur le Sud Global plutôt qu’une démocratie entretenant des relations normales avec Washington . Une enquête d’opinion réalisée dans les jours qui ont suivi la soi-disant réélection de Maduro montre que 73% des Brésiliens considéraient l’évènement comme très grave et que le vainqueur déclaré du scrutin était illégitime. Dans la même enquête, 79% des personnes interrogées estimaient que le Venezuela était une dictature (à peine 15% estimaient que c’était encore une démocratie). Cela signifie que pour une majorité de citoyens, le posi-tionnement de Lula dans la crise vénézuélienne est inacceptable et incompréhensible. Cela signifie encore que l a frange décisive d’électeurs qui ont porté leur suffrage sur le candidat Lula en 2022 se sent trahie aujourd’hui. Cette frange manquera sans doute à l’appel dans l’avenir.   C’est bien ce qu’a compris l’opposition qui dénonce avec délectation l’attitude de neu-tralité bienveillante de Lula à l’égard de Maduro. Ses leaders répètent à l’envie que ce que fait Maduro au Venezuela depuis des années est exactement ce que Lula et son parti rêvent de faire au Brésil. Le camp bolsonariste et les autres courants d’opposition ne pouvaient pas espérer de meilleur cadeau de la part du pouvoir à la veille d’élections municipales qui seront décisives [6] . Tous les candidats de la gauche qui peuvent espé-rer l’emporter commencent d’ailleurs à reconnaître que le scrutin vénézuélien n’a sans doute pas été très régulier... A moyen terme, le positionnement de Lula et de ses diplo-mates peut constituer un handicap politique encore plus important. Tous les obser-vateurs prévoient que dans les prochains mois  le régime chaviste va accentuer la ré-pression et la chasse aux opposants, systématiser la torture, continuer à tuer. L’opposition utilisera sans retenue les témoignages des centaines de milliers de nouveaux réfugiés vénézuéliens qui afflueront alors vers le Brésil  (entre autres destinations). L’image internationale de Lula, icône de la démocratie, aura alors définitivement pris l’eau. Plus grave pour le vieux leader : l’alliance politique sur laquelle repose son gouvernement aujourd’hui s’effilochera [7] . La brèche ouverte déjà au sein de son parti (entre une extrê-me-gauche chaviste et les courants réellement démocratiques) s’élargira. Sa réélection en 2026 deviendra une chimère….   Des analystes brésiliens ont souvent dit ces dernières semaines que la crise véné-zuélienne était le test majeur pour la politique extérieure brésilienne. Ils imaginaient sans doute que Lula pourrait faire plier le camarade Maduro. Le test a eu lieu. Il a démontré que le leader brésilien ne peut rien faire face au renforcement à ses portes d'une dicta-ture. On ne peut pas à la fois être militant de la cause démocratique et rechercher de plus en plus l'étreinte chinoise...     [1]   Ces généraux sont aussi très actifs dans les secteurs "les plus lucratifs". Selon l'ONU, les militaires sont ainsi impliqués dans le cartel de Los Soles , qui est responsable du transport de la cocaïne produite dans les Andes vers les Caraïbes. Il existe également des preuves de leur implication dans l'exploitation minière illégale en Amazonie et même dans la contrebande de carburant et de nourriture à travers la frontière avec la Colombie.  [2] La position de la Garde nationale dans le contrôle formel de la frontière véné-zuélienne lui a fourni de multiples occasions de tirer des revenus d'activités illicites. Elle a notamment taxé la contrebande du gaz colombien vers le Venezuela et a mis la main sur le trafic de drogues entre des régions comme le Nord de Santander en Colombie et les États vénézuéliens voisins comme Táchira et Apure, d'où les stupéfiants sont acheminé vers les États-Unis et l'Europe. [3]  Aucune élection sous le régime délinquant de Maduro ne sera jamais propre et juste. Celles qui ont eu lieu jusqu'à présent (communément célébrées par le parti de Lula comme les preuves de la vigueur de la démocratie au Venezuela) n’ont été ni régulières ni équitables mais il n’avait pas été nécessaire jusqu’en 2024 de cacher les résultats. Cette fois-ci, l’opposition a manifestement gagné. Maduro a été contraint de ne pas révéler les résultats comptabilisés. Il recourra probablement désormais à la même méthode autant de fois qu’il sera nécessaire. [4]  Voir l’article de la revue The economist  : China’s presence in Latin America has expan-ded dramatically , 4 juillet 2024. Disponible sur le site : https://www.economist.com/the-americas/2024/07/04/chinas-presence-in-latin-america-has-expanded-dramatically [5]   En avril 2024, selon un sondage d’opinion, 18% des Brésiliens se disaient de gauche et 41% d’entre eux se considéraient de droite. [6]   Près de 156 millions d’électeurs seront appelés le 6 octobre 2024 à élire les quelques 58 000 membres des assemblées municipales des 5569 communes selon un scrutin proportionnel à un tour. Ils éliront aussi séparément les maires selon un scrutin majoritaire. Dans les communes de plus de 200 000 électeurs où aucun candidat au poste de maire n’a obtenu la majorité absolue le 6 octobre, un second tour est prévu e 27 octobre. Les compétences des autorités municipales sont importantes (santé, éducation, sécurité rou-tière, etc…).  Les muni-cipalités sont des relais politiques essentiels lors des campagnes et des élections nationales. Les scrutins d’octo-bre prochain fourniront une photographie précieuse des préférences de l’électorat et des rapports de force poli-tiques. [7]  Dès juin 2024, la Ministre de la Planification (membre d’un parti centriste) avait souligné que le Venezuela n’était plus une démocratie. La même évaluation a été faite par la populaire ministre de l’Environnement Marina Silva après l’élection truquée du 28 juillet.

  • Lula et le piège vénézuélien (1).

    La fraternité des dinosaures.   Avec la farce sinistre que fut l’élection présidentielle de juillet dernier, le Venezuela est devenu un énorme caillou dans la chaussure de Lula, un caillou que le Président semble incapable de retirer. Pourquoi le chef de l’Etat brésilien s’inflige-t-il une telle gêne depuis quelques semaines ? Pour répondre à cette question, il faut revenir sur l’histoire des rela-tions de Lula et de son parti (le Parti des Travailleurs, PT) avec le régime chaviste. Le leader de la gauche brésilienne a très souvent pris la défense du fondateur de la "révo-lution bolivarienne", feu Hugo Chavez. Au Brésil, pour le PT, pour son chef et une large mouvance politique et syndicale dite "progressiste", Chavez et sa révolution bolivarienne ont toujours été des acteurs majeurs de la lutte contre "l'impérialisme américain" , comme les représentants du juste combat contre l’exploitation du pétrole et des richesses véné-zuéliennes par des "gringos" insatiables [1] .   Dès son arrivée au pouvoir en 1999, Chavez se proclame l’adversaire résolu des Etats-Unis, le défenseur des intérêts nationaux vénézuéliens, le porte-parole des miséreux. Dans un premier temps, il a effectivement diversifié l’utilisation de la rente pétrolière en finançant des programmes sociaux. Il a aussi utilisé cette rente pour favoriser l’essor d’une nouvelle bourgeoisie de moins en moins liée au secteur privé, de plus en plus ga-vée par un système politique rompant avec la démocratie. Le processus révolutionnaire conduit par Chavez a d’emblée été une stratégie populiste anachronique. La devise du régime est encore officiellement la résurrection d’une Amérique latine glorieuse et héroï-que suivant partout la bannière du héros de jadis, Simon Bolivar. Dès le départ, le mouve-ment bolivarien a été un rêve fondé sur le retour au passé, celui des luttes de libération nationales qui provoquèrent l’effondrement de l’empire espagnol. Ce rêve-là avait déjà une puissante capacité de séduction sur les milieux de gauche latino-américains dans les années soixante. Il a encore un pouvoir d’attraction aujourd’hui au sein de la gauche politique et syndicale brésilienne.   Manifestation du parti chaviste à Caracas en 2007. Le portrait de Bolivat est porté par les militants. Ce pôle idéologique est profondément convaincu depuis des lustres qu’il incarne le bien, la justice, les plus hautes valeurs morales. Il est certain aujourd’hui d’être du côté du bon côté de l’histoire, celui des vainqueurs de l’ordre mondial nouveau qui serait en train de naître. Pour la gauche, au Brésil et dans les pays voisins, le grand chambardement géo-politique global en cours obéit à une sorte de déterminisme, celui qui assurera inévita-blement le triomphe du "Sud global" (les pauvres, les émergents, tous ceux qui sont méprisés par un Occident hypocrite) mené par la Chine. Parce qu’ils combattent eux aussi le mal incarné que sont les Etats-Unis et leurs satellites occidentaux, les chavistes vénézueliens (comme les castristes cubains et les sandinistes du Nicaragua) sont eux aussi dans le camp des vainqueurs. La gauche brésilienne reste accrochée à une vision binaire et manichéenne de la société et du monde. Les pays occidentaux riches sont responsables de tous les malheurs de ce Sud pauvre parce qu’exploité . La démocratie et les droits de l'homme qu'invoquent ces nations impérialistes ne sont que des prétextes leur permettant d’avancer leurs pions, de défendre leurs intérêts, notamment écono-miques. Les sanctions que ces Etats pratiquent ne sont rien d'autre que des outils pour entraver ceux qui contestent l’ordre mondial établi.   La vision géopolitique de la gauche brésilienne et sud-américaine peut sembler sim-pliste, surannée. Elle reste pourtant très influente au sein de formations politiques, dans le monde académique et chez de nombreux formateurs d’opinion. Au premier socle idéo-logique ancien forgé par le catholicisme social et le marxisme s’est ajouté la petite mu-sique récente du wokisme. Dans les cercles militants et les appareils de partis, la rigidité doctrinale garantit une douce tranquillité intellectuelle. C’est cette rigidité qui explique l’exceptionnelle fidélité de Lula et de son parti au pouvoir bolivarien, à Chavez et à celui qui lui a succédé à partir de 2013.   Le club de rencontres des dinosaures.   Dans les années qui suivent le retour de la démocratie au Brésil, à la fin des années 1980, le pays de référence pour les leaders de la gauche, c’est Cuba. Le régime castriste va profiter du vaste réseau de soutiens qu’il entretient en Amérique latine pour favoriser la création d’une organisation internationale qui verra le jour en 1990 dans la grande métropole du Sud-Est au Brésil. C’est le Forum de São Paulo. Le pouvoir cubain n'est pas le seul parrain de cette structure de coordination internationale. Celle-ci est également soutenue par le Parti des Travailleurs de Lula. Elle va rassembler des formations politiques, des syndicats, des mouvements de guérilla du sous-continent. Tous s’oppo-sent aux politiques de libéralisation et d’ouverture économique alors mises en œuvre par plusieurs Etats de la région. Tous disent vouloir œuvrer en faveur de l'intégration latino-américaine dans les domaines économique, politique et culturel.   Selon l'organisation, plus de 100 partis et organisations politiques de différents pays participent actuellement aux réunions [2] . Le forum a été dès le début et reste encore aujourd’hui un canal d’influence essentiel pour le régime cubain et ses alliés dans la région. Lorsque Hugo Chávez accède au pouvoir à Caracas en 1999, il devient le premier membre du forum à accéder à la présidence d’un pays de la région depuis la création de l'organisation . C’est le début de ce qui a été appelé ensuite la vague rose pour évoquer les victoires successives et l’arrivée au pouvoir de plusieurs leaders de gauche dans la région au début des années 2000 : Lula au Brésil (2002), Nestor Kirchner en Argentine (2003) Evo Morales en Bolivie (2006), Raphael Correa en Equateur (2007).  Après une réunion du Forum de São Paulo en 2015, les leaders posent. De gauche à droite : Lula, Ortega (Nicaragua), D. Rousseff, Castro, Maduro et Evo Morales (Bolivie). Au sein du Forum de São Paulo comme dans la plupart des formations de gauche du sous-continent, les leaders politiques défendent dès le départ la révolution bolivarienne et le pouvoir chaviste. Ils utilisent les mêmes arguments et le même schéma de pensée qu’ils mobilisent aujourd’hui pour défendre le dictateur Maduro. Les forces sociales qui dirigent le Venezuela (essentiellement une alliance entre des militaires, des dirigeants de compagnies publiques et une bourgeoisie liée au régime) seraient depuis l’émer-gence du chavisme constamment exposées aux attaques des puissances impérialistes. Ces forces luttent contre l’ingérence active et permanente des Etats-Unis dans les af-faires du pays. L’opposition est bien évidemment un agent conscient ou non de ces puis-sances hostiles. Les sanctions américaines imposées au pays sont la principale cause de la grave crise économique. L’opposition au régime est animée par des leaders forcément réactionnaires (voire fascistes) et n’a pour seules ambitions que la réduction des droits sociaux, la privatisation de l’industrie pétrolière, l’affaiblissement de la souveraineté du pays. Le refrain est régulièrement repris au sein du forum. Il est aussi chanté par les ap-pareils politiques nationaux. Il fera partie jusqu’à nos jours des hymnes adulés par les militants du PT brésilien.   Lula, le grand frère de Chavez.   Avant même son élection pour un premier mandat présidentiel (en 2002), comme chef du Parti des Travailleurs, Lula ne cesse de manifester sa sympathie pour la révolution bolivarienne. Il sait pourtant parfaitement que Chavez est déjà en train d’instrumentaliser les règles démocratiques pour affaiblir la démocratie. Profitant de sa popularité, le Prési-dent vénézuélien a ainsi multiplié les pressions sur la Cour suprême dès 1999 et obtenu la réunion d’une assemblée constituante qui produira une nouvelle loi fondamentale en 2000 limitant déjà les libertés. Réélu, le leader de la révolution bolivarienne commence à poursuivre les juges fédéraux. Ses attaques répétées contre l’institution judiciaire provo-quent d'ailleurs la démission de la Présidente de la Cour Suprême…   En 2002, alors qu’il vient d’être élu Président mais n’a pas encore été investi, Lula va ap-porter un soutien au leader venezuelien alors dans une mauvaise passe. Le Venezuela connaît alors une pénurie d'essence en raison d'une grève des travailleurs de raffineries appuyée par l'opposition à Chávez. Quelques mois plus tôt, en avril, le président véné-zuélien a été la cible d'un coup d'État qui l'a écarté du pouvoir pendant deux jours. Les groupes d'opposition, avec le soutien des secteurs économiques et de l'armée, ont réussi à démettre Chávez de ses fonctions et à le maintenir en prison. Le coup d’Etat échoue et Chavez revient au pouvoir renforcé. En novembre, à la demande de son successeur élu, le gouvernement brésilien sortant de FH. Cardoso répond favorablement aux appels d'Hugo Chávez et fournit de l'essence au Venezuela, qui souffre de pénuries dues à la grève des salariés de l’entreprise pétrolière nationale [3] .   En janvier 2003, Chavez est invité à la cérémonie d’investiture de Lula à Brasilia. Dès sa prise de fonction, le leader du PT coordonne la création d’un groupe des "Amis du Vene-zuela". Composé par des représentants du Brésil, des Etats-Unis, du Mexique, du Chili, de l’Espagne et du Portugal, cette instance doit être un espace de dialogue avec l’opposition venezuelienne après la tentative de coup d’Etat et les grèves qui ont fragilisé le pouvoir de Chavez. Les deux chefs d’Etat promeuvent également un partenariat stratégique entre le Brésil et le Venezuela et vont décider de la mise sur pied de réunions bilatérales trimestrielles qui fonctionneront effectivement entre 2003 et 2010.   C’est ce partenariat stratégique qui conduit les deux gouvernements à annoncer dès 2003 la construction de la raffinerie de pétrole Abreu e Lima, à Ipojuca (Pernambouc). Le projet prévoit une association entre Petrobras et la compagnie pétrolière nationale véné-zuélienne PDVSA. Les deux firmes doivent participer ensemble à la construction de l’installation, PDVSA assurant 40% des charges d’investissement [4] ..Deux ans plus tard, en 2005, un accord en bonne et due forme est signé entre Petrobras et PDVSA, sous les auspices de Lula et de Chavez. Le Président brésilien en profite pour multiplier les élo-ges à la révolution bolivarienne et à son leader. Pour Lula, Chavez conduirait une expérience démocratique sans égal dans l’histoire de la région. Il en vient même à évoquer déjà (le propos sera répété plus tard) l’excès de démocratie qui existerait dans le pays voisin…. Lula et Chavez en 2005.   Le 15 août 2004 est un tournant dans l’histoire politique du Venezuela. Ce jour-là, les citoyens sont appelés aux urnes pour décider du maintien ou de la destitution de leur Président, Hugo Chavez. Au cours de la campagne, divers partis étrangers membres du Forum de São Paulo affichent clairement leur soutien à Chavez. C’est ce soutien que rappellera Lula en 2005, lors de la célébration des 15 ans du club de rencontres. En 2006, le président brésilien intervient directement dans la campagne présidentielle véné-zuélienne en appelant à voter pour Chavez, candidat à sa réélection qui emportera une victoire déjà contestable et contestée.   Depuis 2005, le Venezuela compte parmi les pays de la région que Lula a choisi de favo-riser grâce aux prêts à conditions privilégiées fournis par la BNDES et destinés à financer la réalisation de travaux d’infrastructures conduits par des entreprises brésiliennes, notamment le groupe Odebrecht. Les prêts en question sont fournis aux gouvernements de pays amis par la Banque de développement brésilienne. Ils doivent être consacrés au règlement des travaux que réalisent des entreprises brésiliennes. C’est aux gouver-nements emprunteurs que revient la responsabilité de rembourser ces crédits et de payer les intérêts. En cas de défaillance des emprunteurs, la BNDES peut se retourner vers le Fonds de Garantie à l’Exportation (alimenté par le budget fédéral brésilien) qui se substitue aux débiteurs défaillants. Entre 2003 et 2016,  la BNDES va ainsi prêter 1,5 milliard de dollars au Vénézuela, des crédits destinés à financer des services d’ingénierie relatifs à la construction de nouvelles lignes de métro dans la capitale, un chantier naval, une unité de sidérurgie et des travaux d’assainissement des eaux usées. La Banque octroiera aussi un crédit de 1 milliard de dollars destiné à financer les importations de produits brésiliens, aliments et avions notamment [5] .   Le partenariat stratégique créé entre le Vénézuela bolivarien et le Brésil de Lula sera à l’origine de la création de structures nouvelles destinées à favoriser l’intégration régio-nale. Ce sera le cas de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), créée en 2008, et la Communauté des États latino-américains et caribéens (Celac), créée en 2010. En 2012, grâce au soutien sans faille du gouvernement brésilien (alors dirigé par Dilma Rousseff, également du PT), le Venezuela a rejoint le Mercosur, un groupe qui comprenait alors le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay. Cinq ans plus tard, en 2017, le pays sera sus-pendu du bloc au motif qu'il avait violé les protocoles avec les principes démocratiques.   La gauche brésilienne adopte le dauphin de Chavez...   Hugo Chávez restera encore quelques temps au pouvoir à Caracas, après la fin du second mandat de Lula au Brésil. En 2012, il remporte à nouveau l’élection présidentielle dans des conditions toujours suspectes. Il entame alors son quatrième mandat. Pendant ses quinze années de pouvoir, Chavez a œuvré efficacement pour infiltrer l’appareil de l’Etat, placer diverses institutions sous sa coupe. Il a modifié les règles électorales pour favoriser la formation soutenant le pouvoir et pénaliser les forces d’opposition. En 2012, Chavez est réélu Président pour un quatrième mandat et bat son concurrent de l’opposition. Il a promis de radicaliser son programme socialiste. Pendant toute la campagne, il a compté sur l’appui décisif d’une entreprise brésilienne de communication politique partenaire du Parti des Travailleurs et déjà en charge de campagnes auprès de Lula. Le pouvoir venezuelien s’est engagé à payer ce service 35 millions de dollars. En réalité, ce sont les entreprises de BTP brésiliennes désormais très engagées au Vene-zuela et assurées localement de marchés qui assureront une partie du paiement. D. Rousseff (alors Présidente du Brésil), Lula, Raoul Castro et Maduro en 2014. Élu vice-président aux côtés d'Hugo Chávez, Nicolás Maduro sera le dirigeant de facto du Venezuela à partir de 2013, lorsque le président en titre se retire pour soigner un can-cer. Ancien chauffeur de bus et dirigeant syndical du métro de Caracas, Formé à Cuba pendant quelques années, Nicolás Maduro a été à son retour membre du parlement. Il a même présidé l'Assemblée nationale vénézuélienne. À partir de 2006, il a été ministre des affaires étrangères du gouvernement Chávez. Le leader de la révolution bolivarienne meurt en mars 2013. A l’occasion, Lula publiera un vibrant hommage : "aucune personne un tant soit peu honnête ne peut ignorer le degré de camaraderie, de confiance et même d'amour qu'il ressentait pour la cause de l'intégration latino-américaine, pour l'intégration de l'Amérique du Sud et pour les pauvres du Venezuela. Peu de dirigeants et de leaders politiques, parmi les nombreux que j'ai connus dans ma vie, croyaient autant que lui à la construction de l'unité de l'Amérique du Sud et de l'Amérique latine".   À la mort du président, Maduro continue à gouverner par intérim. L'élection présiden-tielle est fixée pour avril. Lula n’hésite pas alors à intervenir directement dans la cam-pagne. Il prépare et enregistre  une vidéo destinée à être utilisée par le parti au pouvoir à Caracas. Ce film est présenté le 1er avril 2013 lors d’une session extraordinaire du Forum de São Paulo qui se déroule à Caracas, treize jours avant la date du scrutin. Le discours se termine par un message limpide : "Une phrase résume tout ce que je ressens. Maduro Président, c'est le Venezuela dont rêvait Chávez". La campagne et le déroulement du scrutin ne correspondent pas aux règles d’une élection libre et régulière. Les forces d’opposition ont été intimidées ou menacées en permanence avant le jour du vote. Les accusations de fraude sont nombreuses. Le successeur de Chavez est pourtant déclaré vainqueur contre le candidat de l’opposition Henrique Capriles, de la Mesa de la Unidad Democrática (MUD), par une faible marge, avec 50,61 % des voix.   Peu après la victoire de Maduro, la situation économique devient dramatique. Le manque de produits essentiels et la dégradation des conditions de vie provoquent des mou-vements de protestation au sein de la population à partir de 2014. Les manifestations vont s’intensifier au fil du temps et provoquer une réponse violente de la part des forces de sécurité du gouvernement. Début 2014, des dizaines de personnes sont tuées par les autorités vénézuéliennes. Pendant le chaos, le PT publie une déclaration contre les tentatives présumées de "déstabilisation de l'ordre démocratique au Venezuela" et affirme que "le gouvernement vénézuélien s'est engagé à maintenir la paix et des garanties complètes pour tous les citoyens vénézuéliens". Ce n'est pas l'avis de centaines de milliers d'habitants qui fuient le pays. Un des plus grands exodes du XXIe siècle commence...   …Et lui apporte un soutien sans faille.   Pourtant, on sait à Brasilia que depuis le début de son mandat le successeur de Chavez organise progressivement un glissement vers la dictature. Maduro gouverne par décrets. Il ne respecte plus le principe d’indépendance des pouvoirs, intervenant en permanence dans la vie parlementaire, nommant des haut-magistrats à sa botte. Le régime censure la presse, ordonne des arrestations de dizaines d’opposants, qu’il maintient au secret et tor-ture. Maduro a considérablement renforcé les effectifs d’une milice autorisée à pratiquer la répression la plus aveugles. Appelés coletivos, les groupes armés de cette milice peuvent intervenir n’importe quand, n’importe où. La propagande officielle est partout. Elle ment, mystifie et désigne des boucs émissaires qui seraient les responsables d’une crise économique abyssinale provoquée d’abord par le régime lui-même..   En 2015, les électeurs vénézueliens sont appelés aux urnes pour élire les membres de l’Assemblée Nationale. L’impopularité du gouvernement chaviste est à son apogée. En dépit de toutes les manœuvres du pouvoir, l’opposition remporte ce scrutin législatif. Maduro va pourtant utiliser la Cour suprême, les tribunaux électoraux (désormais aux ordres) et l’armée  pour intimider les parlementaires et réduire les attributions et compé-tences de l’institution. Le premier semestre de l’année 2017 est émaillé de manifestations d’ampleur à travers tout le pays. Ces protestations sont réprimées de plus en plus violemment. Plus de 130 personnes seront assassinées au cours de manifestations ou durant les incarcérations entre janvier et juin 2017.  Le 30 juillet, Maduro fait élire une nouvelle Assemblée Constituante à sa main . Mission : élaborer une nouvelle Loi Fon-damentale qui supprimera la plupart des compétences du Parlement. Pour tenter de s’opposer à cette manœuvre, l’opposition organise un contre-référendum auquel parti-cipent plusieurs millions d’électeurs.    Réfugiés vénézuéliens à la frontière avec la Colombie en 2018. La convocation d’une Assemblée Constituante à la main du gouvernement, suscite une nouvelle vague de protestations populaires. Plusieurs milliers de manifestants et des membres de l’opposition sont arrêtés. Les observateurs de l’ONU se voient refuser l’accès au pays par les autorités. L’État de droit apparaît de plus en plus fragile. Maduro joue le bras de fer. Au lendemain de la convocation de la nouvelle Assemblée, la procureure générale du pays est révoquée.   Il est désormais évident pour tous les observateurs que le Venézuela est devenu une dictature. Les sanctions internationales contre le pouvoir chaviste se multiplient. Au Brésil, le parti de Lula a perdu le pouvoir, après la destitution de Dilma Rousseff (2016). Son successeur se joint aux protestations qui émanent de nombreux gouver-nements du monde occidental et de l’Amérique latine. De leur côté, les responsables du Parti de Lula s’accrochent lus que jamais dans leur tranquille rigidité idéologique. En juillet 2017, un mois après avoir remporté la présidence du PT, la sénatrice Gleisi Hoffmann, fidèle parmi les fidèles de Lula, radicalise son discours et exprime son soutien total à l’Assemblée Constituante convoquée par Maduro. Lors de l'ouverture de la 23e réunion du Forum de São Paulo, qui se tient au Nicaragua, la présidente du PT réitère "le soutien et la solidarité avec le gouvernement du PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela), ses alliés et le président Maduro face à la violente offensive de la droite".   En mai 2018, au terme d’un scrutin très controversé auquel l’opposition a refusé de participer, Maduro est réélu Président pour un mandat de six ans. Cette victoire ne sera reconnue ni par l’Organisation des États américains (OEA), ni par l'Union européenne, les États-Unis et… le Brésil. Un rapport de l’OEA conclut peut après le début de ce nouveau mandat présidentiel que des crimes contre l’humanité ont été commis au Venezuela depuis l’arrivée au pouvoir de Maduro. En 2019,le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet (ancienne Présidente du Chili) publie un rapport qui souligne que les forces de sécurité vénézuéliennes ont exécuté sommairement plus de 9 000 personnes depuis deux décennies et que plus de sept millions de citoyens ont fui le pays.   La gauche brésilienne n’est pas ébranlée. Le Forum de Sao Paulo non plus. Tout se monde semble ne plus avoir pensé depuis le début des années soixante, lorsqu’à l’épo-que de la guerre froide, les forces progressistes s’engageaient dans la résistance après les coups d’Etat militaire qui se multipliaient sur la région. Comme si elles devaient encore lutter contre la puissance impériale du nord. C’est encore la Présidente du Parti des Travailleurs qui exprime le mieux cette rigidité doctrinale qui ne se préoccupe ni du réel, ni de la simple morale. Au début de 2019, quelques mois après la réélection de Maduro, Gleisi Hoffmann met en ligne une vidéo dans laquelle elle défend sans nuance le régime bolivarien et souligne que Maduro a été élu par 67% des voix du peuple vénézuelien …Elle oublie de mentionner que ces élections ont connu un taux record d’abstention (54% des électeurs inscrits ne se sont pas déplacés) et que les fraudes enregistrées par les observateurs de l’opposition se sont multipliées. Sur tous les bureaux de vote, les électeurs qui s’étaient déplacés avaient découvert la présence de groupes de miliciens bolivariens chargés d’intimider les citoyens [6] .   Lorsque l’année 2019 commence, la population vénézuélienne s’attend à vivre à nouveau pendant 5 ans dans un pays gouverné par un pouvoir arbitraire, où les droits fonda-mentaux sont de moins en moins respectés. Dans un pays qui devient une sorte de Cuba-bis. Au Brésil, le gouvernement de droite de Jair Bolsonaro suspend les relations diplomatiques avec le pays voisin. A gauche, le manichéisme est toujours de mise. On continue à défendre les camarades chavistes qui seraient de pauvres victimes inno-centes de "l’ordre impérialiste". On évite évidemment tout contact avec le monde réel. Le geste serait pourtant facile à accomplir. Au début de 2023, alors que Lula entamait un troisième mandat présidentiel, on comptait 510 000 réfugiés vénézueliens au Brésil… A suivre : Le compère brésilien du dictateur.     [1]  Soulignons qu’il ne s’agit pas ici de considérer les Etats-Unis comme une puissance innocente qui ne se serait jamais mêlée des affaires de ses voisins. Il faudrait être terriblement ingénu pour ne pas savoir que le pétrole véné-zuélien a toujours intéressé le grand pays du nord du continent. De là à imputer aux "gringos" du Nord tous les malheurs du Sud, il y a un énorme pas que les leaders de la gauche sud-américaine franchissent avec une facilité déconcertante depuis des décennies... [2]   Parmi les membres actuels, on compte le Parti Communiste de Cuba, le Front Sandiniste du dictateur nicara-guayen Ortega, le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV, la formation chaviste), le Mouvement vers le Socialisme du Président bolivien Luis Arce et le Parti de Lula au Brésil…. [3]  Le Forum de São Paulo joue un rôle déterminant dans le maintien de Chávez au pouvoir après la période difficile de 2002. C’est au sein du Forum et pas seulement dans le cadre de relations bilatérales que Caracas noue des liens puissants avec le régime cubain. [4]  La compagnie venezuelienne ne respectera pas son engagement. Le complexe de raffinage sera finalement entièrement construit par Petrobras et ne commencera à fonctionner partiellement qu’en 2014. Les travaux seront paralysés à partir de 2015, suite au scandale de détournement de fonds publics concernant Petrobras [5]  En 2024, le Venezuela n'a remboursé que 680 millions d'USD. Les contribuables brésiliens ont donc dû renflouer les caisses de la BNDES pour plus de 1,8 milliard d'USD... [6] Le politologue Javier Corrales, l'un des principaux analystes du déclin démocratique au Venezuela, a réalisé une étude décrivant 117 violations électorales dans le pays entre 1999 et 2018. Ainsi, le Conseil National Electoral a modifié les règles de validation des partis peu avant les élections. En conséquence, le nombre de partis est passé de 62 à 17, dont seulement deux de l'opposition. Même la convocation des élections, qui a eu lieu en janvier, a violé la règle selon laquelle les scrutins doivent être organisés au moins six mois à l'avance. En décembre 2017, M. Maduro a également ordonné au CNE de sanctionner les partis politiques qui avaient boycotté les élections municipales de cette année-là, en violation de la loi. Voir la page de Javier Corrales sur le site de la revue américaine Americas Quarterly  : https://americasquarterly.org/aq-author/javier-corrales/

  • Lula et le piège vénézuélien (2).

    Le compère brésilien du dictateur. Après la farce électorale du 28 juillet dernier au Venezuela, le dictateur Maduro se re-trouve un peu plus isolé en Amérique du Sud. Le gouvernent brésilien hésite. Il ne reconnaît pas officiellement le résultat mais ne le rejette pas comme l'ont fait sept pays de la région. Le Président Lula dit vouloir maintenir un lien avec le potentat de Caracas. Les amis occidentaux de Lula voient là une posture diplomatique subtile qui permettrait tôt ou tard de ramener Maduro à la raison. La thèse ne tient pas debout. Le gouver-nement Lula et les forces politiques de gauche qui l’appuient sont des acteurs se-condaires de la tragédie vénézuélienne. Lula n’est pas un médiateur. Il n’a jamais cessé d’être le compère bienveillant du régime chaviste, sa caution morale. Si le palais du Planalto (siège de la Présidence) n’a pas reconnu deux semaines après le scrutin du 28 juillet la victoire du candidat de l’opposition Edmundo Gonzàles Urrutia (comme l’ont fait les Etats-Unis, l’Argentine, l’Uruguay et le Pérou), ce n’est pas parce Brasilia serait en train de concocter un plan sophistiqué de sortie de crise. C’est parce que les dirigeants actuels du Brésil font partie de la distribution de la pièce montée par Maduro pour rester au pouvoir.   Si Lula admettait la fraude électorale de son compère vénézuélien, il reconnaîtrait alors automatiquement ce qu’il n’a pas cessé de nier depuis des années : la démocratie n’existe plus au Venezuela et cela n’a pas commencé le 28 juillet 2024, lorsque les représentants de l’opposition ont été empêchés d’assister aux dépouillements. Voici plus d’une décen-nie que les Vénézuéliens ne savent plus ce qu’est une démocratie. A partir de 2017, le régime a connu un relatif isolement en Amérique latine. Pendant les quatre années du mandat de Jair Bolsonaro (2019-2022), le Brésil a suspendu les relations diplomatiques avec le pays voisin [1] . Cet isolement va être rompu à partir de la fin 2022. Plusieurs pays du sous-continent sont à nouveau dirigés par des élus de gauche (Colombie, Chili). L a guerre en Ukraine a fait du Venezuela un pays incontournable pour la livraison de pétrole, même mal raffiné. Les Etats-Unis ont mis en bémol leur condamnation du ré-gime chaviste [2] .   A partir du début de 2023, en Amérique latine, le gouvernement Lula va être le premier acteur d’une opération visant à redonner au régime chaviste l’image d’un pouvoir injus-tement maltraité par la propagande vénéneuse de l’Occident. Celle d’un pays persécuté dont la souveraineté serait attaquée depuis des lustres, celle d’un système politique dont les déboires économiques seraient exclusivement dûs au châtiment imposé par la puis-sance nord-américaine. Il n’y aurait pas de dictature au Venezuela, pas de répression, pas de pouvoir arbitraire. Tout ce qui avait été dit et se dit sur le pouvoir chaviste relèverait de la propagande idéologique de forces réactionnaires.   Dès son investiture en janvier 2023, Lula rétablit les relations diplomatiques avec le Venezuela. En mars suivant, son conseiller spécial aux affaires internationales, l’ancien ministre Celso Amorim, est reçu par Maduro à Caracas. Il rencontre aussi des représen-tants de l’opposition. A l’issue de sa visite, Amorim déclare avoir perçu "un climat favo-rable à la démocratie"... En mai 2023, Maduro est reçu avec tous les honneurs en visite officielle à Brasilia à l’occasion d’une conférence des chefs d’Etat d’Amérique du Sud organisée par le Président brésilien. Le dictateur de Caracas sera le seul participant de la conférence à avoir un entretien bilatéral avec Lula. Dès le début de la rencontre, Lula qualifie l’évènement d’historique. Les premiers échanges sont chaleureux : deux vieux amis se retrouvent enfin. Pourtant, Lula sait. Il sait que depuis plus d’une décennie le pouvoir de la dictature a été renforcé, que la répression est féroce dans le pays voisin, que ce régime dit socialiste est avant tout un pouvoir mafieux. Il sait encore que Maduro est à la tête d’un narco-Etat qui joue un rôle croissant dans le commerce transamazonien des drogues, qu’il soigne son armée pour qu’elle lui reste fidèle en laissant les hauts gradés contrôler toutes sortes d’activités illicites [3] .   Lula et Maduro : retrouvailles chaleureuses à Brasilia en mai 2023. Ce Président informé aurait pu choisir de se taire et d’éviter les effusions. Pourtant, il se lâche et s’affiche comme un complice bienveillant de son hôte. Il lui recommande de ne plus tarder à réagir à ce qu’il présente comme de la propagande mensongère. Lula inter-pelle son homologue : "Camarade Maduro, vous devez être conscient du récit qui a été construit contre le Venezuela, de l'anti-démocratie, de l'autoritarisme" . Et d’ajouter une phrase lourde de sens : " C’est à vous, camarade, de construire votre propre récit et de changer la donne pour que nous puissions vaincre définitivement et que le Venezuela redevienne un pays souverain où seul le peuple, grâce à une élection libre, puisse dire qui va gouverner ce pays. C’est cela qui doit être fait. Et après cela, nos adversaires devront s’excuser pour tous les dommages qu’ils ont causés au Venezuela…" [4] .   Un mois après "l’évènement historique" de mai. Lula est interrogé par la presse brési-lienne sur les raisons qui le conduisent à traiter le régime de Maduro comme s’il s’agissait d’une démocratie. Le Président brésilien avance alors une théorie baroque de la démo-cratie qui serait un concept relatif dont le sens varierait d’un pays à l’autre. Pour justifier cette vision surprenante, Lula ajoute que  le Venezuela a connu plus d’élections que le Brésil au cours des années écoulées. Dénonçant les ingérences étrangères qu’auraient constitué les soutiens occidentaux à l’opposant Juan Guaidó [5] , Lula évoquera ensuite le scrutin présidentiel prévu pour le second semestre de 2024. "Que ceux qui veulent vaincre Maduro le fassent lors des prochaines élections. S’ils gagnent, ils assumeront le pouvoir. Et nous serons là pour contrôler le bon déroulement de la consultation. Si celle-ci n’est pas régulière, nous le dirons"….   Le double-jeu de Lula.   Des pourparlers entre le pouvoir de Caracas et son opposition ont lieu depuis 2021 sous les auspices. Ces discussions sont suivies p ar des représentants de l’Union européenne, de la France, de l’Argentine, des Pays-Bas, de la Russie et du Mexique. Lula va donc utili-ser ses talents de caméléon. Il sait que le scrutin présidentiel prévu pour 2024 devra à la fois assurer la victoire de son "camarade" et répondre (au moins en partie) aux attentes d’une communauté internationale de plus en plus exaspérée par le régime chaviste. Il faut jouer sur les deux registres et conforter ainsi l’image d’intermédiaire international influent, de pacificateur talentueux que le Brésilien cultive.   Pour Maduro, il s’agit d’obtenir la levée des sanctions économiques américaines et la libé-ration de personnalités chavistes condamnées et emprisonnées aux Etats-Unis. Pour l’opposition et tous les pays qui parrainent les pourparlers, il faut que le pouvoir de Caracas s’engage à organiser un scrutin présidentiel régulier et libre en 2024. Ces par-rains savent que Maduro n’est pas un ange. Face à ce tyran affaibli, la plus grande pru-dence est de mise. Ils ont pourtant choisi d’appuyer des tractations qui doivent conduire à un accord dont ils seront les garants. Ils sont conscients qu’une fois l’accord signé, il faudra maintenir la pression sur Caracas pour que les garanties électorales soient ef-fectivement mises en œuvre. Sur ce plan, ils croient pouvoir compter sur les interven-tions de Lula et de son conseiller spécial. Les deux compères ont maintenu depuis des lustres un canal de communication avec Caracas et semblent désormais convenir de la nécessité d’organiser des élections régulières au Venezuela.   Lula et son conseiller diplomatique doivent donc apparaître comme des arbitres mais ces arbitres ne sont pas neutres, loin s’en faut. Connaissant bien le dictateur, le système politique qu’il dirige et les avantages qu’apporteraient une levée des sanctions écono-miques, ils estiment que Maduro doit souscrire à un accord formel définissant des règles pour le scrutin de 2024. L’application des clauses assurant des élections libres et régu-lières laissera au dictateur de solides marges de manœuvre sur le plan intérieur. La levée des sanctions peut améliorer la situation économique intérieure et raffermir le camp chaviste. L’opposition n’est pas encore une force unie.  Le dictateur de Caracas n’a pas cessé depuis des années de susciter des divisions en son sein. S’il persiste et parvient à ses fins, il peut vaincre une opposition fracturée en 2024. Ensuite, Maduro pourra reprendre la recette qui a si bien marché en 2018. A force de créer des obstacles de toutes sortes (adaptations permanentes des règles électorales, intimidations, arres-tations, répression) il était parvenu alors à dissuader plusieurs formations d’opposition de participer au scrutin. Ces formations avaient appelé leurs sympathisants à l’abstention…   Deux mois après avoir reçu Maduro en grandes pompes à Brasilia, Lula se retrouve à Bruxelles pour un sommet réunissant les représentants des pays membres de la Celac (Communauté des Etats Latino-Américains et de la Caraïbe) et de l’Union Européenne. A cette occasion, le compère brésilien multiplie les propos rassurants sur le Venezuela auprès ses homologues du vieux continent (dont le Président Macron) et plusieurs lea-ders latino-américains. A l’issue du sommet, tout ce monde se fend d’un communiqué demandant qu’un processus électoral juste et transparent soit organisé au Venezuela, selon les normes et les traités internationaux en vigueur….   Duperie à La Barbade.   Le 17 octobre 2023, l e gouvernement de Maduro et un groupe de partis d’opposition (connu sous le nom de Plateforme unitaire) signent à la Barbade un accord destiné à as-surer des élections libres et régulières lors du scrutin présidentiel de 2024. La signature a plusieurs conséquences immédiates. Il y a un échange de prisonniers entre Caracas et Washington. Surtout, les sanctions économiques imposées par les Etats-Unis au Vene-zuela sont allégées. Les Américains peuvent désormais importer du pétrole, du gaz et de l’or fournis par le régime chaviste.   L’accord contient plusieurs dispositions concernant l’organisation des prochaines élec-tions présidentielles. Le gouvernement de Caracas s’est engagé à proposer au Conseil National Electoral (CNE) l’organisation de scrutin au cours du second semestre de 2024. Il doit aussi assurer la mise à jour complète des listes électorales, une question négligée à dessein sur le passé récent. Cette mise à jour concerne les jeunes (depuis des années, près de 3 millions de nouveaux électeurs n’ont pas pu s’inscrire). Elle concerne aussi l’inscription d’électeurs vivant à l’étranger (un détail essentiel pour un pays dont le quart de la population – environ 8 millions de personnes – s’est exilé et réfugié dans diverses régions du monde). Le texte de la Barbade  répond aussi à deux préoccupations essen-tielles de l’opposition. Il établit d’abord que le CNE invitera des missions d’observateurs étrangers (notamment de l’Union européenne, des Nations-unies, de l’Union africaine et de la Fondation Carter [6] . Cette fondation reconnue a déjà une solide expérience de suivi des scrutins au Venezuela. La seconde préoccupation de l’opposition concerne les conditions de qualification que les candidats devraient respecter pour se présenter. La disposition de l’accord sur ce sujet est très vague. Elle indique que les signataires s’engagent à "autoriser tous les candidats à la présidence et de tous les partis politiques, à condition qu’ils remplissent les conditions requises pour participer, à l’élection présidentielle, conformément aux pro-cédures établies par la loi vénézuélienne" . Dans un pays où la Justice est à la botte du pouvoir, où les principaux leaders de l’opposition ont fait l’objet de condamnations infondées et ont perdu de ce fait le droit de postuler un mandat électif, une telle clause peut empêcher la participation de l’ancienne député María Corina Machado, vainqueur des primaires de l'opposition réalisées juste après la signature de l’accord. La candidate potentielle de la plateforme unitaire a été inculpée de corruption en juin 2023 au terme d’une enquête et d’un procès fantaisistes...     Celso Amorim et le dictateur Maduro, en mars 2023 à Caracas. La réunion de signature de l’accord de La Barbade compte parmi les participants atten-tifs Celso Amorim. Quelques heures après la conclusion des négociations, dans un com-muniqué, le gouvernement brésilien déclare que "l'entente entre les forces politiques vénézuéliennes montre que le dialogue est capable d'apporter des résultats efficaces". En réalité, l’accord de la Barbade est un faux semblant, une tromperie. Le gouvernement brésilien a contribué à l’élaboration d’un texte qui ne contraint pas réellement le pouvoir chaviste. Les mesures d’application relèvent du droit et de la Justice vénézuélienne. Très rapidement, le monde saura ce que cela signifie. Le 26 janvier 2024, se référant à sa condamnation pour corruption six mois plus tôt, la Cour Suprême du Venezuela (une instance totalement contrôlée par les chavistes) interdit à María Corina Machado d’oc-cuper des fonctions publiques pendant 15 ans. Avec cette décision, Corina ne pourra pas se présenter aux élections présidentielles. Elle a pourtant remporté haut la main les élections primaires de l'opposition en octobre 2023 pour affronter Maduro....   A l’annonce de cette décision, plusieurs pays d’Amérique du Sud (Argentine, Uruguay, Paraguay, Equateur) protestent et manifestent de sérieuses inquiétudes. La décision d’écarter l’ancienne député de la compétition électorale est aussi condamnée par le groupe Initiative Démocratique de l’Espagne et des Amériques , un rassemblement des an-ciens Présidents de 37 pays. De leur côté, les Etats-Unis soulignent que la décision con-tredit l’engagement pris par le pouvoir de Caracas d’organiser des élections présiden-tielles régulières et équitables. Considérant justement que cet engagement était la con-trepartie d’un allègement des sanctions économiques, ils durcissent à nouveau celles-ci. Quant aux compères brésiliens, ils se gardent de tout commentaire désagréable sur les manœuvres des chavistes. Début février, Celso Amorim téléphone au Président de l’Assemblée Nationale du Venezuela et représentant du régime. Il échange aussi avec un porte-parole de l’opposition. Il publie ensuite un communiqué dans lequel il indique que le Brésil continue à soutenir l’accord de La Barbade en soulignant que la réalisation d’élections libres doit avoir pour contre-partie la fin de l’embargo des Etats-Unis sur les importations de produits vénézuéliens. A aucun moment, il n’est question de la persé-cution constante que subissent les opposants [7] . En janvier 2024, les autorités ont annoncé plus de 30 arrestations, dont des civils et des militaires, pour cinq conspirations présumées en 2023 et début 2024, impliquant des leaders de l'opposition, des agents du renseignement américain et l'armée colombienne, qui sont les cibles habituelles du gouvernement vénézuélien pour ce type d'accusations .   Lula et son conseiller aux relations extérieures... Au début mars, le Conseil National Electoral annonce que le scrutin initialement prévu pour octobre aura lieu le 28 juillet. Peu après, le dictateur qualifie le parti Vente Venezuela  de María Corina Machado d’organisation terroriste. A la fin mars, l’opposition révèle que l’ancienne député frappée d’inégibilité par la Justice chaviste sera remplacée par Corina Yoris, une universitaire de 80 ans, inconnue du grand public. Maduro veut choisir ses rivaux. La nouvelle candidature n’est pas acceptée par le CNE. L’opposition ne désarme pas. Elle parvient finalement à faire enregistrer un candidat à la présidentielle du 28 juillet : Edmundo Gonzalez Urrutia, ancien ambassadeur et politologue. T ous ces rebondissements n’ont suscité aucune critique de la part du partenaire brésilien. Lula et le ministère des Relations extérieures se contentent de faire part de leur attente et pré-occupation concernant le scrutin présidentiel à venir. Les messages ne font aucune référence aux noms des candidats récusés par une Justice aux ordres du pouvoir. Au début du mois de mars, lors d'une conférence de presse aux côtés du Premier ministre espagnol, Lula déclare encore qu’il est certain que le Venezuela sait qu’il a besoin d'une élection hautement démocratique". Il dit alors que le Venezuela sait mais pas que Caracas fera en sorte qu’il en soit ainsi.   La farce électorale annoncée.    A quatre mois de la date prévue pour l’élection, Lula, est évidemment parfaitement in-formé de la situation dans le pays voisin. Il suit le déroulement de la campagne. Il est conscient que son "camarade" prépare une mascarade. Dès que la date du scrutin a été fixée, le régime a multiplié les attaques contre l’opposition.   Des centaines de personnes proches de Maria Corina Machado ont été arrêtées de manière absolument arbitraire. Les soutiens de la candidate récusée subissent des agressions physiques, reçoivent des menaces sur les réseaux sociaux. De locaux de campagne sont détruits, des sites inter-net fermés. L’ancienne député et son remplaçant sont contraints de faire campagne en voiture : le pouvoir les a empêchés d’utiliser les compagnies aériennes nationales. Un véhicule de l’équipe de campagne est saboté. Le chef de la sécurité du candidat est ar-rêté. L’opposition n’a pas accès à la publicité télévisée gratuite. Contrairement aux engagements pris à la Barbade, le pouvoir chaviste ne révise pas les listes électorales tenues dans les consulats à l’étranger. Il va ainsi empêcher 4,5 millions d'exilés - soit envi-ron 21 % de l'ensemble des électeurs - de s'inscrire pour voter. A quelques jours du scrutin, le CNE décide d’installer de nombreux bureaux de votes à l’intérieur de locaux of-ficiels où sont habituellement distribuées les prestations sociales. Le jour du scrutin, les électeurs sont systématiquement soumis à une pression discrète de militants et de miliciens chavistes pour qu’ils votent pour Maduro afin de ne pas perdre les subsides que le régime leur octroie.   La campagne de Maduro et celle de l'opposition.   Ce ne sont là que quelques-unes des irrégularités et crimes commis par le camp du candidat du pouvoir. L’opposition résiste pourtant. Un mois avant le scrutin, les enquêtes d’opinion menées par des organismes indépendants donnent une large avance au candidat González Urrutia. Au Brésil et ailleurs sur le continent, les observateurs opti-mistes estiment que Maduro acceptera le résultat des urnes quel qu’il soit. Le conseiller spécial de Lula aux affaires internationales et tous les amis étrangers du régime croient aussi que le dictateur reconnaîtra sans problème un verdict décidé avant le scrutin. Après de nouveaux sondages défavorables, le 17 juillet, Maduro fait une déclaration officielle et menace du pire s’il venait à perdre les élections. Le propos est limpide. "Le destin du Venezuela au XXIe siècle dépend de notre victoire le 28 juillet. Si vous ne voulez pas que le Venezuela tombe dans un bain de sang, dans une guerre civile fratricide, produit des fascistes, garantissons le plus grand succès, la plus grande victoire de l'histoire élec-torale de notre peuple". Interrogé sur les menaces proférées par le dictateur, le ministère brésilien des relations extérieures se borne à répondre que les élections vénézuéliennes sont l'affaire des Vénézuéliens et le Brésil ne doit pas s’impliquer, afin qu'il n'y ait pas d'interprétation selon laquelle le Brésil s'immiscerait dans les affaires intérieures d’un autre Etat.   Le conseiller aux affaires internationales de Lula est plus dissert. Dans un interview télé-visé, Celso Amorim affirme que ce genre de propos n’est pas souhaitable. Il ajoute qu’il ne croit pas à un bain de sang au Venezuela et précise que Maduro n’a pas envisagé cette perspective dans l’immédiat [8] . Lula perçoit de son côté que le "camarade" Maduro a sans doute dépassé les bornes. Il affiche donc une prudente timide réaction et confie que le chantage de son homologue vénézuélien l’a effrayé. Maduro répond en conseil-lant à Lula de boire de la camomille pour retrouver sa sérénité, puis de s'occuper avant tout de réformer le système électoral brésilien lui-même (basé sur un système de vote électronique) qui serait un des plus frauduleux au monde…   Le jeudi 18 juillet, la leader de l’opposition Maria Corina Machado révèle que dans la nuit précédente deux véhicules dans lesquels elle se déplaçait avec son équipe pour mener campagne avaient été vandalisés, le carburant vidangé et les freins coupés. Cet attentat est pris très au sérieux par plusieurs anciens présidents de pays voisins qui dénoncent le silence de la communauté internationale et s’inquiètent pour la vie de la leader d’oppo-sition. Ils sollicitent une intervention urgente des parrains de l’accord de La Barbade que sont les Présidents des Etats-Unis, de Colombie et du Brésil… Ces derniers ne réagissent pas. Le Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), organe de l’Orga-nisation des Etats Américains condamne l’agression subie par l’ancienne député, enjoint Caracas d’ouvrir une enquête sur ce crime et demande que l’Etat assure la sécurité de toutes les personnalités politiques…   Deux jours avant la date du scrutin, le conseiller spécial de Lula débarque à Caracas. Il a été désigné par son patron pour suivre sur place le déroulement des élections. A l’exception de la fondation Carter, aucun observateur étranger indépendant et originaire de pays démocratiques n’a finalement été autorisé à surveiller le déroulement de la journée du 28 juillet. A son arrivée, Celso Amorim rencontre le ministre des Relations extérieures du gouvernement chaviste. Il est aussi reçu par Maduro. Amorim est un observateur partial et particulièrement cynique. Il n’est pas à Caracas pour rapporter ce qu’il a vu mais pour annoncer que, quoiqu’il arrive, tout s’est bien passé.   Le jour et le lendemain de la mascarade.   Démonstration est faite dès le 28 juillet au soir. Les représentants de l’opposition ont été écartés des opérations de dépouillement. Il y a eu des violences, des arrestations arbi-traires. Dans les quartiers et les régions donnés comme favorables à Maduro, l’abstention a été élevée et les résultats ne sont pas ceux que le pouvoir attendait. Amorim publie pourtant un communiqué où il se réjouit que la "journée se soit déroulée sans incident majeur". Il précise qu’il n’a pas cessé d’informer Lula. Le conseiller spécial conclut : "Nous attendons les résultats définitifs et espérons que tous les candidats les respecteront". Il n’aura pas à attendre longtemps et ne sera pas surpris.   Le soir du 28 juillet, le CNE proclame la victoire de Maduro sans fournir d’informations détaillées sur les résultats par circonscriptions et bureaux de vote. Le Conseil aurait été victime d’un piratage informatique. Des opposants et la Fondation Carter estimeront qu’il s’agit-là d’une manœuvre destinée à éviter d'avoir à donner les vrais résultats. Dès le vendredi suivant, le même Conseil ratifie la victoire du Président sortant avec 52% des voix, toujours sans rendre publics les procès-verbaux des bureaux de vote. De son côté, l’opposition a publié les procès-verbaux obtenus par ses scrutateurs. Elle affirme que son candidat a remporté le scrutin avec 67% des suffrages. La fondation Carter confirme: «Même si les deux camps n'étaient pas à armes égales, les Vénézuéliens sont allés voter (...) mais la grande irrégularité du jour du scrutin a été le manque de transparence du CNE et le mépris flagrant de ses propres règles du jeu» . La Fondation précise qu’elle a  «analysé les chiffres»  des procès-verbaux diffusés par l'opposition avec d'au-tres  «organisations et universités»  et  «confirme qu'Edmundo Gonzalez Urrutia est le vain-queur avec plus de 60% des voix» [9] .   Le lundi 29 juillet, le Ministère brésilien des Relations Extérieures déclare qu’il attend la publication par le CNE de données détaillées par bureau de vote pour se positionner quant aux résultats. Le Ministère, le Président Lula et son clan feignent de ne pas savoir ce qui se passe. Des manifestations d’opposants révoltés sont en cours. Dix personnes sont tuées par la police et les milices sur le seul lundi. Le 30 juillet, le procureur général du Venezuela annonce que 749 manifestants de l’opposition ont été arrêtés. Il s’agirait de terroristes !  Ce même procureur ajoute qu’il prépare l’arrestation et l’inculpation de Maria Corina Machado et de deux autres leaders de l’opposition qui seraient les responsables de l’attaque informatique dont aurait victime le CNE.   L’exécutif brésilien et son chef vont désormais adopter une posture de complicité pru-dente avec le pouvoir chaviste. Pour que ce dernier ne doute à aucun instant de la soli-dité des liens d’amitié, Lula laisse son parti exprimer sans attendre une complicité enthousiaste. Dans un communiqué publié dès le lendemain de la mascarade électorale orchestrée par le pouvoir chaviste, le Parti des Travailleurs salue la "victoire" du leader chaviste et qualifie le scrutin comme un processus "pacifique, démocratique et souverain". .. Un ton et un contenu proche de ceux des messages envoyés à Maduro par les potentats du Nicaragua, de Cuba, de Chine, de Russie ou d’Iran. Les résultats officiels du scrutin seront dénoncés par les États-Unis, l'Union européenne, l’Argentine, le Pérou, l’Equateur ou le Costa Rica. Les ambassadeurs de ces derniers pays seront expulsés rapidement du Venezuela.   Au Brésil, Lula croit encore qu’il peut persister dans le double jeu. Le leader brésilien a une très longue expérience du régime chaviste. Il connaît tous les ressorts des mises en scène de ce pouvoir autoritaire devenu dictatorial. Le Président brésilien a décidé à l’is-sue de la farce tragique jouée sur la scène du pays voisin d’afficher un  cynisme total. Dès le 30 juillet, il déclare contre toute évidence qu'il n'a rien vu "rien de grave, rien d'anor-mal" dans l'élection vénézuélienne. Il y aurait simplement un différend entre le pouvoir et son opposition, un différend qui doit bien entendu être arbitré par la Justice Et d’ajouter qu’il est convaincu qu’il s’agit au Venezuela d’un processus électoral normal et tranquille…Lula annoncera ensuite qu’il attend la publication par le CNE des fameux procès-verbaux. Il sait très bien que cette publication n’aura jamais lieu [10] . Le 31 juillet le conseil permanent de l’Organisation des États américains (OEA) n'est pas parvenu, à une voix près, à approuver une résolution exigeant que le CNE vénézuélien présente les procès-verbaux complets du scrutin réalisé trois jours avant. Le conseil permanent avait besoin de 18 voix pour approuver la résolution, qui demandait égale-ment que les données soient vérifiées par des observateurs internationaux afin de garantir la transparence, la crédibilité et la légitimité des résultats de l'élection. Il y a eu 17 votes en faveur de la résolution, aucun contre, 11 abstentions et 5 absences (dont le Mexique). Parmi les abstentions figurent deux gouvernements proches du régime chaviste : la Colombie de l'ancien guérillero Gustavo Petro....et le Brésil.   Lula et son parti abandonneront-ils un jour cette complicité cynique avec le pouvoir dic-tatorial de Caracas ? Une rupture idéologique tardive doit être écartée. Le compère pourrait pourtant prendre ses distances, assurer ses arrières, si deman Maduro en venait à mettre à exécution ses sinistres menaces (le bain de sang). Le coût politique de la complicité maintenue serait alors considérable pour Lula à l’intérieur du Brésil. Comment réagirait le Congrès où il a déjà du mal à trouver des majorités de soutien ? Comment se comporterait sa propre équipe gouvernementale dont plusieurs membres (dont Marina Silva, ministre de l’Environnement) ont déjà dénoncé la mascarade vénézuélienne. C’est tout l’avenir du troisième mandat qui serait en jeu. Les dinosaures savent bouger lorsqu'ils font face à un danger vital….   [1]  L’ancien Président brésilien avait même déclaré Maduro persona non grata au Brésil. [2]  Nicolás Maduro a repris ses déplacements notamment au Mexique au mois de septembre 2021 pour la réunion de la communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes, mais aussi au mois de novembre 2022 à la réunion de la COP-27 à Charm-el-Cheikh en Egypte. Maduro a alors une brève entrevue avec le Président français E. Macron et plusieurs échanges avec Lula. Officiellement, le Brésilien et le Vénézuélien ont traité d’un projet de lutte coordonnée contre la destruction de la forêt amazonienne.   [3] Lula sait aussi que la répression subie par le peuple vénézuélien n’est pas seulement le fait des polices et de l’armée régulière mais aussi et surtout de milices tristement connues dans ce pays, les colectivos, des groupes de miliciens organisés par le régime.   Il n’ignore pas que les personnes qui refusent de payer l’impôt des réseaux mafieux (la  vacuna , vaccin en espagnol)  qu’entretient le régi-me sont persécutées ou tout simplement éliminées. [4]   Source : O Estado de São Paulo , diverses éditions. [5] Leader politique de l’opposition au régime chaviste, Guaido  est élu président de l' Assemblée nationale  le 5 janvier 2019. Alors que l’investiture de  Nicolás Maduro  pour un second mandat est contestée, invoquant la Constitution, il s'autoproclame  président de la République  par intérim le 23 janvier suivant, sans toutefois posséder de pouvoir effectif. Cette  crise présidentielle  provoque une série de manifestations et de conflits. Il reçoit la reconnaissance de l'Assemblée nationale et d'une cinquantaine de pays. [6]   La question était essentielle pour l’opposition, qui considérait la présence d’observateurs interna-tionaux comme un frein ou une modération possible aux abus du gouvernement, en particulier le jour des élections. En juin 2023, le régime de Maduro était encore opposé à la présence d’observateurs de l’Union Européenne aux élections. Il a donc apparemment changé de position. L’accord de la Barbade précise cependant que les missions d’observation seront "techniques", ce qui vise à éviter une mission d’observation de l’Union européenne, qui a généralement une composante politique et publique. [7] Maduro fait alors écho au conseiller spécial de Lula en affirmant qu’il considère que l’accord de la Barbade est moribond. Un peu plus tôt, dans une déclaration qui a jeté un sérieux doute sur l’enga-gement de Caracas, le président du Parlement, Jorge Rodríguez, avait déclaré qu'il y aurait des élections en 2024 "avec ou sans l'accord de la Barbade". De son côté, le chef de l’Etat a invoqué le projet qu’aurait l’opposition de le liquider. Les accusations de tentative d’assassinat du chef de l’Etat sont fréquentes de la part du camp chaviste. [8] Percevant qu’il s’égare, l’ambassadeur brésilien cherchera à atténuer son commentaire. "Je ne vais pas chercher à justifier le propos (de Maduro) parce que je pense qu’il est vraiment déplacé. On ne parle pas de sang en période électorale. , Au cours d’une campagne, on parle de votes, on ne parle pas de sang". Par la suite, le conseiller de Lula cédera finalement à la tentation de défendre Maduro : "Mais j'ai l'impression, étant, disons, peut-être un peu compréhensif, qu'il faisait référence au long terme, à la lutte des classes, à des choses comme ça, dont, de toute façon, il ne devrait pas parler." [9] Lien de la déclaration de la Fondation : Carter Center Statement on Venezuela Election [10]  Début août, le faux semblant est encore de mise. La Colombie, le Brésil et le Mexique suggèrent une " vérification impartiale des résultats" . La proposition est jugée irréaliste par la Fondation Carter. Ses représentants à Caracas savent que quelques jours après le scrutin les procès-verbaux de bureaux de vote  ne pourront pas être analysés.

Qui sommes nous?

Jean-Yves Carfantan, économiste, consultant en économie agricole. Analyse et suit l’évolution de l’économie et de la politique au Brésil depuis 30 ans. Vit entre São Paulo et Paris.  Il anime ce site avec une équipe brésilienne formée de journalistes, d’économistes et de spécialistes de la vie politique nationale.

Menu

Contact

©2019 IstoéBrésil. Tous droits réservés.

bottom of page