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  • Lula, le Brésil et le monde (1).

    Généalogie d'une diplomatie manichéenne. Au sein du gouvernement Lula 3, il y a les titulaires officiels de portefeuilles ministériels. Il y a aussi les vieux compagnons de route du leader de la gauche qui ont souvent plus de marges de manœuvre que les ministres en titre. Il y a par exemple le conseil spécial aux relations internationales Celso Amorim, dont la capacité d’influence auprès du Président est infiniment plus grande que celle de l’obscur ministre des Affaires Etrangères Mauro Vieira. Amorim est le grand concepteur de cette étrange politique extérieure menée par le Brésil depuis janvier 2023. Le ministre en est le simple exécutant. Cette politique fait de plus en plus polémique au Brésil. Elle permet de continuer à cultiver l’image (de plus en plus irréelle) d’un Lula leader du Sud. Elle est pourtant de plus en plus contraire aux intérêts véritables du pays. La stratégie internationale que prétendent conduire Amorim et son chef est fondée sur une représentation du monde, une vision, que les leaders actuels de la gauche brésilien-ne cultivent depuis leur jeunesse, c’est-à-dire depuis le temps de la guerre froide. Au fil du temps, les acteurs porteurs de cette représentation n’ont pas cessé d’utiliser des con-cepts, des raisonnements, un système d’interprétation, un ensemble de croyances ex-ceptionnellement résistants aux faits, à la complexité du réel, aux changements ob-servés dans la vie économique, sociale et politique. Pour les leaders de la gauche bré-silienne aujourd’hui au pouvoir, la lecture géopolitique qui fondait leur foi tiers-mondiste déjà ancienne n’a pas lieu d’être révisée, bien au contraire . La scène internationale est animée par deux catégories d’acteurs : les opprimés du Sud et les oppresseurs du Nord et le sort des premiers est la conséquence mécanique de la domination exercée par les seconds. On tentera dans ce premier post d’explorer la généalogie de cette géopolitique binaire et manichéenne en s’intéressant aux personnalités qui pilotent aujourd’hui les relations du Brésil avec le reste du monde. Ces leaders ont inspiré la lecture géopolitique qui est celle du Parti des Travailleurs (PT) depuis plus de 40 ans, celle de Lula et des anciens militants qui l’entourent jusqu’à aujourd’hui. L’empreinte de la guerre froide. A sa création, en 1980, la nouvelle formation politique réunit des intellectuels d’extrême-gauche, des militants chrétiens des communautés de base (1) et des syndicalistes ou-vriers. Elle se distingue des partis traditionnels brésiliens sur plusieurs points. Fortement ancré au sein du monde des salariés, le PT défend des orientations politiques arrêtées. Il possède une identité idéologique bien définie (ce qui n’est pas souvent le cas dans la vie politique brésilienne). Le parti rassemble des acteurs divers dont beaucoup ont com-battu le régime autoritaire qu’a connu le Brésil depuis 1964. Certes, ces acteurs en-tendent en finir avec la dictature mais ils veulent aussi provoquer une transformation en profondeur de la société brésilienne en suscitant un puissant mouvement des classes populaires. Les fondateurs du parti souhaitent un retour rapide à la démocratie. Mais pour nombre d’entre eux ce retour ne s’arrête pas au rétablissement de la démocratie libérale. Ces militants radicaux restent fascinés par la révolution castriste, un modèle qui sert de référence. Le Brésil de demain auquel ils rêvent doit se rapprocher de cette so-ciété insulaire qui serait animée par une énergie révolutionnaire puissante, qui fonction-nerait comme une communauté fraternelle de travailleurs dont le destin est conduit par un leader forcément éclairé. Dans le mouvement qui doit mener à l’instauration du socia-lisme, les normes et les règles de la démocratie libérale ne sont que des obstacles dres-sés par la bourgeoisie pour retarder le basculement économique et social inéluctable qui mettra fin à son règne…. Réunion de fondation du PT en 1980 (au micro, déjà, Lula). Le crédo qu’imposent ces leaders est inspiré par la doctrine marxiste-léniniste et anti-impérialiste. C’est ce credo qui sera retenu pour définir les relations que le parti construit avec les acteurs étrangers. Dans un pays très fermé à l’extérieur, jusqu’aux années 1980, l a vision de la géopolitique dominante (et celle qui prévaut à gauche) est largement in-fluencée par le bagage idéologique et culturels d’intellectuels issus de la bourgeoisie ou des classes moyennes et qui ont combattu la dictature militaire. Ces personnalités mili-tantes ont été contraintes à l’exil pendant plus de quinze ans. Dans les pays d’accueil, elles ont été reçues et soutenues par des institutions universitaires, des organisations po-litiques dont elles étaient proches. Leurs premières expériences internationales auront été des expériences au sein de réseaux culturels et militants qui confortent la doxa idéo-logique des réfugiés politiques. Lorsque l’exil a conduit ces intellectuels engagés vers l’Europe occidentale, ils se sont naturellement rapprochés des sanctuaires d’une pensée marxiste alors florissante. Adoptés par de grandes figures de la vie intellectuelle parisienne ou romaine, ils ont été encouragés à persister dans le catéchisme de leur jeunesse. Ce sont ces personnages que l’on retrouvera au début des années 1980 au sein des instances dirigeantes du Parti des Travailleurs. Ce sont elles qui vont concevoir la politique internationale de la forma-tion, et "éduquer" ensuite plusieurs générations de jeunes militants qui continuent à voir le monde avec les lunettes à la mode à l’époque de la guerre froide. Cette généalogie intellectuelle est essentielle pour comprendre la politique internationale du Brésil de 2024. On y reviendra plus loin. La jeune organisation qu'est le PT affiche à partir des années 1980 un programme et des propositions inspirées par l’expérience du socialisme étatique (celle du modèle cubain davantage que celle de la planification centralisée soviétique) et revendique une posture anti-impérialiste, c’est-à-dire anti-américaine. Ajoutons que pendant ses vingt premières années d’existence, le parti et les organisations syndicales qui se sont ralliées à lui (CUT (2) et syndicats proches dans le monde universitaire et le secteur public) sont financiè-rement soutenus par le régime cubain, par les syndicats et partis socialistes de pays oc-cidentaux (DGB et SPD en Allemagne, CGT et CFDT en France, AFL-CIO aux Etats-Unis), par des mouvements de guérillas d’extrême-gauche actifs dans les pays voisins d’Amé-rique du Sud (les Farc de Colombie par exemple). Ces soutiens n’ont jamais été dévoilés par le Parti de Lula et par la CUT mais ont pu être vérifiés par de nombreux enquêteurs indépendants. Ces liens très concrets ont aussi favorisé l’immobilisme idéologique du PT et sa fidélité à une vision du monde construite pendant la guerre froide et directement inspirée par la propagande et les réseaux d’influence de l’Union Soviétique. Au Brésil comme ailleurs en Amérique du Sud, les affinités politiques de formations de gauche n’ont pas été remises en cause ni même ébranlées par la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’empire soviétique. L’horreur du Goulag et la révélation de tous les crimes commis par la dictature de Staline et de ses successeurs n’ont pas ébréché la foi ni conduit à de profondes ré-visions idéologiques. La fin des régimes communistes en Europe ne provoquera donc pas au sein du PT une sorte de "Bad Godesberg". Il n’y aura ni inflexion vers un projet social-démocrate compatible avec l’économie de marché, ni affirmation d’un attache-ment sans faille à la démocratie libérale et à l’Etat de droit. Au moment de l’implosion du socialisme soviétique et du début de la transition vers le capitalisme dans tous les pays qui étaient jusqu’alors sous tutelle de Moscou, le Parti des Travailleurs brésilien reste donc accroché à ses dogmes originaux. Les personnalités lucides et clairvoyantes font dissidence ou abandonnent le militantisme. Les fidèles res-tent, plus rigides que jamais. Ils ne peuvent plus compter sur le précieux soutien que feu l’empire soviétique fournissait à toutes les formes de "résistance à l’impérialisme", des satellites cubain et nicaraguayen en passant par les diverses guérillas et partis de gauche officiels…La Chine est encore peu influente dans la région. Cuba renforce donc ses liens avec tous ces alliés que le régime castriste fait encore rêver. Le régime castriste a des amis solides au Brésil où le Parti des Travailleurs continue à former cadres et militants en utilisant la contribution d'universitaires pour qui le marxisme est un horizon indépassable. Les références théoriques dont se réclame l’organisation restent fonda-mentalement inspirées par la vieille sociologie marxiste et la "dénonciation de l’impé-rialisme". A ce référentiel jamais vraiment revisité viendra s’ajouter sur les années récentes la prise en compte de revendications identitaires, l’intégration de nouveaux "concepts" produits par le wokisme. Le mélange du vieux marxisme-léninisme avec les élucu-brations de la "pensée décoloniale" a renforcé au sein du PT et de l’extrême-gauche brésilienne la vigueur de la dénonciation de l’oppression qu’exercerait le vieux monde occidental sur les pays du "sud global"…. Lula et Fidel Castro à Cuba en 2004 (à gauche Frei Beto, prêtre catholique lié au PT). Le creuset initial. Les personnalités qui ont créé le Parti des Travailleurs ont vécu leur jeunesse dans le Brésil des années cinquante et soixante. Elles appartiennent pour l’essentiel à deux sec-teurs de la société. Il y a d’une part des intellectuels issus des classes aisées qui ont pu faire des études universitaires (3) . Il y a d’autre part des militants syndicaux issus pour la plupart des mouvements d’action catholique actifs au sein des quartiers populaires (communautés de base) et des organisations syndicales de salariés. Dans ces deux uni-vers sociaux, dès les années cinquante, les débats politiques et idéologiques foisonnent. A l’université et autour de la vie universitaire, étudiants, enseignants, leaders politiques et formateurs d’opinion débattent sans fin de questions majeures qui touchent à l’état du pays, son retard de développement, les énormes inégalités sociales, le conserva-tisme rigide des moeurs favorisé par un catholicisme largement dominant …Ces questions préoccupent aussi les militants du christianisme social qui ont de plus en plus de mal à s’identifier à une église catholique figée dans la tradition, justifiant souvent le statuquo social et économique. Ces militants défendent un christianisme engagé aux côtés des pauvres. Des théologiens en marge de l’institution ecclésiale les encouragent à accepter la lecture marxiste de la société. Le Brésil des premières décennies suivant la Seconde Guerre mondiale alterne crises économiques et périodes de relative prospérité. L’émergence d’un capitalisme national générant croissance, distribution de revenus et intégration sociale paraît impossible ou improbable. Pourquoi le pays reste-t-il relativement pauvre ? Ils sont déjà nombreux au Brésil les économistes universitaires qui proposent un système d’explication de ce blo-cage historique : la domination des économies périphériques (dont celles d’Amérique du Sud) par les pays riches occidentaux. Entre ces deux pôles, l’échange imposé par les "puissances capitalistes centrales" est inégal. Il appauvrit systématiquement les périphé-ries contraintes à n’être que des fournisseurs de matières premières. Au sein de ces pé-riphéries, des élites contrôlant les ressources naturelles (la terre et les richesses mi-nières) sont les seules à tirer parti de ce pillage organisé par le monde occidental riche. Le Brésil est un de ces nations périphériques. Certes, il possède déjà une base indus-trielle mais celle-ci est dominée par quelques grandes multinationales américaines ou européennes qui ne cherchent qu’à profiter de la main d’œuvre locale surexploitée. Le pays doit donc rompre avec le monde extérieur pour décoller. Il doit soustraire son éco-nomie à l’emprise des marchés et capitaux étrangers pour sortir du sous-dévelop-pement. A ce credo, les forces de gauche ajoutent un élément essentiel. Il ne suffit pas de pro-mouvoir un développement autocentré, de fermer le marché national, d’en finir avec l’échange inégal. D’autres impératifs complémentaires s’imposent : éliminer la puissance économique et politique des élites, faire de l’Etat contrôlé par les forces de gauche l’instrument central du décollage économique et de la redistribution des ri-chesses. Le nationalisme doit s’accompagner d’une révolution sociale. Un pays comme le Brésil ne sortira pas de la misère si le peuple ne rejoint pas le combat qu’ont mené les camarades cubains, que mènent d’autres forces sur le sous-continent. Un combat que soutiennent les forces du camp socialiste dominé par la patrie soviétique…Cette lecture n’est pas seulement celle des mouvements marxisants qui se multiplient au Brésil en ce début des années soixante. Elle inspire aussi de plus en plus le combat des militants catho-liques de gauche engagés dans un combat contre les inégalités sociales, contre la pau-vreté… Une trajectoire exemplaire. Il faut s’arrêter à la trajectoire de quelques-uns des intellectuels militants qui ont grandi dans cet univers culturels et idéologique et qui créeront le PT après la fin du régime militaire pour comprendre ce que sera l’influence de cette génération sur la gauche d’aujourd’hui et sa vision de la géopolitique. Retenons ici un seul exemple, celui d’une personnalité peu connue du grand public en dehors des cercles militants brésiliens et internationaux qu’il a très longtemps fréquenté et animé. Pendant plus de trente ans, à partir de la création du Parti des Travailleurs et durant les quatre gouvernements dominés par la formation de Lula (de 2003 à 2016), nul n’a eu plus d’influence sur les relations entretenues par la gauche brésilienne avec le monde extérieur que l’intel-lectuel et universitaire Marco Aurélio Garcia. Au cours de la longue période évoquée ici, l’homme sera tour à tour le penseur des relations internationales du PT, l’architecte des réseaux que la formation crée avec ses partenaires étrangers puis le conseiller spécial aux affaires étrangères de Lula et de D. Rousseff au cours de leurs mandats présidentiels respectifs. Ce gaucho (4) est né à Porto Alegre en 1941. Il est le fils d’une famille de la bourgeoisie intellectuelle locale. A la fin des années cinquante, il commence des études univers-sitaires de philosophie et d’histoire. Il est aussi déjà un militant actif au sein du mou-vement étudiant. Il devient alors membre du Parti Communiste Brésilien (PCB) puis re-joint la direction de l’Union Nationale des Etudiants (UNE, une organisation déjà très marquée à l’extrême-gauche) dont il sera vice-président. En 1964, après l’instauration de la dictature, M.A. Garcia rejoint un groupe trokyste dissident du PCB. Il commence à enseigner la pensée marxiste à l’université puis séjourne en France une première fois à partir de 1967. A Paris, il poursuit sa formation en suivant les enseignements du philo-sophe marxiste L. Althusser. Revenu brièvement au Brésil, il fuit vers l’Argentine puis s’ins-talle au Chili en 1970. Dans le pays où S. Allende vient d’accéder au pouvoir, Garcia se rapproche du MIR, une formation de la gauche radicale qui apporte un soutien critique au nouveau gouvernement. Après le coup d’Etat de Pinochet (septembre 1973), le Brésilien reste un temps au Chili mais fini par se réfugier en France en 1974. A Paris, l’intellectuel militant est intégré au corps professoral de l’université de Nanterre. Il se rapproche de tous les milieux de la gauche culturelle et va profiter de son exil pour développer des relations avec les forces politiques locales dont il est proche. Pendant les six années qu’il passe en France, l’universitaire en exil multiplie les contacts avec des "forces progressistes", qu’il s’agisse des partis communistes de l’empire so-viétique, d’organisations de réfugiés politiques à l’étranger ou de représentations de mouvements nationalistes de ce que l’on appelle alors le tiers-monde. Dans les années soixante-dix, c’est à Paris que se multiplient les associations, groupes militants qui ac-cueillent des réfugiés de tous les pays d’Amérique du Sud alors gouvernés par des dic-tateurs. C’est à Paris que fleurissent les espaces universitaires et cercles militants enga-gés "contre l’impérialisme" et le combat en faveur du tiers-monde (voir encadré). Comme d’autres exilés, l’intellectuel originaire de Porto Alegre va tisser à Paris des ré-seaux de contacts dans ces milieux partageant sa vision du monde, contacts qui seront très utile plus tard. M.A.Garcia apprend à connaître les institutions françaises et les organisations politiques nationales. Il se déplace dans les pays voisins. Il noue des liens avec les Iraniens qui entourent l’Imam Khomeiny refugié dans les Yvelines. C’est encore à Paris ou dans les nations proches de la France qu’il a pu prendre langue avec des représentants d’organisations palestiniennes, avec ceux de partis africains au pouvoir ou dans l’opposition. Cette période d’exil aura été pour ce personnage comme pour d’autres réfugiés brésiliens une exceptionnelle phase d’incubation, d’expérience internationale, de construction de réseaux. En 1979, à la faveur de l’ouverture que pratiquent les militaires au pouvoir, le militant marxiste revient au Brésil et devient enseignant d’histoire à l’Université de Campinas, une institution déjà très marquée à gauche. En 1980, il participe avec ses amis trotkystes à la création du nouveau Parti des Travailleurs. L’homme a déjà une ample expérience inter-nationale. A son retour au Brésil, le carnet d’adresse de Garcia est très étoffé. Il possède une expérience hors pair des réseaux militants socialisants, communisants ou dits de résistance à l’échelle globale. A partir de 1980, Garcia devient donc un des grands inspirateurs et promoteurs des relations de partenariats et d’amitié que le PT développe et entretient avec des réseaux politiques étrangers. Dès 1990, il sera coordi-nateur aux relations internationales de la formation de Lula. Rencontre du Forum de São Paulo à Caracas en 2012. Au centre Hugo Chavez. A gauche, JL Melenchon. La même année, le PT Brésilien, Lula et leurs amis de nombreux partis de la gauche latino-américaine annoncent la création du "Forum de São Paulo". A son apogée, dans les années 2000, cette organisation continentale réunira 115 formations politiques de gauche et d'extrême-gauche, mouvements de guérillas et intellectuels de tous les pays latino-américains. Elle accueillera aussi les dirigeants des Etats où la gauche détient le pouvoir au cours de la première décennie du 21e siècle. Le forum sera une des tribunes pré-férées d’Hugo Chavez dont M.A. Garcia n’a jamais cessé de faire les louanges. C’est lors des assemblées du Forum que Lula retrouvera ses camarades Fidel Castro, Daniel Ortega, Evo Morales (Bolivie) ou Nestor Kirchner. Plus tard, le Forum recevra Maduro et accueillera aussi des leaders de l'extrême-gauche européenne comme J-L Melenchon. C’est au sein du Forum que les dirigeants de la gauche sud-américaine vont développer des liens avec les responsables du Parti communiste chinois (PCC), avec les représentants du Parti de Wladimir Poutine ou ceux de la gauche du Parti démocrate américain. C’est encore le Forum qui fournira l’occasion de contacts renouvelés avec toutes les "forces progressistes" de ce qui va être appelé bientôt le "sud global". Le mentor d’une troïka. En 2003, quand Lula et son parti prennent la tête de l’Etat fédéral, la gauche doit faire preuve de pragmatisme sur le terrain économique. Néanmoins, la politique extérieure officielle va suivre les orientations et les directives du PT. Les relations entre le Brésil et le monde vont être conçues, organisées et pilotées par une troïka formée de deux diplo-mates de carrière placés sous la tutelle de M.A. Garcia. Officiellement, le Ministre en charge des relations extérieures pendant les deux premiers mandats de Lula a été l’ambassadeur Celso Amorim. En réalité, la politique extérieure du Brésil est définie au Palais présidentiel par le chef de l’Etat et son conseiller spécial. Le ministre s’occupe de questions commerciale et assure toutes les missions protocolaires de représentation. Lula a d’ailleurs confié le poste à un homme qui ne peut pas gêner ses grandes ambi-tions diplomatiques. Celso Amorim n’est pas vraiment un militant de la gauche radicale. A la fin du régime militaire, déjà intégré au corps diplomatique, il a adhéré au MDB, la seule formation d’opposition au régime militaire alors tolérée. Après le retour à la démocratie en 1985, l’ambassadeur reste membre du parti (devenu alors PMDB) qui défend alors des positions centristes très modérées. Cette filiation ne gêne en rien la carrière d’un homme qui occupe les postes les plus prestigieux (5) . Amorim attendra d’ailleurs 2009 pour se décider à devenir enfin membre du parti de Lula. Sans doute considère-t-il alors que la gauche tient désormais pour très longtemps les rênes du pouvoir…Entre temps, pendant huit ans, il s’est occupé essentiellement de négociations commerciales. Il sera notam-ment remarqué sur la scène internationale lors des pourparlers du cycle de Doha de l’OMC. M.A. Garcia, C. Amorim et Lula dans les années 2000. La gestion administrative du personnel diplomatique échappent aussi largement au mi-nistre en titre. Cette tâche est confiée au second personnage du ministère également di-plomate de carrière, Samuel Pinheiro Guimarães. En 2003, Lula a nommé cet ambas-sadeur au poste de secrétaire général d’Itamaraty (Ministére des Affaires Etrangères). L’homme est aussi économiste. Il n’a jamais occupé un poste à l’étranger et pour cette raison connaît à fond une administration centrale qu’il n’a jamais quittée. Pinheiro Guimarães est l’exemple type de l’idéologue nationaliste, profondément anti-américain et allergique à toute forme de libéralisme, radicalement opposé à l’économie de mar-ché, partisan d’un développement entièrement dirigé par l’Etat, défenseur d’un protec-tionnisme absolu. Après avoir élaboré cette vision du développement dans plusieurs ouvrages, cet intellectuel dénoncera dans les années 2000 toutes les tentatives d’inté-gration du Brésil à l’économie en voie de globalisation. A partir de 2003, le diplomate va profiter de son long mandat à la tête de l’administration du ministère (il occupera ce poste jusqu’en 2009) pour tenter de catéchiser l’ensemble du corps des fonctionnaires en imposant comme norme une vision nationaliste, protectionniste et anti-impérialiste de la diplomatie. Il est alors difficile de trouver une personnalité plus proche de M.A. Garcia. Dès le début des années 2000 et au sein des gouvernements Lula. Pinheiro Guimarães sera un autre grand défenseur de la révolution bolivarienne conduite par Chavez au Venezuela avec les réussites que l’on sait…. Dans le second gouvernement Lula, il devient Ministre en charge des questions stratégiques… Les grands dossiers diplomatiques restent l’affaire du conseiller spécial aux affaires étrangères de Lula. M.A. Garcia va exercer cette fonction pratiquement sans discon-tinuité pendant treize ans, de 2003 à la fin du gouvernement Roussef en 2016. Il sera l’architecte des projets d’intégration du sous-continent que souhaitait voir aboutir Lula pour contrecarrer les propositions d’union commerciale des Etats-Unis. Il sera le pilote des relations étroites que Lula établit dès sa première présidence avec le régime cha-viste du Venezuela. Il entretiendra toujours les liens d’amitié avec le pouvoir cubain et la famille Castro. La politique de rapprochement avec l’Afrique qu’engage alors le Brésil est avant tout l’affaire de Garcia qui est aussi à la manœuvre lorsqu’il s’agit de renforcer les liens avec le monde arabe, avec les Etats du Proche-Orient et notamment l’Iran. Sur la seconde moitié des années 2000, alors que plusieurs pays émergents préparent le lancement du club des BRICS, M.A. Garcia est à la manœuvre pour négocier l’adhésion de la Chine avec ses partenaires chinois, russes et indiens. L’intellectuel gaucho sera encore l’artisan d’un rapprochement entre le Brésil et l’Iran des mollahs. En 2009, le président Mahmoud Ahmadinejad est reçu en visite au Brésil. L’année suivante, Lula va parrainer un accord tripartite (avec l’appui de la Turquie) par lequel Téhéran s’engage à reporter ses prétentions au nucléaire militaire. Le leader brésilien prétend alors que l’accord évitera au régime des mollahs des sanctions économiques. En réalité, l’Iran ne tiendra pas ses engagements. Tant que le PT sera au pouvoir, les relations entre les deux pays resteront pourtant très fraternelles… Sur tous ces terrains, la diplomatie progressiste mis en oeuvre pendant plus d'une décennie par Lula et son mentor sera abandonnée pendant les sept années qui séparent la destitution de D. Rousseff et le retour de Lula à la présidence. En janvier 2023, dès son investiture, Lula annonce que Celso Amorim (désormais bien aligné sur la diplomatie du PT) occupera le poste qui a longtemps été celui de M.A. Garcia….On annonce alors à Brasilia que le "Brésil est de retour". Il est vrai que la Présidence Bolsonaro n'avait pas été très brillante sur le terrain diplomatique comme sur beaucoup d'autres. Depuis janvier 2023, le Brésil a tracé une route qui l'éloigne de plus en plus du camp occidental. Est-ce son intérêt ? Est-ce la bonne voie alors que les années à venir vont être marquées sur le continent américain par le retour de D. Trump à la tête des Etats-Unis ? Est-ce un choix qui correspond aux aspirations des Brésiliens ? Prochain post : une diplomatie contre les intérêts du pays. (1) Les communautés ecclésiales de base étaient des cellules militants catholiques issus des classes les plus pauvres. Lancées dans les années 1950 en Amérique latine, inspirées notamment de la théologie marxisante de la "libération", elles ont connu un certain succès jusqu’aux années 1970, avant d’être remises au pas et interdites par la hiérarchie catholique sous la papauté de Jean-Paul II (1978-2005). (2) Central Ūnica dos Trabalhadores, une des grandes centrales syndicales du pays, très proche du PT depuis sa création. (3) Jusqu’en 1985-1990, les études universitaires ne sont accessibles qu’à une faible minorité de jeunes issus de l’enseignement secondaire. Cette minorité est essentiellement composée d’enfants des classes aisées. (4) Natif de l’Etat du Rio Grande do Sul. (5) C. Amorim a été le représentant permanent du Brésil auprès de l'ONU, du GATT et de la Confé-rence du désarmement à Genève (1991-1993) puis chef de la délégation brésilienne auprès de l’ONU à New-York (1995-1999). En 1999, il est revenu à Genève pour occuper le poste de représentant permanent auprès de l’OMC. Il sera ambassadeur au Royaume-Uni de 2001 à 2002. Après avoir été ministre des Affaires Etrangères dans les deux premiers gouvernements de Lula, il assumera le portefeuille de la défense au sein du gouvernement D. Rousseff entre 2011 et 2015.

  • Une élection qui annonce celle de 2026 (3).

    Le début de la fin de l'ère Lula ? La question est récurrente à chaque veille de scrutins municipaux : les choix que feront les électeurs pour des consultations par nature locales auront-ils une portée et une signification nationales, permettront-ils de dessiner déjà le paysage et les rapports de force politiques qui prévaudront lorsque les Brésiliens seront convoqués pour des élec-tions générales ? L’expérience historique montre que depuis le retour à la démocratie (1985), les résultats des municipales ont souvent permis d’anticiper ceux des élections législatives fédérales qui ont lieu deux ans plus tard. Dans le système politico-institu-tionnel brésilien, le chef de l’exécutif fédéral est très dépendant du Congrès où il doit constituer une majorité de parlementaires appuyant ses projets politiques. Même si l’is-sue d’un scrutin municipal n’autorise pas à faire des pronostics définitifs sur le sort que réservera la prochaine consultation présidentielle aux personnalités en lice, il constitue un sérieux baromètre politique. Pour Lula, ce baromètre est préoccupant. Il montre que la politique qu'il conduit ne mobilise guère, n'enthousiasme pas, est très éloignée des préoccupations et aspirations de la majorité des Brésiliens. Cette distance entre le pouvoir et les attentes de la population doit être absolument réduite pour que Lula puisse envisager une réélection en 2026. La gauche et son leader ont un peu plus d'un an (dès le début 2026, le Brésil entrera en campagne) pour mettre en oeuvre un véritable aggionarmento . Il est peu vraisemblable qu'ils parviennent à réaliser en un temps si court ce qu'ils n'ont pas fait depuis des années. Lula peut-il envisager un quatrième mandat à partir de 2027 ? Un Brésil conservateur mais moins radical. Le verdict est tombé dès le lendemain du premier tour du 7 octobre dernier : les partis du centre et de droite sont les grands vainqueurs du scrutin municipal. Les maires élus ou réélus qui assumeront la direction des 5569 municipalités appartiennent pour plus de 86% d’entre eux à ces familles politiques. Ce résultat n’a pas vraiment surpris. Les partis vainqueurs n’ont pas de programme et d’orientation politique bien définis. Ce sont des organisations assez opportunistes, capables de faire alliance avec toutes les majorités pour décrocher des postes de pouvoir et accéder à des fonds publics. Elles accueillent et soutiennent donc facilement des notables locaux qui entendent péren-niser les mandats conquis en adoptant un profil idéologique attrape-tout. Elles forment ce que les observateurs de la vie parlementaire désignent sous le terme de centrão , un ensemble de forces qui se rallient au pouvoir exécutif dès lors que celui-ci est disposé à leur offrir postes et contrôle de lignes budgétaires. Ces partis du centrão sont aussi ceux qui dominent le Congrès. Pour cette raison, ils ont pu mobiliser des fonds d’origine publique considérables (1) pour leurs campagnes et avaient avant le scrutin conforté les caisses des municipalités tenues par leurs adhérents grâce à la multiplication d’amendements budgétaires . La proportion de maires réélus en octobre dernier (80%) est sans précédent depuis vingt ans. Dans les 112 communes qui ont reçu le plus de crédits au titre de ces amendements, le taux de réélection atteint 93,7%. La majorité des amendements exécutés sur les quatre années de mandats de ces maires sortants ont été sollicités par des députés et sénateurs du fameux centrão qui cherchaient ainsi à entretenir leurs clientèles locales, à garantir la réélection de ces élus municipaux qui sont leurs précieux alliés et agents électoraux au niveau des communes. En multipliant les amendements, les parlementaires du centrão ont renforcé la capil-larité des réseaux régionaux et locaux qu’ils mobilisent à chaque élection nationale. Ils seront remerciés dans deux ans lorsque les centaines de maires et des milliers de vereadores qu’ils ont aidé à gagner feront campagnes pour eux, seront leurs agents électoraux les plus efficaces, assureront leurs réélection et l’arrivée de nouveaux élus du centrão au Congrès. La victoire de la droite et du centre comporte aussi sa part de surprise. Elle marque un changement par rapport à la dynamique qui avait porté à la tête du pays l’extrêmiste J. Bolsonaro en 2018. Les partis qui ont élu le plus de maires et de vereadores ne sont pas seulement des organisations travaillées par le clientélisme, disposées à accepter toutes les alliances en échange de faveurs. Ce sont aussi des formations modérées, animées à l’échelle locale par des leaders politiques souvent soucieux de répondre aux attentes de la population, moins obsédés par les confrontations idéologiques qui déchirent le pays depuis des années. Les principales victoires (au niveau des grandes villes notamment) remportées par ces formations attestent d'un affaiblissement relatif de l’extrême-droite bolsonariste. En 2018, il y a six ans, cette droite radicale gagnait l’élection présidentielle et s’imposait comme une force majeure au Congrès. Elle avait su capter et exploiter habilement le désespoir et la peur qui travaillait de larges secteurs de la population. Elle dressait alors un bilan complet des échecs (criminalité galopante, éducation, bureau-cratie envahissante, récession historique entre 2015 et 2016), des promesses non tenues et des turpitudes (des scandales de corruption sans précédent depuis le retour de la démocratie) de la gauche au pouvoir. Cette extrême-droite autoritaire apparaissait hier comme une alternative moralisatrice, une force désignant un ennemi et engageant une stratégie pour le combattre. Le diag-nostic de tous les problèmes de la société brésilienne (et des souffrances des couches les plus modestes) qu’elle proposait était simple. L’insécurité publique, l’inefficacité des services publics, la bureaucratie effrayante imposée aux PME et aux entrepreneurs individuels, l’impuissance des élites et des institutions démocratiques, l’éclatement des familles dans les milieux les plus pauvres : tous ces maux étaient les symptômes d’une corruption morale généralisée. Cette corruption servait "les intérêts du système et de l’élite". Elle obéissait aussi à un plan visant à soumettre le pays, les familles et les indi-vidus à des idéologies exogènes et perverses. Idéologies que la droite radicale identifiait à un communisme menaçant, au dérèglement profond du corps social conçu par des forces de gauche exclusivement préoccupées d’imposer une vision du monde que l’on appelle aujourd’hui le wokisme. Séduits par cette interprétation, une majorité de Brésiliens déjà conservateurs ont été gagnés par une sorte de peur panique. Le conservatisme dominant est devenu franchement réactionnaire. La droite autoritaire s’est imposée un temps. Elle a perdu en influence sous le mandat de Bolsonaro parce qu’elle suscitait à son tour trop d’incertitudes, ne résolvait aucun des problèmes quoti-diens de la population, se révélait tragiquement impuissante au moment de la crise du covid. Belo Horizonte, octobre 2024 : Bolsonaro fait campagne pour le candidat de son partie au poste de maire, un candidat qui sera battu au second tour... Les élections municipales de 2024 attestent que la radicalité incarnée par Bolsonaro n’est plus le seul courant à la droite de l’échiquier politique. Le conservatisme a commencé à se différencier du courant réactionnaire et conspirateur que représente l’ancien Prési-dent. Le scrutin municipal montre que la majorité des électeurs ne veut plus de leaders politiques qui menacent en permanence la démocratie, l’Etat de droit, le fonction-nement normal des institutions. Elle rejette aussi les politiques alternatives qui génèrent des déséquilibres économiques, sont souvent synonymes de mauvaise gestion des finances publiques et de corruption. Elle entend vivre dans un monde stable. Elle vient de plébisciter au plan local les forces politiques qui apparaissent à la fois les moins aventureuses, les moins dangereuses. La dernière consultation électorale avant les scrutins nationaux de 2026 fait apparaître une majorité de Brésiliens prudents, séduits par les forces politiques les moins radicales, les plus modérées mais aussi les plus traditionnelles. Cette consultation est aussi une défaite préoccupante pour la gauche . En revenant à la tête de l’exécutif fédéral en janvier 2023, le Président Lula et les forces qui l’appuient n’ont guère innové. De nouveau, on a resservi aux Brésiliens les vieilles recettes de l’induction de la croissance par expansion de la dépense publique, du renforcement du secteur étatique et de l'élévation de la pression fiscale, de l'essor des mesures d’assistance aux plus modestes. Rien de tout cela n’a suscité jusqu’à présent l’enthousiasme attendu au sein des nouvelles classes moyennes qui dominent désormais la base de la pyramide sociale. Ces classes sont dominées par une population de nouveaux entrepreneurs plus ou moins prospères, qui attendent de l’Etat qu’il assure le maximum de stabilité économique, qu’il réduise son périmètre d’intervention, fournisse les services attendus en faisant reculer la bureaucratie. Faute d’avoir compris cela, la gauche vient d’essuyer sa plus grande défaite électorale depuis plusieurs décennies. Dépouillements. La droite (2) va prendre en janvier prochain les commandes de 2674 municipalités (48% du total où réside plus de 45 ,7% de la population du pays), soit une progression de 5% par rapport à 2020 lorsque ce courant était parvenu à faire élire 2539 maires. C’est le meilleur résultat de la droite aux municipales depuis 2000. Dans ce total sont comprises 54 des 103 communes du pays comptant plus de 200 000 électeurs et 11 des 26 capitales d’Etats fédérés. La droite, c’est d’abord le Parti Libéral dont un des leaders (désormais aussi encombrant qu’influent) est Bolsonaro. Les élus de la formation dirigent aujourd’hui 344 municipalités. Ils gèreront 517 communes à partir de janvier 2025, soit une progression de 50,3%. Ces élus seront notamment conduits à administrer 16 des 103 communes les plus importantes, contre 2 après le scrutin de 2020. Plus généralement, les partis de droite vont gouverner des villes qui, ensemble, représentaient en octobre dernier 70,5 millions d’électeurs, soit 45,1% du corps électoral. Nombres de maires élus en octobre 2024 par affiliations politiques. Cette progression du camp conservateur n’est pas le résultat d’un retour en force du cou-rant incarné par J.Bolsonaro. Ce dernier a perdu en capacité d’influence au sein de la droite et de son propre parti. En juin 2024, la Cour Suprême l’a déclaré inéligible pour une durée de huit ans . Eloigné désormais du pouvoir depuis près de deux ans, l’ancien chef de l’Etat n’a pas réussi à faire élire ses plus proches alliés au sein du parti ou ceux qu’il avait résolu de soutenir lors du second tour. La droite qui sort gagnante de ces élections municipales est une droite moins radicale, plus pragmatique, soucieuse de marquer ses distances par rapport à un leader clivant, extrêmiste et qui n’a pas su se faire réélire en 2022. Ce succès de la droite ne se concrétise pas seulement par l’élection de centaines de maires. Il se traduit aussi par une augmentation significative des suffrages qui se sont portés sur les candidats de ces formations aux postes de vereadores (membres d’as-semblées municipales). Lors du scrutin à la proportionnelle du premier tour désignant ces élus, les partis de droite ont réuni 38,9% des votes valides (contre 33,7% en 2020). Un peu plus de 20 100 personnalités de ce camp politique (contre 18677 aujourd’hui) assu-meront un mandat de vereadores à partir de janvier prochain. Le seul Parti Liberal a capté 9,7% des voix, parvenant à faire élire 4957 de ses candidats. Le parti disposera notam-ment d’un réseau de 306 vereadores répartis au sein de 94 des 103 assemblées muni-cipales des grandes villes du pays (soit un taux de capillarité de 91,26%) où se con-centrent aujourd’hui 39% des électeurs. Autant de militants et d’agents électoraux pré-cieux dans la perspective des deux élections pour lesquels les candidats à des sièges au Congrès (députés fédéraux et sénateurs) sont d’autant plus efficaces dans leurs campagnes qu’ils comptent sur le soutien d’élus locaux connus de la population. A droite encore, la formation União Brasil a réuni 9,2% des suffrages à l’échelle nationale pour cette élection et sera représenté dès janvier par 5482 de ses membres dans les assemblées municipales. Ils seront 208 élus du parti à siéger dans les assemblées de 84 villes parmi les 103 comptant plus de 200 000 électeurs (taux de capillarité de 81,5%). Le scrutin d’octobre est aussi très satisfaisant pour plusieurs formations classées au cen-tre (3) . Cette mouvance a vu ses candidats aux postes de maires l’emporter dans 2142 communes, une progression là encore de près de 5% par rapport à 2020. Les forces politiques centristes ont vaincu dans 37 des 103 villes citées plus haut et vont prendre la direction des mairies de 13 capitales du pays. L’ensemble des communes qui auront des maires appartenant à cette mouvance représentent une population totale de plus de 86 millions d’habitants, soit 4,3 Brésiliens sur 10. L’ensemble des localités qui vont être diri-gées par des élus du centre représentaient en octobre dernier 67,7 millions d’électeurs, soit 43,3% du corps électoral. Dans ce camp, une formation se distingue : le Parti Social-Démocrate (PSD) dirigé par l’ancien ministre et ancien maire de São Paulo, Gilberto Kassab. A compter de janvier prochain, ses élus vont diriger 891 communes (contre 657 en 2020), dont 15 des 103 plus grandes villes et 5 capitales d’Etats fédérés (Belo Horizonte, Rio de Janeiro, Curitiba, Florianopolis, São Luis). Cette formation typique du centrão manifeste une capacité d’adaptation aux opportunités politiques exceptionnelles. L’ancien maire de São Paulo est aujourd’hui membre du gouvernement de l’Etat de São Paulo, dirigé par l’ancien ministre modéré de Bolsonaro Tarcisio de Freitas (Parti Répu-blicanos ) et opposant à Lula. Le PSD du même Kassab est aussi à la tête de trois mi-nistères au sein du gouvernement du même Lula à Brasilia... Outre ses succès dans la conquête de postes de maires, le PSD a réuni 10,3% du total des suffrages lors des élections proportionnelles des vereadores . A partir de janvier prochain 6622 membres des assemblées municipales porteront les couleurs du parti (contre 5700 en 2020), dont 220 au sein de 84 des fameuses 103 communes principales (taux de capillarité de 81,5%). Avec ces succès, le parti va certainement chercher dans l’immédiat à occuper plus de place au sein du gouvernement Lula et à peser davantage au sein de la coalition qui dirige l’Etat fédéral. Il peut d’ores et déjà compter sur un énorme réseau d’élus locaux pour soutenir ses candidats aux élections législatives et sénatoriales nationales de 2026. Il pèsera fortement sur l’issue du scrutin présidentiel prochain. Si la droite est représentée dans la compétition par un candidat radical comme Jaïr Bolsonaro, le PSD choisira de soutenir Lula, candidat probable à la réélec-tion. Si la droite modérée impose un candidat de son choix, elle peut compter sur le renfort du PSD. La girouette tourne avec le vent…. Nombre de vereadores élus le 7 octobre par affiliations politiques. La gauche poursuit la dynamique de recul engagée en 2016. Elle a obtenu en octobre dernier son plus mauvais résultat depuis l’élection municipale de 2000. L’année 2016 avait été marquée par la crise provoquée par une succession de scandales de corruption révélés par l’opération Lava Jato au début du premier mandat de Dilma Rousseff. Cest aussi l’année ou la successeur de Lula à la Présidence est destituée. En 2024, alors que Lula est revenu depuis janvier 2023 à la tête de l’Etat fédéral, son camp ne progresse pas. Les élus de la gauche gouverneront à partir de janvier 2025 752 municipalités alors qu’ils avaient conquis 852 mandats de maires en 2020 (recul de 11,7%). Cette année, les succès de la gauche concernent principalement des villes moyennes ou des localités modestes concentrées principalement dans le Nord-Est. A partir de 2025, ce camp ne gérera plus que deux capitales d’Etats fédérés et à peine 10 des 103 villes de plus de 200 000 élec-teurs (contre 13 après 2020). L’ensemble des communes que des élus de gauche vont administrer à compter de janvier 2025 regroupent aujourd’hui 17,9 millions d’électeurs, soit 11,4% du corps électoral. Le Parti des Travailleurs (PT) de Lula est parvenu à faire élire 252 de ses candidats aux postes de maires. Il ne détenait que 182 municipalités après le scrutin de 2020. Il y a donc pour cette organisation une inversion de la tendance engagée il y a huit ans. Le parti du Président est cependant encore très loin de son résultat au scrutin municipal de 2012, lorsqu’il avait remporté 635 mairies. Cette année, sur les 26 capitales d’Etat, il ne con-quiert que le poste de maire de Fortaleza dans le Nord-Est. Le PT va diriger à partir de 2025 l’administration de 6 des 103 grandes communes de plus de 200 000 électeurs. Dans l’ensemble du pays, le nombre d’électeurs résidant sur des localités administrées dans l’avenir par le parti progresse, passant de 4 à 7,6 millions de personnes. C’est néanmoins un net recul que connaît le parti dans l’Etat le plus peuplé du pays et le plus développé : São Paulo. C’est le cas notamment sur la région métropolitaine de la ville de São Paulo où la formation est née au début des années 1980. Au cours des seize dernières années, le PT a perdu le contrôle de 10 des 39 communes de ce territoire très industrialisé. Il ne conservera plus dès janvier prochain qu’une seule mairie dans la région. Il avait perdu le contrôle de la municipalité de l’agglomération de São Paulo en 2016. En 2020 et cette année, le PT n’a pas présenté de candidat, préférant soutenir à chaque fois Guilherme Boulos, un militant radical de l’extrême-gauche (PSOL). Boulos avait déjà échoué en 2020. Il est à nouveau défait cette fois-ci par le maire sortant, n’ayant réuni qu’un peu plus de 40% des suffrages (le même pourcentage qu’en 2020) . C’est sans doute la défaite la plus douloureuse pour Lula et son parti. L’autre grand fiasco de la gauche concerne l’élection du maire de Porto Alegre. Le sortant présenté par le MDB centriste partait avec un lourd handicap. La capitale du Rio Grande do Sul a été en-tièrement submergée par des précipitations catastrophiques en début de 2024. L’exécutif municipal en place a été accusé d’être un des responsables de ce drame exceptionnel. Pourtant, son chef n’a eu aucun mal à s’imposer au second tour face à la candidate du parti de Lula. Février 2024 : Porto Alegre sous les eaux. Octobre 2024 : le maire sortant fête sa réélection. Pour la gauche, les revers subis dans le scrutin majoritaire qui permet de désigner les maires des municipalités ne sont pas compensés par une progression significative lors de l’élection à la proportionnelle des vereadores. L’ensemble des formations totalisent 22,4% des suffrages (contre 20,5% en 2020). Au total, ce camp sera représenté à l’échelle des 5569 communes par 10 307 vereadores (contre 10 864 aujourd’hui), dont 3127 élus appartenant à la formation de Lula. Dans ce dernier groupe, on compte 167 vereadores qui siègeront dans les assemblées municipales de 82 des 103 premières communes (taux de capillarité de 79,6%). Le PT est la seule formation de gauche qui aura des élus dans plus des 2/3 des instances législatives des grandes villes du pays. Une droite et un centre-droit divisés. L’élection la plus importante de ce scrutin était celle du maire de São Paulo, première ville du pays. Ricardo Nunes, le maire sortant, a été réélu en bénéficiant de l’appui du gouverneur de l’Etat du même nom. Signe de l’affaiblissement à droite de Bolsonaro, le soutien de ce dernier a peu compté. La victoire de Nunes est d’abord celle du gouverneur Tarcisio de Freitas, un représentant de la droite pragmatique et modérée qui se positionne désormais comme un candidat potentiel en vue de la prochaine élection présidentielle. Partout où la droite et le centre-droit ont enregistré des succès impor-tants, ce sont des personnalités ayant marqué leurs distances avec Bolsonaro qui ont gagné. C’est le cas à Goiânia (capitale de l’Etat du Goiás) où le candidat appuyé par le gouverneur Caiado (União Brasil) l’a emporté. C’est encore le cas à Curitiba (capitale du Paraná). C’est aussi le cas à Belo Horizonte (capitale du Minas Gerais) avec la victoire du candidat du PSD. La droite brésilienne a montré qu’elle ne se limitait pas à la mouvance bolsonariste. La droite modérée doit s’imposer désormais face à une extrême-droite radicale qui (avec ou sans Bolsonaro) est loin d’avoir dit son dernier mot. Elle doit aussi dépasser les rivalités qui apparaissent déjà entre toutes les personnalités qui voudraient succéder à Lula à la tête du pays et représenter la droite à la prochaine élection présidentielle. Enfin et surtout, il importe qu'elle propose un programme crédible et mobilisateur. Gauche : une mise à jour improbable. Si le leader de la gauche ne tient pas compte de cette défaite municipale, Lula et son camp aborderont les scrutins nationaux de 2026 en position de grande faiblesse. Les mises à jour à opérer dans le camp dit "progressiste" sont considérables. Pour le gouver-nement et le Président, il s’agit d’abord de contribuer à apaiser davantage le climat de polarisation et d’extrême tension politique qui recule mais existe encore. La majorité des Brésiliens sont fatigués de ce climat de pré-guerre civile. En 2002, lors de la campagne qui devait conduire à sa première élection au poste de Président, Lula se présentait comme un homme de concorde et de paix (Lula, Paz e Amor, annonçaient affiches et spots télévisés). Une fois au pouvoir, à partir de 2003, Lula et ses proches n’ont pas cessé de se présenter comme les représentants du camp du bien, du Brésil populaire et "pro-gressiste" opposé au Brésil des élites forcément réactionnaires. Ils n’ont pas cessé d’amplifier et d’exploiter cette opposition. Aux vieilles rengaines héritées d’une culture dirigiste, étatiste et anti-marché, ils ont ajouté l’ensemble des thèmes chers au wokisme. Autant d’options qui hérissent la majorité des Brésiliens, et notamment les couches les plus modestes. En matière de politique étrangère, le gouvernement de Lula a multiplié les errements. Il cultive le catéchisme usé d’une gauche anti-américaine qui se met au service des intérêts de l’empire chinois et de son valet russe.. Un choix anti-occidental qui ne séduit guère la majorité des Brésiliens, notamment la jeunesse des classes moyennes et aisées qui rêve d’Amérique du Nord ou d’Europe occidentale. Seconde priorité pour les prochains mois : se mobiliser et mobiliser le Congrès pour obtenir des résultats concrets sur cinq chantiers que l’opinion considère comme es-sentiels : la conclusion de la réforme de la fiscalité, la réduction des dépenses et la contraction du déficit public, la lutte contre le crime organisé, une amélioration sensible de la qualité des services de santé et d’éducation. La majorité des Brésiliens veulent désormais des réponses concrètes à leurs difficultés quotidiennes. C’est en commençant à fournir ces réponses que le gouvernement fédéral peut redonner des chances à la candidature annoncée de longue date de Lula pour un quatrième mandat. La gauche brésilienne peut-elle opérer en un temps limité ce virage vers une social-démocratie soucieuse de maintenir les grands équilibres économiques, d’apporter des réponses concrètes aux revendications des plus pauvres et ayant rompu avec des rigi-dités idéologiques archaïques ? Récemment des leaders de ce camp ont remis en cause les vieux catéchismes. Fernando Haddad, Ministre de l’économie de Lula, est une des rares personnalités de la gauche ayant une dimension nationale. Il a affirmé après la déroute municipale qu’il fallait abandonner des convictions qui vieillissaient mal et défendre désormais les valeurs de la gauche à partir d’un projet neuf combinant un minimum de protection sociale pour le plus grand nombre, plus de liberté économique et moins d’intervention de l’Etat. Au sein même du Parti des Travailleurs de Lula, des militants remettent en cause l’appui persistant de leur formation au régime dictatorial de Maduro au Venezuela ou la priorité qu’accorde la vieille garde au secteur productif nationalisé et au tout-Etat. Il y a même des alliés du PT qui dénoncent les pratiques de détournement de fonds publics, de pots de vin et de corruption dont la gauche s’est faite la championne dans les années 2000 et 2010. Des alliés qui savent que si la gauche avait reconnu ces crimes elle n’aurait pas facilité l’ascension de la droite radicale qui a débouché sur l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro. Les espoirs suscités par quelques personnalités lucides ne suffiront sans doute à en-traîner en quelques mois un aggionarmento que les appareils ne sont guère disposés à faciliter. Lula et son gouvernement vont donc sans doute persister sur la voie empruntée depuis janvier 2023. La gauche cherchera certainement à favoriser un réveil de la droite la plus radicale afin de restaurer le leadership menacé de Bolsonaro. Elle est déjà encouragée à jouer cette carte par la Cour suprême (où les haut magistrats nommés par la gauche au pouvoir forment désormais une majorité) qui ne cesse depuis quelques années de détricoter toutes les procédures engagées contre les responsables des scandales de corruption révélés par l’opération Lava Jato . Le retour en grâce des cri-minels pourtant condamnés en première et deuxième instance par des magistrats disposant de preuves va certainement renforcer le camp de la droite antisystème et populiste qui surfera à nouveau sur le désespoir de larges pans de la société pour radicaliser son programme et sa future campagne. La gauche misera sur le retour en force de cette droite-épouvantail et sur l’aura personnelle de son leader pour apparaître à nouveau comme un rempart contre l’autoritarisme en 2026. Le pari est jouable mais n’est pas sans risque. Si l’épouvantail fonctionne, les forces du centrão plus puissantes que jamais viendront se mettre au service de la campagne de Lula. Assurées de dominer le prochain congrès car les élections législatives leur seront sans doute très favorables, elles auront intérêt à soutenir un candidat âgé ( 81 ans en 2026), fatigué, très minoritaire à la Chambre comme au Sénat et donc facilement "gérable". Lula sera alors élu pour un troisième mandat. Celui d’un Président entièrement à la merci des pressions et des caprices des secteurs les plus clientélistes du vieux monde de la politique brésilienne. A gauche : le duel avec Bolsonaro que souhaite Lula en 2026. A droite, le duel qu'il veut éviter : avec Tarcisio de Freitas, actuel gouverneur de l'Etat de São Paulo et rival de Bolsonaro au sein de la droite. Le pari est aussi très risqué. Pour compenser l’immobilisme de la gauche, son incapacité persistante à prendre en compte les attentes de la majorité des Brésiliens, il ne suffira peut-être pas d’agiter un éventail déjà utilisé en 2022. Résolue à calmer un climat de hautes tensions idéologiques et politiques, la majorité des Brésiliens peut convaincre la droite modérée et le centre de s’imposer, de choisir un leader plus attirant que Bolsonaro. Dans cette hypothèse, les forces politiques du centrão sauront s’adapter. Elles percevront très vite que le vent change. Que ce n’est pas de la gauche qu’elles doivent attendre postes, nominations, crédits et faveurs. Les puissants réseaux de soutien locaux créés en octobre dernier par le PSD, le MDB, União Brasil feront la campagne du nouveau leader de la droite. Un tel scénario n’est plus du tout improbable désormais. S’il se vérifie, la carrière politique de Lula qui avait commencé dans les années 1980 s’achèvera à la fin de 2025. (1) Voir le second post de cette série consacré aux amendements parlementaires et aux modalités du financement public des partis et des campagnes électorales. (2) Les critères utilisés pour classer les formations politiques brésiliennes sont inspirés de la méthodologie propo-sée par le site Poder 360 . Voir la présentation : https://www.poder360.com.br/poder-eleicoes/direita-e-centro-dominam-prefeituras-no-brasil-em-2024/ . Les formations classées à droite et ayant participé à l’élection municipale de 2024 sont le Partido Progressistas (PP), União Brasil, Partido Liberal, Republicanos, Partido Social-Democrata Brasileiro (PSDB), Partido da Renovação Democratica (PRD), Novo, Democracia Cristão (DC) et Partido Renovador Trabalhista Brasileiro (PRTB) . (3) Selon les critères retenus par le site Poder 360, les formations de gauche sont le Partido dos Trabalhadores (PT) de Lula, le Partido Socialista Brasileiro (PSB) , le Partido Democratico Trabalhista (PDT) , le Partido Verde, le Partido Comunista do Brasil (PC do B), Rede et le Partido Socialismo e Liberdade (PSOL) . (4) Il a été déclaré coupable d'«abus de pouvoir politique et usage indu des moyens de communication». L'ancien président va faire appel de la décision. (5) Les formations classées au centre sont le Partido Social-Democratico (PSD) , le Movimento Democratico Brasi-leiro (MDB), Podemos, Avante, Solidariedade, Cidadania, Mobiliza et Agir .

  • Une élection qui annonce celle de 2026 (2).

    Des édiles municipales dépendants du Congrès.     Le scrutin municipal et celui désignant les membres du Congrès national ont une in-fluence l’un sur l’autre. Au niveau communal, les maires et les membres d’assemblées municipales ( vereadores ) membres d’un parti organisent et animent les réseaux locaux qui forment la base électorale de leurs parlementaires nationaux. Ils mobilisent ces ré-seaux lorsque députés et sénateurs fédéraux postulent un nouveau mandat ou cher-chent à faire élire des successeurs. Ils investissent du temps et des ressources finan-cières pour que ces parlementaires nationaux conservent et accroissent leur propre capital de popularité locale. Que peuvent attendre en retour ces élus municipaux ? A cette question, il y a une première réponse convenue : maires et membres d’assemblées municipales espèrent que les élus au Congrès porteront à Brasilia leurs préoccupations d’élus de base, qu’ils sauront prendre en compte les intérêts et les demandes de leurs électeurs lorsque tel ou tel projet national sera débattu au Congrès. En somme, les élus locaux attendent des parlementaires qu’ils soient de bons représentants des territoires qui les ont choisis. Au-delà de cette mission noble, les leaders politiques municipaux espèrent d’autres contreparties. Ils savent qu’en se plaçant sous le parrainage d’élus du Congrès, ils peuvent bénéficier d’avantages financiers appréciables.   Le premier est constitué de transferts financiers de l’Etat central vers les communes que peuvent imposer députés fédéraux et sénateurs. Chaque année, en adoptant le budget national, députés et sénateurs arrêtent des crédits destinés à doper les programmes d’investissement des communes dont ils parrainent les édiles municipales. Un appui qui se révèle décisif lorsque ces derniers cherchent à se faire réélire. Les élus municipaux ont donc tout intérêt à entretenir avec les parlementaires du Congrès une étroite relation de clientèle, relation qui s’entretient et se consolide très souvent au sein d’une même formation politique. Second avantage : l’accès à des fonds fédéraux destinés à soutenir les partis et à financer les campagnes électorales. L’enveloppe des fonds fédéraux auxquels maires et vereadores  ont accès pour faire vivre leur parti à l’échelle locale et pour mener des campagnes électorales dépend de la représentativité de ce parti au Congrès. Plus le parti détient de sièges, plus généreuse sera cette enveloppe.   Qu’ils cherchent à se faire réélire ou qu’ils se présentent pour la première fois, les can-didats aux scrutins municipaux sont en général très pragmatiques, prudents par rapport à telle ou telle idéologie. Ce pragmatisme traduit souvent la volonté de servir l’intérêt commun sans être prisonnier d’un catéchisme rigide. Il est aussi dans de nombreux cas la marque de personnalités carriéristes, mues par des ambitions personnelles et la défense d’intérêts particuliers. Quels que soient leurs profils et leurs objectifs, ces acteurs prag-matiques souhaitent pérenniser ou conquérir un mandat local. Ils sont alors fréquem-ment conduits à rejoindre les rangs les partis les plus "efficaces" au Congrès, ceux qui utilisent le clientélisme comme un levier de leur développement et détiennent un nombre conséquent de sièges au sein des deux chambres.   Le jeu d’échanges de services ou de faveurs entre élus locaux et représentation natio-nale domine le fonctionnement du système politique. Dès lors, les résultats du scrutin municipal constituent effectivement une photographie anticipée de ceux des élections législatives nationales qui ont lieu deux ans après. Les maires et vereadores qui viennent d’être élus en ce mois d’octobre 2024 seront les meilleurs agents électoraux des candidats qui souhaiteront conquérir ou conserver un siège au Congrès en 2026. Le jeu d’échanges de faveurs fonctionne au sein de toutes les formations politiques. Il est particulièrement efficace et conduit sans états d’âme ni scrupule au sein des partis dits du centrão [1] , des appareils qui n’affichent aucune idéologie trop rigide si ce n’est un prudent conservatisme. Des appareils dont les leaders possèdent une capacité innée à sentir d’où vient et viendra le vent, savent s’adapter et changer de cap opportunément. Le clientélisme est leur mode de fonctionnement, voire leur raison d’être. En intégrant les rangs de ces organisations, les élus municipaux maximisent leurs chances d’avoir accès à d’importants crédits budgétaires et de faire prendre en charge par l’Etat fédéral une part importante des frais de fonctionnement des appareils politiques locaux et les coûts de campagne.   Bolsonaro (à gauche) et Lula appuient des candidats aux postes de maires (octobre 2024). Les deux leaders savent que les résultats des municipales sont préfigurent la conjoncture politique de 2026. Précieux amendements budgétaires.   Chaque année, au Brésil comme ailleurs, les parlementaires du Congrès fédéral adop-tent une loi budgétaire. Les dépenses obligatoires [2] absorbent une part énorme du total des crédits inscrits dans le projet soumis au Congrès (92% pour 2024). Le débat parlementaire porte donc sur les dépenses dites discrétionnaires, celles qui devraient permettre à l’exécutif d’imprimer sa marque, de concrétiser ses priorités politiques. Dé-putés et sénateurs peuvent affecter une partie de ces dépenses discrétionnaires en for-mulant des amendements à la loi budgétaire. Ils manifestent ainsi leur souhait de destiner des crédits d’investissement aux projets des élus locaux (autorités des Etats fé-dérés et responsables d’exécutifs municipaux). Depuis le début de la précédente décen-nie, ces crédits budgétaires votés au titre d’amendements par les parlementaires du Congrès représentent une contribution financière de plus en plus importantes aux budgets des collectivités territoriales, en particulier les municipalités [3] .   Les amendements parlementaires représentent aussi une part croissante des dépenses discrétionnaires prévues dans la loi budgétaire (20,03% en 2024, contre 7,4% cinq ans plus tôt). Cette progression signifie que les députés et sénateurs ont conquis un pouvoir de décision croissant concernant l’affectation des moyens financiers dont dispose le niveau fédéral . En conséquence, le gouvernement fédéral a perdu le contrôle d’une part de plus en plus importante du budget. Le Congrès se comporte de plus en plus comme s’il était lui-même en charge de l’exécution de politiques publiques (compétence qui revient norma-lement exclusivement au gouvernement). Depuis le milieu de la décennie pas-sée, ces amendements parlementaires ont provoqué un conflit politique majeur entre le pouvoir exécutif et les institutions législatives fédérales. L’accroissement spectaculaire du montant des crédits votés au titre d’amendements parlementaires a changé l’équilibre entre les deux pouvoirs. Il a aussi modifié la logique de fonctionnement de l’activité par-lementaire et de la vie politique en général.   Il existe trois types d’amendements parlementaires au budget. Les premiers sont des amendements individuels, définis par chaque élu. A ce titre, selon la loi budgétaire de 2024, les 513 députés et 81 sénateurs peuvent assurer l’affection de crédits sur leurs circonscriptions dans la limite totale de 44,67 milliards de BRL (8,3 milliards d’USD). Selon la législation, 50% de ces fonds doivent être destinés au développement de services publics de santé (construction d’hôpitaux et dispensaires, équipements de services, etc). L’autre partie est affectée à des investissements divers. Lorsqu’il sollicite l’inscription dans la loi budgétaire d’un amendement individuel, le parlementaire doit normalement justifier et documenter la destination des fonds (références à des projets d’élus locaux, études de faisabilité, identification des opérateurs impliqués, etc..). Il fournit obligatoirement tous les éléments d’information garantissant une parfaite traçabilité des flux financiers destinés aux Etats fédérés et municipalités. Point essentiel : une fois que la loi de finances est votée, les crédits correspondant à ces amendements individuels doivent obliga-toirement être libérés au cours de l’année budgétaire par les ministères du gouver-nement fédéral compétents. Ces administrations doivent acheminer les fonds vers les bénéficiaires sélectionnés par les parlementaires qui seuls décident de l’affectation des crédits . En formulant un amendement individuel, le député ou le sénateur peut légiti-mement chercher à répondre à des besoins de sa circonscription, besoins que l’Administration fédérale distante des territoires n’appréhende pas facilement. Il cherche aussi souvent à "renvoyer l’ascenseur" à ceux des élus de base qui animent son parti à l’échelle locale, à entretenir un lien précieux avec tous ceux qui forment son réseau de soutien, influencent l’opinion régionale, animent la vie économique et sociale.   Faveurs des parrains du Congrès aux mairies amies.   Pour renforcer le soutien qu’ils apportent à leurs clientèles locales, les parlementaires du Congrès fédéral ont imposé en 2022 un nouveau type d’amendement individuel. A l’épo-que, fragilisé politiquement (crise du Covid, faible majorité parlementaire) le Président Bolsonaro cherche à éviter une procédure de destitution. Il est donc prêt à accepter toutes les demandes du Congrès. Il ratifie une législation qui autorise des amendements individuels particuliers qui permettent aux élus d’affecter des crédits aux collectivités locales sans avoir à indiquer l’objet du transfert et la destination de ces fonds, sans préciser comment ces ressources publiques seront dépensées . L’exécutif fédéral et les contribuables brésiliens sont ainsi privés de tout contrôle sur l’usage de l’argent public, utilisé par des leaders politiques locaux dans une opacité totale. Ce modèle de transfert, qui ne laisse aucune trace, est connu sous le nom d'amendement pix [4] , car les fonds passent d’un ministère au Trésor d’une commune sans que le parlementaire donneur d’ordre soit contraint d’indiquer comment ils seront dépensés. En 2020, ces amen-dements pix  représentaient un crédit total de 621,2 millions de BRL (120 millions USD). Depuis, l’enveloppe n’a cessé de progresser. Elle est de 8,152 milliards de BRL (1,5 milliard USD) pour 2024. Avec ce dispositif, l’amendement individuel est devenu le levier d’une logique purement politicienne et clientéliste . L’absence de traçabilité, de justification technique des programmes à financer permet au parlementaire auteur de l’amendement de contribuer au financement de projets et d’investissements locaux dont la rentabilité électorale est élevée (travaux ostentatoires et somptueux, acquisition d’équipements de travaux, construction de piscines ou de ponts,  installation de citernes, multiplication de crèches, etc) mais dont la nécessité n’est pas toujours justifiée. Autant d’initiatives qui ne font pas l’objet d’études de viabilité ou d’utilité publique sérieuses mais correspondent souvent aux seuls intérêts des élus locaux qui peuvent se servir de telles réalisations à des fins de propagande. La distribution de ces fonds obéit évidemment à une pure logique de consolidation des fiefs électoraux des parlementaires. Evolution de l'enveloppe totale des amendements parlementaires (milliards BRL). *Groupes d'élus représentants un Etat. Le graphique ne prend pas en compte les amendements du rapporteur de la Loi budgétaire, créés en 2020 et supprimés en 2023. L’auteur d’un amendement pix  ne cherche pas à répondre à des besoins réels de la po-pulation d’un territoire. Il favorise ses alliés et amis politiques locaux et les collectivités territoriales qui font partie de sa base électorale. Il ignore souvent les autres. Cette logique empêche la mise en œuvre de politiques publiques cohérentes à l’échelle d’un ensemble de communes. Elle creuse les inégalités entre les localités et les régions. Il y a les municipalités dont les maires n’ont pas de parrains politiques (ou pas de parrains "efficaces") au Congrès . Ces communes peuvent se retrouver sans ressources pour faire face à des investissements cruciaux : réserves en eau pour lutter contre la sécheresse, construction d’écoles, programme de logements sociaux, etc.. Il y a aussi les muni-cipalités dont les élus ont développé des liens solides avec des parlementaires qui savent entretenir leur base électorale et leurs clientèles régionales. Députés et sénateurs allouent très souvent les crédits d’amendements à des maires alliés, à des organisations ou associations privées proches de leur parti. En somme, ces parle-mentaires clientélistes interférent de plus en plus dans la vie politique au sein des Etats fédérés et dans le cadre municipal.   Outre des amendements individuels, les parlementaires peuvent aussi décider de l’affectation de crédits budgétaires par le biais d’amendements définis par des groupes d’élus représentant chacun un même Etat. En 2024, chacun de ces groupes peut ainsi formuler des amendements dans la limite de 317 millions de BRL (58,7 millions d’USD), le montant étant réparti entre les élus du groupe.  Au total, dans le budget de cette année, les amendements de groupes représentent un montant de 8,56 milliards de BRL (2,1 milliards d’USD). Ici encore, le gouvernement n’a pas le choix de libérer ou non les fonds concernés. Il doit transférer aux collectivités locales indiquées les crédits définis par les groupes de parlementaires . Il existe enfin une troisième catégorie d’amendements : ceux dits des commissions spécialisées (développement régional, sports, tourisme, etc..) que mettent sur pied à chaque mandature les parlementaires [5] . Les amendements de com-missions ne sont pas obligatoires. L’exécutif peut s’opposer ici à la libération de tout ou partie des crédits votés. Ainsi, en 2024, la somme totale définie par le Congrès de 16,5 milliards de BRL a été ramenée à 11,05 milliards après veto du Président Lula.   Les ressources budgétaires affectées par les parlementaires au titre des trois modalités d’amendements ont représenté sur les cinq derniers exercices des fonds de plus en plus conséquents. La majorité des municipalités sont confrontées à des difficultés financières croissantes. Elles dépendent des amendements adoptés au Congrès pour développer les services de santé ou d’éducation, réaliser des investissements justifiés ou non. Grâce aux amendements budgétaires, le parlementaire fédéral peut assurer dans sa circons-cription un financement de projets qui dépasse largement les capacités de la plupart des communes. En 2024, l’enveloppe moyenne que mobilise chaque député fédéral au titre des amendements individuels dépasse les ressources consacrées à l’investissement sur l’année antérieure dans 4502 municipalités, soit 84% du total. Le montant d’amen-dements individuels réservé à chaque sénateur était de 30,7 millions de BRL, soit un niveau supérieur à ce qu’ont pu investir en 2023 93% des communes. Cela signifie que le pouvoir réel des parlementaires par rapport aux maires est considérable. De l'élaboration et de l'éxécution d'amendements individuels dépend une large part des dépenses d’investissement (justifiées ou non) que les responsables de l’exécutif municipal pourront réaliser. En réalité, le pouvoir des parlementaires est encore plus grand si l’on considère les amendements de groupes régionaux et de commissions.   Devenus une source de financement essentielle pour les Etats fédérés et les munici-palités, les amendements des députés et sénateurs sont aussi et de plus en plus des leviers que les parlementaires utilisent pour accroître leur capital de popularité dans leurs circonscriptions, consolider leurs alliances avec des élus locaux et développer sur les territoires les réseaux du parti auquel ils sont affiliés. Même lorsqu’ils n’ont pas d’autre ambition que celle de gérer loyalement leurs communes, ces élus locaux ont tout intérêt d’être proches d’organisations politiques bien représentées au Congrès et obéissant sans scrupule à une logique clientéliste.   Ces organisations ont progressé en termes de sièges détenus dans les deux chambres depuis 2018 et encore plus depuis 2022. Les groupes parlementaires dits du centrão  sont les plus entraînés à ce jeu d’élaboration d’amendements dont les bénéficiaires locaux sont ciblés sur la base de critères de proxi-mité politique, de liens personnels ou familiaux. Ils forment aussi des bataillons d’élus fédéraux très fournis au sein du Congrès. Plus les parlementaires d’un même parti sont nombreux, plus élevé est le nombre d’amendements que ces élus peuvent imposer. Plus grande est leur capacité de soutenir et d’avantager leurs protégés à l’échelle locale. La multiplication d’investissements dans les communes tenues par des partenaires ne sert pas seulement les intérêts des députés et sénateurs (ou d’autres représentants du parti lorsque les sortants ne se représentent pas) lorsque ces parlementaires entrent en campagne. Elle sert aussi les élus municipaux qui entendent durer et peuvent donc lors des campagnes se présenter comme des bâtisseurs, des aménageurs, des bienfaiteurs de la population.   Financements des campagnes.   Les maires et élus municipaux ont tout intérêt à maintenir des liens solides avec les lea-ders des formations politiques nationales qui sont les mieux représentées au Congrès pour une autre raison. C’est sur la base de cette représentation qu’est largement déter-minée la capacité des différents partis à préparer tous les scrutins (locaux et nationaux), à soutenir des candidatures, à parrainer les sortants ou les postulants à des mandats. Partout, les campagnes électorales sont des entreprises de plus en plus coûteuses. Cela est encore plus vrai dans les pays de taille continentale comme le Brésil. Les candidats aux municipales maximisent leurs chances s’ils peuvent ajouter à une bonne con-naissance de la sociologie communale, aux contacts directs avec les formateurs d’opi-nion locaux une caisse de campagne bien remplie. Pour que cette caisse soit suffisam-ment approvisionnée, le mieux est d'avoir le soutien d'un parti bien représenté à la Chambre des députés et prêt à exploiter toutes les opportunités d'alliances locales. La législation autorise trois modes de financement des campagnes : les ressources pro-pres des candidats, les dons de personnes physiques et l’utilisation de fonds mis à la disposition des partis par l’Etat fédéral. Première ressource d’origine publique : les transferts du fonds de soutien aux partis politiques, créé il y a quarante ans après le retour à la démocratie. Les sommes allouées aux organisations peuvent servir à financer des campagnes électorales. Elles couvrent aussi une partie des frais de fonctionnement des structures bénéficiaires (charges salariales,  logement, transport, communication, etc) [6] . L’enveloppe du fonds est votée chaque année par le Congrès lors de l’adoption de la Loi budgétaire. Elle est constituée de trois types de ressources : dotation budgé-taire, amendes pour infractions à la législation électorale, dons de personnes physiques.. Chaque année, un quota équivalent à 5% du fonds total des partis est alloué à parts égales à tous les partis politiques dont les statuts ont été enregistrés auprès du Tribunal supérieur électoral (TSE). Les 95 % restants sont distribués aux partis au prorata des voix obtenues lors des dernières élections générales à la Chambre des députés. Les versements aux organisations bénéficiaires se font sur une base mensuelle [7] .   Sur l’année 2023, les ressources affectées au fonds représentaient une somme totale de 1,18 milliard de BRL, montant à répartir entre 17 organisations éligibles. Le Parti Libéral auquel appartient J. Bolsonaro a été le mieux doté. Le transfert (205, 868 millions de BRL) augmente de 73% par rapport à 2022 pour tenir compte des résultats atteints par le parti lors du scrutin législatif fédéral de la même année (16,62% des voix et 99 sièges). Le Parti des Travailleurs de Lula vient en seconde position (152,9 millions de BRL). La formation détient 69 sièges à la Chambre (12,09 % des voix en 2022). Outre ces deux organisations, les principales formations bénéficiaires du fonds sont des forces du centrão. Ensemble, le MDB , União Brasil , le PSD le Partido Progressistas  et Republicanos  ont reçu 42% des ressources du fonds. Ces partis détiennent 230 sièges à la Chambre et avaient reçu plus de 39% des votes valides en 2022. Répartition en 2024 des sièges à la Chambre des députés élue en 2022.   A ces transferts du fonds de soutien aux partis viennent s’ajouter des contributions publiques plus conséquentes sur les années d’élections. En 2015, La Cour suprême (STF) a interdit le financement des campagnes électorales et des partis politiques par des entreprises, pratique qui était au coeur de nombreux scandales de corruption qui touchaient la plupart des grandes firmes nationales. Deux ans plus tard, pour compenser les pertes de recettes subies par les partis, le législateur a créé un Fonds électoral. Les ressources du fonds sont définies lors de l’élaboration du budget fédéral et transférées au Tribunal Supérieur Electoral qui a la charge de les répartir entre les formations politiques avant la fin du mois de juin de l’année lorsque des élections ont lieu au second semestre.Le fonds électoral sert exclusivement à financer les campagnes électorales et n'est distribué que l'année de l'élection. Le fonds des partis, quant à lui, est destiné à faciliter le fonctionnement des partis politiques et est distribué mensuellement pour couvrir les dépenses courantes (factures d'électricité et d'eau, loyers, transport, salaires des employés). Les transferts du fonds vers les organisations politiques sont calculés selon trois critères. Un premier apport égal à 2% du Fonds est réparti également entre tous les partis déclarés et reconnus. Un second apport égal à 35% du fonds est versé aux partis qui ont au moins un député à la chambre fédérale. Il est calculé sur la base du pourcentage des votes obtenus lors de la dernière élection des parlementaires de la Chambre. Un troisième apport égal à 48% du fonds est réparti en fonction du nombre de sièges détenus par chaque parti à la Chambre. Enfin, un dernier apport égal à 15% du fonds est réparti en fonction des sièges détenus au Sénat [8] .   A l’approche des élections générales de 2018, 1,7 milliard de BRL a été distribué par le Fonds électoral aux partis pour financer leurs campagnes. Lors du scrutin municipal de 2020, le montant total s'élevait à 2,03 milliards de BRL. Il était de 4,9 milliards de BRL pour les élections générales de 2022, somme alors répartie entre les 32 partis en lice reconnus. Cette année, pour les élections municipales, le fonds disposait de 4,961 milliards de BRL, à répartir entre 29 organisations. Si l’on excepte la contribution minimale égale pour chaque parti, la répartition entre ces 29 formations dépendait principalement des résultats obtenus lors de la dernière élection des députés fédéraux de 2022 (pourcentage de voix et nombre de sièges). A l’issue de ce scrutin, le Parti Liberal auquel appartient Jaïr Bolsonaro avait obtenu 16,62% des votes valides et détenait alors 99 sièges de députés. En 2024, à la veille des municipales, il a reçu 879,8 millions R$ (161,4 millions US$) du fonds électoral. Avec un tel apport, le PL a été en mesure de présenter 1498 candidats aux postes de maires (26,9% des communes) et plus de 33 000 prétendants aux mandats de vereadores (7,6% du total des candidats).   Lors des législatives nationales de 2022, le Parti des Travailleurs de Lula arrivait en seconde position avec 12,09 % des voix et gagnait 69 sièges à la Chambre des députés. En 2024, pour les municipales, il a bénéficié de 12,5% du total des transferts opérés par le fonds électoral. L’organisation a pu ainsi présenter 1401 candidats aux postes de maires et 27 383 pour des mandats de membres d’assemblées municipales. Ces deux partis situés respectivement à droite et à gauche de l’échiquier politique ne sont pas nécessairement très attractifs pour des candidats qui ne souhaitent pas revendiquer une identité idéo-logique marquée. Ces candidats pragmatiques peuvent avoir des motivations respec-tables. Ils souhaitent par exemple avant tout défendre l’intérêt de leur commune et maximiser leurs chances d’élection ou de réélection. Ils peuvent aussi représenter un clan local prêt à se vendre aux "écuries" nationales les plus offrants qui pourront fournir les moyens d’une campagne efficace, soutenir un grand nombre de candidats sans s’encombrer de considérations idéologiques et de principes politiques bien définis. Ces partis existent. Les formations du centrão  ont engrangé des résultats très satisfaisants lors de l’élection législative de 2022. Les cinq partis les plus importants qui dominent ce secteur de la vie politique ont alors réuni 39,05 % des votes valides et conquis 230 sièges à la Chambre des députés fédérale. A la veille du scrutin municipal d’octobre dernier, ces 5 organisations ont capté ensemble 42,8% des ressources du fonds électoral (soit 2,123 milliards de BRL). Compte tenu des moyens dont ils disposaient, de la neutralité idéologique et de la souplesse programmatique affichées, ces cinq partis n’ont pas eu de difficulté à mobiliser 7557 postulants aux mandats de maires (48,5% du nombre total de candidatures à l’échelle nationale) et 168 580 candidats aux mandats de vereadores (39% du total national). Ces milliers de personnalités en campagne ont pu compter sur des soutiens financiers conséquents. Dotations du fonds électoral reçues par les principaux partis (millions de BRL).   Refus d’une polarisation politique très poussée, pragmatisme des acteurs politiques mu-nicipaux qui se rallient aux formations politiques nationales capable d’offrir les meilleurs retours sur investissement  (amendements budgétaires, financement de campagnes) : ces éléments rendent compte des résultats qui apparaissent à l’issue du scrutin mu-nicipal d’octobre. La droite progresse mais est divisée, la gauche est affaiblie et les grandes formations du centrão  sont les grands gagnants de la consultation.   A suivre : quels scénarios politiques après les élections générales de 2026 ?   [1]  Sur le centrão , voire notre post du 9 février 2021, le troisième d’une série intitulée Petite incursion dans la vieille politique, https://www.istoebresil.org/post/petite-incursion-dans-la-vieille-politique-3 [2]  Dépenses que l’Etat doit assumer en raison de dispositions constitutionnelles et  d’engagements juridiques pris (rémunération des fonctionnaires, retraites, autres prestations sociales, transferts aux collectivités territoriales, etc.. [3]  Lignes budgétaires inscrites dans la loi de finance fédérale à partir des requêtes formulées par des membres des deux chambres, ces amendements sont destinés à financer des projets d’in-vestissements et de travaux dans les circonscriptions des parlementaires qui choisissent l’affectation des crédits en concertation avec des élus locaux.  [4]  La rapidité du paiement leur a valu le surnom d'« amendement Pix » en référence à un système de paiement très rapide mis en place par la Banque Centrale en 2022. Le Congrès considère que la ressource est une sorte de "don" et qu'elle devient la propriété des États fédérés et des muni-cipalités lorsqu'elle est versée.. [5] Jusqu’à la fin de 2022 et depuis 2020, existaient aussi des amendements de rapporteur. Ces amendements conféraient au parlementaire rapporteur de la loi de finances annuelle le droit d'al-louer des ressources à d'autres membres du Congrès sans transparence quant à la responsabilité de l'argent et à sa destination, sans aucun critère de distribution ou d'allocation. Après de nom-breuses controverses, ces amendements ont été déclarés illégaux par la Cour suprême à la fin de l'année 2022. Dans le flux d'argent, il était très difficile de savoir quel politicien en avait bénéficié. De plus, ce type d'amendement laissait à une seule personne - le rapporteur général de la commission budgétaire conjointe du Congrès - le soin de décider quel politicien recevrait l'argent.   [6]  Pour bénéficier des contributions du fonds des partis, chaque formation politique déclarée doit respecter les conditions prévues par la législation (justifier de l’emploi des transferts reçus et fournir des comptes). Le non-respect de ces conditions entraîne la suspension de transferts sur l’année suivante. [7]   Seules les organisations qui ont atteint un pourcentage minimum de votes valides lors des der-nières élections ou conquis un minimum de sièges à la Chambre ont accès au fonds de soutien des partis (clause dite de barrière).  [8]  Pour avoir accès à ces fonds, chaque formation doit délibérer et décider de la répartition des res-sources du fonds entre ses candidats. Une fois conclue la campagne, les organisations doivent rendre des comptes au Tribunal Supérieur Electoral. [9]   Par rapport aux précédentes élections municipales de 2020, la hausse du montant est de +626 %.

  • Une élection qui annonce celle de 2026 (1).

    Le 6 octobre dernier, 155,9 millions d’électeurs brésiliens ont voté pour les élections mu-nicipales. Cette consultation se déroule toujours deux ans après et avant les élections générales, celles qui désignent le Président de la République, les parlementaires fé-déraux, les gouverneurs et les députés des Etats fédérés. En général, ce scrutin muni-cipal intéresse peu les médias étrangers. Ils ont tort. Comme ce fut le cas lors des consultations locales dans le passé, les "municipales" fournissent une photographie solide des rapports de force politique dans le pays. Elles permettent aussi d’anticiper avec une certaine fiabilité ce qui se passera à l’échelle nationale à l’issue des prochaines élections générales de 2026.   L’enjeu du scrutin municipal n’est pas mince. Il permet d’attribuer la grande majorité des postes électifs que peuvent occuper les représentants des forces politiques existantes. Les consultations nationales désignent 513 députés fédéraux, 27 gouverneurs et 988 dé-putés des Etats fédérés. Elles renouvellent aussi une partie des effectifs du Sénat fédéral (1/3 ou 2/3 des sièges, selon les scrutins). Les municipales sont une opération d’une toute autre dimension. Il s’agit pour les électeurs de choisir 5568 maires (et autant de maires adjoints) et près de 60 000 membres d’assemblées communales. Les mandats électifs les plus importants au niveau des Etats fédérés et de l’Etat central sont en fait la partie émergée d’un système de représentation qui dépend largement de l’échelon mu-nicipal. C’est au niveau communal que se recrutent les élus qui formeront l’élite politique nationale. C’est lors des scrutins municipaux que la classe politique se structure et prend forme. C’est lors de ces échéances que les différents partis et leurs leaders (ré)affirment leur force, leur poids sur l’échiquier politique et leurs orientations. L’élection municipale est en fait le plus large et le plus solide des tests de l’importance des différentes forces politiques en présence. Le siège de la mairie de Santos dans l'Etat de São Paulo. Ce scrutin n’est pas seulement local. La société est très polarisée depuis plusieurs an-nées et les préférences partisanes, les options idéologiques influencent aussi et de plus en plus les choix des électeurs, même dans les agglomérations les plus modestes. Le paysage politique qui apparaît à l’issue de ce scrutin municipal permet donc de projeter avec une marge d’erreur relativement limité ce que seront les résultats des élections générales (assemblées des députés des Etats, gouverneurs, parle-mentaires fédéraux, président de la République) qui viennent deux ans après. En d’autres termes, les résultats de la consultation du 6 octobre 2024 autorisent déjà l’observateur à se prononcer sur des sujets majeurs de la vie nationale. Lula a-t-il désormais des chances d’être réélu s’il est à nouveau candidat à la présidentielle de 2026 ? S’il sortait vainqueur de l’élection, quelle serait la composition du Congrès avec lequel il devrait gouverner ? On montrera ici pourquoi les municipales déterminent largement les conditions dans lesquelles se dérouleront les consultations nationales de 2026 et ce que sera le paysage politique à l'issue de ces dernières.   L’échelon municipal a toujours été important dans l’histoire du Brésil dès l’époque colo-niale (la couronne portugaise a très tôt autorisé des élections communales auxquelles participaient les représentants des élites régionales). Depuis l’indépendance, c’est à l’échelle d’une municipalité que l’écrasante majorité des élus font leurs premiers pas en politique. Les postes électifs municipaux sont les premiers que convoitent la plupart des personnalités qui envisagent ensuite une carrière parlementaire au niveau national. Certes, il existe des parlementaires qui commencent immédiatement leur parcours politique en assumant un mandat de député de l’Etat ou de la fédération. Néanmoins, c’est au niveau d’une commune ou d’un ensemble de communes où ils ont des attaches qu’ils trouvent et entretiennent leur base électorale. Dans un pays où les identités locales et régionales sont très marquées, les personnalités politiques les plus connues à l’échel-le du pays continent ont toujours eu et doivent encore avoir un ancrage local défini. L’ancien Président Getulio Vargas était un gaucho (natif du Rio Grande do Sul) de la commune de São Borja et a toujours été connu comme tel par la majorité de la popu-lation. Lula est né dans une petite commune de l’Etat du Pernambouc (Nord-Est), Garanhuns. F.H. Cardoso (Président de 1994 à 2002) était originaire de Rio de Janeiro. Les parlementaires du Congrès les plus en vue sont identifiés dans l’opinion par leur territoire d’origine et la commune où leur carrière a débuté. Sur cette nation de taille continentale, les personnalités politiques les plus populaires ne tombent pas du ciel. Elles doivent être nées quelque part.   Mécanique électorale.   Les maires des 5568 communes sont élus au scrutin majoritaire : les candidats qui reçoi-vent le plus grand nombre de votes valides emportent l’élection. Un second tour a lieu dans les communes de plus de 200 000 électeurs [1] lorsque le candidat ayant obtenu le plus de voix n'atteint pas la majorité absolue, c'est-à-dire la moitié plus une des voix valides (sans compter les votes nuls et blancs). Les deux candidats arrivés en tête au premier tour se retrouvent alors en compétition trois semaines après le premier tour (soit le 27 octobre pour cette consultation de 2024). Le candidat qui obtient la majorité simple l’emporte. Cette année, plus de 15 570 candidats présentés par 29 partis différents con-couraient pour un poste de maire (et autant pour le poste de maire-adjoint). Ces pré-tendants étaient soutenus par des alliances de partis (formées pour la campagne ou conclues pour la durée du mandat) ou par des partis isolés. La fédération constituée par le Parti de Lula (PT), le Parti Communiste du Brésil et le Parti Vert présentait ainsi 1557 candidats. D’autres formations de gauche proposaient 1683 postulants. Les organisations de droite appuyaient 5468 prétendants (35,1% des candidatures retenues) et les forma-tions du centre 6678 (42,9% du total). A noter un point essentiel : plus de la moitié des municipalités brésiliennes n'avaient pas de candidat de gauche à la mairie en 2024. La situation est plus marquée encore dans le groupe des municipalités de moins de 10 000 habitants, ce que l'on peut appeller le "Brésil profond". Sur les 2 466 villes brésiliennes de cette catégorie, 1 558 (soit 63 % du total) n'avaient pas de candidat à la mairie affilié à un parti de gauche.   Le maire est élu pour un mandat de quatre ans et travaille en partenariat avec une chambre municipale. Les membres de cette assemblée (les vereadores ) exercent au sein de la commune un véritable pouvoir législatif. Ils élaborent des lois municipales que le maire devra ensuite appliquer. Ils contrôlent l’action du chef de l’exécutif local et sont responsables de la gestion budgétaire de la commune. Le nombre des membres de l’assemblée municipale varie en fonction du nombre d’habitants de la commune admi-nistrée (de 9 au minimum dans les petites agglomérations à 55 au maximum dans des mégapoles comme São Paulo). Ces vereadores sont élus pour un mandat de quatre ans selon un scrutin proportionnel. Les sièges obtenus au sein de l’assemblée à l’issue de l’élection sont attribués aux partis en lice et pas aux candidats selon des règles précises. On définit d’abord quels sont les partis qui ont obtenu les pourcentages de voix les plus importants. On prend ensuite en compte les nombres des voix obtenus par chaque candidat dans chacun de ces partis. Pour réaliser ces calculs, les deux indicateurs rete-nus sont le quotient électoral et le quotient de parti. Le premier est le rapport du nombre total de suffrages valides à la quantité de sièges disponibles. Dans une commune où il faut désigner un maximum de 20 vereadores et où on a compté 500 000 suffrages va-lides, le quotient électoral est de 25 000.  Le quotient du parti est déterminé en divisant le nombre de votes valides obtenus par un parti ou une alliance de partis par le quotient électoral. On obtient alors le nombre de sièges qui reviennent au parti. Pour reprendre l’exemple, un parti qui a obtenu 100 000 votes valides aura un quota de 4 sièges (100 000 divisé par 25 000) [2] . En octobre dernier, un peu plus de 431 900 personnalités se sont présentées à cette élection législative locale. Les formations de gauche appuyaient 89427 candidats (20,7% du total), les partis de droite 158 832 (36,8%) et les organisations du centre 183 723 (42,5% du total).   Réunion pleinière des vereadores de la chambre municipale de Rio de Janeiro. Une élection commande l’autre.   Ce scrutin a évidemment d’abord une portée locale. Le premier magistrat de la ville et les élus de l’assemblée qui participent à la gestion municipale sont choisis en fonction des réponses qu’ils apportent ou prétendent apporter à la vie quotidienne des admi-nistrés. En tant que chef de l'exécutif local, le maire a des compétences relativement importantes. L’administration municipale lève et perçoit plusieurs impôts : sur les services et les biens immobiliers par exemple. Elle assure évidemment l’entretien et l’illumination de la voirie, les travaux d’infrastructures urbaines et rurales votés, la sécurité dans les lieux publics (police municipale), la vie culturelle. Aspect essentiel : c’est au niveau municipal et dans le cadre de partenariats entre la commune et les échelons supérieurs que sont mises en œuvre et gérées des politiques décidées et programmées par le gouvernement fédéral et les gouverneurs de l’Etat fédéré. C’est le cas de politiques fédé-rales comme celles du logement, de la santé (la mairie administre et anime le réseau de dispensaires où sont fournis les services de santé de base gratuits, elle peut gérer des hôpitaux), de l’éducation (la municipalité a la charge des locaus et de la gestion des écoles primaires), ou de l’environnement (certaines missions reviennent à la municipalité). C’est encore et surtout l’administration municipale qui gère la distribution des allocations sociales fédérales dont bénéficient souvent une part importante de la population défavorisée. Ainsi, les cartes à puce qui permettent aux bénéficiaires du programme bolsa familia (revenu minimum garanti) d'effectuer des retraits et des paiements sont gérées et distribuées par les secrétariats municipaux à l'assistance sociale. Pour fournir tous ces services, la commune reçoit évidemment des transferts du gouvernement fédéral et de l’Etat fédéré (transferts qui constituent une autre recette importante après les impôts locaux). Néanmoins, pour le citoyen moyen, c’est bien l’administration muni-cipale qui est responsable de la qualité de ces services, des conditions dans lesquelles ils sont fournis, des moyens mis en œuvre. Pour la majorité des électeurs, c’est le gouvernement municipal qui peut ou non améliorer les conditions de vie quotidienne. C’est d’abord le maire et la politique qu’il conduit qui sont jugés par les habitants d’une commune. L’évaluation par la population de la qualité de la gestion municipale est déterminante dans l’appréciation de la politique conduite à d’autres niveaux de la vie publique.   C’est là une des raisons pour lesquelles le choix d’un maire (ou la réélection d’un sortant) et des membres de l’assemblée municipale contribue indirectement à la dynamique et aux résultats des autres consultations qui viendront deux ans plus tard. Lorsqu’une for-mation politique a emporté un grand nombre de mairies et élu des bataillons consé-quents de membres d’assemblées municipales, elle a de fortes chances de faire élire ses représentants aux niveaux supérieurs de représentation et d’exercice du pouvoir. Au-delà de la popularité et de la crédibilité d’un exécutif municipal, comment expliquer un tel phénomène ? Considérons ici l’influence de l’élection municipale sur l’élection des parlementaires du Congrès fédéral. Dans le système électoral brésilien, les députés et sénateurs fédéraux sont choisis par les électeurs de l’Etat fédéré dans lequel ils sont candidats. Le pays est de taille continentale. La circonscription législative a ici souvent la dimension d’un grand pays européen. Ainsi, dans l’Etat du Minas Gerais (586 528 km2), ce sont 16,47 millions d’électeurs inscrits qui désigneront en 2026 les 53 élus qui les repré-senteront à la Chambre des députés fédérale. Compte tenu des paramètres géogra-phiques, de la distance existante entre les formations politiques et la grande majorité des électeurs, la personnalité qui envisage de se porter candidat pour la première fois à la députation est en général totalement inconnue de la majorité des électeurs dont elle va convoiter les suffrages. Le député qui cherche à se faire réélire a souvent été éloigné de son Etat d’origine, notamment s’il est très engagé dans la vie politique nationale à Brasilia et au sein de la Chambre où les travaux des élus ne se résument pas aux débats en plénière.   Dans les deux cas, ces postulants ont besoin de l’appui très engagé et permanent de responsables politiques locaux qui seront des intermédiaires obligés entre eux et le corps électoral. Ils ne peuvent pas envisager de campagne sans avoir à leur côtés les animateurs de réseaux solidement implantés au sein des territoires, des animateurs ayant créé une relation de proximité avec toutes les composantes de la population. Le maire, le maire-adjoint, les membres d’assemblées municipales sont les acteurs les mieux placés pour former ces réseaux et les développer. Ils entretiennent souvent dans les petites communes des relations personnelles directes, sinon avec la plupart des habitants, au moins avec les corps intermédiaires que sont les organisations profes-sionnelles, les syndicats, les associations, les représentants de quartiers, etc..   Affiches présentant des candidats au poste de maire : des annonces très personnalisées. L’élection des édiles municipales et des vereadores est donc une étape essentielle et cruciale dans la constitution de ce qui sera la base électorale de candidats à des mandats par nature distants des territoires. Grâce au soutien constant de ces élus lo-caux, le candidat lointain acquiert ou conserve la dimension d’un personnage concret. Il s’insère dans le paysage politique local. Il devient recommandable parce qu’il est re-commandé par des leaders politiques que l’on connaît, que l’on peut voir à l’œuvre tous les jours. Le constat vaut dans n’importe quel contexte géographique. Il acquiert ici une dimension cruciale. A l’échelle d’un pays où les distances sont considérables, où la diversité des populations est énorme, où les relations sociales sont largement déterminées par les affinités affectives (parfois plus que les affinités politico-idéologiques), les liens créés avec les élus locaux sont décisifs. Les campagnes mobili-sent désormais la communication sur les réseaux sociaux, sur les médias classiques, la publicité et le marketing. Tout cela est indispensable. La relation de proximité cependant reste pourtant un atout essentiel. Plus un parti peut compter sur un maillage dense de maires et d’élus d’assemblées municipales, plus grande sont ses chances de faire élire des députés fédéraux, des sénateurs, des gouverneurs, des membres d’assemblées d’Etats. A l’heure de faire campagne, ces relais municipaux sont des acteurs essentiels. Ce sont eux qui vont mobiliser les militants de base et recruter des agents électoraux rémunérés [3] . Ce sont eux qui vont transformer une compétition entre postulants souvent anonymes en choix quasi-affectif de personnalités aimables et recomman-dables. Un candidat à la députation fédérale qui a bénéficié de nombreux messages sur les plateformes numériques ou d’autres supports publicitaires peut se promener dans les rues des communes où ils sollicitent les suffrages des électeurs, il peut serrer des milliers de mains, distribuer des prospectus. Il n’aura jamais l’efficacité du concurrent qui participent à des réunions organisées et parrainées par des élus locaux.   Pour toutes ces raisons, le scrutin municipal n’est pas seulement une consultation locale. C’est une étape essentielle dans la consolidation ou la mutation des rapports de force politiques nationaux. Intervient ici une question essentielle. Pourquoi les élus municipaux sont-ils conduits à jouer ce rôle de relais local indispensable dans les élections natio-nales et les scrutins destinés à élire le gouverneur et les députés de l’Etat ? Pourquoi acceptent-ils avec enthousiasme de consacrer l’essentiel de leur temps pendant plusieurs semaines à concevoir et animer la campagne de candidats à des mandats de parlementaires au Congrès, de gouverneurs ou de députés de leurs Etats ? Interviennent bien sûr les affinités idéologiques, la solidarité entre leaders d’un même parti ou d’une alliance de formations. Notons d'ailleurs que la solidarité en question ne repose pas toujours sur une communauté de vision politique. Fréquemment les liens personnels (voire familiaux) comptent plus que les sympathies idéologiques. L’essentiel ici est que les élus fédéraux et ceux qui gèrent l’Etat fédéré soient de bons partenaires pour les édiles municipales et les membres de l’assemblée . Qu’attendent précisément les res-ponsables politiques d’une commune de ceux dont ils organisent les campagnes, de ceux pour qui ils entretiennent une base électorale, un réseau de connaissances et d’alliances décisif à l’heure des campagnes pour les élections générales ?   Considérons ici le cas des candidats à la députation fédérale ou des parlementaires du Congrès qui souhaitent postuler pour un nouveau mandat à Brasilia. Que peuvent-ils ap-porter aux élus municipaux en contrepartie des multiples et précieux services que ces derniers leur rendent. Ces élus sont avant tout des gestionnaires de ressources finan-cières. La majorité des dépenses que doit engager un maire est formé de que l’on appel-le des dépenses obligatoires : paiement des salaires et des retraites des fonctionnaires municipaux, entretien des bâtiments publics et de la voirie, frais de fonctionnement des services administratifs. Dans la très grande majorité des 5568 communes du pays – no-tamment sur les grands pôles urbains -, ces dépenses obligatoires progressent année après année plus rapidement que les recettes, induisant au mieux un affaiblissement de la capacité d’investissement des municipalités, au pire des déficits. A l’heure où le maire en place cherche à se faire réélire, la bonne gestion du budget et des dépenses obligatoires n’est pas un argument de campagne très efficace. Pour défendre sa gestion, consolider ou conquérir les votes des administrés, le premier magistrat vante ses prouesses de bâtisseur, de transformateur du cadre de vie, de "fournisseur de bien-être" pour la population. Il souligne qu’il a multiplié la construction de crèches et dispensaires, qu’il a installé de nouveaux systèmes d’éclairage de rues, bâti un stade ou construit une piscine, accru et modernisé les moyens de la police municipale, ouvert de nouveaux axes de circulation, amélioré l’état de la voirie, multiplié les réservoirs d’eau (élément essentiel dans les régions de grande sécheresse). Pour engager de tels chantiers au cours de son mandat, le maire de n’importe quelle commune a toujours été dépendant de crédits fixés par les élus fédéraux au Congrès. Lors de la discussion et de l’élaboration de la loi budgétaire au niveau fédéral, députés et sénateurs votent en effet des amen-dements qui fixent le montant des fonds qui seront acheminés vers leurs régions d’origine. Il y a des amendements définis et sollicités par un parlementaire isolé. Une seconde catégorie est définie par le groupe politique auquel le parlementaire en question est rattaché à la Chambre et au Sénat. Il y a encore des amendements définis par le regroupement que forment les parlementaires d’un même Etat fédéré. Les trois modalités se cumulent. Pendant la campagne, les investissements réalisés comptent. A droite, un maire remercie son partenaire député fédéral qui a permis d'équiper la commune d'une pelleteuse. Les critères de destination et d’attribution de ces crédits dépend des bonnes relations que les élus municipaux entretiennent avec les parlementaires nationaux. Depuis une bonne décennie, les parlementaires ont conquis plus d’autonomie par rapport à l’exécutif. Le Congrès a renforcé ses prérogatives budgétaires. Les parlementaires ont pu accroître considérablement les enveloppes destinées aux amendements. Surtout, ils ont imposé au gouvernement fédéral une obligation d’exécution des crédits concernés. Députés et sénateurs sont ainsi devenus les partenaires indispensables que doivent s’allier les élus municipaux. Les maires qui perdent les faveurs de députés et de sénateurs fédéraux ne pourront pas dire qu’ils ont accompli des miracles pendant leurs mandats. Pas de citerne pour faire face à la sécheresse, pas de nouvelle école, pas de poste de santé supplémentaire…Les candidats qui postulent pour la première fois à des postes d’élus municipaux doivent montrer qu’ils entretiennent de très bonnes relations avec les parle-mentaires qui siègent à Brasilia….et que leurs demandes de crédits seront promptement satisfaites.   Un second post de cette série sera consacré à ce dispositif d’amendements parle-mentaires dont dépend de plus en plus le sort des élus municipaux et le démarrage de la carrière des nouveaux postulants. On montrera aussi que le financement des campagnes municipales d’un maire et des vereadores d’un même parti est très lié à l’importance que ce parti a au sein du Congrès. Un troisième et dernier post conduira à présenter le scénario politique le plus probable pour 2026 à partir des résultats de ce scrutin municipal d’octobre 2024. Le paysage politique de la fin du troisième mandat présidentiel de Lula est déjà défini. Il n'est pas vraiment favorable au chef de l'Etat.... A suivre : Des élus municipaux dépendantes du Congrès.     [1]  Dans les communes comptant moins de 200 000 électeurs, c’est le candidat ayant obtenu la ma-jorité simple au premier tour qui l’emporte.   [2]  C’est le parti qui attribue ensuite ces sièges à ses candidats. Seul le candidat au poste de verea-dor  qui a obtenu au moins 10 % du quota électoral peut être élu. Dans l’exemple choisi, 2 500 voix.  [3]  La législation permet aux candidats de recruter et de rémunérer des salariés temporaires em-ployés comme agents de propagande électorale. Le nombre des recrutements autorisé dépend du nombre d’électeurs inscrits dans la commune. En octobre 2024, un candidat au poste de maire dans une commune de plus de 500 000 électeurs pouvait recruter jusqu’à 801 agents rémunérés. Le can-didat à un mandat de vereador  peut embaucher 401 propagandistes temporaires.

  • Lula et le piège vénézuélien (3).

    Face au dictateur, Lula impuissant.     Dès la campagne présidentielle de 2022, Lula avait indiqué que, s’il était élu, une de ses priorités serait d’assurer le grand retour du Brésil sur la scène diplomatique mondiale. L’ancien Président Bolsonaro avait réussi à faire du pays un véritable paria international, allant même jusqu’à froisser ses principaux partenaires commerciaux. Pendant la pre-mière année de son troisième mandat, multipliant voyages à l’étranger et déclarations pompeuses, Lula s’est érigé en médiateur de conflits pourtant géographiquement très éloignés du Brésil. Ses proches et sympathisants ont alors cru que le vieux leader de la gauche allait pouvoir concrétiser le rêve qu’il caresse depuis près de vingt ans : se voir décerner le prix Nobel de la paix. Selon l’entourage de Lula, celui-ci allait même devenir le "Nelson Mandela du Brésil". Comparaison déplacée :  incarcéré pendant plusieurs mois entre 2018 et 2019, Lula n’a pas été un prisonnier politique, quoiqu’en disent ses admi-rateurs. Depuis le début de 2023, ses initiatives à l’international n’ont pas été vraiment convaincantes. Ses deux tentatives de médiation de conflits ont piteusement échoué : la guerre en Ukraine d’abord, celle entre Israël et le Hamas ensuite. Dans les deux cas, des prises de position pour le moins équivoques, des dérapages verbaux calamiteux ont érodé l’image du Président et distendu les relations du pays avec de nombreux gouver-nements de la planète. Récemment, en refusant de condamner clairement et fermement la fraude électorale organisée au Venezuela par le régime chaviste, Lula a montré qu’il restait attaché à de vieilles solidarités partisantes. Il a surtout révélé que ses marges de manœuvre à l’international étaient devenues quasiment insignifiantes.   Maduro a été déclaré vainqueur du scrutin du 28 juillet par Conseil National Electoral (CNE) que son régime contrôle. Cette "réélection" a été officialisée fin août par la Cour Suprême du pays, également aux ordres du pouvoir. En réalité, les opérations de dépouillement ont été manipulées. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les procès-verbaux des résultats n’ont pas été publiés et ne le seront sans doute jamais. Des orga-nisations internationales crédibles ont confirmé la victoire d'Edmundo González, le candidat de l'opposition.  Après la fraude électorale, Maduro a eu recours à la répression, brutale, massive et sanglante. Contesté dans les urnes, dénoncé par la rue, le dictateur n’a pas hésité à employer la méthode forte. En plus des forces de l’ordre officielles, il a mobilisé les colectivos , ces groupes paramilitaires bolivariens et s’appuie sur le renfort de policiers venus de Cuba pour affronter les manifestants. Bilan à la mi-août : près de 30 morts, 200 blessés et 1400 arrestations, dont des mineurs et des handicapés, promis aux camps de rééducation idéologique et à la prison.   Dans un tel contexte, l’attitude normale d’un démocrate qui prétend assumer un rôle de leader régional serait de dénoncer les atrocités commises par le pouvoir dans un pays voisin. Tel n’a pas été le choix de Lula. Le Président brésilien est aujourd’hui un des rares dirigeants d’Amérique du Sud à ne pas avoir condamné le régime chaviste, à ne pas parler d’élection truquée (alors que les preuves se multiplient). Les partisans de Lula Président veulent faire croire que ce silence prudent traduit un prétendu pragmatisme politique. En ne prenant pas parti, Lula adopterait la posture d’un véritable médiateur de la crise, exécuterait une manœuvre tactique sophistiquée. Balivernes. En réalité, le dit médiateur est terriblement embarrassé. Le Président ne peut plus afficher comme hier ses liens avec le chavisme sans fragiliser sa trajectoire politique future. Il ne peut pas en même temps se dissocier du camp formé par les grands pays autoritaires qui parrainent Maduro, le soutiennent et profitent de son régime. Lula est le Président élu d’une démo-cratie où la majorité des électeurs n’ont aucune passion pour la révolution bolivarienne et ne voudraient surtout pas qu’elle inspire leurs dirigeants. Il est aussi le dirigeant d’un pays qui n’a pas cessé depuis vingt ans d’intensifier ses relations économiques avec la Chine. Le Brésil a accepté avec un enthousiasme ingénu l’étreinte de la République populaire qui se révèle aujourd’hui étouffante. Difficile de continuer à plaire au partenaire chinois si l’on dénonce clairement et fermement le comportement de son premier pro-tégé sud-américain.  Calculs illusoires.   Lorsque Lula rétablit des relations avec le régime chaviste et son chef en 2023, il sait que Maduro et ses partisans vont affronter une échéance électorale importante en 2024. Brasilia est convaincu que si le scrutin apparaît comme régulier et loyal, le Venezuela pourra réintégrer le Mercosur et redevenir un participant acceptable de la dynamique d’intégration régionale que prétend relancer Lula. Ce dernier et son entourage croient Maduro lorsque ce dernier affirme qu’il l’emportera facilement. Tout ce monde est per-suadé que ce qui s’est passé au cours de scrutins antérieurs va se répéter. Grâce au contrôle total du processus de préparation de l’élection (choix des candidats, inégalité de traitement par les médias officiels), à la censure généralisée, à la violence politique contre l’opposition et au vaste réseau d’influence que le parti chaviste est supposé avoir encore au sein des couches populaires, Maduro n’aura aucun mal à répéter la même mascarade qu’en 2013 et en 2018. Il ne sera donc pas nécessaire d’intervenir au moment des opérations de dépouillement, de cacher les résultats obtenus et d’en inventer d’au-tres de toute pièce. Les apparences seront sauves. L’opposition fera du bruit pendant quelque temps puis tout se calmera. Aux yeux des diplomates des pays voisins qui voient la réalité vénézuelienne depuis les balcons de leurs ambassades, Maduro apparaîtra comme un  Président "propre" et fréquentable à défaut d’être estimé et estimable. Maduro accueilli à Brasilia en mai 2023. Lula et une large part de la gauche brésilienne croyaient à ce scénario parce qu’il cor-respond à un souhait profond et à leur représentation du monde. Pour ce secteur de l'opinion brésilienne, le scrutin que Maduro préparait dès 2023 s’inscrit dans une nouvelle géopolitique globale qui verrait s’affronter le camp du bien et les forces du mal, les partisans d’un nouvel ordre international (la Chine, la Russie, l’Inde mais aussi le Brésil de Lula et les autres Brics) et le monde occidental hier hégémonique. Au Venezuela, les forces du mal ne devaient pas l’emporter mais il fallait que le représentant du camp du bien respecte un minimum de règles pour ne pas mettre ses partenaires régionaux dans l’embarras. L’hypothèse d’un échec de Maduro était difficilement pensable. Il signifierait une victoire de l’impérialisme occidental. Le régime devait l’emporter en utilisant ses atouts habituels mais sans adopter des méthodes de gangster. La nouvelle victoire attendue signifierait une nouvelle défaite des Etats-Unis dans la région et le triomphe des pays antagonistes (la Chine, la Russie et le reste du Sud).   Ce prisme idéologique a conduit Lula et ses proches à multiplier les erreurs dans l’éva-luation de la complexité de la crise politique vénézuélienne. Premier faux pas : le vote de confiance accordé à l'avance par le gouvernement brésilien à Caracas. D’où le traitement de faveur réservé à Maduro lors de sa première visite à Lula en mai 2023. L’exécutif brésilien a cru qu’en déroulant le tapis rouge au dictateur il disposerait d’un atout pour influencer le cours des évènements politiques ultérieurs dans le pays voisin. La seconde erreur aura été de croire au discours de Maduro lui-même, un autocrate qui n’a pas cessé de se présenter comme la victime de forces étrangères diaboliques. Dès lors, convaincu ou attendri, le compère brésilien n’a exigé dès le début de ces retrouvailles ni enga-gements fermes, ni contreparties. Pourtant, au fil des mois, il est devenu clair que Maduro ne quitterait le pouvoir sous aucun prétexte. Sa stratégie pour falsifier l’élection n’a pas commencé le jour du scrutin mais bien en amont, lorsque le pouvoir chaviste a com-mencé à arrêter les opposants au régime, à interdire des candidatures, à limiter les mar-ges de manœuvre de ses adversaires pendant la campagne, à intimider les électeurs…Une autre grave erreur aura été de cautionner les accords de La Barbade comme si ce compromis allait représenter un obstacle effectif aux menées autoritaires les plus grossières de Maduro. Comme si le dictateur dépendait du Brésil au point de devoir prendre en compte les désidératas de Brasilia. En réalité, le régime chaviste dépend de la Chine, de la Russie et de Cuba. Il a su ces derniers mois habilement manipuler Brasilia et convaincre les conseillers de Lula qu’il aurait la capacité de remporter les élections de manière "appropriée", sans avoir à adopter des méthodes de gangster….   Une cleptocratie impopulaire.   La gauche brésilienne et son leader ignorent ou sous-estiment depuis des années les conséquences sociales de la pérennisation au pouvoir de la cleptocratie chaviste. La poule aux œufs d’or du régime a été pendant plusieurs années l’industrie pétrolière. Evolution défavorable des cours mondiaux, gestion clientéliste à outrance de la com-pagnie nationale, chute conséquente de la production : la rente pétrolière a fondu. Il a fallu développer de nouvelles activités pour assurer la prospérité d’une élite soutien du régime. Caracas a dû flexibiliser le contrôle de l’économie et autoriser une dollarisation de fait. Ces mesures ont fourni de l’oxygène, principalement au commerce extérieur et aux activités illégales très développées (contrebande, exploitation minière illicite, trafic de drogues). Cette évolution a profité essentiellement à une bourgeoisie bolivarienne formée par l’appareil du Parti chaviste, l’élite militaire et l’ensemble des haut-fonction-naires placés par le régime à la tête de toutes les institutions nationales, de la Cour Suprême aux gouvernements des 23 Etats fédérés. Maduro et quelques uns de ses nombreux officiers supérieurs. La caste des officiers supérieurs de l’armée est une composante essentielle de cette néo-bourgeoisie. Endoctrinés, les 2500 généraux que compte le pays (un nombre re-cord au plan international) font tout. Ils sont ministres, responsables d’administrations et de compagnies publiques, en charges de collectivités territoriales [1] . Ils ont aussi été placés à la tête d'importants secteurs économiques, ce qui offre des possibilités consi-dérables de pots-de-vin et de corruption. Ils ont également été autorisés à jouer un rôle central dans le trafic de drogues, ainsi que dans l'exploitation minière illégale, l'extorsion et d'autres opérations criminelles. Ces possibilités d'enrichissement illicite ont été facilitées en confiant aux militaires la responsabilité d'industries et de zones géographiques.   Dans les rangs des fidèles avantagés par ce système cleptocratique, il faut aussi compter l’ensemble des collaborateurs et exécutants de la politique de sécurité du régime. A cet univers des chavistes convaincus et intéressés, le régime a su garantir une certaine prospérité. Les forces spéciales de la police vénézuélienne, créées en 2017, jouent un rôle central dans le maintien de Maduro au pouvoir en terrorisant ceux qui menacent le régime. Elles sont complétées par le Servicio Bolivariano de Inteligencia Nacional , l'organisation de renseignement du chavisme. Au sein du groupe des  exécutants du régime, il faut mentionner encore le contre-espionnage militaire, bastion de l'influence cubaine au sein du gouvernement, qui joue également un rôle important. Le régime compte enfin sur la Garde Nationale Bolivarienne (une force chargée de la surveillance des frontières et très impliquée dans le commerce de contrebande) [2]  et sur des grou-pes de militants chavistes armés (les colectivos ). Il s’appuie encore sur les dissidents  de guérillas colombiens (FARC, ELN) que le pouvoir chaviste a accueilli sur le territoire véné-zuélien.   File d'attente devant un supermarché au coeur d'un quartier pauvre de Caracas (mars 2024). Pendant que toute cette caste de privilégiés du régime prospérait, près de 52% des Vénézuéliens vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2023. Une majorité encore plus importante d’habitants est confrontée à l’érosion des revenus, à de multiples pénu-ries, à la dégradation de l’ensemble des services publics. Les inégalités sont criantes au pays du "socialisme bolivarien". Le revenu per capita moyen des 10% les plus riches est 35 fois supérieur au revenu moyen des plus pauvres. La cleptocratie favorise l’élargis-sement des inégalités. C’est ce contexte social, marqué par l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie prédatrice qui a provoqué un net décrochage des couches les plus pauvres par rapport au chavisme. En juillet dernier, au vote de rejet du régime habituel au sein de la  bourgeoisie traditionnelle et des classes moyennes s’est ajouté un vote populaire. Les populations des périphéries urbaines confrontées à la fois à la misère et à l’arbitraire des milices organisées par le régime ont basculé. Elles ont choisi l’opposition parvenue à s’unir et à capter la désespérance de la majorité des Vénézuéliens.   Complaisance et cécité de Lula.   Au Brésil, dans l’entourage de Lula, avant et après le retour au pouvoir, on n’a pas pris la mesure de ces changements. La surprise est donc grande le 28 juillet au soir et les jours d’après. Suivent alors plusieurs semaines de déclarations alternant cynisme, incohérence et irréalisme total. Dès la fin du scrutin, alors que l’opposition revendique la victoire, Lula déclare que rien de "grave" ou "d'anormal" ne s'est produit lors de l'élection. Plus tard, il indiquera qu’il attend la publication des procès-verbaux des bureaux de votes pour se prononcer. Pendant ce temps, le régime chaviste intensifie sa politique de répression. En août, lorsque l'ONU conclut dans un rapport que le Venezuela n’a pas rempli les exigen-ces de base en matière de "transparence et d'intégrité", le président de l'Assemblée vénézuélienne, Jorge Rodríguez, du même parti que Maduro, qualifie le document d’ordurier et menace d'interdire la présence d'observateurs étrangers lors des futures élections.   Un peu plus tard, Lula suggère à Caracas de tenir de nouvelles élections ou bien de constituer un gouvernement de coalition. Ces propositions fantaisistes sont évidemment rejetées par le dictateur et par l’opposition. Cette dernière se sent offensée, elle qui a démocratiquement remporté les élections malgré tous les obstacles et les manipu-lations créées par le chavisme. Comme le fera remarquer le site Internet d'humour vénézuélien, El Chigüire Bipolar , "le Brésil propose de répéter les élections jusqu'à ce que Maduro gagne". Soufflée à l’oreille de Lula par son conseiller spécial Celso Amorim, cette proposition est d’un cynisme absolu. Des opposants vénézuéliens ont d’ailleurs posé la question : Lula aurait-il accepté de participer à une nouvelle élection ou à un "gouverne-ment de coalition" avec Jair Bolsonaro si ce dernier avait truqué l'élection de 2022 et était resté à la présidence en s’appuyant sur la force [3] .   A l’approche du 15 août, en visite dans le Rio Grande do Sul, cherchant à prendre quel-ques distances avec le pouvoir de Caracas sans s’attirer les foudres de Maduro, Lula se lance dans des appréciations surprenantes sur le régime chaviste. Pour le Président bré-silien, le gouvernement de Maduro "n'est pas une dictature", mais "un régime très désagréable". Autant de considérations choquantes pour les 7,7 millions de Vénézuéliens qui ont dû fuir leur pays (dont 580 000 vivent au Brésil), pour les milliers de prisonniers politiques, les opposants torturés, les journalistes persécutés, les responsables d’Ongs menacés…Les propos décousus, les phrases incohérentes ou provocantes sont exprimés par un Président brésilien qui sait pertinemment qu’il n’a plus guère de marges de ma-nœuvre dans la crise vénézuélienne. S’il n’avait à tenir compte que de l’opinion publique au Brésil, il romprait clairement avec la dictature chaviste. Dans le contexte géopolitique et économique qui est celui de son pays aujourd’hui, il doit faire comme s’il n’avait rien vu de ce qui se passe vraiment au Venezuela.   L’étreinte étouffante de la Chine.   Les cercles diplomatiques brésiliens cultivent encore un mythe selon lequel le Brésil serait le leader naturel en Amérique du Sud et aurait donc vocation à gérer des processus de pacification sur la région, voire à intervenir dans la vie politique intérieure de pays voisins. Lula sait aujourd’hui que la réalité est différente. La Chine et d’autres pays autoritaires exercent une influence économique et politique croissante sur le sous-continent [4] . C’est le cas au Venezuela où la dictature chaviste perdure parce que le régime est totalement soumis aux intérêts de la Chine et de la Russie. De ce fait, les tensions globales entre les grandes démocraties (Etats-Unis en premier lieu) et l’axe des pays autoritaires conditionnent désormais la dynamique des relations entre les pays d’Amérique du Sud et ont même un impact croissant sur la politique intérieure de chacun de ces Etats. Le Brésil aurait sans doute pu encore jouer un rôle de pacificateur au Venezuela s’il était demeuré une nation équidistante, refusant à la fois de s’aligner sur les pays de l’axe autoritaire et d’être l’allié passif et soumis du monde occidental. Ce n’est plus le cas.   Les choix économiques faits  par plusieurs gouvernements successifs – et renforcés par l’Administration Lula – ont placé peu à peu le Brésil aux côtés des puissances anti-occidentales. Ce déplacement géopolitique n’est pas seulement le résultat du retour au pouvoir d’une gauche qui revendique encore un antiaméricanisme primaire, rêve de rompre avec le capitalisme et l’occident qui l’incarne. L ’alignement croissant du Brésil (membre des BRICS depuis la création du club) sur les puissances de l’axe autoritaire correspond aussi à une dynamique d’emprise croissante de la Chine sur l’économie bré-silienne. Entre le géant sud-américain et l’empire du milieu s’est constituée au fil des années une relation de dépendance commerciale asymétrique qui s’apparente aujour-d’hui à un rapport de sujétion. La Chine est de loin le premier débouché des exportateurs brésiliens (30,7% des exportations totales en 2023) et la première origine pour les im-portations. Le Brésil fournit principalement des produits agricoles, du pétrole brut et du minerai de fer. Pour ces trois secteurs-clés de l’économie brésilienne, la perte du dé-bouché chinois ou des difficultés d’accès seraient dévastateurs. Cela signifie que le monde agricole, les acteurs pétroliers et les exploitants miniers soumettent le gou-vernement de Brasilia à une pression constante pour qu’il fasse preuve de bonne volonté à l’égard de Pékin. Chaque initiative des autorités brésiliennes doit être calculée pour ne pas offenser le meilleur client du pays…Le Brésil fait tout ce qu’il faut pour ne pas être exposé à la diplomatie coercitive de la Chine. Pour éviter par exemple de subir des mesures sanitaires et des barrières tarifaires qui pénaliseraient son agriculture....   Pour la Chine, le Brésil est un marché secondaire où sont écoulés des produits indus-triels. Le pays sud-américain est cependant la première destination des investissements réalisés en Amérique du Sud par la République Populaire. Objectif poursuivi depuis plus de quinze ans : conférer aux firmes chinoises des positions clés dans le secteur de l’électricité (génération, transmission), du pétrole (extraction), de l’exploitation minière, de la téléphonie, de la logistique. Equipant le Brésil en convertisseurs solaires, développant l’extraction de niobium et fournissant des véhicules électriques, les Chinois influencent encore le rythme et les modalités de la transition énergétique au Brésil. Cette étreinte économique est facilitée par un  lobbying intense mené par les diplomates et agents du régime chinois au sein même des institutions fédérales brésiliennes. Le fil conducteur est toujours le même : il s’agit de montrer aux décideurs publics, aux membres du Congrès, aux formateurs d’opinion que pour bénéficier de l’essor et du soutien de la Chine, le Brésil doit manifester de très bonnes dispositions à l’égard de son partenaire. L’étreinte perdure si des preuves d’attachement sont renouvelées.   Dès son retour au pouvoir, Lula a confirmé un alignement sur la Chine, l’axe des pays au-toritaires, le club des Brics. Il doit cependant aussi tenir compte des fortes contraintes intérieures qu’impose le fonctionnement d’une démocratie, celle dont il est Président. La crise vénézuélienne le contraint donc à un positionnement schizophrénique. Il doit cau-tionner une dictature, comme si celle-ci était légitime. Il doit prendre quelques distances sans provoquer un divorce. Cette schizophrénie pourrait lui coûter de plus en plus cher sur le terrain où se décide son avenir : celui de la vie politique intérieure.   Coût politique élevé.   Lula a été élu (de justesse) pour un troisième mandat parce qu’il s’est présenté comme le combattant de la démocratie, un leader capable d’éviter au Brésil la dérive autoritaire incarnée par son rival, Bolsonaro. Ce n’est pas le programme de gauche de son parti qui lui a permis de rallier une large part de l’électorat modéré du centre et même de la droite. C’est la défense alléguée de la démocratie menacée. C’est sur cet enjeu que Lula est parvenu à élargir son électorat bien au-delà d’une gauche très minoritaire dans l’opinion [5] . L’attitude qu’il a adopté depuis le dernier scrutin présidentiel au Venezuela conduit aujourd’hui de nombreux électeurs brésiliens à s’interroger sur les convictions démocratiques du Président qu’ils ont élu il y a moins de deux ans.   L’alignement de Lula sur les pays dits du Sud global et sur les grands Etats autoritaires de la planète, sa neutralité bienveillante à l’égard du régime chaviste après le scrutin truqué de juillet dernier : tout cela conduit désormais une large part de l’électorat brésilien à considérer qu’il a été trompé en 2022 et que le Président élu alors n’est pas un vrai démocrate, qu’il préfère en réalité une dictature vénézuélienne alignée sur le Sud Global plutôt qu’une démocratie entretenant des relations normales avec Washington . Une enquête d’opinion réalisée dans les jours qui ont suivi la soi-disant réélection de Maduro montre que 73% des Brésiliens considéraient l’évènement comme très grave et que le vainqueur déclaré du scrutin était illégitime. Dans la même enquête, 79% des personnes interrogées estimaient que le Venezuela était une dictature (à peine 15% estimaient que c’était encore une démocratie). Cela signifie que pour une majorité de citoyens, le posi-tionnement de Lula dans la crise vénézuélienne est inacceptable et incompréhensible. Cela signifie encore que l a frange décisive d’électeurs qui ont porté leur suffrage sur le candidat Lula en 2022 se sent trahie aujourd’hui. Cette frange manquera sans doute à l’appel dans l’avenir.   C’est bien ce qu’a compris l’opposition qui dénonce avec délectation l’attitude de neu-tralité bienveillante de Lula à l’égard de Maduro. Ses leaders répètent à l’envie que ce que fait Maduro au Venezuela depuis des années est exactement ce que Lula et son parti rêvent de faire au Brésil. Le camp bolsonariste et les autres courants d’opposition ne pouvaient pas espérer de meilleur cadeau de la part du pouvoir à la veille d’élections municipales qui seront décisives [6] . Tous les candidats de la gauche qui peuvent espé-rer l’emporter commencent d’ailleurs à reconnaître que le scrutin vénézuélien n’a sans doute pas été très régulier... A moyen terme, le positionnement de Lula et de ses diplo-mates peut constituer un handicap politique encore plus important. Tous les obser-vateurs prévoient que dans les prochains mois  le régime chaviste va accentuer la ré-pression et la chasse aux opposants, systématiser la torture, continuer à tuer. L’opposition utilisera sans retenue les témoignages des centaines de milliers de nouveaux réfugiés vénézuéliens qui afflueront alors vers le Brésil  (entre autres destinations). L’image internationale de Lula, icône de la démocratie, aura alors définitivement pris l’eau. Plus grave pour le vieux leader : l’alliance politique sur laquelle repose son gouvernement aujourd’hui s’effilochera [7] . La brèche ouverte déjà au sein de son parti (entre une extrê-me-gauche chaviste et les courants réellement démocratiques) s’élargira. Sa réélection en 2026 deviendra une chimère….   Des analystes brésiliens ont souvent dit ces dernières semaines que la crise véné-zuélienne était le test majeur pour la politique extérieure brésilienne. Ils imaginaient sans doute que Lula pourrait faire plier le camarade Maduro. Le test a eu lieu. Il a démontré que le leader brésilien ne peut rien faire face au renforcement à ses portes d'une dicta-ture. On ne peut pas à la fois être militant de la cause démocratique et rechercher de plus en plus l'étreinte chinoise...     [1]   Ces généraux sont aussi très actifs dans les secteurs "les plus lucratifs". Selon l'ONU, les militaires sont ainsi impliqués dans le cartel de Los Soles , qui est responsable du transport de la cocaïne produite dans les Andes vers les Caraïbes. Il existe également des preuves de leur implication dans l'exploitation minière illégale en Amazonie et même dans la contrebande de carburant et de nourriture à travers la frontière avec la Colombie.  [2] La position de la Garde nationale dans le contrôle formel de la frontière véné-zuélienne lui a fourni de multiples occasions de tirer des revenus d'activités illicites. Elle a notamment taxé la contrebande du gaz colombien vers le Venezuela et a mis la main sur le trafic de drogues entre des régions comme le Nord de Santander en Colombie et les États vénézuéliens voisins comme Táchira et Apure, d'où les stupéfiants sont acheminé vers les États-Unis et l'Europe. [3]  Aucune élection sous le régime délinquant de Maduro ne sera jamais propre et juste. Celles qui ont eu lieu jusqu'à présent (communément célébrées par le parti de Lula comme les preuves de la vigueur de la démocratie au Venezuela) n’ont été ni régulières ni équitables mais il n’avait pas été nécessaire jusqu’en 2024 de cacher les résultats. Cette fois-ci, l’opposition a manifestement gagné. Maduro a été contraint de ne pas révéler les résultats comptabilisés. Il recourra probablement désormais à la même méthode autant de fois qu’il sera nécessaire. [4]  Voir l’article de la revue The economist  : China’s presence in Latin America has expan-ded dramatically , 4 juillet 2024. Disponible sur le site : https://www.economist.com/the-americas/2024/07/04/chinas-presence-in-latin-america-has-expanded-dramatically [5]   En avril 2024, selon un sondage d’opinion, 18% des Brésiliens se disaient de gauche et 41% d’entre eux se considéraient de droite. [6]   Près de 156 millions d’électeurs seront appelés le 6 octobre 2024 à élire les quelques 58 000 membres des assemblées municipales des 5569 communes selon un scrutin proportionnel à un tour. Ils éliront aussi séparément les maires selon un scrutin majoritaire. Dans les communes de plus de 200 000 électeurs où aucun candidat au poste de maire n’a obtenu la majorité absolue le 6 octobre, un second tour est prévu e 27 octobre. Les compétences des autorités municipales sont importantes (santé, éducation, sécurité rou-tière, etc…).  Les muni-cipalités sont des relais politiques essentiels lors des campagnes et des élections nationales. Les scrutins d’octo-bre prochain fourniront une photographie précieuse des préférences de l’électorat et des rapports de force poli-tiques. [7]  Dès juin 2024, la Ministre de la Planification (membre d’un parti centriste) avait souligné que le Venezuela n’était plus une démocratie. La même évaluation a été faite par la populaire ministre de l’Environnement Marina Silva après l’élection truquée du 28 juillet.

  • Lula et le piège vénézuélien (1).

    La fraternité des dinosaures.   Avec la farce sinistre que fut l’élection présidentielle de juillet dernier, le Venezuela est devenu un énorme caillou dans la chaussure de Lula, un caillou que le Président semble incapable de retirer. Pourquoi le chef de l’Etat brésilien s’inflige-t-il une telle gêne depuis quelques semaines ? Pour répondre à cette question, il faut revenir sur l’histoire des rela-tions de Lula et de son parti (le Parti des Travailleurs, PT) avec le régime chaviste. Le leader de la gauche brésilienne a très souvent pris la défense du fondateur de la "révo-lution bolivarienne", feu Hugo Chavez. Au Brésil, pour le PT, pour son chef et une large mouvance politique et syndicale dite "progressiste", Chavez et sa révolution bolivarienne ont toujours été des acteurs majeurs de la lutte contre "l'impérialisme américain" , comme les représentants du juste combat contre l’exploitation du pétrole et des richesses véné-zuéliennes par des "gringos" insatiables [1] .   Dès son arrivée au pouvoir en 1999, Chavez se proclame l’adversaire résolu des Etats-Unis, le défenseur des intérêts nationaux vénézuéliens, le porte-parole des miséreux. Dans un premier temps, il a effectivement diversifié l’utilisation de la rente pétrolière en finançant des programmes sociaux. Il a aussi utilisé cette rente pour favoriser l’essor d’une nouvelle bourgeoisie de moins en moins liée au secteur privé, de plus en plus ga-vée par un système politique rompant avec la démocratie. Le processus révolutionnaire conduit par Chavez a d’emblée été une stratégie populiste anachronique. La devise du régime est encore officiellement la résurrection d’une Amérique latine glorieuse et héroï-que suivant partout la bannière du héros de jadis, Simon Bolivar. Dès le départ, le mouve-ment bolivarien a été un rêve fondé sur le retour au passé, celui des luttes de libération nationales qui provoquèrent l’effondrement de l’empire espagnol. Ce rêve-là avait déjà une puissante capacité de séduction sur les milieux de gauche latino-américains dans les années soixante. Il a encore un pouvoir d’attraction aujourd’hui au sein de la gauche politique et syndicale brésilienne.   Manifestation du parti chaviste à Caracas en 2007. Le portrait de Bolivat est porté par les militants. Ce pôle idéologique est profondément convaincu depuis des lustres qu’il incarne le bien, la justice, les plus hautes valeurs morales. Il est certain aujourd’hui d’être du côté du bon côté de l’histoire, celui des vainqueurs de l’ordre mondial nouveau qui serait en train de naître. Pour la gauche, au Brésil et dans les pays voisins, le grand chambardement géo-politique global en cours obéit à une sorte de déterminisme, celui qui assurera inévita-blement le triomphe du "Sud global" (les pauvres, les émergents, tous ceux qui sont méprisés par un Occident hypocrite) mené par la Chine. Parce qu’ils combattent eux aussi le mal incarné que sont les Etats-Unis et leurs satellites occidentaux, les chavistes vénézueliens (comme les castristes cubains et les sandinistes du Nicaragua) sont eux aussi dans le camp des vainqueurs. La gauche brésilienne reste accrochée à une vision binaire et manichéenne de la société et du monde. Les pays occidentaux riches sont responsables de tous les malheurs de ce Sud pauvre parce qu’exploité . La démocratie et les droits de l'homme qu'invoquent ces nations impérialistes ne sont que des prétextes leur permettant d’avancer leurs pions, de défendre leurs intérêts, notamment écono-miques. Les sanctions que ces Etats pratiquent ne sont rien d'autre que des outils pour entraver ceux qui contestent l’ordre mondial établi.   La vision géopolitique de la gauche brésilienne et sud-américaine peut sembler sim-pliste, surannée. Elle reste pourtant très influente au sein de formations politiques, dans le monde académique et chez de nombreux formateurs d’opinion. Au premier socle idéo-logique ancien forgé par le catholicisme social et le marxisme s’est ajouté la petite mu-sique récente du wokisme. Dans les cercles militants et les appareils de partis, la rigidité doctrinale garantit une douce tranquillité intellectuelle. C’est cette rigidité qui explique l’exceptionnelle fidélité de Lula et de son parti au pouvoir bolivarien, à Chavez et à celui qui lui a succédé à partir de 2013.   Le club de rencontres des dinosaures.   Dans les années qui suivent le retour de la démocratie au Brésil, à la fin des années 1980, le pays de référence pour les leaders de la gauche, c’est Cuba. Le régime castriste va profiter du vaste réseau de soutiens qu’il entretient en Amérique latine pour favoriser la création d’une organisation internationale qui verra le jour en 1990 dans la grande métropole du Sud-Est au Brésil. C’est le Forum de São Paulo. Le pouvoir cubain n'est pas le seul parrain de cette structure de coordination internationale. Celle-ci est également soutenue par le Parti des Travailleurs de Lula. Elle va rassembler des formations politiques, des syndicats, des mouvements de guérilla du sous-continent. Tous s’oppo-sent aux politiques de libéralisation et d’ouverture économique alors mises en œuvre par plusieurs Etats de la région. Tous disent vouloir œuvrer en faveur de l'intégration latino-américaine dans les domaines économique, politique et culturel.   Selon l'organisation, plus de 100 partis et organisations politiques de différents pays participent actuellement aux réunions [2] . Le forum a été dès le début et reste encore aujourd’hui un canal d’influence essentiel pour le régime cubain et ses alliés dans la région. Lorsque Hugo Chávez accède au pouvoir à Caracas en 1999, il devient le premier membre du forum à accéder à la présidence d’un pays de la région depuis la création de l'organisation . C’est le début de ce qui a été appelé ensuite la vague rose pour évoquer les victoires successives et l’arrivée au pouvoir de plusieurs leaders de gauche dans la région au début des années 2000 : Lula au Brésil (2002), Nestor Kirchner en Argentine (2003) Evo Morales en Bolivie (2006), Raphael Correa en Equateur (2007).  Après une réunion du Forum de São Paulo en 2015, les leaders posent. De gauche à droite : Lula, Ortega (Nicaragua), D. Rousseff, Castro, Maduro et Evo Morales (Bolivie). Au sein du Forum de São Paulo comme dans la plupart des formations de gauche du sous-continent, les leaders politiques défendent dès le départ la révolution bolivarienne et le pouvoir chaviste. Ils utilisent les mêmes arguments et le même schéma de pensée qu’ils mobilisent aujourd’hui pour défendre le dictateur Maduro. Les forces sociales qui dirigent le Venezuela (essentiellement une alliance entre des militaires, des dirigeants de compagnies publiques et une bourgeoisie liée au régime) seraient depuis l’émer-gence du chavisme constamment exposées aux attaques des puissances impérialistes. Ces forces luttent contre l’ingérence active et permanente des Etats-Unis dans les af-faires du pays. L’opposition est bien évidemment un agent conscient ou non de ces puis-sances hostiles. Les sanctions américaines imposées au pays sont la principale cause de la grave crise économique. L’opposition au régime est animée par des leaders forcément réactionnaires (voire fascistes) et n’a pour seules ambitions que la réduction des droits sociaux, la privatisation de l’industrie pétrolière, l’affaiblissement de la souveraineté du pays. Le refrain est régulièrement repris au sein du forum. Il est aussi chanté par les ap-pareils politiques nationaux. Il fera partie jusqu’à nos jours des hymnes adulés par les militants du PT brésilien.   Lula, le grand frère de Chavez.   Avant même son élection pour un premier mandat présidentiel (en 2002), comme chef du Parti des Travailleurs, Lula ne cesse de manifester sa sympathie pour la révolution bolivarienne. Il sait pourtant parfaitement que Chavez est déjà en train d’instrumentaliser les règles démocratiques pour affaiblir la démocratie. Profitant de sa popularité, le Prési-dent vénézuélien a ainsi multiplié les pressions sur la Cour suprême dès 1999 et obtenu la réunion d’une assemblée constituante qui produira une nouvelle loi fondamentale en 2000 limitant déjà les libertés. Réélu, le leader de la révolution bolivarienne commence à poursuivre les juges fédéraux. Ses attaques répétées contre l’institution judiciaire provo-quent d'ailleurs la démission de la Présidente de la Cour Suprême…   En 2002, alors qu’il vient d’être élu Président mais n’a pas encore été investi, Lula va ap-porter un soutien au leader venezuelien alors dans une mauvaise passe. Le Venezuela connaît alors une pénurie d'essence en raison d'une grève des travailleurs de raffineries appuyée par l'opposition à Chávez. Quelques mois plus tôt, en avril, le président véné-zuélien a été la cible d'un coup d'État qui l'a écarté du pouvoir pendant deux jours. Les groupes d'opposition, avec le soutien des secteurs économiques et de l'armée, ont réussi à démettre Chávez de ses fonctions et à le maintenir en prison. Le coup d’Etat échoue et Chavez revient au pouvoir renforcé. En novembre, à la demande de son successeur élu, le gouvernement brésilien sortant de FH. Cardoso répond favorablement aux appels d'Hugo Chávez et fournit de l'essence au Venezuela, qui souffre de pénuries dues à la grève des salariés de l’entreprise pétrolière nationale [3] .   En janvier 2003, Chavez est invité à la cérémonie d’investiture de Lula à Brasilia. Dès sa prise de fonction, le leader du PT coordonne la création d’un groupe des "Amis du Vene-zuela". Composé par des représentants du Brésil, des Etats-Unis, du Mexique, du Chili, de l’Espagne et du Portugal, cette instance doit être un espace de dialogue avec l’opposition venezuelienne après la tentative de coup d’Etat et les grèves qui ont fragilisé le pouvoir de Chavez. Les deux chefs d’Etat promeuvent également un partenariat stratégique entre le Brésil et le Venezuela et vont décider de la mise sur pied de réunions bilatérales trimestrielles qui fonctionneront effectivement entre 2003 et 2010.   C’est ce partenariat stratégique qui conduit les deux gouvernements à annoncer dès 2003 la construction de la raffinerie de pétrole Abreu e Lima, à Ipojuca (Pernambouc). Le projet prévoit une association entre Petrobras et la compagnie pétrolière nationale véné-zuélienne PDVSA. Les deux firmes doivent participer ensemble à la construction de l’installation, PDVSA assurant 40% des charges d’investissement [4] ..Deux ans plus tard, en 2005, un accord en bonne et due forme est signé entre Petrobras et PDVSA, sous les auspices de Lula et de Chavez. Le Président brésilien en profite pour multiplier les élo-ges à la révolution bolivarienne et à son leader. Pour Lula, Chavez conduirait une expérience démocratique sans égal dans l’histoire de la région. Il en vient même à évoquer déjà (le propos sera répété plus tard) l’excès de démocratie qui existerait dans le pays voisin…. Lula et Chavez en 2005.   Le 15 août 2004 est un tournant dans l’histoire politique du Venezuela. Ce jour-là, les citoyens sont appelés aux urnes pour décider du maintien ou de la destitution de leur Président, Hugo Chavez. Au cours de la campagne, divers partis étrangers membres du Forum de São Paulo affichent clairement leur soutien à Chavez. C’est ce soutien que rappellera Lula en 2005, lors de la célébration des 15 ans du club de rencontres. En 2006, le président brésilien intervient directement dans la campagne présidentielle véné-zuélienne en appelant à voter pour Chavez, candidat à sa réélection qui emportera une victoire déjà contestable et contestée.   Depuis 2005, le Venezuela compte parmi les pays de la région que Lula a choisi de favo-riser grâce aux prêts à conditions privilégiées fournis par la BNDES et destinés à financer la réalisation de travaux d’infrastructures conduits par des entreprises brésiliennes, notamment le groupe Odebrecht. Les prêts en question sont fournis aux gouvernements de pays amis par la Banque de développement brésilienne. Ils doivent être consacrés au règlement des travaux que réalisent des entreprises brésiliennes. C’est aux gouver-nements emprunteurs que revient la responsabilité de rembourser ces crédits et de payer les intérêts. En cas de défaillance des emprunteurs, la BNDES peut se retourner vers le Fonds de Garantie à l’Exportation (alimenté par le budget fédéral brésilien) qui se substitue aux débiteurs défaillants. Entre 2003 et 2016,  la BNDES va ainsi prêter 1,5 milliard de dollars au Vénézuela, des crédits destinés à financer des services d’ingénierie relatifs à la construction de nouvelles lignes de métro dans la capitale, un chantier naval, une unité de sidérurgie et des travaux d’assainissement des eaux usées. La Banque octroiera aussi un crédit de 1 milliard de dollars destiné à financer les importations de produits brésiliens, aliments et avions notamment [5] .   Le partenariat stratégique créé entre le Vénézuela bolivarien et le Brésil de Lula sera à l’origine de la création de structures nouvelles destinées à favoriser l’intégration régio-nale. Ce sera le cas de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), créée en 2008, et la Communauté des États latino-américains et caribéens (Celac), créée en 2010. En 2012, grâce au soutien sans faille du gouvernement brésilien (alors dirigé par Dilma Rousseff, également du PT), le Venezuela a rejoint le Mercosur, un groupe qui comprenait alors le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay. Cinq ans plus tard, en 2017, le pays sera sus-pendu du bloc au motif qu'il avait violé les protocoles avec les principes démocratiques.   La gauche brésilienne adopte le dauphin de Chavez...   Hugo Chávez restera encore quelques temps au pouvoir à Caracas, après la fin du second mandat de Lula au Brésil. En 2012, il remporte à nouveau l’élection présidentielle dans des conditions toujours suspectes. Il entame alors son quatrième mandat. Pendant ses quinze années de pouvoir, Chavez a œuvré efficacement pour infiltrer l’appareil de l’Etat, placer diverses institutions sous sa coupe. Il a modifié les règles électorales pour favoriser la formation soutenant le pouvoir et pénaliser les forces d’opposition. En 2012, Chavez est réélu Président pour un quatrième mandat et bat son concurrent de l’opposition. Il a promis de radicaliser son programme socialiste. Pendant toute la campagne, il a compté sur l’appui décisif d’une entreprise brésilienne de communication politique partenaire du Parti des Travailleurs et déjà en charge de campagnes auprès de Lula. Le pouvoir venezuelien s’est engagé à payer ce service 35 millions de dollars. En réalité, ce sont les entreprises de BTP brésiliennes désormais très engagées au Vene-zuela et assurées localement de marchés qui assureront une partie du paiement. D. Rousseff (alors Présidente du Brésil), Lula, Raoul Castro et Maduro en 2014. Élu vice-président aux côtés d'Hugo Chávez, Nicolás Maduro sera le dirigeant de facto du Venezuela à partir de 2013, lorsque le président en titre se retire pour soigner un can-cer. Ancien chauffeur de bus et dirigeant syndical du métro de Caracas, Formé à Cuba pendant quelques années, Nicolás Maduro a été à son retour membre du parlement. Il a même présidé l'Assemblée nationale vénézuélienne. À partir de 2006, il a été ministre des affaires étrangères du gouvernement Chávez. Le leader de la révolution bolivarienne meurt en mars 2013. A l’occasion, Lula publiera un vibrant hommage : "aucune personne un tant soit peu honnête ne peut ignorer le degré de camaraderie, de confiance et même d'amour qu'il ressentait pour la cause de l'intégration latino-américaine, pour l'intégration de l'Amérique du Sud et pour les pauvres du Venezuela. Peu de dirigeants et de leaders politiques, parmi les nombreux que j'ai connus dans ma vie, croyaient autant que lui à la construction de l'unité de l'Amérique du Sud et de l'Amérique latine".   À la mort du président, Maduro continue à gouverner par intérim. L'élection présiden-tielle est fixée pour avril. Lula n’hésite pas alors à intervenir directement dans la cam-pagne. Il prépare et enregistre  une vidéo destinée à être utilisée par le parti au pouvoir à Caracas. Ce film est présenté le 1er avril 2013 lors d’une session extraordinaire du Forum de São Paulo qui se déroule à Caracas, treize jours avant la date du scrutin. Le discours se termine par un message limpide : "Une phrase résume tout ce que je ressens. Maduro Président, c'est le Venezuela dont rêvait Chávez". La campagne et le déroulement du scrutin ne correspondent pas aux règles d’une élection libre et régulière. Les forces d’opposition ont été intimidées ou menacées en permanence avant le jour du vote. Les accusations de fraude sont nombreuses. Le successeur de Chavez est pourtant déclaré vainqueur contre le candidat de l’opposition Henrique Capriles, de la Mesa de la Unidad Democrática (MUD), par une faible marge, avec 50,61 % des voix.   Peu après la victoire de Maduro, la situation économique devient dramatique. Le manque de produits essentiels et la dégradation des conditions de vie provoquent des mou-vements de protestation au sein de la population à partir de 2014. Les manifestations vont s’intensifier au fil du temps et provoquer une réponse violente de la part des forces de sécurité du gouvernement. Début 2014, des dizaines de personnes sont tuées par les autorités vénézuéliennes. Pendant le chaos, le PT publie une déclaration contre les tentatives présumées de "déstabilisation de l'ordre démocratique au Venezuela" et affirme que "le gouvernement vénézuélien s'est engagé à maintenir la paix et des garanties complètes pour tous les citoyens vénézuéliens". Ce n'est pas l'avis de centaines de milliers d'habitants qui fuient le pays. Un des plus grands exodes du XXIe siècle commence...   …Et lui apporte un soutien sans faille.   Pourtant, on sait à Brasilia que depuis le début de son mandat le successeur de Chavez organise progressivement un glissement vers la dictature. Maduro gouverne par décrets. Il ne respecte plus le principe d’indépendance des pouvoirs, intervenant en permanence dans la vie parlementaire, nommant des haut-magistrats à sa botte. Le régime censure la presse, ordonne des arrestations de dizaines d’opposants, qu’il maintient au secret et tor-ture. Maduro a considérablement renforcé les effectifs d’une milice autorisée à pratiquer la répression la plus aveugles. Appelés coletivos, les groupes armés de cette milice peuvent intervenir n’importe quand, n’importe où. La propagande officielle est partout. Elle ment, mystifie et désigne des boucs émissaires qui seraient les responsables d’une crise économique abyssinale provoquée d’abord par le régime lui-même..   En 2015, les électeurs vénézueliens sont appelés aux urnes pour élire les membres de l’Assemblée Nationale. L’impopularité du gouvernement chaviste est à son apogée. En dépit de toutes les manœuvres du pouvoir, l’opposition remporte ce scrutin législatif. Maduro va pourtant utiliser la Cour suprême, les tribunaux électoraux (désormais aux ordres) et l’armée  pour intimider les parlementaires et réduire les attributions et compé-tences de l’institution. Le premier semestre de l’année 2017 est émaillé de manifestations d’ampleur à travers tout le pays. Ces protestations sont réprimées de plus en plus violemment. Plus de 130 personnes seront assassinées au cours de manifestations ou durant les incarcérations entre janvier et juin 2017.  Le 30 juillet, Maduro fait élire une nouvelle Assemblée Constituante à sa main . Mission : élaborer une nouvelle Loi Fon-damentale qui supprimera la plupart des compétences du Parlement. Pour tenter de s’opposer à cette manœuvre, l’opposition organise un contre-référendum auquel parti-cipent plusieurs millions d’électeurs.    Réfugiés vénézuéliens à la frontière avec la Colombie en 2018. La convocation d’une Assemblée Constituante à la main du gouvernement, suscite une nouvelle vague de protestations populaires. Plusieurs milliers de manifestants et des membres de l’opposition sont arrêtés. Les observateurs de l’ONU se voient refuser l’accès au pays par les autorités. L’État de droit apparaît de plus en plus fragile. Maduro joue le bras de fer. Au lendemain de la convocation de la nouvelle Assemblée, la procureure générale du pays est révoquée.   Il est désormais évident pour tous les observateurs que le Venézuela est devenu une dictature. Les sanctions internationales contre le pouvoir chaviste se multiplient. Au Brésil, le parti de Lula a perdu le pouvoir, après la destitution de Dilma Rousseff (2016). Son successeur se joint aux protestations qui émanent de nombreux gouver-nements du monde occidental et de l’Amérique latine. De leur côté, les responsables du Parti de Lula s’accrochent lus que jamais dans leur tranquille rigidité idéologique. En juillet 2017, un mois après avoir remporté la présidence du PT, la sénatrice Gleisi Hoffmann, fidèle parmi les fidèles de Lula, radicalise son discours et exprime son soutien total à l’Assemblée Constituante convoquée par Maduro. Lors de l'ouverture de la 23e réunion du Forum de São Paulo, qui se tient au Nicaragua, la présidente du PT réitère "le soutien et la solidarité avec le gouvernement du PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela), ses alliés et le président Maduro face à la violente offensive de la droite".   En mai 2018, au terme d’un scrutin très controversé auquel l’opposition a refusé de participer, Maduro est réélu Président pour un mandat de six ans. Cette victoire ne sera reconnue ni par l’Organisation des États américains (OEA), ni par l'Union européenne, les États-Unis et… le Brésil. Un rapport de l’OEA conclut peut après le début de ce nouveau mandat présidentiel que des crimes contre l’humanité ont été commis au Venezuela depuis l’arrivée au pouvoir de Maduro. En 2019,le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet (ancienne Présidente du Chili) publie un rapport qui souligne que les forces de sécurité vénézuéliennes ont exécuté sommairement plus de 9 000 personnes depuis deux décennies et que plus de sept millions de citoyens ont fui le pays.   La gauche brésilienne n’est pas ébranlée. Le Forum de Sao Paulo non plus. Tout se monde semble ne plus avoir pensé depuis le début des années soixante, lorsqu’à l’épo-que de la guerre froide, les forces progressistes s’engageaient dans la résistance après les coups d’Etat militaire qui se multipliaient sur la région. Comme si elles devaient encore lutter contre la puissance impériale du nord. C’est encore la Présidente du Parti des Travailleurs qui exprime le mieux cette rigidité doctrinale qui ne se préoccupe ni du réel, ni de la simple morale. Au début de 2019, quelques mois après la réélection de Maduro, Gleisi Hoffmann met en ligne une vidéo dans laquelle elle défend sans nuance le régime bolivarien et souligne que Maduro a été élu par 67% des voix du peuple vénézuelien …Elle oublie de mentionner que ces élections ont connu un taux record d’abstention (54% des électeurs inscrits ne se sont pas déplacés) et que les fraudes enregistrées par les observateurs de l’opposition se sont multipliées. Sur tous les bureaux de vote, les électeurs qui s’étaient déplacés avaient découvert la présence de groupes de miliciens bolivariens chargés d’intimider les citoyens [6] .   Lorsque l’année 2019 commence, la population vénézuélienne s’attend à vivre à nouveau pendant 5 ans dans un pays gouverné par un pouvoir arbitraire, où les droits fonda-mentaux sont de moins en moins respectés. Dans un pays qui devient une sorte de Cuba-bis. Au Brésil, le gouvernement de droite de Jair Bolsonaro suspend les relations diplomatiques avec le pays voisin. A gauche, le manichéisme est toujours de mise. On continue à défendre les camarades chavistes qui seraient de pauvres victimes inno-centes de "l’ordre impérialiste". On évite évidemment tout contact avec le monde réel. Le geste serait pourtant facile à accomplir. Au début de 2023, alors que Lula entamait un troisième mandat présidentiel, on comptait 510 000 réfugiés vénézueliens au Brésil… A suivre : Le compère brésilien du dictateur.     [1]  Soulignons qu’il ne s’agit pas ici de considérer les Etats-Unis comme une puissance innocente qui ne se serait jamais mêlée des affaires de ses voisins. Il faudrait être terriblement ingénu pour ne pas savoir que le pétrole véné-zuélien a toujours intéressé le grand pays du nord du continent. De là à imputer aux "gringos" du Nord tous les malheurs du Sud, il y a un énorme pas que les leaders de la gauche sud-américaine franchissent avec une facilité déconcertante depuis des décennies... [2]   Parmi les membres actuels, on compte le Parti Communiste de Cuba, le Front Sandiniste du dictateur nicara-guayen Ortega, le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV, la formation chaviste), le Mouvement vers le Socialisme du Président bolivien Luis Arce et le Parti de Lula au Brésil…. [3]  Le Forum de São Paulo joue un rôle déterminant dans le maintien de Chávez au pouvoir après la période difficile de 2002. C’est au sein du Forum et pas seulement dans le cadre de relations bilatérales que Caracas noue des liens puissants avec le régime cubain. [4]  La compagnie venezuelienne ne respectera pas son engagement. Le complexe de raffinage sera finalement entièrement construit par Petrobras et ne commencera à fonctionner partiellement qu’en 2014. Les travaux seront paralysés à partir de 2015, suite au scandale de détournement de fonds publics concernant Petrobras [5]  En 2024, le Venezuela n'a remboursé que 680 millions d'USD. Les contribuables brésiliens ont donc dû renflouer les caisses de la BNDES pour plus de 1,8 milliard d'USD... [6] Le politologue Javier Corrales, l'un des principaux analystes du déclin démocratique au Venezuela, a réalisé une étude décrivant 117 violations électorales dans le pays entre 1999 et 2018. Ainsi, le Conseil National Electoral a modifié les règles de validation des partis peu avant les élections. En conséquence, le nombre de partis est passé de 62 à 17, dont seulement deux de l'opposition. Même la convocation des élections, qui a eu lieu en janvier, a violé la règle selon laquelle les scrutins doivent être organisés au moins six mois à l'avance. En décembre 2017, M. Maduro a également ordonné au CNE de sanctionner les partis politiques qui avaient boycotté les élections municipales de cette année-là, en violation de la loi. Voir la page de Javier Corrales sur le site de la revue américaine Americas Quarterly  : https://americasquarterly.org/aq-author/javier-corrales/

  • Lula et le piège vénézuélien (2).

    Le compère brésilien du dictateur. Après la farce électorale du 28 juillet dernier au Venezuela, le dictateur Maduro se re-trouve un peu plus isolé en Amérique du Sud. Le gouvernent brésilien hésite. Il ne reconnaît pas officiellement le résultat mais ne le rejette pas comme l'ont fait sept pays de la région. Le Président Lula dit vouloir maintenir un lien avec le potentat de Caracas. Les amis occidentaux de Lula voient là une posture diplomatique subtile qui permettrait tôt ou tard de ramener Maduro à la raison. La thèse ne tient pas debout. Le gouver-nement Lula et les forces politiques de gauche qui l’appuient sont des acteurs se-condaires de la tragédie vénézuélienne. Lula n’est pas un médiateur. Il n’a jamais cessé d’être le compère bienveillant du régime chaviste, sa caution morale. Si le palais du Planalto (siège de la Présidence) n’a pas reconnu deux semaines après le scrutin du 28 juillet la victoire du candidat de l’opposition Edmundo Gonzàles Urrutia (comme l’ont fait les Etats-Unis, l’Argentine, l’Uruguay et le Pérou), ce n’est pas parce Brasilia serait en train de concocter un plan sophistiqué de sortie de crise. C’est parce que les dirigeants actuels du Brésil font partie de la distribution de la pièce montée par Maduro pour rester au pouvoir.   Si Lula admettait la fraude électorale de son compère vénézuélien, il reconnaîtrait alors automatiquement ce qu’il n’a pas cessé de nier depuis des années : la démocratie n’existe plus au Venezuela et cela n’a pas commencé le 28 juillet 2024, lorsque les représentants de l’opposition ont été empêchés d’assister aux dépouillements. Voici plus d’une décen-nie que les Vénézuéliens ne savent plus ce qu’est une démocratie. A partir de 2017, le régime a connu un relatif isolement en Amérique latine. Pendant les quatre années du mandat de Jair Bolsonaro (2019-2022), le Brésil a suspendu les relations diplomatiques avec le pays voisin [1] . Cet isolement va être rompu à partir de la fin 2022. Plusieurs pays du sous-continent sont à nouveau dirigés par des élus de gauche (Colombie, Chili). L a guerre en Ukraine a fait du Venezuela un pays incontournable pour la livraison de pétrole, même mal raffiné. Les Etats-Unis ont mis en bémol leur condamnation du ré-gime chaviste [2] .   A partir du début de 2023, en Amérique latine, le gouvernement Lula va être le premier acteur d’une opération visant à redonner au régime chaviste l’image d’un pouvoir injus-tement maltraité par la propagande vénéneuse de l’Occident. Celle d’un pays persécuté dont la souveraineté serait attaquée depuis des lustres, celle d’un système politique dont les déboires économiques seraient exclusivement dûs au châtiment imposé par la puis-sance nord-américaine. Il n’y aurait pas de dictature au Venezuela, pas de répression, pas de pouvoir arbitraire. Tout ce qui avait été dit et se dit sur le pouvoir chaviste relèverait de la propagande idéologique de forces réactionnaires.   Dès son investiture en janvier 2023, Lula rétablit les relations diplomatiques avec le Venezuela. En mars suivant, son conseiller spécial aux affaires internationales, l’ancien ministre Celso Amorim, est reçu par Maduro à Caracas. Il rencontre aussi des représen-tants de l’opposition. A l’issue de sa visite, Amorim déclare avoir perçu "un climat favo-rable à la démocratie"... En mai 2023, Maduro est reçu avec tous les honneurs en visite officielle à Brasilia à l’occasion d’une conférence des chefs d’Etat d’Amérique du Sud organisée par le Président brésilien. Le dictateur de Caracas sera le seul participant de la conférence à avoir un entretien bilatéral avec Lula. Dès le début de la rencontre, Lula qualifie l’évènement d’historique. Les premiers échanges sont chaleureux : deux vieux amis se retrouvent enfin. Pourtant, Lula sait. Il sait que depuis plus d’une décennie le pouvoir de la dictature a été renforcé, que la répression est féroce dans le pays voisin, que ce régime dit socialiste est avant tout un pouvoir mafieux. Il sait encore que Maduro est à la tête d’un narco-Etat qui joue un rôle croissant dans le commerce transamazonien des drogues, qu’il soigne son armée pour qu’elle lui reste fidèle en laissant les hauts gradés contrôler toutes sortes d’activités illicites [3] .   Lula et Maduro : retrouvailles chaleureuses à Brasilia en mai 2023. Ce Président informé aurait pu choisir de se taire et d’éviter les effusions. Pourtant, il se lâche et s’affiche comme un complice bienveillant de son hôte. Il lui recommande de ne plus tarder à réagir à ce qu’il présente comme de la propagande mensongère. Lula inter-pelle son homologue : "Camarade Maduro, vous devez être conscient du récit qui a été construit contre le Venezuela, de l'anti-démocratie, de l'autoritarisme" . Et d’ajouter une phrase lourde de sens : " C’est à vous, camarade, de construire votre propre récit et de changer la donne pour que nous puissions vaincre définitivement et que le Venezuela redevienne un pays souverain où seul le peuple, grâce à une élection libre, puisse dire qui va gouverner ce pays. C’est cela qui doit être fait. Et après cela, nos adversaires devront s’excuser pour tous les dommages qu’ils ont causés au Venezuela…" [4] .   Un mois après "l’évènement historique" de mai. Lula est interrogé par la presse brési-lienne sur les raisons qui le conduisent à traiter le régime de Maduro comme s’il s’agissait d’une démocratie. Le Président brésilien avance alors une théorie baroque de la démo-cratie qui serait un concept relatif dont le sens varierait d’un pays à l’autre. Pour justifier cette vision surprenante, Lula ajoute que  le Venezuela a connu plus d’élections que le Brésil au cours des années écoulées. Dénonçant les ingérences étrangères qu’auraient constitué les soutiens occidentaux à l’opposant Juan Guaidó [5] , Lula évoquera ensuite le scrutin présidentiel prévu pour le second semestre de 2024. "Que ceux qui veulent vaincre Maduro le fassent lors des prochaines élections. S’ils gagnent, ils assumeront le pouvoir. Et nous serons là pour contrôler le bon déroulement de la consultation. Si celle-ci n’est pas régulière, nous le dirons"….   Le double-jeu de Lula.   Des pourparlers entre le pouvoir de Caracas et son opposition ont lieu depuis 2021 sous les auspices. Ces discussions sont suivies p ar des représentants de l’Union européenne, de la France, de l’Argentine, des Pays-Bas, de la Russie et du Mexique. Lula va donc utili-ser ses talents de caméléon. Il sait que le scrutin présidentiel prévu pour 2024 devra à la fois assurer la victoire de son "camarade" et répondre (au moins en partie) aux attentes d’une communauté internationale de plus en plus exaspérée par le régime chaviste. Il faut jouer sur les deux registres et conforter ainsi l’image d’intermédiaire international influent, de pacificateur talentueux que le Brésilien cultive.   Pour Maduro, il s’agit d’obtenir la levée des sanctions économiques américaines et la libé-ration de personnalités chavistes condamnées et emprisonnées aux Etats-Unis. Pour l’opposition et tous les pays qui parrainent les pourparlers, il faut que le pouvoir de Caracas s’engage à organiser un scrutin présidentiel régulier et libre en 2024. Ces par-rains savent que Maduro n’est pas un ange. Face à ce tyran affaibli, la plus grande pru-dence est de mise. Ils ont pourtant choisi d’appuyer des tractations qui doivent conduire à un accord dont ils seront les garants. Ils sont conscients qu’une fois l’accord signé, il faudra maintenir la pression sur Caracas pour que les garanties électorales soient ef-fectivement mises en œuvre. Sur ce plan, ils croient pouvoir compter sur les interven-tions de Lula et de son conseiller spécial. Les deux compères ont maintenu depuis des lustres un canal de communication avec Caracas et semblent désormais convenir de la nécessité d’organiser des élections régulières au Venezuela.   Lula et son conseiller diplomatique doivent donc apparaître comme des arbitres mais ces arbitres ne sont pas neutres, loin s’en faut. Connaissant bien le dictateur, le système politique qu’il dirige et les avantages qu’apporteraient une levée des sanctions écono-miques, ils estiment que Maduro doit souscrire à un accord formel définissant des règles pour le scrutin de 2024. L’application des clauses assurant des élections libres et régu-lières laissera au dictateur de solides marges de manœuvre sur le plan intérieur. La levée des sanctions peut améliorer la situation économique intérieure et raffermir le camp chaviste. L’opposition n’est pas encore une force unie.  Le dictateur de Caracas n’a pas cessé depuis des années de susciter des divisions en son sein. S’il persiste et parvient à ses fins, il peut vaincre une opposition fracturée en 2024. Ensuite, Maduro pourra reprendre la recette qui a si bien marché en 2018. A force de créer des obstacles de toutes sortes (adaptations permanentes des règles électorales, intimidations, arres-tations, répression) il était parvenu alors à dissuader plusieurs formations d’opposition de participer au scrutin. Ces formations avaient appelé leurs sympathisants à l’abstention…   Deux mois après avoir reçu Maduro en grandes pompes à Brasilia, Lula se retrouve à Bruxelles pour un sommet réunissant les représentants des pays membres de la Celac (Communauté des Etats Latino-Américains et de la Caraïbe) et de l’Union Européenne. A cette occasion, le compère brésilien multiplie les propos rassurants sur le Venezuela auprès ses homologues du vieux continent (dont le Président Macron) et plusieurs lea-ders latino-américains. A l’issue du sommet, tout ce monde se fend d’un communiqué demandant qu’un processus électoral juste et transparent soit organisé au Venezuela, selon les normes et les traités internationaux en vigueur….   Duperie à La Barbade.   Le 17 octobre 2023, l e gouvernement de Maduro et un groupe de partis d’opposition (connu sous le nom de Plateforme unitaire) signent à la Barbade un accord destiné à as-surer des élections libres et régulières lors du scrutin présidentiel de 2024. La signature a plusieurs conséquences immédiates. Il y a un échange de prisonniers entre Caracas et Washington. Surtout, les sanctions économiques imposées par les Etats-Unis au Vene-zuela sont allégées. Les Américains peuvent désormais importer du pétrole, du gaz et de l’or fournis par le régime chaviste.   L’accord contient plusieurs dispositions concernant l’organisation des prochaines élec-tions présidentielles. Le gouvernement de Caracas s’est engagé à proposer au Conseil National Electoral (CNE) l’organisation de scrutin au cours du second semestre de 2024. Il doit aussi assurer la mise à jour complète des listes électorales, une question négligée à dessein sur le passé récent. Cette mise à jour concerne les jeunes (depuis des années, près de 3 millions de nouveaux électeurs n’ont pas pu s’inscrire). Elle concerne aussi l’inscription d’électeurs vivant à l’étranger (un détail essentiel pour un pays dont le quart de la population – environ 8 millions de personnes – s’est exilé et réfugié dans diverses régions du monde). Le texte de la Barbade  répond aussi à deux préoccupations essen-tielles de l’opposition. Il établit d’abord que le CNE invitera des missions d’observateurs étrangers (notamment de l’Union européenne, des Nations-unies, de l’Union africaine et de la Fondation Carter [6] . Cette fondation reconnue a déjà une solide expérience de suivi des scrutins au Venezuela. La seconde préoccupation de l’opposition concerne les conditions de qualification que les candidats devraient respecter pour se présenter. La disposition de l’accord sur ce sujet est très vague. Elle indique que les signataires s’engagent à "autoriser tous les candidats à la présidence et de tous les partis politiques, à condition qu’ils remplissent les conditions requises pour participer, à l’élection présidentielle, conformément aux pro-cédures établies par la loi vénézuélienne" . Dans un pays où la Justice est à la botte du pouvoir, où les principaux leaders de l’opposition ont fait l’objet de condamnations infondées et ont perdu de ce fait le droit de postuler un mandat électif, une telle clause peut empêcher la participation de l’ancienne député María Corina Machado, vainqueur des primaires de l'opposition réalisées juste après la signature de l’accord. La candidate potentielle de la plateforme unitaire a été inculpée de corruption en juin 2023 au terme d’une enquête et d’un procès fantaisistes...     Celso Amorim et le dictateur Maduro, en mars 2023 à Caracas. La réunion de signature de l’accord de La Barbade compte parmi les participants atten-tifs Celso Amorim. Quelques heures après la conclusion des négociations, dans un com-muniqué, le gouvernement brésilien déclare que "l'entente entre les forces politiques vénézuéliennes montre que le dialogue est capable d'apporter des résultats efficaces". En réalité, l’accord de la Barbade est un faux semblant, une tromperie. Le gouvernement brésilien a contribué à l’élaboration d’un texte qui ne contraint pas réellement le pouvoir chaviste. Les mesures d’application relèvent du droit et de la Justice vénézuélienne. Très rapidement, le monde saura ce que cela signifie. Le 26 janvier 2024, se référant à sa condamnation pour corruption six mois plus tôt, la Cour Suprême du Venezuela (une instance totalement contrôlée par les chavistes) interdit à María Corina Machado d’oc-cuper des fonctions publiques pendant 15 ans. Avec cette décision, Corina ne pourra pas se présenter aux élections présidentielles. Elle a pourtant remporté haut la main les élections primaires de l'opposition en octobre 2023 pour affronter Maduro....   A l’annonce de cette décision, plusieurs pays d’Amérique du Sud (Argentine, Uruguay, Paraguay, Equateur) protestent et manifestent de sérieuses inquiétudes. La décision d’écarter l’ancienne député de la compétition électorale est aussi condamnée par le groupe Initiative Démocratique de l’Espagne et des Amériques , un rassemblement des an-ciens Présidents de 37 pays. De leur côté, les Etats-Unis soulignent que la décision con-tredit l’engagement pris par le pouvoir de Caracas d’organiser des élections présiden-tielles régulières et équitables. Considérant justement que cet engagement était la con-trepartie d’un allègement des sanctions économiques, ils durcissent à nouveau celles-ci. Quant aux compères brésiliens, ils se gardent de tout commentaire désagréable sur les manœuvres des chavistes. Début février, Celso Amorim téléphone au Président de l’Assemblée Nationale du Venezuela et représentant du régime. Il échange aussi avec un porte-parole de l’opposition. Il publie ensuite un communiqué dans lequel il indique que le Brésil continue à soutenir l’accord de La Barbade en soulignant que la réalisation d’élections libres doit avoir pour contre-partie la fin de l’embargo des Etats-Unis sur les importations de produits vénézuéliens. A aucun moment, il n’est question de la persé-cution constante que subissent les opposants [7] . En janvier 2024, les autorités ont annoncé plus de 30 arrestations, dont des civils et des militaires, pour cinq conspirations présumées en 2023 et début 2024, impliquant des leaders de l'opposition, des agents du renseignement américain et l'armée colombienne, qui sont les cibles habituelles du gouvernement vénézuélien pour ce type d'accusations .   Lula et son conseiller aux relations extérieures... Au début mars, le Conseil National Electoral annonce que le scrutin initialement prévu pour octobre aura lieu le 28 juillet. Peu après, le dictateur qualifie le parti Vente Venezuela  de María Corina Machado d’organisation terroriste. A la fin mars, l’opposition révèle que l’ancienne député frappée d’inégibilité par la Justice chaviste sera remplacée par Corina Yoris, une universitaire de 80 ans, inconnue du grand public. Maduro veut choisir ses rivaux. La nouvelle candidature n’est pas acceptée par le CNE. L’opposition ne désarme pas. Elle parvient finalement à faire enregistrer un candidat à la présidentielle du 28 juillet : Edmundo Gonzalez Urrutia, ancien ambassadeur et politologue. T ous ces rebondissements n’ont suscité aucune critique de la part du partenaire brésilien. Lula et le ministère des Relations extérieures se contentent de faire part de leur attente et pré-occupation concernant le scrutin présidentiel à venir. Les messages ne font aucune référence aux noms des candidats récusés par une Justice aux ordres du pouvoir. Au début du mois de mars, lors d'une conférence de presse aux côtés du Premier ministre espagnol, Lula déclare encore qu’il est certain que le Venezuela sait qu’il a besoin d'une élection hautement démocratique". Il dit alors que le Venezuela sait mais pas que Caracas fera en sorte qu’il en soit ainsi.   La farce électorale annoncée.    A quatre mois de la date prévue pour l’élection, Lula, est évidemment parfaitement in-formé de la situation dans le pays voisin. Il suit le déroulement de la campagne. Il est conscient que son "camarade" prépare une mascarade. Dès que la date du scrutin a été fixée, le régime a multiplié les attaques contre l’opposition.   Des centaines de personnes proches de Maria Corina Machado ont été arrêtées de manière absolument arbitraire. Les soutiens de la candidate récusée subissent des agressions physiques, reçoivent des menaces sur les réseaux sociaux. De locaux de campagne sont détruits, des sites inter-net fermés. L’ancienne député et son remplaçant sont contraints de faire campagne en voiture : le pouvoir les a empêchés d’utiliser les compagnies aériennes nationales. Un véhicule de l’équipe de campagne est saboté. Le chef de la sécurité du candidat est ar-rêté. L’opposition n’a pas accès à la publicité télévisée gratuite. Contrairement aux engagements pris à la Barbade, le pouvoir chaviste ne révise pas les listes électorales tenues dans les consulats à l’étranger. Il va ainsi empêcher 4,5 millions d'exilés - soit envi-ron 21 % de l'ensemble des électeurs - de s'inscrire pour voter. A quelques jours du scrutin, le CNE décide d’installer de nombreux bureaux de votes à l’intérieur de locaux of-ficiels où sont habituellement distribuées les prestations sociales. Le jour du scrutin, les électeurs sont systématiquement soumis à une pression discrète de militants et de miliciens chavistes pour qu’ils votent pour Maduro afin de ne pas perdre les subsides que le régime leur octroie.   La campagne de Maduro et celle de l'opposition.   Ce ne sont là que quelques-unes des irrégularités et crimes commis par le camp du candidat du pouvoir. L’opposition résiste pourtant. Un mois avant le scrutin, les enquêtes d’opinion menées par des organismes indépendants donnent une large avance au candidat González Urrutia. Au Brésil et ailleurs sur le continent, les observateurs opti-mistes estiment que Maduro acceptera le résultat des urnes quel qu’il soit. Le conseiller spécial de Lula aux affaires internationales et tous les amis étrangers du régime croient aussi que le dictateur reconnaîtra sans problème un verdict décidé avant le scrutin. Après de nouveaux sondages défavorables, le 17 juillet, Maduro fait une déclaration officielle et menace du pire s’il venait à perdre les élections. Le propos est limpide. "Le destin du Venezuela au XXIe siècle dépend de notre victoire le 28 juillet. Si vous ne voulez pas que le Venezuela tombe dans un bain de sang, dans une guerre civile fratricide, produit des fascistes, garantissons le plus grand succès, la plus grande victoire de l'histoire élec-torale de notre peuple". Interrogé sur les menaces proférées par le dictateur, le ministère brésilien des relations extérieures se borne à répondre que les élections vénézuéliennes sont l'affaire des Vénézuéliens et le Brésil ne doit pas s’impliquer, afin qu'il n'y ait pas d'interprétation selon laquelle le Brésil s'immiscerait dans les affaires intérieures d’un autre Etat.   Le conseiller aux affaires internationales de Lula est plus dissert. Dans un interview télé-visé, Celso Amorim affirme que ce genre de propos n’est pas souhaitable. Il ajoute qu’il ne croit pas à un bain de sang au Venezuela et précise que Maduro n’a pas envisagé cette perspective dans l’immédiat [8] . Lula perçoit de son côté que le "camarade" Maduro a sans doute dépassé les bornes. Il affiche donc une prudente timide réaction et confie que le chantage de son homologue vénézuélien l’a effrayé. Maduro répond en conseil-lant à Lula de boire de la camomille pour retrouver sa sérénité, puis de s'occuper avant tout de réformer le système électoral brésilien lui-même (basé sur un système de vote électronique) qui serait un des plus frauduleux au monde…   Le jeudi 18 juillet, la leader de l’opposition Maria Corina Machado révèle que dans la nuit précédente deux véhicules dans lesquels elle se déplaçait avec son équipe pour mener campagne avaient été vandalisés, le carburant vidangé et les freins coupés. Cet attentat est pris très au sérieux par plusieurs anciens présidents de pays voisins qui dénoncent le silence de la communauté internationale et s’inquiètent pour la vie de la leader d’oppo-sition. Ils sollicitent une intervention urgente des parrains de l’accord de La Barbade que sont les Présidents des Etats-Unis, de Colombie et du Brésil… Ces derniers ne réagissent pas. Le Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), organe de l’Orga-nisation des Etats Américains condamne l’agression subie par l’ancienne député, enjoint Caracas d’ouvrir une enquête sur ce crime et demande que l’Etat assure la sécurité de toutes les personnalités politiques…   Deux jours avant la date du scrutin, le conseiller spécial de Lula débarque à Caracas. Il a été désigné par son patron pour suivre sur place le déroulement des élections. A l’exception de la fondation Carter, aucun observateur étranger indépendant et originaire de pays démocratiques n’a finalement été autorisé à surveiller le déroulement de la journée du 28 juillet. A son arrivée, Celso Amorim rencontre le ministre des Relations extérieures du gouvernement chaviste. Il est aussi reçu par Maduro. Amorim est un observateur partial et particulièrement cynique. Il n’est pas à Caracas pour rapporter ce qu’il a vu mais pour annoncer que, quoiqu’il arrive, tout s’est bien passé.   Le jour et le lendemain de la mascarade.   Démonstration est faite dès le 28 juillet au soir. Les représentants de l’opposition ont été écartés des opérations de dépouillement. Il y a eu des violences, des arrestations arbi-traires. Dans les quartiers et les régions donnés comme favorables à Maduro, l’abstention a été élevée et les résultats ne sont pas ceux que le pouvoir attendait. Amorim publie pourtant un communiqué où il se réjouit que la "journée se soit déroulée sans incident majeur". Il précise qu’il n’a pas cessé d’informer Lula. Le conseiller spécial conclut : "Nous attendons les résultats définitifs et espérons que tous les candidats les respecteront". Il n’aura pas à attendre longtemps et ne sera pas surpris.   Le soir du 28 juillet, le CNE proclame la victoire de Maduro sans fournir d’informations détaillées sur les résultats par circonscriptions et bureaux de vote. Le Conseil aurait été victime d’un piratage informatique. Des opposants et la Fondation Carter estimeront qu’il s’agit-là d’une manœuvre destinée à éviter d'avoir à donner les vrais résultats. Dès le vendredi suivant, le même Conseil ratifie la victoire du Président sortant avec 52% des voix, toujours sans rendre publics les procès-verbaux des bureaux de vote. De son côté, l’opposition a publié les procès-verbaux obtenus par ses scrutateurs. Elle affirme que son candidat a remporté le scrutin avec 67% des suffrages. La fondation Carter confirme: «Même si les deux camps n'étaient pas à armes égales, les Vénézuéliens sont allés voter (...) mais la grande irrégularité du jour du scrutin a été le manque de transparence du CNE et le mépris flagrant de ses propres règles du jeu» . La Fondation précise qu’elle a  «analysé les chiffres»  des procès-verbaux diffusés par l'opposition avec d'au-tres  «organisations et universités»  et  «confirme qu'Edmundo Gonzalez Urrutia est le vain-queur avec plus de 60% des voix» [9] .   Le lundi 29 juillet, le Ministère brésilien des Relations Extérieures déclare qu’il attend la publication par le CNE de données détaillées par bureau de vote pour se positionner quant aux résultats. Le Ministère, le Président Lula et son clan feignent de ne pas savoir ce qui se passe. Des manifestations d’opposants révoltés sont en cours. Dix personnes sont tuées par la police et les milices sur le seul lundi. Le 30 juillet, le procureur général du Venezuela annonce que 749 manifestants de l’opposition ont été arrêtés. Il s’agirait de terroristes !  Ce même procureur ajoute qu’il prépare l’arrestation et l’inculpation de Maria Corina Machado et de deux autres leaders de l’opposition qui seraient les responsables de l’attaque informatique dont aurait victime le CNE.   L’exécutif brésilien et son chef vont désormais adopter une posture de complicité pru-dente avec le pouvoir chaviste. Pour que ce dernier ne doute à aucun instant de la soli-dité des liens d’amitié, Lula laisse son parti exprimer sans attendre une complicité enthousiaste. Dans un communiqué publié dès le lendemain de la mascarade électorale orchestrée par le pouvoir chaviste, le Parti des Travailleurs salue la "victoire" du leader chaviste et qualifie le scrutin comme un processus "pacifique, démocratique et souverain". .. Un ton et un contenu proche de ceux des messages envoyés à Maduro par les potentats du Nicaragua, de Cuba, de Chine, de Russie ou d’Iran. Les résultats officiels du scrutin seront dénoncés par les États-Unis, l'Union européenne, l’Argentine, le Pérou, l’Equateur ou le Costa Rica. Les ambassadeurs de ces derniers pays seront expulsés rapidement du Venezuela.   Au Brésil, Lula croit encore qu’il peut persister dans le double jeu. Le leader brésilien a une très longue expérience du régime chaviste. Il connaît tous les ressorts des mises en scène de ce pouvoir autoritaire devenu dictatorial. Le Président brésilien a décidé à l’is-sue de la farce tragique jouée sur la scène du pays voisin d’afficher un  cynisme total. Dès le 30 juillet, il déclare contre toute évidence qu'il n'a rien vu "rien de grave, rien d'anor-mal" dans l'élection vénézuélienne. Il y aurait simplement un différend entre le pouvoir et son opposition, un différend qui doit bien entendu être arbitré par la Justice Et d’ajouter qu’il est convaincu qu’il s’agit au Venezuela d’un processus électoral normal et tranquille…Lula annoncera ensuite qu’il attend la publication par le CNE des fameux procès-verbaux. Il sait très bien que cette publication n’aura jamais lieu [10] . Le 31 juillet le conseil permanent de l’Organisation des États américains (OEA) n'est pas parvenu, à une voix près, à approuver une résolution exigeant que le CNE vénézuélien présente les procès-verbaux complets du scrutin réalisé trois jours avant. Le conseil permanent avait besoin de 18 voix pour approuver la résolution, qui demandait égale-ment que les données soient vérifiées par des observateurs internationaux afin de garantir la transparence, la crédibilité et la légitimité des résultats de l'élection. Il y a eu 17 votes en faveur de la résolution, aucun contre, 11 abstentions et 5 absences (dont le Mexique). Parmi les abstentions figurent deux gouvernements proches du régime chaviste : la Colombie de l'ancien guérillero Gustavo Petro....et le Brésil.   Lula et son parti abandonneront-ils un jour cette complicité cynique avec le pouvoir dic-tatorial de Caracas ? Une rupture idéologique tardive doit être écartée. Le compère pourrait pourtant prendre ses distances, assurer ses arrières, si deman Maduro en venait à mettre à exécution ses sinistres menaces (le bain de sang). Le coût politique de la complicité maintenue serait alors considérable pour Lula à l’intérieur du Brésil. Comment réagirait le Congrès où il a déjà du mal à trouver des majorités de soutien ? Comment se comporterait sa propre équipe gouvernementale dont plusieurs membres (dont Marina Silva, ministre de l’Environnement) ont déjà dénoncé la mascarade vénézuélienne. C’est tout l’avenir du troisième mandat qui serait en jeu. Les dinosaures savent bouger lorsqu'ils font face à un danger vital….   [1]  L’ancien Président brésilien avait même déclaré Maduro persona non grata au Brésil. [2]  Nicolás Maduro a repris ses déplacements notamment au Mexique au mois de septembre 2021 pour la réunion de la communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes, mais aussi au mois de novembre 2022 à la réunion de la COP-27 à Charm-el-Cheikh en Egypte. Maduro a alors une brève entrevue avec le Président français E. Macron et plusieurs échanges avec Lula. Officiellement, le Brésilien et le Vénézuélien ont traité d’un projet de lutte coordonnée contre la destruction de la forêt amazonienne.   [3] Lula sait aussi que la répression subie par le peuple vénézuélien n’est pas seulement le fait des polices et de l’armée régulière mais aussi et surtout de milices tristement connues dans ce pays, les colectivos, des groupes de miliciens organisés par le régime.   Il n’ignore pas que les personnes qui refusent de payer l’impôt des réseaux mafieux (la  vacuna , vaccin en espagnol)  qu’entretient le régi-me sont persécutées ou tout simplement éliminées. [4]   Source : O Estado de São Paulo , diverses éditions. [5] Leader politique de l’opposition au régime chaviste, Guaido  est élu président de l' Assemblée nationale  le 5 janvier 2019. Alors que l’investiture de  Nicolás Maduro  pour un second mandat est contestée, invoquant la Constitution, il s'autoproclame  président de la République  par intérim le 23 janvier suivant, sans toutefois posséder de pouvoir effectif. Cette  crise présidentielle  provoque une série de manifestations et de conflits. Il reçoit la reconnaissance de l'Assemblée nationale et d'une cinquantaine de pays. [6]   La question était essentielle pour l’opposition, qui considérait la présence d’observateurs interna-tionaux comme un frein ou une modération possible aux abus du gouvernement, en particulier le jour des élections. En juin 2023, le régime de Maduro était encore opposé à la présence d’observateurs de l’Union Européenne aux élections. Il a donc apparemment changé de position. L’accord de la Barbade précise cependant que les missions d’observation seront "techniques", ce qui vise à éviter une mission d’observation de l’Union européenne, qui a généralement une composante politique et publique. [7] Maduro fait alors écho au conseiller spécial de Lula en affirmant qu’il considère que l’accord de la Barbade est moribond. Un peu plus tôt, dans une déclaration qui a jeté un sérieux doute sur l’enga-gement de Caracas, le président du Parlement, Jorge Rodríguez, avait déclaré qu'il y aurait des élections en 2024 "avec ou sans l'accord de la Barbade". De son côté, le chef de l’Etat a invoqué le projet qu’aurait l’opposition de le liquider. Les accusations de tentative d’assassinat du chef de l’Etat sont fréquentes de la part du camp chaviste. [8] Percevant qu’il s’égare, l’ambassadeur brésilien cherchera à atténuer son commentaire. "Je ne vais pas chercher à justifier le propos (de Maduro) parce que je pense qu’il est vraiment déplacé. On ne parle pas de sang en période électorale. , Au cours d’une campagne, on parle de votes, on ne parle pas de sang". Par la suite, le conseiller de Lula cédera finalement à la tentation de défendre Maduro : "Mais j'ai l'impression, étant, disons, peut-être un peu compréhensif, qu'il faisait référence au long terme, à la lutte des classes, à des choses comme ça, dont, de toute façon, il ne devrait pas parler." [9] Lien de la déclaration de la Fondation : Carter Center Statement on Venezuela Election [10]  Début août, le faux semblant est encore de mise. La Colombie, le Brésil et le Mexique suggèrent une " vérification impartiale des résultats" . La proposition est jugée irréaliste par la Fondation Carter. Ses représentants à Caracas savent que quelques jours après le scrutin les procès-verbaux de bureaux de vote  ne pourront pas être analysés.

  • Le crime organisé colonise l'Amazonie (3).

    Le cancer avance et... les chirurgiens papotent.     Osons une comparaison sans doute de mauvais goût. Le crime organisé est comme un cancer qui ronge la société. Les chirurgiens qui opèrent en service d’oncologie le savent. Avant l’intervention sur une tumeur maligne, il y a toute une phase de préparation qui va du diagnostic au choix minutieux de la technique opératoire à utiliser. Il faut envisager l’opération qui sera la plus efficace et qui aura aussi le moins d’impact sur l’organisme du patient. Après l’acte chirurgical vient la phase post-opératoire, complexe et délicate, jusqu’à la cure ou la récidive.  Pendant l’opération elle-même, il faut beaucoup d’habilité à l’équipe chirurgicale pour retirer la tumeur qui peut être isolée mais qui est la plupart du temps infiltrée dans les tissus sous-jacents et confondus avec eux. Il faut aussi prendre en compte d’éventuelles métastases localisées à proximité ou à distance. Le salut du patient est lié à l’intelligence, au savoir-faire de l’équipe et aux techniques dont elle dispose. Si l’intervention est mal menée, elle peut engendrer des conséquences dé-sastreuses, voire provoquer la mort du malade.   Le crime organisé intervient au Brésil dans de nombreux secteurs d’activité. Le trafic de stupéfiants, d’or, d’essences rares, d’êtres humains, d’armes, notamment. Il est aussi très impliqué dans l’exploitation de jeux illégaux, la corruption des acteurs publics et d’agents privés, la production et la diffusion de fake news. C’est donc une véritable institution établie, profondément enracinée dans le tissu socio-économique, très active au sein même de la sphère publique. C’est une forme de tumeur maligne qui est née et s’est dé-veloppée depuis des décennies au sein de la nation. La tumeur primitive est apparue dans plusieurs mégapoles et Etats fédérés. Des cellules cancéreuses se sont détachées de cette première tumeur et ont migré vers d’autres parties du corps où elles se sont installées. Ce cancer social affaiblit et corrode l’ensemble de la société brésilienne. Il a désormais atteint un stade très avancé et les dommages qu’il cause à la population sont immenses : pertes de vies humaines, appauvrissement collectif, pathologies diverses liées à l’insécurité, etc.. En ce début du XXIe siècle, le crime organisé est en train de transformer l’Etat brésilien en un Etat criminel. Il prend chaque jour davantage le con-trôle des institutions publiques et de nombreuses organisations privées comme un can-cer et ses métastases parviennent à débiliter un organisme humain. En Amazonie, nous sommes déjà en présence d’un narco-Etat. L’expression peut sembler exagérée. Elle ne l’est pas. Il suffit pour s’en rendre compte d’observer les données les plus sérieuses sur la mortalité, la violence, les territoires dominés par le crime. Carte de la forêt amazonienne : Brésil et autres pays amazoniens.   Confrontés à ce cancer, les chirurgiens de l’Etat devraient agir après avoir conçu un plan opératoire solide. Depuis des décennies, face à cette situation lamentable, les réactions des pouvoirs publics (au niveau de l’Etat fédéral comme aux échelons inférieurs) sont  des réactions convulsives, bricolées, inefficaces et souvent stupides. Le Brésil ne dispose pas à ce jour de véritable politique nationale de lutte contre la criminalité organisée. Il n’a même pas de politique nationale de sécurité publique. Le combat mené par l’Etat pour réduire l’influence et l’emprise du crime organisé est un véritable fiasco. Les raisons : l’incompétence, la priorité donnée à des plans spectaculaires mais inefficaces, la rigidité des structures bureaucratiques et… la connivence de responsables publics avec l’ennemi qu’ils sont censés éradiquer. Pour ces raisons, le Brésil court aujourd’hui le risque de perdre la guerre contre des organisations criminelles qui ne cessent de croître et d’étendre leur emprise, y compris hors du pays grâce aux partenariats noués avec des associés étrangers.   La sécurité publique fragmentée.     Pourtant, les moyens mis en œuvre par l’Etat à l’échelle nationale pour lutter contre la criminalité ne sont pas insignifiants. Selon le Forum National de Sécurité Publique (FNSP) [1] , l’ensemble des forces de polices représentaient en 2022 un effectif de 796 180 per-sonnes. La même année, les dépenses de sécurité publique ont représenté 1,26% du PIB, soit près du tiers de ce que l’Etat consacre à la santé. Il faut d’emblée souligner ici un aspect essentiel. Il n’existe pas de système unique de sécurité publique au sein de la République fédérale. Ce service régalien est assuré à trois échelons . Le pouvoir central a l’autorité sur la Police Fédérale et sur la Police Routière Fédérale. Il gère également une Force Nationale de Sécurité Publique [2]  et les personnels en charge du système pé-nitencier fédéral. La Police Fédérale est la Police Judiciaire de l’Etat Central. Ce corps d’élite (dont les membres sont bien rémunérés) [3]  est chargé de la protection des fron-tières, de la sécurité publique dans la capitale. En principe, il devrait jouer un rôle de premier plan dans la région amazonienne, puisque ses compétences comprennent aussi les enquêtes sur les crimes fédéraux tels que le trafic de drogues, la criminalité or-ganisée, la corruption, les crimes environnementaux, les crimes dans les territoires indiens [4] . Ce corps représentait en 2022 d’un effectif total de 12 900 agents. La Police Routière Fédérale (12 882 agents) est un service de police chargé de lutter contre la  criminalité  sur les  routes  du pays, ainsi que de surveiller la circulation des véhicules.   Patrouilles de la Police Fédérale en Amazonie. L’essentiel des forces de police dépend des Etats fédérés. Chaque gouverneur a autorité sur un corps de police militaire. L’ensemble des 27 polices militaires (PM) représente un effectif total de 404 871 soldats, sous-officiers, officiers et officiers supérieurs. C’est la principale force armée à l’échelle du pays (l’armée de terre ne regroupe que 360 000 combattants). Sur chaque Etat fédéré, la police militaire est chargée des actions ostensibles et préventives de lutte contre la criminalité et de préservation de l'ordre public. Elle s’occupe donc des actes illégaux qui sont en cours ou qui viennent d'avoir lieu. Point essentiel : la PM est placée sous l’autorité d’un gouvernement civil (celui de l’Etat fédéré) mais reste un corps de militaires réservistes de l’armée de terre pouvant être intégrés à cette dernière en cas de mobilisation. A ce titre, les membres de la PM ne peuvent pas être syndiqués, faire grève ou participer à la vie de partis politiques. Ils appartiennent à une compagnie, elle-même rattachée à un bataillon. Le mode de fonc-tionnement de chaque échelon est très hiérarchique. Il dépend d’une chaîne de com-mandement qui va des officiers supérieurs aux sous-officiers puis aux hommes de troupe. Cette discipline collective rigide correspond aux missions répressives qui ont été confiées à l’origine (1946) à cette police par des gouvernements autoritaires : assurer la sécurité et la paix civile dans une société déstabilisée par des conflits sociaux violents, des troubles politiques, des mouvements subversifs [5] , la violence urbaine. La Police Militaire est préparée pour des combats de rue, la répression violente de manifestations violentes. Elle n'est pas adaptée à la lutte contre des ennemis souvent discrets et silen-cieux.   La Police Civile (effectif total de 113 899 agents au niveau national) est un autre orga-nisme également subordonné au gouverneur d’un Etat fédéré ou du District fédéral. Elle est dirigée par un Délégué Général ou Chef de Police nommé par le gouverneur. Char-gée des fonctions de police judiciaire, elle est structurée en unités (les delegacias , ou commissariats) installées sur tout le territoire de l’Etat et placées sous l’autorité d’un delegado  (commissaire). Chaque unité est chargée sur son territoire de compétence d'enregistrer les plaintes et d'enquêter sur les délits [6] . Il lui revient de conduire des investigations sur des infractions qui ont déjà eu lieu et qui doivent faire l'objet de recherches et d'une identification des suspects. Il existe au sein de chaque police civile des services ou des unités spécialisées par types de délits et crimes (homicides, vols, kidnappings, atteintes à l’environnement, etc..). Le corps de la police civile est moins hiérarchisé que celui de la police militaire. Chaque unité est relativement autonome, obéit à des règles de fonctionnement plus souple. Ces particularités rendent la commu-nication et la collaboration avec le corps de la police militaire assez difficile.  Bataillon et force spéciale de la Police Militaire. Aux organes fédéraux et à ceux relevant des Etats, s’ajoutent à l’échelle locale ou en fonction de domaines de répression particuliers de multiples entités. Il existe ainsi dans 1467 communes (sur un total de 5570) des gardes municipales (l’effectif total était de 95 175 agents en 2022) chargées de la sécurité sur les voies publiques, de la prévention des délits et de la protection des biens. Au total, on  dénombre 1 595 organismes liés à la sécurité publique dans le pays [7] . Entre le niveau fédéral et les polices relevant des Etats fédérés, la coordination et la communication sont très aléatoires et insuffisantes. Même constat pour les relations (parfois inexistantes) entre la PM et les gardes muni-cipales, entre les polices opérant dans deux Etats différents. A l’intérieur d’un même Etat, les échanges entre polices civiles et postes de polices militaires sont souvent difficiles.   A chaque échelon où existent des forces de sécurité, et à l’intérieur d’un même échelon, chaque service ou organisation dispose de son propre système de collecte et de stockage de données. Le partage d’informations entre services sur les antécédents criminels, les pratiques criminelles, les données balistiques sont davantage l’exception que la règle. Les registres concernant les armes en possession des criminels sont obso-lètes et rarement communiqués d’un organe à l’autre. Les rapports sur les procédés de blanchiment de l’argent sale ne circulent souvent qu’à l’intérieur d’une même corporation, sont peu ou mal communiqués entre Etats fédérés ou entre l’échelon des Etats et la sphère fédérale. Les expériences de succès contre le crime organisé obtenus à un endroit ne sont pas communiquées à d’autres. En bref, le travail d’information est conduit par des structures non coordonnées, chacune travaillant avec des données fragmentées centralisées dans le meilleur des cas au niveau de chaque Etat fédéré. Comme le pays ne dispose pas d'un système unique de sécurité publique, chaque entité fédérale, chaque gouvernement local, chaque force de police, agit de son côté, ce qui se traduit par d’énormes difficultés dans la lutte contre la criminalité et la violence.   La responsabilité de cette situation revient d’abord à l’Etat fédéral. Depuis l’adoption de la Constitution de 1988, les gouvernements centraux successifs ont eu tendance à trans-férer vers les Etats fédérés pratiquement toutes les responsabilités en matière de sécu-rité. De fait, les 27 gouvernements locaux et les communes  gèrent l’essentiel des effec-tifs de forces de police et assument plus de 88% des dépenses totales dans ce do-maine. Le Brésil ne pourra pas avancer face à l’emprise croissante du crime organisé s’il ne décide pas d’intégrer les forces de police existantes et de conférer au niveau fédéral une responsabilité effective de coordination et de création de circuits de communication effectifs. Souvent évoquée depuis quarante ans, la coordination entre les différents ni-veaux de gouvernement et organes de sécurité est devenue impérative et urgente. Il s’agit en effet de réduire l’emprise de réseaux qui se moquent des différences entre les Etats fédérés et entre les communes, opèrent à l’échelle nationale et internationale, privilégient la rapidité, ignorent souvent la bureaucratie.   La lutte contre la criminalité organisée doit cesser d'être une course aveugle d’insti-tutions qui s’ignorent. La première tâche des exécutifs locaux et fédéraux est d’améliorer le partage des données, de normaliser les statistiques, de mettre en place un programme national de sécurité efficace. C'est ainsi qu’il sera possible de comprendre l'économie du crime, de cibler les enquêtes et d'allouer efficacement les forces de police pour atteindre les points sensibles des bandes criminelles : leurs capitaux, les res-sources utilisées pour payer leurs propres troupes et alliés, pour corrompre les re-présentants de l’Etat et les faveurs des fonctionnaires, qui sont essentielles à leur fonc-tionnement. Effectifs des polices militaires et civiles dans les Etats amazoniens.   Source : Forum Brésilien de Sécurité Publique. Cette nouvelle politique doit aussi mieux répartir les ressources humaines, les moyens matériels et financiers des forces de sécurité. Aujourd’hui, cette répartition relève davan-tage de calculs et de marchandages politiques, de choix budgétaires faits par les Etats, de la rigidité de fonctionnement des corps concernés que de la rationalité.  Considérons par exemple les six Etats frontaliers de l’Amazonie. Les effectifs locaux  des polices militaires et civiles  sont très insuffisants si l’on tient compte de la dimension des ter-ritoires concernés. On compte ainsi en moyenne 1 policier militaire pour 21 km2 à l’échelle nationale, mais 1 pour 70 km2 dans l’Etat du Pará, 1 pour 90 km2 dans le Rondônia. Dans l’Etat d’Amazonas, un agent de la PM couvre en moyenne 189 km2…A l’échelle de la région, les effectifs totaux des douze polices (tableau ci-dessus) ont pratiquement stagné entre 2013 et 2023, diminuant dans certains Etats, augmentant dans d’autres…Le renforcement des effectifs concerne aussi la Police Fédérale en principe chargée de la protection des frontières et de la lutte contre tous les trafics. Ce corps est insuffisant en Amazonie ou n’intervient que de façon ponctuelle. Ses représentants y effectuent des temps de mission trop brefs. Les moyens, c’est aussi la capacité de se déplacer à l’échelle d’un territoire-continent. En 2022, les polices des six Etats disposaient en tout de quatre avions et de 2 hélicoptères, de 34 embarcations pour la police civile et de 148 pour les polices militaires. Par comparaison, dans l’Etat de São Paulo, ces deux corps exploitaient ensemble une flotte de 646 embarcations, de 28 hélicoptères et de 4 avions…   La lutte contre la corruption est évidemment un enjeu majeur. Limitons-nous ici à la cor-ruption des institutions de sécurité publique et de leurs représentants telle qu’elle existe sur le bassin amazonien. Imaginons une jeune recrue récemment intégrée au corps de la Police Militaire du Pará ou de l’Etat d’Amazonas et affecté dans un poste reculé en zone rurale. Dans le premier Etat, le soldat débutant reçoit aujourd’hui un salaire brut à peine supérieur à 900 USD/mois. Dans le second, ce salaire dépasse de peu les 1000 USD. Après quelques mois d’une formation rapide, il est plongé dans un environnement social marqué par la violence et la pauvreté des populations, les difficultés de communication, d’accès aux services de santé et d’éducation, une nature inhospitalière. Le poste manque d’équipements, les militaires affrontent des conditions de vie très difficiles. Il n’est pas rare que dans la compagnie les gradés et leurs hommes se livrent à la concussion pour arrondir les fins de mois. Ainsi, des patrouilles de la PM "inspectent" régulièrement les pôles d’orpaillage clandestins mais se gardent de perturber l’activité. En échange de cette "bienveillance", les soldats reçoivent leur quote-part de la collecte d’or…. Les pra-tiques d’extorsion vont parfois bien plus loin. Il arrive qu’un bataillon entier ferme les yeux sur un trafic de stupéfiants ou organise même la protection des bandits en assurant la sécurité des convois. Il bénéficie en retour d’une part des bénéfices dégagés.   Ces pratiques de concussion sont souvent "conseillées" aux policiers par des dirigeants politiques locaux qui s’engagent à garantir aux organisations criminelles le maximum de tranquillité en échange de confortables rémunérations. Des bataillons de la PM ne se contentent pas d’ailleurs de fermer les yeux sur les activités du crime organisé. Ils peuvent encore fournir des armes aux réseaux criminels (il suffit pour cela d’abandonner toute surveillance sérieuse des arsenaux), bloquer des enquêtes ou freiner des investi-gations. Tous les services rendus se paient. La liste des "arrangements" envisageable est longue….Sans forces de sécurité intègres, la lutte contre les réseaux criminels relève de l’utopie…   Lula : de belles paroles, peu d’efficacité.   Qu’a fait le gouvernement Lula 3 depuis janvier 2023 pour faire reculer le crime organisé en Amazonie, démanteler les réseaux qui y prospèrent et réduire l’insécurité et la morta-lité ?  A première vue, ces questions ont été des priorités du Président de gauche. Dès août 2023, Lula a réuni un sommet rassemblant les dirigeants des huit pays amazoniens à Bélem (Pará). Pendant deux jours, les participants ont débattu sur les mesures à prendre pour protéger l'Amazonie des crimes environnementaux et de la déforestation. Ils ont même signé un pacte (présenté comme historique par le Président brésilien) visant à protéger la forêt amazonienne. Ils ont encore approuvé une déclaration pro-mettant d'accroître les efforts multilatéraux pour protéger la forêt amazonienne. Ces dirigeants se sont engagés à renforcer la coopération dans la lutte contre l’exploitation minière et forestière illégale, à intensifier les échanges de renseignements entre leurs forces de sécurité respectives et à créer des centres de surveillance et de répression réunissant des effectifs de police des 8 pays concernés. Le sommet n’a pourtant pas débouché sur un véritable engagement multilatéral de mettre fin à la déforestation, ce qui était pourtant l’un de ses objectifs majeurs. Sommet de l'Amazonie, à Bélem, en août 2023.   Compte tenu de l’emprise croissance exercée sur la région par des réseaux criminels transfrontières sur le territoire, avec la diversification des investissements réalisés par ces réseaux dans une large palette d’activités illégales, la réponse que doivent apporter les Etats doit concerner en priorité la lutte concertée contre des structures qui organisent la sécession lente de territoires entiers, la perte de souveraineté, l’essor de pouvoirs parallèles. L’accord de Bélem propose des axes de coopération permettant aux polices nationales de travailler au-delà des frontières comme le font les réseaux criminels. Il évoque aussi la situation économique, sociale et sanitaire des populations autochtones et leur grande vulnérabilité. Il ne mentionne pas les liens de plus en plus étroits qui existent entre les crimes environnementaux et le développement d’une économie illicite contrôlée par de puissantes organisations criminelles de plus en plus transnationales [8] . Les pays amazoniens considèrent toujours l’essor et l’influence de réseaux criminels puissants comme des questions de politique intérieure qui n’ont pas de lien avec l’agenda global de préservation de la forêt amazonienne et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La réalité est que ce lien existe et qu’il est de plus en plus décisif.   En juin 2023, Lula lançait en grande pompe son dispositif de lutte contre le crime en Amazonie, dénommé pompeusement  "Plan Amazonie : sécurité et souveraineté" (ou Plan Amas) . L’initiative vise notamment à renforcer les équipements mis à disposition des forces de répression intervenant sur la région (véhicules, armes, embarcations, hélicoptères) et destinés à la protection de la forêt et de l’environnement. Elle prévoit la construction et l’installation de 34 nouvelles bases opérationnelles (terrestres et fluviales), autant de sites destinés à assurer une présence permanente d’effectifs de police sur un territoire donné. Amas doit créer une compagnie spécialisée en crimes environnementaux au sein de la Force Nationale de Sécurité Publique. Le plan prévoit également l'installation d'un centre de coopération policière internationale dans la ville de Manaus, au coeur de l'Amazonie brésilienne, où travailleront des agents des services de renseignement des pays dans lesquels la forêt tropicale est également présente.   Un an après son lancement, le plan Amas n’est toujours pas sorti des tiroirs. Selon le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique responsable du dispositif, celui-ci serait encore en phase de finalisation dans le cadre de concertations menées avec les gouver-nements des Etats amazoniens. Pendant que les organisations criminelles continuent à progresser et progressent rapidement, l’Etat fédéral avance à pas de tortue. Le décalage est ici manifeste entre l’agilité qui préside au travail des criminels et la lenteur d’un Etat pachydermique empêtré dans les procédures bureaucratiques, confronté à des obsta-cles institutionnels, politiques et techniques. Un Etat gouverné aujourd’hui par un leader qui croit depuis toujours que la volonté politique suffit à tout résoudre, que tout est affaire de rapports de force. Pour Lula, le problème de la sécurité en Amazonie concerne les Etats de la région. Il suffit donc d’élaborer un plan prétendument solide et de le lancer avec fracas. Le Président est convaincu qu’il est un démiurge, une sorte de rédempteur capable par son verbe de résoudre toutes les difficultés. En juin 2023, ce n’était d’ailleurs pas la première fois (et ce ne sera sans doute pas la dernière) que Lula lançait à grand bruit un projet fou qui finira dans les tiroirs de quelques services administratifs. Un autre exemple concerne d’ailleurs aussi l’Amazonie.   A la fin 2022, à quelques jours de l’investiture de Lula, la presse, les ONGs et les forces politiques proches du Président élu avaient lancé l’alerte : le peuple Yanomani était confronté à une crise humanitaire sans précédent. Le manque de soins de santé, la malaria, la pneumonie, la malnutrition, les maladies sexuellement transmissibles décimaient la population de l’ethnie dont le territoire était depuis des décennies envahi par le garimpo  illégal, les exploitants forestiers clandestins, les réseaux criminels...Dès les premiers mois de son troisième mandat, Lula a annoncé un plan de sauvetage de ces populations en principe protégées par un organisme fédéral spécialisé. Un an après, au début de 2024, découvrant que son plan était resté lettre morte, le Président a convoqué une réunion ministérielle en urgence pour traiter de la question. Lula a alors pointé de supposés responsables de l’inertie gouvernementale, des agents étrangers a-t-il indiqué… Comme s’il venait alors de découvrir le drame des Yanomanis, il a immé-diatement annoncé un nouveau dispositif de sauvetage de l’ethnie.   Avec les Yanomanis comme en ce qui concerne la lutte essentielle contre la criminalité en Amazonie, Lula privilégie la communication, les effets d’annonce, à la mise en œuvre de projets étudiés, capables de porter des coups efficaces à cet ennemi qui met en péril la souveraineté du pays sur une large part de son territoire. La lutte passe ici par la mise en œuvre effective de deux stratégies conjointes : l’éradication du crime organisé et la promotion d’une exploitation rationnelle des ressources de la région, afin d’offrir aux populations locales des perspectives de sortie de l’informalité, de l’insécurité et de la pauvreté. Sur ce second volet, des organisations privées très compétentes ont accumulé depuis des années une somme considérable d’expériences prometteuses dans les domaines d’exploitation sylvicole durable, de la phytopharmacie, du tourisme durable ou de la pisciculture. Elles ont besoin que les pouvoirs publics les écoutent, les soutiennent et créent l’environnement politique et juridique favorable à l’essor de l’initiative privée.   Le second volet est celui de la reconquête de la pleine souveraineté en Amazonie. Cette reconquête passe par la conception d’un plan à partir d’une solide expertise des problèmes en jeu. Cette expertise existe. Elle résulte du travail d’investigation mené depuis des années par de nombreuses organisations de la société civile brésilienne. On a déjà cité ici le Forum Brésilien de Sécurité Publique qui s’appuie sur un partenariat avec des institutions implantées en Amazonie (comme l’Institut Mãe Crioula [9] ) et a produit plusieurs études sur les questions de sécurité et la criminalité sur la région [10] . Il faut aussi mentionner les recherches et enquête de l’Institut Igarapé [11] , groupe de réflexion indépendant installé à Rio de Janeiro et spécialisé dans les domaines de la sécurité publique, du numérique et du climat. Ajoutons encore ici l’institut Escolhas [12] qui a produit récemment d’importantes études sur le garimpo illégal en Amazonie. La liste est loin d’être exhaustive. Les travaux de ces organismes privés permettent de suivre et d’a-nalyser le développement du crime organisé sur la région. Ils débouchent également sur d’importantes recommandations en matière de lutte contre la grande criminalité sur le bassin amazonien. En d’autres termes, le diagnostic de la pathologie qui s’est étendue sur la plus grande forêt tropicale du monde est désormais établi.   Il reste désormais au chirurgien à définir la technique opératoire qui sera utilisée. Cela signifie qu’il faut dépasser le plus rapidement possible l’état de fragmentation dans lequel se trouvent les forces de sécurité de ce pays-continent. Une fois instaurée une coordina-tion et mis en place des mécanismes de lutte contre la corruption, l’Etat fédéral doit arrêter un plan de bataille avec des objectifs, des indicateurs, un planning détaillé, des budgets et des responsabilités clairement attribuées. Les acteurs mobilisés doivent pouvoir à tout moment réviser rapidement le dispositif, l’ajuster ou y mettre fin en fonction de l’impact vérifié des mesures mises en œuvre. Last but not least, des coopéra-tions contraignantes doivent être engagées avec les pays proches pour que la bataille contre le crime organisé soit dès le départ une offensive internationale concertée. Tout cela est évidemment plus difficile à concevoir, à exécuter qu’une opération bruyante et pompeuse de communication. Tout cet effort de préparation d’une technique opératoire doit être conduit sur une période dont la durée dépasse sans doute le temps d’un mandat présidentiel. Comme nombre de ses prédécesseurs, Lula préfère les belles paro-les à la mise en œuvre d’une politique publique efficace. Il espère ainsi impressionner des secteurs de l’électorat qui se laissent impressionner par le verbe et des formateurs d’opinion qui relaieront la propagande officielle.   Depuis des années, le Brésil sollicite à juste titre le concours financier des pays les plus riches pour l’aider à mettre en œuvre une politique de préservation de la plus grande forêt tropicale de la planète. Les Etats sollicités hésitent. Ils ont raison. Le Brésil n’est pas en mesure de leur garantir aujourd’hui que les fonds qu’il recevraient serviraient effectivement les objectifs annoncés. Il est en train de perdre en effet la souveraineté sur le territoire où il prétend investir. En Amazonie, les métastases du crime organisé pro-gressent. Pendant ce temps, le chirurgien papote en salle de garde. De temps à autre, il annonce ce qui ressemble à un plan opératoire...De son côté, le cancer continue à avancer...     [1] Le Forum National de la Sécurité Publique (FNSP) est une organisation non gouvernementale, non parti-sane et à but non lucratif qui se consacre à la création d'un environnement de référence et de coopération technique dans le domaine de la sécurité publique. L'organisation réunit des chercheurs, des gestionnaires publics, des officiers de la police fédérale, civile et militaire, des professionnels de la Justice et des acteurs de la société civile. Ensemble, les membres du Forum contribuent à rendre transparentes les informations sur la violence et les politiques de sé-curité et à trouver des solutions fondées sur des données probantes. Voir le site internet : https://forumseguranca.org.br/ . [2] La Force nationale de sécurité publique (FNSP) est un programme de coopération en matière de sécurité publique piloté par le gouvernement fédéral (ministère de la Justice et de la Sécurité publique). L’organisme a été créé en 2004 sous le premier gouvernement Lula. Il ne dispose pas d’effectifs propres. La force est composée de policiers militaires, de civils, de pompiers militaires. Elle est déployée sur un des Etats de la fédération en cas de crise de sécurité publique afin de compléter les forces de sécurité locales, généralement à la demande des auto-rités locales. [3]   Les agents jeunes recrues (grade le moins élevé) doivent posséder un diplôme supérieur. Le salaire d’un agent en début de carrière était en fin 2023 de 12 500 BRL/mois (2 600 USD). [4] La Police Fédérale contrôle en principe le commerce d'armes et la détention d'armes par les citoyens au Brésil. De plus, elle gère aussi le fichier national des empreintes digitales et génétique et assiste les autres polices brésiliennes à leur demande. Elle assure enfin les relations entre la police brésilienne et les polices étrangères. [5]   Les polices militaires ont été créées au début du XIXe siècle, en particulier pour réprimer les grèves. Elles sont souvent très violentes et usent des armes à feu sans hésiter. [6]  La police scientifique complète la police civile et mène des enquêtes médico-légales pour trouver des preuves dans le cadre d'enquêtes criminelles. [7]   La liste comprend des organes civils, militaires, routières, ferroviaires, technico-scientifiques, des polices affectées aux institutions législatives, des gardes municipales et de nombreuses autres forces de sécurité. [8]  Dans les 113 points de la déclaration adoptée à l’issue du sommet, les termes "trafic de drogue" et "crime organisé" ne sont mentionnés qu'une seule fois chacun.   [9]  L’institut est spécialisé en expertise sur la région amazonienne et la défense des populations autochtones). Voir le site : https://institutomaecrioula.org/ [10]   Citons ici Cartografias da violência na Amazônia , publié en 2023 et l’étude sur le garimpo illégal publiée en 2024 : A nova corrida do ouro na Amazônia: garimpo ilegal e violência na floresta. Les deux   documents sont disponibles sur le site du Forum Brésilien de Sécurité Publique (voir plus haut). [11] Voir le site de l’Institut : https://igarape.org.br [12]   Voir le site de l’institut : https://escolhas.org/

  • Le crime organisé colonise l'Amazonie (2).

    L'emprise de pouvoirs parallèles. Au moins 22 factions, dont le Primeiro Comando da Capital (PCC), le Comando Vermelho (CV) et même des organisations étrangères, se disputent le contrôle des routes de la drogue dans les États brésiliens de la région. A l’ouest, l’Amazonas et l’Acre sont désor-mais les principales portes d’entrée sur le territoire national de la cocaïne et du cannabis produits en Colombie, au Pérou et en Bolivie. Le Pará, l’Amapá, le Rondônia ou le Mato Grosso sont en revanche utilisés comme zones de transit, soit pour l’envoi de stupéfiants vers d’autres régions du Brésil (le marché intérieur ne cesse de s’accroître), soit pour l’ex-portation vers l’Europe, l’Afrique ou l’Asie, où la revente est très rentable. Les réseaux criminels ne limitent pas leur action au marché de la drogue. Ils diversifient en perma-nence leurs investissements. Ils cherchent aussi à instrumentaliser le système politico-institutionnel. L’avancée des groupes criminels sur l’Amazonie fait émerger un nouvel ordre social fonctionnant sur la base des normes établies et imposées par les factions. Ce n’est plus l’Etat qui dicte ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas être fait. Ce sont les organi-sations criminelles les plus puissantes et influentes. Celles-ci imposent des relations fondées sur les seuls rapports de force et l'extrême violence. Aux conflits existants entre des gangs concurrents s’ajoutent les hostilités constantes entre les criminels et les populations locales, notamment les peuples indigènes. Les guerres entre factions boule-versent la vie d’un habitant sur trois dans la région où l’insécurité bat tous les records nationaux et continentaux. Un indicateur parmi d’autres : le taux d’homicides volontaires a atteint 33,8/100 000 habitants en 2022,  soit 45 % de plus que la moyenne nationale. La propagation de la violence favorise également les crimes contre l'environnement, tels que la déforestation, les incendies, l’exploitation clandestine de l’or ou le pillage de la faune sylvestre. De vastes étendues du bassin amazonien, en particulier dans les pays qui contrôlent la plus grande partie de la forêt tropicale (Brésil, Pérou, Colombie, Bolivie), sont ravagées par un écosystème criminel. La disparition des forêts est accélérée par les métastases de la criminalité organisée, notamment une augmentation de la production, du trafic et de la consommation de cocaïne. Les gangs de trafiquants orchestrent désormais la défo-restation et la dégradation de l’Amazonie en impulsant l'accaparement illégal des terres et des ressources, principalement en ce qui concerne l'exploitation forestière, le pâtu-rage du bétail, la production agricole et l'exploitation minière. La drogue tue la forêt. Les trafiquants de drogue diversifient leurs portefeuilles d’investissements en se lançant dans la criminalité de la nature. L'Amazonie est une zone de transit obligatoire pour la cocaïne et le skunk [1], des drogues illicites provenant des pays andins. Le commerce transamazonien représente 40% du volume total des ressources financières annuelles générées par le trafic de cocaïne, soit l’équivalent de 4% du PIB brésilien (environ 77 milliards d’USD). Les pays où se concentrent les plantations de coca et la production de cocaïne (Colombie, Pérou, Bolivie, Venezuela) abritent des organisations clandestines armées qui travaillent avec les syndicats brésiliens du crime et ont établi des partenariats avec ces derniers. Les routes de la cocaïne et du cannabis en Amérique du Sud. Source : Insightcrime. Au niveau de la production agricole (culture des plants de coca ou de cannabis) et de la transformation des feuilles de coca en cocaïne, les effets directs sur la couverture fo-restière et la biodiversité sont limités. Le déboisement provoqué par l’ouverture de plan-tations de coca et de cannabis n’est pas considérable [2]. Plus problématique est le rejet dans les cours d’eau des produits chimiques utilisés pour la production de cocaïne. Pour-quoi les criminalistes parlent-ils alors désormais de "narco-déforestation" pour désigner un phénomène récent et de grande ampleur ? Ils évoquent ainsi une des modalités de diversification de ses activités qu’utilise le narcotrafic pour blanchir les revenus consi-dérables dégagés sur son activité de base. Le recyclage de ces revenus contribue direc-tement à détruire la forêt amazonienne. Comme de nombreux autres acteurs clan-destins, les factions criminelles brésiliennes investissent dans l’acquisition frauduleuse de titres fonciers, détruisent le couvert forestier, exploitent le bois et commercialisent les grumes. Elles assurent encore le défrichage, l’ouverture de terres de pâturages et deviennent des éleveurs de bovins. Un peu plus tard, lorsque les sols peuvent être semés, elles deviennent exploitants agricoles et commercialisent le soja ou le maïs planté. La traçabilité sur ces cultures est encore très incertaine en Amazonie. Une partie des recettes dégagées sur le commerce de cocaïne devient ainsi un revenu "honnête" d’agriculteurs qui se débrouillent pour que l’origine réelle des grains commercialisés reste inconnue. Il arrive souvent que les choix d’emblavement de ces nouveaux exploi-tants agricoles restent marqués par leur métier d’origine. Dans certains Etats de l’Amazonie brésilienne, l’argent du trafic de la cocaïne est réinvesti dans le déboisement et le défrichage afin d’établir des plantations de cannabis. Le phénomène a été observé par exemple dans l'État de Pará, entre 2015 et 2020) [3]. Pâturages ouverts par la déforestation en Amazonie. Les grandes organisations criminelles peuvent aussi assurer le recyclage et le blan-chiment de leurs avoirs financiers en avançant des fonds à des forestiers insuffisamment capitalisés et qui ne peuvent pas prendre en charge les lourds investissements liés à l’ouverture de routes clandestines, à la déforestation et au défrichage. Les débiteurs honorent alors leurs obligations de remboursement sous la forme de services fournis à leurs créanciers. Ils peuvent par exemple se charger de la logistique et de l’exportation des stupéfiants. Les organisations criminelles qui opèrent en Amazonie sont passées maîtres dans la technique dite  du "rip-off", qui consiste à faire voyager des stupéfiants avec une cargaison licite ou rendue telle.  En Amazonie brésilienne, les trafiquants de drogue bénéficient d’un service fourni par les exploitants forestiers qui acceptent de transporter des cargaisons de cocaïne sur les convois acheminant des chargements légaux ou illégaux de bois d'œuvre, voire à l’intérieur des grumes ou produits dérivés. Entre 2017 et 2021, environ 9 tonnes de drogue ont ainsi été interceptées dans de grandes cargaisons de bois destinées à des marchés européens. Ces saisies ont eu lieu dans les ports de l'Amazonie  mais aussi loin de la région, notamment dans les ports du nord-est, du Sud et du Sud-Est. La contrebande est souvent dissimulée dans les cargai-sons de grumes, de poutres, de palettes et de stratifiés. Les interceptions interviennent aussi à l’intérieur du pays : la police fédérale a effectué 16 saisies importantes de cocaïne dissimulée dans des cargaisons de bois rien qu'entre 2017 et 2021. Chargements de cocaïne découverts dans une cargaison de panneaux stratifiés. Source : Receita Federal. La nouvelle ruée vers l’or. La stratégie de diversification des investissements pratiquée par les grandes factions criminelles ne se limite pas à l’exploitation forestière et à l’agriculture. Le "narco-garimpo" est aussi en plein essor. De quoi s’agit-il ? La  prospection de l’or existe en Amazonie depuis des générations, conduite essentiellement par des orpailleurs, qui pratiquent traditionnellement le garimpo, une technique rudimentaire qui permet d’ex-traire l’or alluvial existant sur les affluents de l’Amazone et les rivières. L’or est extrait des sédiments de cours d’eau [4], principalement à l’aide de mercure. Ce métal lourd s’amal-game avec les poussières d’or et constitue ainsi un alliage. Le terme d’orpailleur (garimpeiro) évoque  un aventurier solitaire cherchant de l’or à l’aide d’une pioche, d’une pelle et d’une batée. L’image a vieilli. Aujourd’hui,  les garimpeiros sont des entrepreneurs de toutes tailles, ayant accès à des techniques d’extraction diverses mais de plus en plus éloignées de celle utilisée par les pionniers d’autan. Ces garimpeiros ne sont plus des aventuriers solitaires. En raison de la flambée des prix du métal depuis 2019, le bassin amazonien a connu une véritable ruée vers l'or, avec des dizaines de milliers de mineurs incontrôlés opérant le long des rivières et à l'intérieur des terres. Le métier a attiré des foules ces dernières années. En 1985, le garimpo occupait 18 619 hectares en Amazonie brésilienne et mobi-lisait quelques milliers de prospecteurs. En 2022, on comptait 80 180 sites de pros-pection exploitant un périmètre total de 241 019 hectares [5]. Ces mineurs ne sont plus des aventuriers solitaires. Ils forment des associations, des coopératives et des syndicats, ce qui leur permet d'exercer une influence politique auprès des gouvernements des États et des municipalités. Nombre des sites aurifères sont exploités à grande échelle, à l'aide d'équipements mécanisés qui draguent les rivières et détruisent la terre dans les zones forestières. Une fois le filon épuisé, restent des espaces de forêts dévastés et des lacs infestés de mercure utilisé pour séparer le minerai d'or d'autres sédiments. Ce produit hautement toxique se déverse dans les rivières et dans la chaîne alimentaire, empoisonnant des communautés situées à des centaines de kilomètres du site minier [6]. Pépites d'or de garimpo. L’orpaillage n’est pas en soi une activité illégale au Brésil, à condition de disposer de licences environnementales et de la pratiquer sur des terres où elles sont autorisées. En Amazonie, la plupart des garimpeiros n’ont pas de telles licences. Ils opèrent sur des ter-ritoires indigènes, sur des aires en principes protégées, sur des parcs naturels. Ils ne res-pectent ni les normes sociales, ni la législation de préservation de l’environnement. Rares sont ceux qui paient des redevances minières et des impôts sur les revenus dégagés. Les garimpeiros illégaux sont légion. Le gouvernement fédéral estime que plus de 2000 orpailleurs opèrent par exemple sur les territoires indigènes en Amazonie brésilienne, un chiffre largement sous-évalué. Afin de satisfaire la demande croissante de ce métal précieux, les chercheurs d’or clandestins et non déclarés sont de plus en plus nombreux. Ils pénètrent les territoires les plus reculés. Le prix de l’or est si élevé que même l’extraction de minerai avec une teneur d’un gramme d’or par tonne est une entreprise rentable. Comme il existe un vaste marché international de l'or, les prospecteurs illégaux peuvent blanchir leurs profits par le biais de diverses chaînes d'approvisionnement légitimes et illégitimes [7]. Les autorités locales sont souvent complices. Elles ferment les yeux ou protègent même le garimpo illégal, dès lors que les exploitants n’oublient pas de les associer à leurs bénéfices. L’exploitation aurifère a tendance à s’étendre sur toutes les régions de l’Amazonie, me-naçant de plus en plus la forêt. L'utilisation massive de mercure pour séparer l'or des sé-diments contamine les écosystèmes locaux, empoisonne les réserves alimentaires et nuit aux communautés autochtones et riveraines dont la survie dépend de l'Amazonie et de ses affluents. Les territoires où se situent les exploitations minières sont souvent des régions du monde habitées par des peuples indigènes qui y trouvent leurs moyens de subsistance [8]. Pollution des sols et cours d’eau par l’emploi de produits chimiques, exposition des humains aux vapeurs toxiques, disparition des arbres géants et des forêts vierges, territoires entiers transformés en paysages lunaires… L’exploitation aurifère a de terribles répercussions pour l’homme et pour la nature. Année après année, les surfaces de forêt détruites pour ouvrir des sites de prospection illégaux augmentent : De 5300 hectares déforestés en 2017, on est passé à plus de 10 000 en 2020. Un exemple qui n’est pas isolé : sur les terres occupées par le peuple Yanomami dans l’Etat du Roraima, le long de la frontière avec le Venezuela, la zone détruite pour permettre l’extraction de l’or a augmenté de 54 % en 2022, totalisant plus de 5 000 hectares (contre un peu plus de 2 000 hectares à la fin de l'année 2018). Le garim-po illégal n’est pas un phénomène récent en Amazonie. Ce qui l’est en revanche, c’est l’implication du crime organisé dans le secteur. Les grandes factions comme le PCC et le Comando Vermelho très engagées dans le trafic de drogues ont envahi le secteur de l’exploitation aurifère pour diversifier ici encore leurs investissements. Dans un premier temps, ces organisations ont infiltré l’orpaillage illégal pratiqué dans les territoires indigènes en organisant des rackets de protection des mineurs, en extorquant des taxes sur l’orpaillage, en proposant des services logistiques (transport aérien). Pro-gressivement, ces factions ont pris le contrôle de sites d’orpaillage parce qu’elles dis-posaient d’une surface financière suffisante pour s’engager dans une activité très renta-ble mais de plus en plus capitalistique. Les orpailleurs indépendants utilisent encore de simples radeaux de dragage construits sur des planches ou des rondins[9] et travaillent en bordure de cours d’eau. En 2022, en Amazonie brésilienne, la construction de ce type de radeau coûtait  autour de 10 000 dollars et pouvait produire jusqu'à 40 grammes d'or par jour. Cette quantité était vendue localement pour un prix variant de 400 à 600 dollars (l’or cotait alors 50 dollars/gr. sur le marché international). Ce type d'exploitation minière en rivière ne peut cependant pas être pratiqué tout au long de l'année en raison des va-riations du niveau de l'eau. Ce qui intéresse le crime organisé c’est l’orpaillage pratiqué sur des barges opérant en milieu de rivières ou de fleuves. Ces embarcations dénom-mées "dragons" ont souvent plusieurs étages et transportent des équipements de plus grande capacité et plus coûteux que ceux des petits radeaux. L’acquisition et la mise en service des plus grands "dragons" (construits à la fois en bois et en métal pour accueillir des équipements de grande capacité) coûtaient en 2022 plus de 632 000 USD [10]. Un tel équipement permettait alors de produire plus de 500 grammes d’or par jour, de dégager un chiffre d’affaires mensuel de 210 000 USD et une marge nette de 121000 USD. Radeau et barge ("dragon") de dragage. C’est ce type d’équipement de grande capacité qui intéresse le crime organisé : le taux de rentabilité est élevé, l’investissement absorbe des sommes importantes. Qu’il soit réalisé par les factions elles-mêmes (qui gèrent alors directement les "dragons") ou par des tiers (qui empruntent aux factions les capitaux nécessaires), il représente un excel-lent moyen de recyclage des ressources financières issues d’autres activités illicites. Les gangs vendent alors l’or qu’ils produisent ou qu’ils ont reçu en remboursement des prêts consentis. Le métal est facile à conserver, à transporter et à écouler. Le narco-garimpo est désormais une des activités préférées des grandes factions criminelles en Amazonie. L’extraction illégale d'or est devenue partie intégrante des écosystèmes d’activités criminelles que de véritables Etats parallèles ont développé sous la canopée de la grande forêt tropicale… Déjà engagées dans le commerce national et international de stupéfiants, ces Etats parallèles ont tiré parti de leurs compétences techniques et de leurs réseaux d'ache-minement de la drogue vers les marchés étrangers pour se livrer au trafic d'un large éventail de matières premières, allant des produits du bois illégaux aux minéraux es-sentiels et précieux tels que l'or, mais aussi le coltan, le corindon, le graphite, le man-ganèse, la microsilice et le tungstène. Toutes ces activités économiques diversifiées exigent la construction et l’expansion d’infrastructures logistiques. Le recyclage des bénéfices dans des activités de d’extraction de bois d’œuvre, de productions agricoles et minières impose d’investir dans l’ouverture de routes clandestines, la construction de pistes d’atterrissage et de ports fluviaux, autant de réalisations qui portent atteinte à l'intégrité des forêts et à la biodiversité. Il existe ainsi plus de 2 500 pistes d'atterrissage privées dans la seule Amazonie brésilienne, dont plus de la moitié sont considérées comme illégales et plus d'un quart sont situées sur des territoires protégés ou indigènes. À cela s'ajoute la prolifération de ports fluviaux de fortune, qui facilitent l'expansion des marchés légaux et illégaux. La force des réseaux criminels. Les autorités gouvernementales officielles des pays du bassin amazonien n’ont pas, jus-qu’à présent, engagé une coopération efficace pour lutter contre des organisations criminelles qui tissent et gèrent des réseaux transnationaux. Très actives sur les Etats brésiliens de l’Amazonie, des factions comme le PCC ou le Comando Vermelho ont noué des relations de partenariat avec des groupes armés clandestins de Colombie, du Venezuela, du Pérou ou de la Bolivie. Entre ces pays andins et le Brésil, les frontières terrestres qui s’étendent sur 8700 km sont extrêmement poreuses, mal surveillées. Les territoires limitrophes sont traversés par des fleuves navigables utilisés pour tous les trafics (acheminement de stupéfiants, commerce illégal d’or, de pierres précieuses, de bois ou de faune tropicale). Il est possible d'identifier des routes aériennes entre le Pérou et Manaus, ainsi que des affluents du fleuve Amazone, en particulier le Rio Solimões. Ces routes passent par la région de la vallée de Javari jusqu'au Solimões, et de là jusqu'au fleuve Amazone pour approvisionner les marchés locaux et atteindre la ville de Manaus, répondant ainsi à la demande du marché local et établissant d'autres connexions. Sur la zone frontalière entre le Brésil, la Colombie et le Pérou règne la violence la plus extrême. Les factions s’y affrontent car elles savent que tous les trafics entre pays limi-trophes y prospèrent. Une autre zone dominée par le crime s'étend sur la frontière nord du Brésil avec la Colombie et la République bolivarienne du Venezuela. Du côté des pays andins, la culture et la transformation de la coca ont connu un essor spectaculaire depuis 20 ans. Du côté brésilien, les forces de l’ordre sont rares et les réseaux criminels omni-présents. La longue bande transfrontalière est sans doute un des territoires les plus violents de la planète. Sur le versant brésilien, en 2020, les municipalités de l'Amazonie légale ont enregistré les taux d'homicide les plus élevés du pays, avec une moyenne régionale d'environ 30 homicides pour 100 000 habitants, contre 24 pour la moyenne nationale. Le taux d'homicide dans le nord du Brésil, y compris en Amazonie légale, a augmenté de plus de 260 % depuis 1980, ce qui coïncide avec une longue période de déforestation accrue, d'augmentation de la criminalité environnementale et de développement du trafic de stupéfiants. Implantation des factions par Etat (2022). Les principaux groupes de trafiquants de drogue impliqués dans cette criminalité et désormais largement responsables de la destruction de la forêt et des lourdes menaces qui pèsent sur les populations autochtones sont brésiliens et colombiens. A l’est de la Colombie, les réseaux contrôlant la production de cocaïne et de métaux précieux sont des ex-FARC et l’organisation terroriste dite Armée de Libération Nationale (ELN en Espagnol). Les factions brésiliennes comme le PCC ou le Comando Vermelho sont très présentes de l’autre côté de la frontière. En Amazonie brésilienne comme sur les pays limitrophes, par nécessité ou menacées par les gangs, les populations locales sont de plus en plus impliquées dans les entreprises criminelles. Dans les couches les plus pauvres, les jeunes sans emploi stable et sans éducation formelle succombent facile-ment aux offres de recrutement des factions. Ils n’ont souvent pas d’autre option que celle de venir renforcer le sous-prolétariat des Etats parallèles qui dominent les terri-toires où ils vivent. Hommes et femmes sont entraînés dans le cercle infernal de la cri-minalité et de l’esclavage en devenant prospecteurs d’or sur des barges, bucherons et grumiers sur des sites clandestins d’exploitation du bois, vachers sur les périmètres de pâturages ouverts, chauffeurs, pilotes d’avions, dealers ou mules, receleurs, vigiles armées, exécutants de basses œuvres ou prostitués. Lorsqu’elles n’ont pas été con-traintes de rejoindre les troupes que commandent les gangs criminels, les populations locales sont de toutes façons indirectement affectées par le pouvoir des factions. D’abord parce qu’elles subissent toutes les conséquences de la destruction des écosystèmes locaux dont dépend leur existence : pollution des eaux, perte de la biodiversité, résidus toxiques, emprise du narcotrafic, insécurité et violence. Ensuite parce que les structures publiques et les instances politiques officielles sont de plus en plus sous l’emprise d’un système criminel prospère, richissime et capable de tout acheter. Les grandes organisations criminelles n’ont pas besoin de réaliser des putschs ou des révolutions pour renverser le système politico-institutionnel en place [11]. Ce qui compte pour le crime, c’est de pouvoir neutraliser l’Etat dans ses missions régaliennes (sécurité, défense, justice), de s’assurer de la passivité complice des institutions publiques, voire de les transformer en alliés silencieux financièrement intéressés. Pour conquérir la neu-tralité des élus locaux, des fonctionnaires territoriaux et des forces de sécurité, les réseaux criminels cherchent d’abord à développer une multiplicité d’activités (clan-destines et illégales ou parfaitement légales et déclarées) qui conférent aux entreprises et secteurs contrôlés un poids économique et social majeur à l’échelle du territoire géré par les acteurs publics concernés. Il s’agit de faire en sorte que l’économie sous-terraine créée et gérée par les factions (trafic de drogues, d’armes et de munitions, extraction illégale de l’or, contrebande de minerais et d’animaux sauvages, exploitation clandestine du bois, accaparement de terres et activités agricoles illicites, etc…) devienne une composante essentielle (voire dominante) de l’économie locale et régionale. La première phase est donc de faire en sorte que l’ensemble du tissu économique d’un territoire (y compris les circuits légaux développés pour recycler les revenus d’activités illégales) tombe sous la dépendance des organisations criminelles. Au point que toute action répressive menée contre les factions par l’Etat légitime fragilise ou détruise les équilibres sociaux créés (destruction d’emplois informels, effondrement des revenus de nombreux ménages, appauvrissement du territoire et contestation directe par la population des institutions officielles en place. Sur l’Amazonie brésilienne, les filières économiques illégales ne sont plus du tout marginale au sein de l’économie locale et sur le plan de la création et la distribution de revenus. La seconde démarche est complémentaire de la première. Il s’agit d’acheter (en mettant le prix qu’il faut) la passivité, le soutien voire la contribution engagée aux activités criminelles des agents et représentants de l'Etat officiel. La force du crime organisé en Amazonie est d’avoir identifié et souvent rallié à sa cause de nombreux acteurs d'un Eat qui pourraient s’opposer à ses menées. Il faut séduire et intéresser les agents d’orga-nismes fédéraux en charge de la préservation de l’environnement, de la forêt et des communautés qui y vivent, les autorités chargées de délivrer des permis et licences d’exploitation (ouverture de sites d’orpaillage, extraction d’essences rares, agriculture et élevage, transport), les douaniers, les notaires, les responsables de forces de sécurité, la magistrature. Les factions criminelles utilisent ici plusieurs "méthodes d’achat" de la bienveillance de l’Etat légitime. La plus courante consiste à offrir des opportunités de revenus complémentaires aux agents du secteur public. Les gangs permettent ainsi que les patrouilles de gardiens de parcs protégés ou de territoires indigènes puissent participer (en prélevant une dîme) aux revenus de barges d’orpaillage clandestin ou que les patrouilles de la police militaire soient "intéressées" aux trafics de drogues. Les factions criminelles parviennent aussi à "associer" à leurs trafics et activités clandestines des juges, des notaires, des agents du fisc, des douaniers. Elles s’assurent ainsi que la drogue, le bois, l’or ou le bétail (élevé sur des pâturages ouverts après destruction de la forêt) pourront traverser les frontières ou entrer dans les circuits de l’économie légale. Elles organisent aussi des circuits de blanchiment de l’argent grâce à tous ces soutiens. Si les soutiens sollicités sont trop rigides, restent insensibles aux partenariats proposés, il est toujours possible de passer à des techniques d’intimidation plus convaincantes (menaces exercées contre les individus et leurs proches). Assez souvent, les gangs n’ont pas la patience d’insister. Ils éliminent physiquement les récalcitrants. Dans plusieurs Etats de l’Amazonie brésilienne, le versement de pots de vin, les trafics d'influence, la falsification des appels d’offre permettent au crime organisé de s’allier à la haute fonction publique, aux élus municipaux, voire à des personnalités politiques as-sumant des missions de premier plan au niveau du gouvernement des Etats fédérés ou de l’Administration fédérale. Grâce à leur puissance financière, les organisations criminelles cooptent les détenteurs de mandats électifs, imposent leur contrôle sur les institutions officielles, créent des structures corrompues en impliquant une multitude d’acteurs publics dont la mission est pourtant d’appliquer et de faire appliquer la loi commune. Le PCC, le Comando Vermelho ou des factions criminelles locales sont en train d’engager une troisième démarche en Amazonie comme sur d’autres parties du territoire national. Ces réseaux interviennent désormais directement dans le jeu politique en présentant leurs candidats aux élections, en finançant des campagnes, en fournissant les fonds secrets de partis politiques officiels. Aujourd’hui, la stratégie d’emprise mise en œuvre par les syndicats du crime n’est pas encore parvenue à ses fins. Dans les Etats d’Amazonie, il subsiste des autorités admi-nistratives, des magistrats, des forces de répression ou des services de protection de la biodiversité qui remplissent les missions qu’ils doivent remplir. Le travail de termite conduit au sein du système politique local n’a pas encore transformé ce dernier en simple instrument docile des gangs. Il existe encore des élus qui se battent pour faire prévaloir l’Etat de droit. Et des services publics qui leur obéissent. C’est d’ailleurs grâce aux enquêtes de police, aux procédures judiciaires, aux actions de répression menées, aux témoignages de victimes que la puissance publique légitime a pu suivre ces dernières années l’essor des activités et de l’emprise du crime organisé sur la société et l’économie de l’Amazonie. Nous sommes néanmoins aujourd’hui au point de bascule. Si l’Etat fédéral et les collectivités locales ne parviennent pas à engager  rapidement la guerre contre le crime organisé, la forêt amazonienne sera perdue. De la capacité de la République fédérative du Brésil à défendre l’intégrité de son territoire et à rétablir sa pleine souveraineté sur l’Amazonie dépend désormais la survie de la première forêt tropicale de la planète. A suivre : L'urgence de la guerre pour sauver la forêt. [1] Le skunk est une variété hybride de cannabis fortement dosée en tetrahydrocannabinol (THC), la molécule responsable des effets psychoactifs et addictifs du cannabis. [2] Une fois cueillies, les feuilles de coca sont portées jusqu’à un laboratoire, lui aussi dissimulé dans la forêt, puisque cette activité est illégale dans tous les pays producteurs (Colombie, Pérou, Equateur, Bolivie). Les feuilles sont alors broyées puis mélangées à toutes sortes de produits chimi-ques (essence, acide, ciment…). Le tout finit par former un liquide, puis une pâte et enfin de la pou-dre de cocaïne. [3] Lorsque des terres sont saisies, achetées, défrichées et cultivées par les trafiquants de drogue, cela peut déclencher et exacerber les tensions locales sur les droits fonciers et de propriété, en particulier si la coca et le cannabis sont cultivés sur des terres indigènes ou à proximité de celles-ci. [4] Il existe aussi une exploitation à ciel ouvert de mines d’or. Cette exploitation de concessions minières a fourni en 2022 65,7% de la production brésilienne d’or (62,2 t.) alors que le garimpo a fourni le reste, soit 32,4 t. La production de garimpo est sous-estimée. Une part significative de l’activité est en effet clandestine et illégale. [5] Les régions les plus touchées sont concentrées dans le nord-ouest de Roraima, le sud-ouest et le sud-est de Pará, le nord des États du Mato Grosso et de Rondônia, et certaines zones des États d'Amazonas, d'Amapá et de Maranhão. Source : Institut Mapbiomas. Voir le site : https://brasil.mapbiomas.org/wp-content/uploads/sites/4/2023/09/MapBiomas-FACT_Mineracao_21.09.pdf [6] Afin d’obtenir l’or pur, ces agglomérats sont chauffés pour que le mercure s’évapore. Les vapeurs toxiques non filtrées s’échappent dans l’atmosphère et contaminent l’air et les cours d’eau. Rien qu’en Amazonie, on estime à 100 tonnes la quantité de mercure annuellement répandue. Déversé dans les cours d’eau, ce métal lourd finit par s’incruster dans la chaine alimentaire. Le mercure est un métal lourd qui lèse surtout le système nerveux central et les fonctions rénales. [7] Selon l’Institut brésilien Escolhas, de 2015 à 2020, le Brésil a exporté 229 tonnes d’or présentant des indices d’illégalité. Ce volume représente 47% du total du volume du métal exporté sur ces six ans. Sur ce total de 229 t., 54% avaient pour origine la région amazonienne. [8] Les garimpeiros illégaux ont bénéficié entre 2019 et 2022 du soutien affirmé du Président Bolsonaro. Celui-ci a tenté d’autoriser sans restriction l’ouverture de tous les territoires indigènes à l’activité minière et à l’extraction artisanale. Faute d’être parvenu à ses fins, il a supprimé les financements de programmes et d’organisations destinées à lutter contre l’exploitation minière illégale sur les territoires indigènes. [9] Le radeau est équipé d'un moteur à essence et d'un tuyau qui aspire la boue du lit de la rivière. La boue aspirée est ensuite poussée vers une écluse, qui recueille les sédiments et les particules d'or lorsque la boue retourne dans la rivière. [10] Etude de l’Institut Escolhas intitulée Abrindo o Livro-Caixa do Garimpo, juin 2023. L’étude se base sur l’analyse des comptes d’entreprises opérant dans l’Etat du Pará, premier Etat producteur d’or du Brésil. Une grande drague mobilise pour l’extraction 18 orpailleurs qui se relaient en trois équipes sur 24 h et parviennent à produire 3,75 kg d’or par mois....Voir le site : https://escolhas.org/wp-content/uploads/2023/06/Sumario-Abrindo-o-livro-caixa-do-garimpo.pdf [11] Ce dernier assume de nombreuses fonctions sociales qui n’intéressent pas les factions, depuis la création et l’entretien d’infrastructures de base (réseau de circulation, approvisionnement en énergie et en eau, communi-cations, logement, etc..) jusqu’à l’organisation économique.

  • Le crime organisé colonise l'Amazonie (1).

    L’expansion d’un Etat parallèle. La déclaration du Président de la Cour Suprême, Luís Roberto Barroso, n’est pas passée inaperçue. C’était au forum de Davos en janvier dernier. Le haut magistrat intégrait alors le groupe de représentants du Brésil. A l’issue d’une réunion consacrée à l’Amazonie et aux enjeux environnementaux liés de la préservation de la forêt, il avait souligné que la sou-veraineté des Etats de la région sur l’Amazonie était tout simplement menacée. Le Brésil courait le risque de perdre le contrôle de son territoire amazonien [1] avait-il précisé en ajoutant que cette perte de souveraineté ne serait pas due à l’invasion de quelque puis-sance étrangère mais qu’elle interviendrait si les Etats de la région ne parvenaient pas à vaincre la guerre que leur impose le crime organisé. Tous les représentants d’institutions officielles et d’Ongs qui interviennent en Amazonie savent que ce territoire est soumis à l’emprise croissance d’organisations criminelles, que ces réseaux puissants organisent sur la région une économie semi-clandestine très pros-père. Trafic de cocaïne, cargaisons d’or et de bois acheminées par les dizaines d’affluents du fleuve Amazone, pistes d’atterrissage de fortune qui facilitent les déplacements noc-turnes de petits avions de contrebande, centres d’orpaillage illégaux :  l’Amazonie est de-venue en quelques décennies le cœur d’une économie qui alimente une demande mon-diale croissante en stupéfiants, en or et en essences rares. Le tout est contrôlé par des réseaux mafieux qui construisent un Etat parallèle. Ces réseaux règnent par la violence. Ils tuent ou achètent ceux qui les gênent. Grâce à leurs moyens financiers considérables, ils ont engagé depuis des années un processus de corrosion des institutions existantes en recourant au trafic d’influence et à la corruption des élus. Les activités illégales de ces organisations criminelles sont largement responsables de la déforestation. Elles constituent une menace existentielle pour la région la plus riche en biodiversité de la planète et pour les communautés qu'elle abrite. Lutter pour assurer la préservation de cette biodiversité sans considérer l’emprise du crime organisé sur la ré-gion, sans donner la priorité au rétablissement de la souveraineté menacée des Etats, c’est se bercer d’illusion. Prétendre protéger la forêt sans mettre en œuvre une stratégie de rétablissement de l’Etat de droit sur l’Amazonie, c’est tromper son monde. Le territoire du biome amazonien est marqué depuis des lustres par la faible présence d’Etats en principe souverains. En raison des difficultés d’accès et de la négligence des pouvoirs publics, la région souffre de carences sévères en infrastructures de base et d’une pénurie des services publics (soins de santé, éducation, sécurité). S’est ainsi créé au fil du temps un environnement où la pauvreté, la violence et la marginalisation sont des normes, où les activités économiques informelles et souvent illicites tendent à devenir des moyens de subsistance. L'orpaillage clandestin, le braconnage et le commerce illi-cite du bois existent en Amazonie depuis des décennies, mais des filières économiques clandestines ont connu une croissance exponentielle depuis le début des années 2000, sous l'effet de l'accroissement de la demande mondiale de drogues et d'essences rares ou de la hausse du prix de l'or. Cette évolution a transformé le paysage local sur les plans physique, économique et culturel. Les politiques publiques de sécurité mises en œuvre ont été inadaptées ou défaillantes. La coordination entre les Etats voisins est très récente et encore embryonnaire. Ces carences ont créé l’environnement idéal dont avaient besoin les réseaux criminels les plus puissants du sous-continent pour prendre le contrôle de multiplies activités clandestines et hautement lucratives. Pour prendre aussi le contrôle de territoires entiers, par la violence, la soumission des populations et celles des pouvoirs publics officiels. La colonisation de l'Amazonie a commencé. L'Amazonie, la région sur laquelle le Brésil peut perdre des territoires. Selon une enquête, en 2023, des factions criminelles, de véritables syndicats du crime exerçaient un degré d’influence plus ou moins élevé sur les structures de pouvoir locales et les habitants de 178 communes de l’Amazonie brésilienne (soit 23% des communes de la région) [2]. Sur ces territoires vivaient alors 57,9% de la population de la région. Par ailleurs, sur 80 autres communes (où résidaient 31,1% des habitants d’Amazonie), des fac-tions se disputaient le contrôle du territoire. En d’autres termes, selon l’enquête, 89 % des Brésiliens installés en Amazonie (23,76 millions de personnes, 11,6% de la population du pays) étaient en fait conduits à vivre sous le pouvoir de réseaux criminels ou couraient le risque de se trouver dans cette situation à échéance rapprochée [3]. Cela signifie aussi que les populations originaires sont quotidiennement confrontées aux pressions et à la violence pratiquées par ces réseaux criminels qui contrôlent les voies d’accès, dominent les activités économiques, contraignent des communautés indiennes à participer à des activités illicites, imposent l’ordre social qui leur convient. La dynamique d’expansion de la criminalité sur la région accélère la destruction de la forêt pourtant considérée désor-mais comme un bien public mondial compte tenu de sa diversité culturelle et biologique et de son statut de régulateur climatique parmi les plus importants au monde. Ecoulement vers l’Europe et l’Afrique de la production de cocaïne régionale (depuis la Colombie, le Pérou, la Bolivie, l'Equateur), extraction et commercialisation de l’or, bracon-nage à grande échelle d’animaux sauvages, exploitation de bois rares : ces activités sont désormais gérées et optimisées par des organisations formant un contre-Etat régional et qui n’ont aucune préoccupation de préservation à long terme de l’environnement et de la biodiversité. L’émergence et le renforcement des réseaux criminels qui forment ce contre-Etat ont eu lieu à partir de 2016. Trois phénomènes se sont alors conjugués sur l’ensemble du bassin amazonien. En Colombie, après les accords de paix signés cette année-là, des factions dissidentes des FARC et d’autres groupes armés ont continué à se disputer le contrôle des zones de cul-ture de la coca, des itinéraires de trafic de drogue et des pôles de production d'or. Au Venezuela, le régime chaviste s’est montré incapable de promouvoir une activité minière organisée et déclarée sur la zone frontalière avec la Colombie, le Brésil et le Guyana (le fameux arc minier de l’Orénoque). Des organisations criminelles locales ont alors pro-gressivement étendu leur emprise sur les zones d'extraction de l'or, souvent en collusion avec les forces de sécurité de l'État et avec l'appui de membres de l’exécutif chaviste corrompus. Les groupes criminels vénézuéliens n'étaient pas les seuls : les groupes de guérilla colombiens ont également renforcé leur présence à l'intérieur et à l'extérieur de l'Arc minier de l'Orénoque. Last but not least, à compter de la fin de la dernière décennie, les organisations criminelles les plus puissantes du Brésil (voir plus loin) se sont livrées à une bataille sans merci pour le contrôle de l’Amazonie. Les organisations brésiliennes du crime organisé. Le Brésil compterait aujourd’hui 53 factions criminelles en activité. Sept d’entre elles sont particulièrement puissantes et influentes sur les territoires où elles opèrent. Les trois principales sont le Primeiro Commando da Capital (PCC), le Comando Vermelho (CV) et la Família do Norte. Ces trois factions interviennent sur plusieurs Etats de la fédération. Quatre autres organisations également très puissantes concentrent leurs activités à l’in-térieur des Etats où elles sont nées : Amigo dos Amigos intervient dans l’Etat de Rio de Janeiro et a été fondé par des dissidents du Commando Vermelho. C’est le cas également de la faction dénommée Terceiro Commando Puro. Bala na Cara et Escritorio do Cri-me sont des organisations du Rio Grande do Sul. Les principales factions criminelles du pays ont renforcé leur capacité d’influence et atteint un niveau de sophistication organisationnelle très élevé au cours de la dernière décennie. Aujourd’hui, lorsqu’elles contrôlent un territoire, elles y détiennent l’exclusivité de toutes formes de commerce illicite (stupéfiants, armes, or et pierres précieuses). Elles décident de l’implantation et du maintien d’activités économiques et sociales licites (permis de construire, création d’associations ou de lieux de culte, ouverture de ma-gasins, etc..), assurent la vente du gaz de cuisine et gèrent l’accès au réseau électrique. Elles ont la main mise sur la connexion des populations à internet et à d’autres services. Elles construisent et vendent des biens immobiliers, font payer aux populations rési-dentes la "protection" qu’elles leur offrent. Elles arbitrent et jugent tous les contentieux et conflits au sein des communautés "protégées". Elles peuvent interdire l’entrée des agents publics (y compris des forces de sécurité) sur les bastions qu’elles dirigent. En bref, elles se substituent presque totalement à l’Etat à l’intérieur des fiefs qu’elles créent et domi-nent. Pour assurer toutes ces missions, elles mobilisent des milliers d’hommes de main, de salariés, de collaborateurs. Elles offrent souvent aux jeunes des périphéries des pos-sibilités d’ascension sociale inespérées. Territoires des communes contrôlées par le crime organisé en Amazonie (2023). Source : Fórum Brasileiro de Segurança Pública, Cartografias da violência na Amazônia, Nov. 2023. A l’exception du Comando Vermelho (créé en 1979), la plupart des factions criminelles brésiliennes sont nées après la dictature (1964-1985) Les premiers gouvernements dé-mocratiques avaient alors cherché à redéfinir et à moderniser la politique carcérale et les prisons mais n’y étaient pas parvenus faute de majorité politique favorable à de telles ré-formes. La condition pénitentiaire restait donc celle que les condamnés avaient connue pendant les années de pouvoir autoritaire : prisonniers placés régulièrement en confine-ment solitaire, violence exercée sur les incarcérés par un personnel pénitentiaire irré-préhensible et irresponsable. Dans ce contexte, les individus emprisonnés ont facilement rejoint les embryions de factions criminelles constituées à l’intérieur des prisons car ces factions se présentaient comme des organisations luttant pour l’amélioration des con-ditions de vie carcérale [4]. Les trois principales organisations citées plus haut ont d’abord été et restent des structures de protection des individus incarcérés. Ce sont aussi ces factions qui dominent aujourd’hui l’Amazonie. Pour ces raisons, la présentation du monde criminel brésilien se limitera à ces trois entités. Le Primeiro Comando da Capital (PCC). Le Primeiro Comando da Capital (PCC) a été créé en 1993 à Sao Paulo [5] et ses fonda-teurs se sont inspirés de l’organisation rivale plus ancienne, le Comando Vermelho. Dès sa création, le PCC s’est engagé dans une lutte sanglante pour devenir la première orga-nisation criminelle de l’Etat de São Paulo, puis du pays. De fait, aujourd’hui, elle est consi-dérée comme la plus importante et la mieux organisée du Brésil. Discret pendant ses premières années, le PCC fera la une des médias nationaux en 1999, lorsqu’il réalise le plus grand braquage de banque de l'histoire de São Paulo, dérobant 32 millions de dol-lars américains. Sa réputation se consolide encore au début des années 2000. Le gou-vernement de l’Etat de São Paulo transfère les dirigeants de la faction vers plusieurs établissements pénitentiaires éloignés pour tenter de casser des réseaux. La faction réplique en 2001 : elle organise des soulèvements et des émeutes dans 29 prisons où ses membres sont présents et puissants. La politique de dispersion des leaders du PCC engagée par les pouvoirs publics continue pourtant. Les leaders de la faction se retrouvent incarcérés loin de São Paulo. Ils profitent de l’opportunité pour renforcer leurs liens avec des groupes criminels locaux. Le réseau criminel s’étend ainsi hors de sa région d'origine. Au début des années 2000, le PCC scelle un pacte avec son principal rival, le Comando Vermelho. L’organisation développe alors une stratégie de communication et cherche à se présenter comme un Etat parallèle. Elle adopte le slogan "paix, justice et liberté" et  commence à prôner une révolution sociale et la remise en cause du système capitaliste. C’est désormais cette référence doctrinaire qui va orienter les actions de la faction. Le PCC commet des attentats contre des bâtiments publics, des lieux symboles du pouvoir politique et économique. Il multiplie les émeutes au sein des prisons et intervient aussi hors du système carcéral [6]. A la fin de la décennie, il est clair que l’ambition de l’orga-nisation est d’imposer son pouvoir à l’échelle nationale et de prendre le contrôle des acti-vités criminelles les plus rentables, notamment le commerce national et continental des stupéfiants.  Le PCC gagne à la fois en capacité d’influence, en puissance et en so-phistication sur le terrain de l’organisation des réseaux qu’il anime. Tous les experts du monde du crime estiment qu’au tournant du XXIe siècle la faction a négocié une trêve avec les autorités et les polices de l’Etat de São Paulo, une trêve dont elle aurait profité pour développer ses réseaux au sein de tous les établissements carcéraux du pays. Viennent ensuite les années 2010. Le PCC étend ses activités aux pays limitrophes du Brésil ( création de réseaux de trafic de stupéfiants et d’armes en Bolivie et au Paraguay, alliance avec des factions colombiennes). La trêve est encore l’occasion pour l’orga-nisation de s’octroyer les faveurs et la bienveillance d’élus municipaux et parlementaires "sensibles" au trafic d’influence. Cette offensive de corruption est menée dans l’Etat de São Paulo et au-delà. Elle passe par le financement de campagnes, le soutien de partis, une contribution significative à l’enrichissement personnel de leaders politiques sans scrupule. Des leaders qui deviennent des obligés de la faction. Progressivement, grâce aux nombreuses activités économiques qu’elle développe et à l’augmentation du nom-bre de ses membres, les revenus du PCC gonflent, ce qui renforce sa capacité d’in-fluence. A la fin des années 2010, le PCC est déjà l'organisation criminelle la plus puissante du Brésil et d'Amérique du Sud [7]. Mutinerie de prisonniers organisée par le PCC en 2010 dans l'Etat de  São Paulo. En décembre 2016, le pacte conclu quelques années plus tôt entre le PCC et le Coman-do Vermelho est rompu. Cette rupture déclenche une série d'émeutes dans les prisons pendant plusieurs mois, qui ont fait des centaines de morts. Pour les experts en criminalité, la fin de l’alliance et la flambée de violence qui suit sont liés à la compétition qui s’est engagée entre les deux factions. Chacune entend en effet contrôler les routes très lucratives de la drogue qui traversent la région amazonienne. Après 2016, le PCC va recruter des dissidents des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) démo-bilisées. Il sera également reconnu responsable d'une série de meurtres prétendument liés au conflit du trafic de drogue au Paraguay [8]. La multiplication d’affrontements violents induite par la rupture entre les deux grandes factions n’a pas cessé sur les années récentes. Le Primeiro Comando n’est pas disposé à stopper sa stratégie d'expan-sion nationale et internationale. Comment fonctionne aujourd’hui une organisation qui compterait environ 112 000 mem-bres actifs dans 22 des 27 Etats du Brésil ainsi que sur les pays voisins évoqués plus haut ? L'État de São Paulo reste son premier centre d’activités. La faction y compterait plusieurs dizaines de milliers de membres dont environ 8 000 incarcérés et présents dans 90 % des prisons locales. L’ensemble des activités conduites par le PCC peut être décrit sous deux angles d’approche. Le premier est politique. La tête de l’organisation exerce un pouvoir régulateur au sein d’un vaste système capillaire de groupes locaux qui se sont engagés à respecter et à faire respecter les statuts de la faction et le code de conduite qu’elle impose. Ces groupes doivent aussi collecter les cotisations que tout membre doit verser au PCC. L’état-major central réunit les représentants de directions locales qui sont toutes chargées d’animer et d’étendre un système de franchise. Après avoir longtemps privilégié le contrôle territorial et l’intégration de réseaux locaux concurrents (ce qui inclut la gestion d’une gestion verticale et hiérarchisée), le PCC a évolué vers un dispositif de partenariats avec des groupes locaux qui n’exige pas une subordination totale.  Les groupes franchisés sont des cellules de base qui acceptent et suivent le fameux code de conduite évoqué plus haut. Ce code définit "l’éthique" et le mode de relation que doivent appliquer et respecter tous ceux qui travaillent pour le PCC. Il prévoit ainsi que les membres et les franchisés doivent impérativement prêter as-sistance à leurs pairs emprisonnés, sous peine d’être condamnés à mort. Grâce à ce dis-positif, le PCC est devenu la principale institution d’aide aux personnes incarcérées et à leurs familles. A l’intérieur des établissements pénitentiaires, la capacité d’influence et l’autorité des dirigeants du PCC tiennent au fait que la majorité des prisonniers sont membres de la faction ou dépendent de son soutien. Le code de conduite de la faction prône encore "la loyauté, le respect et la solidarité" des membres et franchisés. Il affirme également que le PCC lutte pour "la liberté, la justice et la paix". Enfin, il continue à exiger de meilleures conditions de vie pour les personnes incarcérées. A l'extérieur du monde carcéral, l’organisation fonctionne comme une agence de régu-lation du marché criminel partout où elle s’impose comme contre-pouvoir effectif. Le PCC cherche à s’octroyer un monopole de fait de la violence en fixant les modalités de mise en œuvre des crimes, de la simple agression sur la voie publique aux homicides en passant par les vols, les escroqueries, les détournements de fonds. La faction impose sa discipline : les délinquants membres acceptent de ne pratiquer délits et crimes que sur ordre de la direction. Les opérations autorisées et en général planifiées visent princi-palement à éradiquer des groupes criminels concurrents qui occupent un territoire, fragilisent les entreprises du PCC ou empêchent leur développement. Elles visent aussi les institutions publiques officielles et leurs représentants. A l’intérieur des zones contrôlées par le PCC, la criminalité spontanée, la petite délinquance diminuent souvent. Le code de conduite conçu par l’organisation est appliqué lorsque ces normes en-cadrant la pratique du crime ne sont pas respectées : les contrevenants sont phy-siquement éliminés. Un certain ordre finit donc par s’imposer... Tous les membres des cellules de base versent des cotisations mensuelles (plus élevées par les personnes libres que pour celles qui sont incarcérées) qui contribuent au finan-cement de la faction. Ces recettes régulières et les revenus commerciaux permettent de rémunérer les avocats, d’alimenter le vaste dispositif de corruption et de trafic d’influence mis en place par le PCC afin de s’assurer du soutien et de la complicité des autorités pu-bliques (administration pénitentiaire, élus, services publics divers), d’acquérir de l’arme-ment et des produits stupéfiants. Les ressources principales viennent d'ailleurs. L’organisation criminelle est aussi une entreprise à finalité hautement lucrative. Les revenus économiques de la faction lui permettent d’assumer toutes ses missions et fonctions : rémunérations des collabora-teurs, assistance aux prisonniers et à leurs familles, organisation des crimes pratiqués, acquisition d’armes, trafic de drogues et autres produits illicites. La croissance du chiffre d’affaires généré par les activités économiques dépend de plusieurs variables : l’exten-sion du réseau de membres et franchisés que contrôle le PCC, la lucrativité et la diversification des activités clandestines développées, l’internationalisation des filières contrôlées Les revenus du PCC ont ainsi fortement augmenté lorsque la faction a com-mencé à nouer des partenariats hors du Brésil et à s’imposer comme principal four-nisseur de stupéfiants auprès de partenaires étrangers [9]. Sur le seul port de Santos, le volume de cocaïne exporté par le PCC serait de l’ordre de 15 tonnes par an, ce qui représentent 60% du total des volumes qui sortent du Brésil à destination de l’Europe [10]. Outre la vente en gros de cocaïne et de marijuana (qui représentent 2/3 du chiffre d’affaires aujourd’hui), l’autre grande source de profits du PCC est désormais le bra-quage régulier de banques sur de nombreuses localités au Brésil. Certains experts estiment son chiffre d’affaires à près d’un milliard de dollars/an (contre 1 million/an il y a trente ans, à la création). Dans l’Etat de São Paulo, deux secteurs sont privilégiés pour blanchir les recettes provenant d’activités illicites : la gestion d’entreprises de bus et la distribution de carburants [11]. Une large part des ressources de l’organisation est con-sacrée à l’investissement, c’est-à-dire au maintien et à l’amélioration d’un arsenal consé-quent (fusils d’assault, mitraillettes, pistolets, mais aussi désormais drones), de capacités de transport (véhicules blindés, avions, barges, etc..). De plus en plus souvent, ces "outils de travail" sont aussi dérobés dans les casernes des forces armées ou de la police… Armes utilisées par le PCC et récupérées par la police lors de l'arrestation d'un groupe de membres. Le Comando Vermelho (CV)[12]. Le CV est le plus ancien et le plus grand groupe criminel de l'État de Rio de Janeiro. Comme le PCC, il a commencé derrière les barreaux. Le groupe a été créé en 1979 dans une prison de haute sécurité de l’Etat de Rio de Janeiro. Aujourd’hui, présent sur la plu-part des établissements pénitentiaires de l’Etat, le CV opère principalement à partir de plusieurs grandes favelas de Rio de Janeiro, comme le complexe de l’Allemand dans le nord de la ville. Ses membres se sont installés dans les favelas de l'État après la chute de la dictature brésilienne en 1985, lorsque le pays a libéré de nombreux prisonniers déjà liés au CV. Depuis, outre ses activités sur Rio, la faction s’est développée en s’engageant dans le commerce international des stupéfiants, en important de la cocaïne de Colombie afin de l’exporter ensuite vers l'Europe et l'Afrique. Le groupe a été un temps affaibli par le programme de pacification mis en œuvre par la police à Rio de Janeiro dans les an-nées 2000. Une fois cette phase délicate passée, il a relancé ses activités non seulement à Rio de Janeiro mais aussi au Nord du pays, en Amazonie. Ses dirigeants pilotent l’ensemble des activités depuis les prisons où ils sont incarcérés. Les effectifs sur lesquels peut compter le CV sont sans doute inférieurs à ceux du PCC à l’échelle nationale (autour de 30 000 membres, dont une moitié sur l’Etat de Rio de Janeiro). Depuis le début du XXIe siècle, la faction a renforcé sa présence en Amazonie, notamment dans l’Etat d’Amazonas où elle s’est alliée avec le premier groupe criminel local, la Familia do Norte (FDN). L’alliance a fonctionné de 2015 à 2018. Pendant cette période, le Comando Vermelho est parvenu à intégrer dans ses rangs des leaders de la FDN. Il a misé dans la région sur la même stratégie que celle qui lui a réussi à Rio : con-trôler des territoires entiers et s’y substituer totalement aux autorités officielles. En 2020, la faction contrôlait ainsi 80% des quartiers de l’agglomération de Manaus, la capitale de l’Etat d’Amazonas, une mégapole de 2 millions d’habitants. Installé dans le nord du pays, le CV est parvenu à exercer une emprise croissante sur la vie sociale et l’activité économique de l’Etat d’Amazonas. Il s’est aussi implanté de plus en plus sur l’Etat voisin de l’Acre. Contrairement au PCC, le Comando Vermelho est une organisation très verticale et hiérarchisée dont l’objectif stratégique est de s’assurer le contrôle absolu et exclusif de territoires entiers. La Família do Norte (FDN). La FDN est la plus récente des trois organisations criminelles évoquées ici. Elle a été créée en 2007 par des habitants de  zones rurales de l’Etat d’Amazonas. Les fondateurs de la faction souhaitaient en priorité contrôler les affluents du fleuve Amazone. Très rapi-dement, dès 2015, les forces de sécurité et le Ministère Public vont découvrir que la Familia a mis en place des structures organisationnelles comparables à celles du PCC et du CV. Des enquêtes ont ainsi montré que la FDN avait construit un réseau au sein du système carcéral qui lui permettait d’avoir un contrôle absolu sur le fonctionnement de tous les établissements pénitentiaires de l’Etat d’Amazonas. En 2017, les Brésiliens ont brusquement pris connaissance de l’existence et des activités criminelles du groupe lorsqu’une série de massacres horribles commis dans les prisons de l’Etat a fait près de 100 morts parmi les détenus. La Familia et le CV (son allié de l’époque) avaient assassiné des dirigeants et membres du PCC connus pour tenter d’installer cette dernière orga-nisation sur l’Amazonie. Depuis 2015, la FDN a pour principal objectif de freiner et d’empêcher des avancées du PCC sur la région. Pour renforcer ses moyens de lutte contre l’organisation criminelle paulista, la Familia s’est associée avec le CV entre 2015 et 2018. Ensuite, des désaccords entre les fondateurs des deux factions ont abouti à la fin de l’alliance. Cette rupture, des fissures internes et la concurrence de groupes extérieurs ont érodé l'ancienne puissance de la FDN. Bien qu'elle soit moins importante qu'au-trefois, à son apogée, la FDN était probablement la deuxième plus grande organisation criminelle du Brésil, avec jusqu'à 13 000 membres. Désormais, c’est une faction affaiblie qui cherche à étendre et à consolider son contrôle des routes du trafic de drogue dans l'État d'Amazonas ; cependant, depuis février 2020, son bastion sur le territoire a été en grande partie repris par la CV. Autour de Manaus et dans l’immense territoire du grand Etat de l’Est, la guerre principale aujourd’hui oppose le PCC et le CV. Si elle s’intensifie dans l’avenir, la FDN sera probablement éliminée de la zone et disparaître. L’Amazonie se détache du Brésil légal. Dans leurs efforts pour prendre le contrôle du bassin amazonien, les factions criminelles rivales se sont insérées dans un système écologique complexe d'alliances changeantes, d’où la multiplication des confrontations violentes entre les groupes. L’Amazonie est la région du Brésil la plus violente, celle qui enregistre les taux d’homicides les plus élevés, des taux comparables à ceux d’un conflit armé classique. De plus en plus, sous la canopée de la plus grande forêt tropicale de la planète, des organisations criminelles puissantes construisent et défendent des frontières qui séparent la région du reste du Brésil. Même si elle s’inscrit encore officiellement sur le territoire brésilien, la forêt amazonienne est de plus en plus aux mains d’un l’Etat parallèle. Sa préservation est désormais impensable si la guerre contre cet Etat envahisseur n’est pas une priorité. Comment fonctionne l'économie clandestine sur le territoire en voie de colonisation ? Quelle est a responsabilité du crime dans la destruction de la forêt ? ¨Pourquoi l'Etat dit souverain n'a pas aujourd'hui les moyens de faire face ? Telles sont les questions que cette nouvelle série de posts va aborder. A suivre : l’économie de l'Amazonie colonisée. [1] La plus grande forêt tropicale de la planète (7 millions de km2) s’étend sur le territoire de neuf pays. Environ 60% de la surface couverte par ce biome se trouve au Brésil. La forêt amazonienne couvre 49% du territoire national. Au Brésil comme sur le territoire des pays voisins où le biome s’étend, l’Amazonie est devenue à la fois le foyer et le principal pôle de déploiement des activités criminelles en Amérique du Sud. [2] Au sens de l’Amazonie légale. L’Amazonie légale est une notion politico-administrative créée en 1953. Elle en-globe les territoires des Etats de l’Acre,  de l’Amapá, d’Amazonas, du Mato Grosso, du Pará, du Rondônia, du Roraima, du Tocantins et d’une partie du Maranhão (ouest du méridien de 44º). On y compte aujourd’hui 772 muni-cipalités. [3] Source pour ces données : Fórum Brasileiro de Segurança Pública, Cartografias da violência na Amazônia, Nov. 2023. Disponible sur le site : https://forumseguranca.org.br/wp-content/uploads/2023/11/cartografias-violencia-amazonia-ed2.pdf [4] En Juin 2023, le Brésil comptait 839 700 personnes incarcérées, ce qui représentait la troisième population car-cérale du monde. L’état des prisons au Brésil est catastrophique. Il y règne une violence extrême. Les taux d’occupation dépassent depuis des lustres les capacités effectives. La corruption y règne en maître. Le manque de services sanitaires adéquats est flagrant. C’est au cœur de cet univers dantesque que sont nés  les grands groupes criminels brésiliens. La plupart de leurs principaux dirigeants y sont incarcérés - même s'ils conservent un niveau de contrôle impressionnant sur les membres de la rue.  Face aux carences de l’administration pénitentiaire, le crime organisé impose sa loi au sein des établissements de rétention. Il est devenu cogestionnaire du système carcéral. Il y a donc conquis une grande liberté. Les leaders du crime organisé incarcérés peuvent commander les groupes d’hommes de main qui opèrent à l’extérieur des prisons. [5] Le PCC a été fondé le 31 août 1993 par huit détenus dans l'annexe de la maison de détention de Taubaté, une prison située à 130 kilomètres de la ville de São Paulo et est considérée comme la plus sûre de l'État. Au début, le PCC était connu sous le nom de "Parti du crime". Il affirmait vouloir lutter contre l'oppression au sein du système pénitentiaire de São Paulo et venger la mort des cent onze prisonniers tués le 2 octobre 1992 lors du "massacre de Carandiru". La police militaire avait alors tué 111 détenus dans le pavillon 9 de l'ancienne maison d'arrêt de São Paulo. [6] La direction du PCC a changé en novembre 2002. Cette direction est assumée par l'actuel chef de l'orga-nisation, Marcos Camacho, dit "Marcola". Quatre ans plus tard, en 2006, le PCC organise une rébellion à grande échelle pour protester contre le transfert de ses membres dans des établissements éloignés. Les membres incarcérés du gang prennent le contrôle de plus de 70 prisons à travers le pays et prennent des visiteurs en otages. Simultanément, le groupe mène des attaques coordonnées à l'extérieur des prisons, principalement à São Paulo. Ces attaques feront 150 morts, principalement parmi les forces de police. [7] Dans la seconde moitié de la décennie, le PCC a commencé à commettre des actes de plus en plus violents. Le groupe a été reconnu coupable d'une série de vols à main armée au Paraguay en 2015. Début 2016, une vidéo montrant la décapitation d'un adolescent a été mise en ligne sur Internet. Cette décapitation serait liée à une querelle entre le PCC et son ancien allié dans l’Etat du Santa Catarina, le Primeiro Grupo Catarinense, PGC). [8] En avril 2017, le gang aurait réalisé le plus grand vol à main armée de l'histoire du Paraguay. La société de sécurité espagnole Prosegur située à Ciudad del Este, à la triple frontière du Brésil, de l'Argentine et du Paraguay, a été attaquée par un groupe d'au moins 30 hommes munis d'armes à feu de gros calibre. Le modus operandi était similaire à celui de vols précédents commis par des hommes du PCC à Campinas, Ribeirão Preto et Santos en 2015 et 2016, le principal suspect désigné a été le PCC. [9] Selon la police fédérale brésilienne, le PCC entretient des liens commerciaux avec l'organisation et le groupe militant libanais Hezbollah, dans les domaines du trafic illégal de cigarettes, du trafic d'armes et du blanchiment des capitaux. La coopération entre les deux organisations se déroule principalement dans la région de la triple frontière entre le Brésil, le Paraguay et l'Argentine. Selon Europol et la police fédérale brésilienne, le PCC a aussi des liens avec la 'Ndrangheta, le syndicat criminel le plus riche et le plus puissant d'Occident. [10] Un vaste réseau de complicités sur le port permet de camoufler les produits dans tous les types de car-gaisons qui quittent le port de Santos (café, viandes et abats, biscuits, sucre). La faction peut mobiliser des plongeurs pour permettre l’embarquement discret des drogues à bord des navires afin de contourner les dispositifs de surveillance sur le port. [11] Sur les huit dernières années, le PCC a obtenu des contrats de concession de transport public sur 25 communes de l’Etat de Sao Paulo et pour une valeur totale de 315 millions de BRL. En 2023, sur la capitale de l’Etat, deux entreprises de transport public liées au PCC ont facturé ensemble plus de 800 millions de BRL. Selon le gouverneur de l’Etat, Tarcísio de Freitas, la faction exploiterait sur l’Etat de Sao Paulo 1100 postes de distribution de carburant. [12] L’histoire, le mode d’opération, la capacité d’influence et le pouvoir d’exploitation d’une économie souterraine qui sont celles des autres grandes organisations criminelles sont très semblables à ce qui a été évoqué à propos du PCC.

  • Lula 3 : Le président des rentiers.

    Les huit années des deux premiers mandats de Lula (2003-2010) ont été marquées par la forte croissance de l’économie globale (tirée par le miracle chinois notamment) et un boom prolongé des prix des commodités que le Brésil exporte. Le leader de la gauche avait aussi profité des réformes structurelles engagées sous les deux mandats de son prédécesseur, Fernando-Henrique Cardoso (1995-2002). Grâce à l’assainissement des finances publiques engagé avant 2002, à une croissance intérieure relativement forte à partir de 2003 (+4%/an en moyenne) et à l’augmentation des recettes d’exportation, Lula a pu alors conduire une politique sociale conforme aux objectifs annoncés [1] : lutte contre la pauvreté, amélioration des revenus du travail, accès plus large des familles défa-vorisées à la consommation. Sur la durée de ces deux mandats, on a assisté à une forte migration des catégories de la population les plus modestes vers une nouvelle classe moyenne qui se renforçait. La pauvreté a continué à reculer. Les facteurs qui ont con-tribué à cette dynamique d’ascension sociale et d’amélioration des conditions matérielles d’existence sont divers. Tous ne sont pas liés à la politique du gouvernement d’alors. Certes, on a assisté à l’essor de l’emploi peu ou pas qualifié dans l’économie formelle, à l’augmentation des bas salaires et à l’essor des transferts sociaux. Mais le début des années 2000 est aussi marqué par des phénomènes qui étaient apparus sur la décennie précédente et ont eu un impact positif sur les conditions de vie des pauvres et des moins pauvres au fil du temps :  la forte réduction de la natalité et l’entrée massive des femmes sur le marché du travail. On a alors présenté Lula au Brésil et à l'étranger comme le nouveau "père des pauvres".... Campagne de la présidentielle de 1989 : l'image d'un homme proche des pauvres déjà cultivée.... Le monde dans lequel gouverne Lula depuis 2023 est très différent de celui qu’il a connu hier. L’environnement économique et la conjoncture qui prévalent aujourd’hui au Brésil ne sont plus ceux du début des années 2000. Les marges de manœuvre budgétaires n’existent plus. Depuis le milieu des années 2010, le Brésil connaît un régime de crois-sance faible, des investissements productifs insuffisants. Après les efforts menés sur les années 2017-2019, ses dirigeants sont à nouveau incapables de maîtriser la progression de ses dépenses publiques. Les déficits induits sont financés essentiellement par capta-tion de l'épargne intérieure.. Le retour de l’Etat dépensier. La récession des années 2015-2016 puis la mise en œuvre d’un dispositif de plafonne-ment des dépenses sous la Présidence Temer (2016-2018) avaient conduit à une baisse rapide des taux d’intérêt. Ce dispositif de discipline limitant la progression des dépenses aura été très contraignant. Il a au moins permis de contenir une augmentation explosive de la dette publique. Après l'augmentation des dépenses liées à l'épidémie, il y a eu un effort de discipline précipitée qui a entraîné une désorganisation des dispositifs d’allo-cation d’urgence mis en place au début de la crise sanitaire et donc une aggravation de la pauvreté. Ensuite, le Brésil a été confronté à une dynamique d’inflation forte inattendue alors que les taux d’intérêts avaient atteint des niveaux très bas. En termes réels, le taux d’intérêt moyen sur les titres de la dette publique a été négatif entre mars 2021 et juin 2022. C’est un des éléments majeurs qui ont permis une diminution rapide de la dette publique par rapport au pic qu’elle avait atteint à la fin 2020 (86,9%) en pleine crise du Covid. Le troisième mandat de Lula a commencé avec une forte hausse des dépenses publi-ques fédérales. Celles-ci ont augmenté de 12,45 % en termes réels en 2023, dépassant la barre des 2 000 milliards de BRL, ce qui ne s'était produit qu'en 2020, année marquée par la forte expansion de dépenses extraordinaires liées à la pandémie de Covid-19. Au total, les dépenses publiques fédérales ont atteint 2 162 milliards de BRL en 2023, contre 1 923 milliards de BRL l'année précédente (chiffres corrigés de l'inflation). C’est le second niveau le plus élevé depuis 1997 [2]. Cela signifie que l’Etat central a dépensé l’équivalent de 19,6% du PIB, un record depuis la crise sanitaire et l’exercice budgétaire de 2020. Cette forte élévation des dépenses fédérales est liée principalement à l’augmentation autorisée par le Congrès après approbation d’un amendement constitutionnel (dit de transition) en fin 2022. Cet amendement a permis à l’exécutif de relever les dépenses pour un montant de 168,2 milliards de BRL. Une partie de ces crédits supplémentaires a été utilisée pour pérenniser un relèvement de l’allocation dite Bolsa Familia décidée par le gouvernement antérieur. Cette marge de manœuvre a également permis d’augmenter les dotations budgétaires destinées à la santé, à l’éducation, entre autres. Selon l’exécutif, la dynamique d’accroissement des crédits budgétaires a traduit la volonté exprimée par le candidat Lula pendant sa campagne de "faire plus de place aux pauvres dans le budget", en augmentant les investissements sociaux et les transferts en faveur des familles défavorisées…La forte progression des dépenses est aussi liée au paiement de créances détenues par des particuliers et des acteurs du secteur privé sur l’admi-nistration fédérale [3]. Enfin, elle résulte de la décision prise par le gouvernement Lula de compenser les pertes de recettes d’impôts indirects subies par les Etats fédérés en raison de la diminution du taux de ces impôts décidée sous l’Administration Bolsonaro. Ce retour de l’Etat fédéral prodigue est la concrétisation d’une politique qui confère un rôle central à la dépense et au déficit public. Pour Lula et une partie de son gouver-nement, des déficits élevés dus aux dépenses publiques ne constituent pas un pro-blème, bien au contraire. En dépensant toujours plus, l’Etat va stimuler l’investissement privé. Il crée un effet d’entraînement. Il amène les entreprises à anticiper une hausse de la demande intérieure. En réalité, depuis des années, l’expérience du Brésil montre que la croissance des dépenses publiques et le financement du déficit par l’endettement génère un effet d’éviction : en détournant du secteur privé la majeure partie de l’épargne privée pour financer des dépenses, l’Etat le prive de fonds pour financer des investis-sements, et augmente par ailleurs les coûts de financement pour les entreprises. Le taux d’épargne brésilien est faible. Dans ces conditions, le besoin d’emprunt chroniquement élevé du Trésor national, dû à la hausse des dépenses publiques favorise le maintien des taux d’intérêts à des niveaux élevés, voire leur ascension. Les épargnants brésiliens et les investisseurs institutionnels qui gèrent leurs patrimoines financiers peuvent obtenir un bon rapport risques/rendement en investissant dans les titres de la dette publique. Un exemple ? Aujourd’hui (mai 2024), le rendement réel (au-dessus de l’inflation) d’un placement financier prudent est de 6% par an. Cette réalité a encouragé historiquement les titulaires de ressources financières à adopter des compor-tements de rentiers, la majorité des fonds investis étant dirigés vers des titres de la dette publique. Le niveau élevé des taux d’intérêt a par ailleurs incité les entreprises à placer leurs excédents financiers sur le marché de la dette souveraine au lieu de les réinvestir dans leur activité. Lula et la gauche brésilienne n’ont pas compris qu’au Brésil, le besoin de financement historiquement élevé de l’État a davantage entraîné un effet d’éviction qu’un effet d’entraînement. Ils restent accrochés à des dogmes dirigistes. Ils maintien-nent l’économie brésilienne enfermée dans le cercle vicieux qu’elle connaît depuis des années  (dette publique élevée/taux d’intérêt élevés). Ils ignorent le cercle vertueux qui pourrait s’ouvrir avec une baisse  du ratio dette/PIB qui s’accompagnerait de la réduction durable des taux d’intérêts réels, favorisant ainsi une croissance soutenue. La politique d’accroissement des dépenses publiques (dont l’efficacité n’est jamais évaluée) favorise in fine les rentiers. Elle finit par se retourner rapidement contre ceux qu’elle devait avantager : les couches les plus modestes. Déficits non maîtrisés, dette publique en hausse. Ces réalités sont connues au sein même du gouvernement fédéral actuel. Le Ministre de l’économie lui-même sait parfaitement que les effets d’éviction des politiques de déficits publics l’emportent sur les effets d’entraînement. Le débat fait rage depuis janvier 2023 au sein de l’Administration fédérale entre ceux qui, comme Lula, croient à la magie de l’expansion des dépenses publiques et d’autres, plus pragmatiques, qui tiennent compte des faits et de l’expérience. Lula et son ministre de l'économie et des finances Fernando Haddad : l'idéologue et le pragmatique. L'augmentation des dépenses en 2023 a contribué à la détérioration des comptes du gouvernement central, qui a enregistré un déficit primaire de 230,5 milliards de BRL l'année dernière [4], soit l’équivalent de 2,44% du PIB. Pour l’ensemble du secteur public, ce déficit est estimé à 2,3% du PIB en 2023. Ce déficit primaire ne prend pas en compte les charges d’intérêt sur la dette publique. Elles ont atteint 720 milliards de BRL en 2023, soit l’équivalent de 6,62% du PIB, une somme qui correspond pour l’essentiel (6,22%) à la rémunération des investisseurs institutionnels brésiliens, une somme bien plus impor-tante que la dotation budgétaire  de 170 milliards de BRL affectée au programme social Bolsa Familia qui compte 21 millions de foyers bénéficiaires [5]. Le déficit total (dit no-minal) accumulé sur la période février 2023-février 2024 aura donc atteint 1,015 trillions de BRL, soit l’équivalent de 9,24% du PIB. Soldes nominaux des finances publiques en % du PIB. Source : Instituição Fiscal Independente (IFI), Senado Federal. Jusqu’en avril 2024, les partisans d’une bonne tenue des comptes publics au sein du gou-vernement sont parvenus à rassurer les marchés et les investisseurs en faisant adopter à la mi-2023 un nouveau mécanisme de discipline des dépenses. Ce cadre budgétaire autorise un accroissement en termes réels de 2,5% des dépenses, cette hausse étant par ailleurs limitée à 70% de celle des recettes. Le dispositif antérieur (appliqué de 2017 à 2022), dit de plafond des dépenses n’autorisait qu’une progression équivalente au rythme de l’inflation. Le nouveau dispositif associe donc la progression autorisée des dépenses à celle des recettes, lesquelles dépendent in fine du rythme de la croissance et de la pression fiscale (déjà très forte au Brésil). En début de cette année, les marchés ont commencé à douter de l’efficacité du nouveau cadre budgétaire quand ils ont perçu que les recettes fiscales annoncées n’avaient pas été obtenues. Les investisseurs ont ensuite compris que plusieurs postes de dépenses avaient progressé plus vite que ce qui avait été arrêté : les dépenses de retraites et pensions (indexées sur le salaire minimum qui a été relevé de 16,5% depuis le début de la Présidence Lula), celles de santé et d’édu-cation. La progression de ces postes limite les marges de manœuvre en matière d’investissements publics. Enfin, en début de cette année, l’exécutif a présenté un projet de budget pour 2025 qui paraît totalement irréaliste tant en ce qui concerne les dé-penses qu’en ce qui a trait aux recettes. Les marchés savent désormais (le fait est recon-nu par le Ministre de l’économie lui-même) que les promesses de réduction du déficit public et de respect de nouvelles règles de discipline budgétaires ne seront pas tenues en 2024 et probablement l’année suivante. Les forces politiques qui sont favorables à l’expansion des dépenses et au creusement des déficits ont fini par imposer leur orientation au sein du gouvernement. Les marchés craignaient en 2023 que le nouveau cadre budgétaire adopté alors ne soit qu’un trompe-l’œil. Ils savent désormais que leurs soupçons étaient bien fondés. Ils imaginent d’ailleurs que le gouvernement n’hésitera pas dorénavant à maquiller les comptes publics afin de cacher l’ampleur des déficits. Ils sont aussi résignés : aucune initiative majeure ne sera prise par Lula d’ici à 2026 pour freiner l’emballement des dépenses pu-bliques, notamment les dépenses obligatoires : réforme administrative [6], nouvel ajus-tement des systèmes de retraite notamment dans la fonction publique, fin de l’abono salarial (une prime aux travailleurs gagnant moins de 2 salaires minimum), changement des règles concernant la fixation des prestations sociales [7], entre autres. Les investis-seurs savent aussi que l’exécutif peut compter sur le soutien d’une majorité de parle-mentaires pour "flexibiliser" encore davantage le cadre budgétaire adopté en 2023 (en sortant du montant total des dépenses soumises à discipline des crédits que les uns et les autres jugent essentiels). Dans ces conditions, à moins que le PIB connaisse une croissance exceptionnelle dans les mois et années à venir, ou que le Trésor parvienne à collecter des recettes en forte progression (ce qui est très improbable), la dette publique continuera à augmenter. Elle représentait l’équivalent de 74,4% du PIB à la fin de l’an passé. Les analystes et institutions financières prévoient un nouveau déficit primaire du secteur public en 2024 (-0,7% du PIB) et en 2025 (-0,6% du PIB). La dette pourrait donc dépasser 80% du PIB en fin 2025. Dette publique brute en % du PIB. Source : Banque Centrale. Cette dynamique ne signifie pas nécessairement qu’une fois atteint un niveau d’endet-tement (difficile à définir) le pays connaîtra inéluctablement une crise financière. Néan-moins, si cette dérive des comptes publics n’est pas contenue et inversée, trois consé-quences sont envisageables à l’horizon des deux ou trois prochaines années. La pre-mière concerne la gestion des finances publiques désormais placées en situation de grande vulnérabilité. Une partie des titres de la dette publique porte des intérêts indexés sur le taux directeur de la Banque Centrale. Tout resserrement de la politique monétaire (introduit par exemple pour inverser des anticipations d’inflation) limite donc les marges de manœuvre budgétaire et renchérit le coût du financement/refinancement de la dette. La contrainte peut être levée en renonçant à une politique monétaire visant à la stabilité des prix, en pariant sur l’innocuité d’un surcroît d’inflation. C’est sans doute ce qu’envisage Lula à partir de 2025, lorsqu'il pourra dicter au nouveau gouverneur de la Banque Centrale (qu'il va nommer en fin d'année) la feuille de route à suivre.... La seconde conséquence est bien connue au Brésil. Depuis le début du troisième man-dat du Président Lula, les taux d’intérêt à long terme ont augmenté au Brésil. Entre dé-cembre 2023 et avril 2024, le taux à 10 ans a ainsi augmenté d’un point, passant de 10,36% à 11,35% (contre 4,37% sur les bons à 10 ans aux Etats-Unis). Depuis que le gouvernement fédéral a clairement abandonné les objectifs de solde primaire correspondant au nouveau cadre fiscal, ces taux à long terme ne cessent d’augmenter. Pour les prochaines années, et au moins jusqu’à la fin 2026, les analystes prévoient des taux d’intérêt réels qui resteront élevés, même en considérant la diminution du taux directeur de la Banque Centrale observée depuis août 2023, orientation qui devrait être poursuivie dans les prochains mois. En d’autres termes, le crédit sur des horizons éloignés restera très oné-reux. L’investissement productif du secteur privé sera sérieusement freiné. L’essor de la consommation également. L’économie brésilienne continuera à vivre selon un régime de croissance très modeste. Les prévisionnistes anticipent une expansion légèrement supérieure ou égale à 2% en 2024 et 2025. Le taux d'investissement au Brésil : un des plus bas des pays émergents (en % du PIB). Source : FMI. La troisième conséquence prévisible est plus problématique pour un gouvernement qui annonçait accorder la priorité aux pauvres et à la réduction des inégalités. Le paiement d'intérêts par l’Etat fédéral constitue un énorme transfert de ressources de  l'ensemble de la population (les contribuables) vers les investisseurs institutionnels et les couches sociales les plus riches, qui détiennent la majeure partie des investissements en titres de la dette publique. Le niveau des taux d’intérêt pratiqués sur le marché financier brésilien et la progression de l’encours de la dette publique jouent donc un rôle majeur dans le maintien d’une répartition inéquitable des revenus et des richesses. Les rentiers bien servis. La combinaison de marges de manœuvre budgétaires quasiment nulles, de taux d’intérêts élevés et d’une croissance faible va générer sur les prochaines années une dynamique de progression et de répartition des revenus radicalement différente de celle qui avait prévalu lors des deux premiers mandats de Lula. De nombreuses études publiées récemment soulignent cet étonnant paradoxe : le troisième mandat du leader de la gauche sera très favorable pour les Brésiliens les plus riches en termes de progression des revenus. C’est déjà ce qui a été constaté en 2023. Certes, au début de ce troisième mandat, les conditions de vie des familles des caté-gories défavorisées se sont améliorées avec la pérennisation de l’allocation Bolsa Familia à 600 BRL/mois, la forte revalorisation du salaire minimum et l’amélioration du marché de l’emploi. Néanmoins sur l’année, les revenus des couches les plus aisées progressent plus que ceux des couches les plus modestes. C’est ce que montre une étude réalisée par le bureau d’études Tendências, un des plus réputés de São Paulo. Les experts de Tendências identifient au sein de la population brésilienne quatre grandes catégories de revenus au sein de la population (voir graphique ci-dessous). Le haut de la pyramide est formé par l’ensemble des Brésiliens qui appartenaient fin 2023 à des ménages disposant d’un revenu supérieur à 24 400 BRL/mois (environ 4800 €). Ce groupe est désigné par Tendências comme formant la classe A. Il représentait en 2023 4% du total des ménages brésiliens et captaient 37,2% du total des revenus disponibles. Point essentiel : les revenus dégagés par cette minorité dépendant forte-ment (pour 74,8% en 2023) des placements et investissements réalisés sur les marchés financiers, de bénéfices commerciaux, de loyers, de fonds de pensions. Les revenus du travail ne représentent que 24,6% du total de la masse des revenus perçus et les transferts sociaux assurés par l’Etat fédéral comptent peu dans l’ensemble des res-sources dont dispose cette catégorie très privilégiée qui dispose d’une importante épargne. Ce sont in fine ces ménages de gros rentiers qui tirent avantage de taux d’intérêt élevés. L’endettement permanent d’un Etat qui capte essentiellement une épargne intérieure n’est possible qu’en garantissant aux investisseurs locaux un niveau de rentabilité attractif. Selon Tendências, le revenu moyen de cette catégorie de ménages devrait progresser de 3,9%/an entre 2024 et 2028. Cela signifie que cette classe A con-naîtra une progression de ses revenus de 16,5% pendant le troisième mandat de Lula et qu’en 2028, un foyer moyen aura un revenu supérieur de 25,8% à ce qu’il était en 2022. Le bureau d’étude définit une classe B formée par tous les 15,7% de ménages qui dispo-sent d’un revenu mensuel variant de 7800 à 24400 BRL en 2023. Cette classe moyenne haute captait alors 21,8% du total des revenus distribués. Pour l’essentiel (83,7%) ces revenus sont liés au travail. Près de 11% des revenus du groupe proviennent cependant d’investissements, de bénéfices commerciaux et de loyers. Les transferts sociaux contribuent à hauteur de 5,4%. La progression des revenus de ces ménages sera en moyenne de 3,5%/an entre 2024 et 2028. En d’autres termes, le ménage moyen devrait disposer à la fin du mandat actuel de Lula d’un revenu mensuel  supérieur de 14,75% à ce qu’il était fin 2022. La catégorie dite C réunissait en 2023 30,9% des ménages brésiliens qui disposaient ensemble de 18,9% du total des revenus distribués et gagnaient entre 3200 et 7800 BRL/mois en 2023. L’essentiel des revenus (89,7%) dépend ici du travail. La part des transferts sociaux est de 9,5%, celle des revenus d’investissements et de placement de 0,9%. Cette classe moyenne basse connaîtra une progression moyenne de ses revenus de 2,5%/an entre 2024 et 2028. A la fin du gouvernement Lula 3, le revenu d’un ménage de cette catégorie aura progressé de 10,38%. Répartitition du revenu national et des ménages en 2023 (%). Source : Tendências consultoria. Quel sera le sort des Brésiliens les plus modestes ? Les catégories D et E dans la classi-fication de Tendências désignent l’ensemble des ménages (49,4%, près de la moitié du total) qui disposent de 22,1% du total des revenus distribués. Le revenu mensuel était inférieur ou égal à 3200 BRL en 2023. Au sein de cet ensemble de familles, le travail est encore la principale source du revenu disponible (44,8%) mais les transferts sociaux (Bolsa Familia, minimum vieillesse, pensions) représentent en moyenne 53,3% des res-sources. Le gouvernement cherchera sans doute à maintenir le nombre des béné-ficiaires de programmes sociaux comme la Bolsa Familia [8]. Néanmoins, dans un con-texte de crise budgétaire, il est probable que le montant des prestations versées n’aug-mente qu’à un rythme très modéré. Cela signifie que la part des revenus du travail dans le revenu total des ménages les plus modestes va s’élever. Pour un grand nombre de ces ménages, l’évolution du revenu du travail dépend de celle du salaire minimum légal, dont le montant est fixé chaque année par les autorités fédérales. Sauf à abandonner toute discipline budgétaire, le gouvernement pourra difficilement pratiquer dans l’avenir des réajustements d’ampleurs comparables à celle qu’il a pratiquée en début de 2023. Par ailleurs, la dynamique de croissance faible anticipée pour l’économie ne permet pas d’envisager une progression importante des bas salaires. Dans ce contexte, Tendências prévoit une hausse moyenne du revenu de 1,5%/an pour ces classes D et E entre 2024 et 2028. Compte tenu du niveau des rémunérations obtenues, cela signifie que la possibilité pour les familles les plus pauvres d’accéder à la classe moyenne sera très limitée. En d’autres termes, si le scénario dessiné par Tendências se vérifie, la mobilité sociale au cours des prochaines années sera très limitée et n’aura pas du tout l’ampleur qu’elle a eu lors des premiers mandats de Lula. Les individus et les ménages de la classe C ne seront sans doute pas exposés à un risque de régression sociale massif mais ils ne connaîtront pas la dynamique d’ascension sociale qu’ont vécue les jeunes générations au début des années 2000. Les personnes et familles qui appartiennent aux classes D et E seront sans doute condamnées à végéter avec des revenus insuffisants. Pour les jeunes de ces catégories qui pouvaient imaginer prendre l’ascenseur social avec le retour de la gauche au pouvoir, la réalité sera une stagnation. Les revenus dont disposent ces populations dépendent désormais fortement de l’Etat et ce dernier ne dispose plus des moyens de contribuer à la hausse des transferts fournis. Préoccupations électorales. Rien n’indique que cette prospective soit démentie d’ici à la fin du mandat de Lula. C’est sans doute ce qui explique la perte récente de popularité du Président au sein des couches sociales les plus défavorisées de la population. C’est sans doute ce qui justifie les craintes des candidats de gauche dans la perspective des prochaines élections mu-nicipales (octobre 2024). Ceux-ci misaient encore à la fin 2023 sur une croissance si-gnificative et une amélioration du sort des familles situées au bas de la pyramide sociale. Dès lors, en se revendiquant d’un gouvernement central capable de telles prouesses, ils voyaient leurs chances électorales progresser. C’est au scénario opposé que l’on com-mence aujourd’hui (mai 2024) à assister. Si les projections d’instituts comme Tendências ne sont pas infirmées et que les Brésiliens très riches continuent à s’enrichir, le handicap de la gauche sera considérable à l’approche de l’élection présidentielle de 2026. L’op-position à Lula aura alors beau jeu de souligner que le leader de la gauche, en principe défenseur des plus modestes, a mené une politique économique qui a ignoré les pauvres et profité aux riches. Taux d'approbation de l'action de Lula (en %). Source : Genial/Quaest, Mai 2024. A Brasilia, Lula et ses conseillers anticipent déjà un tel cauchemar. Tout ce monde rivalise d’imagination depuis des mois pour tenter d’inverser la dynamique d’effritement de la popularité du Président et de son gouvernement. Les observateurs évoquent même une sorte de panique. C’est précisément cette panique qui représente un sérieux danger pour l’économie du pays et les couches les plus défavorisées. La tentation du populisme budgétaire et de l’assouplissement monétaire peut grandir si la côte du chef de l’Etat dans l’opinion continue à baisser et si les élections municipales d'octobre 2024 se tra-duisent par la défaite de candidats soutenus par le pouvoir central. L’exécutif pourra alors compter sur le soutien d’une majorité de parlementaires pour laisser filer les dépenses. Il pourra compter à partir de la fin de l’année 2024 sur une autorité monétaire plus conciliante. Avec la nomination du prochain gouverneur, le Conseil de Politique Monétaire (Copom) pourrait en effet être contraint de suivre des objectifs d’inflation moins rigoureux. Le Brésil sait par expérience que les politiques hétérodoxes finissent toujours par se retourner contre ceux qui sont supposés en être les bénéficiaires : les familles les plus pauvres. [1] Pendant ces huit années, grâce à la progression des recettes fiscales, l’Etat fédéral disposait alors de marges de manœuvre pour accroître les prestations versées dans le cadre du programme Bolsa Familia et relever le niveau du salaire minimum. Tous ces éléments ont favorisé les classes les plus modestes, celles que l’IBGE et les organismes d’étude de la situation sociale du pays désignent sous les termes de classes D et E. [2] Date à laquelle commence la série historique fournie par le Trésor National. [3] Même en excluant les paiements de ces créances du calcul, les dépenses auraient tout de même dépassé les 2 000 milliards de BRL l'année dernière, pour un total de 2 070 milliards de BRL. La croissance par rapport à l'année précédente aurait été de 7,6 % en termes réels. Le taux de crois-sance réel moyen des dépenses publiques totales sur les 26 années de la série historique du Trésor national a été de 5,21 %. La croissance en 2023 des dépenses totales en incluant les créances sur l’Etat fédéral (+12,45 %) et en les excluant (+7,6 %) est donc supérieure à la moyenne historique. [4] Le déficit primaire se produit lorsque les dépenses du gouvernement dépassent les recettes fiscales - les paiements d'intérêts sur la dette publique ne sont pas pris en compte dans ce cas. À l'inverse, lorsque les recettes sont supérieures aux dépenses, il y a excédent. [5] En réalité, le Trésor n’a pas eu à débourser la totalité de la somme de 720 milliards de BRL cor-respondante aux charges d’intérêt. Pour partie, il s’est refinancé en émettant de nouveaux titres de la dette. De nouvelles émissions ont également été réalisées pour financer le déficit primaire accu-mulé sur ces douze mois pour une valeur de 268 milliards de BRL [6] Cette réforme doit permettre de réduire les privilèges dont bénéficient plusieurs catégories de fonctionnaires de l’Etat fédéral : salaires très élevés, primes et promotions d’ancienneté automatique, congés de plusieurs mois/an rémunérés, garantie de l’emploi à vie, régime de retraite avantageux. [7] Les prestations de retraite du régime général et d'autres prestations sociales sont indexées à la variation du salaire minimum. [8] Entre décembre 2019 (avant le début de la pandémie) et décembre 2023, le total des familles recevant l’allocation du Bolsa Familia est passé de 13,2 à 21,1 millions (+60%). Le total des prestations versées est passé dans le même temps de 2,1 à 14,2 milliards de BRL. Aujourd’hui, la totalité des familles des classes D et E reçoivent cette allocation. C’est aussi le cas d’une partie des familles de la classe C. Au total, le programme touche 56 millions de Brésiliens, soit près de 27% de la popu-lation.

  • Le Brésil et la guerre Israël/Hamas (4).

    Une communauté juive menacée. Avec 120 000 personnes en 2022 (0,06% de la population totale), le Brésil abrite la seconde communauté juive d’Amérique latine, derrière celle d’Argentine et devant celle du Mexique. Cette population est localisée principalement sur les Etats de São Paulo (avec près de 71 000 membres, dont 60 000 dans la capitale) et de Rio de Janeiro (près de 31 000 membres, dont 22 000 dans la capitale)[1]. La diaspora juive brésilienne est is-sue de cinq vagues migratoires qui ont lieu pendant la période coloniale (1530-1822) et après l’indépendance. La première commence au 16e siècle et se prolonge jusqu’au dé-but du 19e siècle. Elle est liée à l’Inquisition. Des Nouveaux-Chrétiens (conversos) quit-tent le Portugal pour fuir les persécutions et rejoignent la colonie où il n’existe pas de tribunal permanent de l’Inquisition. La surveillance des conversos y est donc plus lâche. Un changement de patronyme permet de dissimuler facilement ses origines juives. La seconde vague d’immigration de la période coloniale intervient pendant la domination hollandaise d’une large partie du Nord-Est, entre 1630 et 1654. De nombreux Juifs sépha-rades réfugiés à Amsterdam participent à l’occupation. Pendant moins d’un quart de siècle, les Juifs peuvent pratiquer librement leur religion[2]..Les Hollandais chassés, de nombreux Juifs quittent le Brésil (certains partent alors en Amérique du Nord, à New York) quand d’autres retournent au crypto-judaïsme. Trois autres migrations majeures ont lieu après l’indépendance [3]. La première est celle de Juifs marocains qui fuient la misère et les discriminations. Ils sont attirés par l’essor économique spectaculaire que connaît la région amazonienne à partir de 1870 avec le boom de la production de caoutchouc. Plusieurs centaines de familles s’installeront à Bélem et à Manaus.  Entre la fin du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale, le Brésil connaît son immigration juive la plus importante. Le mouvement commence d’abord par l’installation de migrants d’origine russe sur des colonies agricoles dans l’Etat du Rio Grande do Sul entre 1904 et 1912. Ce sont ensuite des migrations urbaines qui se con-centrent entre 1920 et 1930, lorsque les États-Unis et l’Argentine imposent des quotas très rigoureux à l’entrée sur leur territoire. Les arrivants fuient l’antisémitisme, les persé-cutions et la pauvreté. Ils viennent alors de Roumanie, de Pologne, des pays baltes. A partir de 1930, ils arrivent également d’Allemagne. Le dernier mouvement migratoire si-gnificatif concerne l’après Seconde Guerre mondiale. Cette vague est d’abord composée de rescapés de la Shoah puis, après 1950, de Juifs d’Afrique du Nord ou du Proche-Orient confrontés à la montée du nationalisme et de l’antisémitisme arabe qui font le choix du Brésil plutôt que celui de l’Alyah vers Israël [4]. La synagogue Kehilat Israël, dans le quartier de Bom Retiro, São Paulo. Inaugurée en 1912 par des Juifs venus de Bessarabie, restaurée dans les années 1990. Aujourd'hui, mémorial de l'émigration juive. Cette grande diversité de parcours et d’origines se reflète dans la vie communautaire jusqu’à nos jours. Les Juifs qui débarquent et s’installent au Brésil après l’indépendance fondent des associations et des synagogues qui respectent les traditions de chaque groupe [5]. Cette communauté est aujourd’hui très intégrée à la société brésilienne. Dans une mégapole comme São Paulo, elle gère et anime 60 synagogues, des écoles, un centre culturel accessible à tous, des œuvres sociales intervenant auprès de tous les secteurs défavorisés de l’agglomération, un hôpital (Albert Einstein, considéré comme le meilleur de l’Amérique latine), des musées ouverts au public, un club de loisirs (de 20 000 membres). Pour des raisons liées à la vie religieuse et sociale, la majorité des familles juives résident dans des quartiers bien identifiés. Tous ces éléments confèrent à la communauté une grande visibilité [6]. De l’après Seconde Guerre mondiale aux an-nées 1990, cette intégration marquée n’exposait pas les institutions et les familles juives à des risques avérés. L’antisémitisme était essentiellement le fait de groupes racistes d’extrême-droite très minoritaires. Le contexte est très différent aujourd’hui. Depuis la fin du XXe siècle, les Juifs d’Amérique du Sud savent qu’ils peuvent être les cibles des groupes terroristes présents sur la région et qui agissent pour le compte de l’Iran. Les attentats et les meurtres perpétrés par ces groupes en Argentine entre 1992 et 1994 sont encore dans toutes les mémoires (voir plus loin). Après les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023, un anti-sémitisme de gauche décomplexé a envahi les réseaux sociaux, s’est souvent manifesté dans l’espace public, notamment au sein du monde universitaire. Il y a pire. Les déclarations du chef de l’Etat, de leaders politiques et de formateurs d’opinion proches du pouvoir ont clairement emprunté au vieux registre antisémite. Ces discours ont con-tribué à créer un "antijudaïsme d’atmosphère" que la société brésilienne ne connaissait plus depuis la fin de l’Inquisition (en 1821). Ces propos peuvent légitimer des projets d’actes criminels émanant de loups solitaires ou des opérations conçues et exécutées par des groupes islamistes organisés. Le constat ne relève pas d’une paranoïa déplacée. Des projets d’attentats ont déjà été déjoués à temps par les forces de sécurité. Le dis-positif de prévention du terrorisme reste cependant inadapté au niveau de risques au-quel est exposé désormais le Brésil et sa population juive. Il manque à la fois une volonté politique, des moyens, la capacité effective d’assurer la sécurité d’une communauté désormais sur ses gardes. Le centre culturel juif de São Paulo. Le bâtiment à la forme d'une Torah ouverte : symbole d'intégration à la ville. Antisémitisme inspiré d’en haut. De nombreuses plateformes numériques animées par des militants de l’ultra-gauche déversent depuis octobre 2023 un discours haineux et clairement antisémite supposé exprimer la sympathie et le soutien d’une intelligentsia dévoyée à la "cause palesti-nienne". Les autorités fédérales ne bronchent pas. Les haut-magistrats de la Cour su-prême (qui disent pourtant vouloir assainir les réseaux sociaux) ferment les yeux. Le gouvernement Lula et le Parti des Travailleurs approuvent. Ces derniers ont ainsi cons-tamment soutenu depuis des mois le travail systématique de propagande antisémite réalisé par le vieux militant de la gauche radicale Breno Altman. Le site que dirige ce sombre personnage, son compte X ou ses publications diverses fournissent une sorte de condensé de la "pensée" islamo-gauchiste brésilienne. Sur un post publié en octobre dernier, Altman a comparé les Juifs à des rats [7]. Sur un autre, il a exalté le terrorisme ("Toute la solidarité au Hamas ! ", lit-on). Quelques temps après, ce proche de Lula salue l’entrée en guerre du Hezbollah contre Israël depuis le Liban et l’augmentation espérée des "pertes sionistes". Il  envisage alors avec un enthousiasme délirant la perspective d’une escalade militaire et d’une extension du conflit impliquant outre les proxys de l’Iran, la Syrie d’El Assad, le régime des Mollahs, la Russie et même la Chine. Après une plainte déposée par la Confédération israélienne du Brésil (CONIB), un tribunal de l’Etat de São Paulo a ordonné la suppression de 11 publications ouvertement racistes d’Altman. La Présidente du Parti des Travailleurs s’est alors fendue d’un message de soutien à ce militant qui aurait été soumis à une censure injuste. Comme si cela ne suffisait pas, Altman a reçu plus tard l’appui du Conseil national des droits de l'homme (CNDH), une instance dépendante du Ministère Fédéral des droits de l’homme et do-minée depuis le retour de Lula au pouvoir par les représentants d’ONGs de la gauche radicale. La note publiée par le CNDH dénie toute justification à la plainte de la CONIB et constitue une véritable défense de l’antisémitisme qui envahit désormais les réseaux sociaux [8]. En janvier dernier, lors d’une interview accordée à une chaîne de TV d’extrême-gauche, José Genoino, un ancien Président du parti de Lula et un de ses plus fidèles alliés prône un nouveau boycott visant les juifs. Il déclare tranquillement qu'il trouve "intéressante" l'idée d'un boycott de "certaines entreprises juives" et "d'entreprises liées à l'État d'Israël". La déclaration de Genoino [9] n’était pas irréfléchie. L’intéressé ne s’est pas retracté et n’a jamais présenté des excuses. L’antisémitisme n’était plus ici camouflé sous le paravent de l’antisionisme : il s’agissait bien de concevoir un dispositif discriminatoire à l’égard des Juifs. Pour le vieux compagnon de Lula, les hommes d'affaires juifs devraient être punis, simplement parce qu'ils sont juifs et donc forcément responsables de tous les actes du gouvernement israélien. Cette déclaration a suscité la réprobation de larges secteurs de la société brésilienne. Cela n’a pas empêché des ministres du gouver-nement de venir réconforter leur camarade. Solidaire de Genoino, le titulaire du porte-feuille du travail lui a même rendu un hommage en soulignant qu’il aurait été victime d’une persécution alors qu’il n’avait fait que défendre la "juste cause du peuple pa-lestinien". Les ministres sont sans doute inspirés par le Président. Après le 7 octobre comme depuis des années, Lula n’a pas cessé de mettre le Hamas et l’Etat d’Israël agressé sur le même plan [10]. Cette année, le Président brésilien s’est surpassé. En février, invité à un sommet de l’Union africaine en Ethiopie, Lula a franchi une ligne rouge sans hésiter. Les propos tenus par le chef de l’Etat ont suscité le dégoût au Brésil et ailleurs dans le monde occidental. "Ce qui se passe dans la bande de Gaza avec le peuple palestinien n'a pas d'équivalent dans d'autres moments de l'histoire. En fait, cela a existé lorsque Hitler a décidé de tuer les Juifs. Il ne s'agit pas d'une guerre de soldats contre des soldats. C'est une guerre entre une armée hautement préparée et des femmes et des enfants". Lula apportait ainsi une contribution majeure à la banalisation de la Shoah. Il réitérait sa négation du droit d’Israël à l’autodéfense. Volens Nolens, il incitait à la haine des Juifs. Autant de propos désastreux salués par le Hamas, par les camarades de Caracas, de Bogota ou de La Paz. Autant de déclarations appréciées par les dictatures africaines, mais aussi à Ankara, à Téhéran ou à Moscou. Tel était d’ailleurs le but recherché. Il faut savoir plaire aux amis que l’on courtise….Qu’importe pour Lula qu’il ait été déclaré persona non grata par le gouvernement d’Israël. Une semaine après son retour d’Afrique, il confirmait les propos tenus en Ethiopie et ajoutait un autre commentaire : "Si ce qui se passe à Gaza n'est pas un génocide, je ne sais pas ce qu'est un génocide". Lula félicité par le Hezbollah, lors de son élection en novembre 2022. Lula ne sait pas ce qu’est un génocide ou feint de ne pas le savoir. Quoiqu’il en soit, l’ex-pression a été utilisée pour déformer la réalité, pour diffamer et blesser. Comme de nombreux leaders populistes de la gauche sud-américaine, jamais Lula ne s’est attardé depuis le 7 octobre à tenter de comprendre la réalité. Il n’a jamais mentionné le fait que pendant la riposte israélienne, Gaza a reçu régulièrement une aide humanitaire grâce aux centaines de camions qui peuvent pénétrer chaque semaine sur l’enclave mais dont la plupart sont confisqués par le Hamas. Il n’a cessé de dénoncer un génocide alors qu’il devrait savoir qu’il n’y a aucune preuve de comportement génocidaire de la part des forces israéliennes. Il n’a jamais reconnu que le véritable génocide a été commis par le Hamas lorsque ses bourreaux ont tué, brulé et violé des civils israéliens et kidnappé des centaines d’autres. Pour Lula, ces pogroms abominables n’auraient été qu’une "attaque". Les propos qu’il a tenus en Ethiopie rappellent les vociférations des mollahs iraniens qui n’ont jamais accepté l’existence d’Israël ou les termes de l’accusation formulée par l’Afrique du Sud contre l’Etat hébreu devant la Cour Internationale de Justice. Ils rap-pellent aussi les  anathèmes des dirigeants du Hamas cachés au Qatar. Dès qu’il est accusé d’antisémitisme, le Président brésilien s’accroche à un argument usé, soulignant qu’il s’attaque à la politique israélienne et non pas au peuple juif. Plusieurs collectivités territoriales brésiliennes ont pourtant souscrit à la définition de l'IHRA de l’antisémitisme qui comporte «le fait de nier au peuple juif son droit à l'auto-détermination», assimilant les propos antisionistes à l'antisémitisme. Il suffirait que le Président s’informe sur ces ini-tiatives locales pour comprendre que son excuse n’est pas un argument recevable. Lula devrait encore savoir que lorsque l’antisémitisme émane de dirigeants politiques, lorsqu’ils refusent à Israël le droit à l’auto-défense, rejettent la responsabilité d’un géno-cide sur ses victimes plutôt que sur les auteurs, leurs déclarations publiques légitiment chez les nombreux propagateurs de haine un possible passage à l’acte. Une amitié déjà ancienne : 2006 avec Mahmoud Ahmadinejad ; 2023 avec Ebraihim Rasi. Toutes les déclarations de Lula à la suite des massacres du 7 octobre ont été suivies par une augmentation spectaculaire des accusations d’antisémitisme. Ces accusations re-cueillies par les organisations juives nationales [11] se sont intensifiées après le discours prononcé en Ethiopie et comparant la riposte israélienne aux massacres du Hamas à la Shoah. Les actes antisémites (extrêmement rares au Brésil depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale) se sont multipliés depuis six mois. En février, dans une station balnéaire de l’Etat de Bahia, une commerçante juive a été  insultée et frappée par une touriste de passage [12]. Les manifestations d’antisémitisme sont devenues légion sur les réseaux sociaux. Ces manifestations prennent encore la forme d’agressions verbales et physiques contre des étudiants juifs à l’université, contre des élèves de collèges et lycées. A São Paulo, en mars, un élève juif d’un des plus prestigieux établissements d’en-seignement secondaire privé de la ville a été harcelé et insulté pendant plusieurs semaines par ses collègues. Le refuge sud-américain des terroristes islamistes. Le 11 avril dernier, la Justice fédérale argentine a désigné le Hezbollah comme auteur de l'attentat contre l'ambassade d'Israël en 1992 et l’Association Mutuelle Israélite Argentine (AMIA) en 1994. Après plus de trente ans d’enquête, un coupable est désigné. Les juges argentins ont estimé que les deux attaques criminelles avaient été commanditées par l’Iran. La décision de la Chambre fédérale de cassation pénale désigne également le mouvement chiite Hezbollah comme auteur de l'attentat, déclare l'Iran "Etat terroriste" et qualifie l'attentat contre l'AMIA de "crime contre l'humanité".. L’attentat contre l’ambas-sade d’Israël avait fait 29 morts en 1992. Le second, le pire de l’histoire du pays, avait fait 85 morts. Les magistrats de Buenos Aires ont aussi établi que ces crimes avaient été commis en réponse à la décision du gouvernement argentin de l’époque (dirigé par le président péroniste Carlos Menem) d’annuler trois contrats de fourniture de matériel et de technologie nucléaires conclus avec l’Iran. Ils ont aussi précisé qu’à cette motivation s’ajoutaient d’autres considérations (volonté d’affaiblir les liens entre Jérusalem et Buenos Aires, antisémitisme). Cette décision de la Justice argentine ouvre la possibilité d’une plainte auprès de la Cour pénale internationale. Depuis 1994, les enquêteurs argentins avaient accumulé les preuves qui montrent que l’attentat perpétré contre l’AMIA avait été préparé et orchestré depuis le Brésil par des membres du Hezbollah installés dans la région de Foz de Iguaçu. Deux crimes commis par le Hezbollah à Buenos Aires : la destruction de l'ambassade d'Israël en 1992 (à gauche) et celle de l'association culturelle juive AMIA en 1994. Deux attentats qui ont tué au total 114 civils. Le Brésil est considéré comme un véritable refuge pour les terroristes islamistes depuis plus d’une décennie. En décembre 2013, une enquête journalistique avait révélé la pré-sence dans le pays de membres du Hezbollah et de six autres organisations terroristes islamistes (Al-Qaïda, Bataillon des médias du Jihad, Hamas, Jihad islamique, Al-Gama'a Al-Islamiyya et groupe islamique combattant marocain[13]). Trois ans plus tard, à la veille des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro, sous la pression de gouvernements étrangers, la Police Fédérale  arrêtait un groupe de 10 djihadistes de l’Etat Islamique qui prépa-raient des attentats similaires à ceux des Jeux de Munich en 1972. En décembre 2021, trois ressortissants étrangers vivant au Brésil étaient ajoutés à la liste des sanctions du Trésor américain. Ils étaient accusés d’avoir contribué au financement d'Al-Qaïda et d’avoir maintenu des contacts sur longue période avec des leaders de l’organisation islamiste. Le 8 novembre 2023, un mois après les massacres perpétrés par le Hamas en Israël, la Police Fédérale déclenchait une vaste opération destinée à mettre sous les verrous des agents du Hezbollah accusés de préparer des attentats contre des synagogues et des centres culturels juifs au Brésil. Selon les enquêteurs, l’opération de police visait aussi à collecter les preuves d’un recrutement de Brésiliens par l’organisation terroriste afin qu’ils commettent des attentats dans le pays ou ailleurs. Quelques mois auparavant, la Police Fédérale avait effectué une série de perquisitions et de saisies en lien avec le possible recrutement d'adolescents par le groupe État islamique. Ces investigations avaient permis de montrer que l’organisation terroriste avait pu s’implanter au Brésil grâce au soutien du Comando Vermelho (CV), un réseau criminel local qui opère principalement sur les zones de frontières et dans l'État de Rio de Janeiro. Depuis des années, plusieurs cartels du crime collaborent avec des mouvements terroristes islamistes au Brésil. Un pays vulnérable. La possibilité d'attaques perpétrés par ces mouvements sur le sol brésilien, est désor-mais réelle. Face à ce risque, l’Etat et la société brésilienne sont extrêmement vul-nérables. D’abord en raison des énormes faiblesses des services de renseignement nationaux. Ensuite parce que le Brésil est très attractif pour des groupes organisés et disposant de ressources financières qui cherchent à  recruter et à motiver des hommes de main prêts à commettre des attentats. La population qui peut être enrôlée est consi-dérable. Le pays compte des millions de jeunes désœuvrés, marginalisés et survivant dans la misère. Des jeunes en mal de reconnaissance, en quête de pouvoir sur leurs vies. Souvent, pour tenter d’échapper à leur sort,  ils rejoignent les réseaux déjà très puis-sants des groupes criminels armés qui s’imposent de plus en plus face à un Etat dé-passé. Intégrés à ces factions, ils peuvent dominer des quartiers, des banlieues entières, des secteurs d’activité. Les organisations terroristes islamistes offrent aussi recon-naissance et pouvoir aux petites mains du crime organisé. Elles proposent même plus. Un endoctrinement efficace persuade ces jeunes qu’ils se battent pour un idéal, qu’ils sont devenus les acteurs d’un combat forcément juste et qui justifie tout. Depuis plusieurs années, c’est cette "nouvelle vie" que les recruteurs islamistes vendent aux jeunes brésiliens attirés sur des groupes de discussion ouverts le plus souvent sur le Deep web [14]. Pour freiner et empêcher le développement des activités de groupes terroristes au ni-veau national, il faudrait que les services d’intelligence et les forces de sécurité bré-siliennes disposent d’un programme de prévention et de lutte leur permettant de contrôler plus efficacement les activités illicites et dangereuses qui se prospèrent sur les réseaux sociaux. Cela suppose des investissements plus importants dans le domaine de la sécurité publique afin de pouvoir utiliser les technologies de pointe que mettent en œuvre les pays qui sont des exemples dans le domaine de la cybersurveillance. Le Brésil dispose depuis 2016 d’une législation de combat du terrorisme. Le texte a constitué une avancée par rapport au vide antérieur. Il est cependant très insuffisant par rapport aux menaces actuelles et à la capacité d’influence atteinte par les réseaux isla-mistes en l’Amérique du Sud. L’Argentine et le Paraguay considèrent aujourd’hui le Hezbollah ou le Hamas comme des organisations terroristes. Ce n’est pas le cas du Brésil qui n’a pas établi sa propre liste des mouvements à combattre. En la matière, Brasilia se contente de respecter les décisions du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Parmi les organisations nées au Proche-Orient, le dit Conseil ne définit comme terroriste que l’Etat Islamique et Al-Qaeda. Tant qu’ils sont soutenus par la Russie et la Chine (qui disposent d’un pouvoir de veto au Conseil), le Hamas et le Hezbollah sont sûrs d’être épargnés. Dans ces conditions, le Brésil ne peut pas surveiller efficacement les activités sur son territoire de réseaux qui ont pourtant montré depuis longtemps qu’ils n’assu-raient pas d’activités caritatives… A cela, il faut ajouter les nombreuses carences de la législation nationale en vigueur. Selon la  loi de 2016, les actes violents et illégaux commis par un individu ou un groupe ne sont considérés comme terroristes que s’ils sont commis pour des raisons de xéno-phobie, de discrimination raciale et religieuse. Autrement dit, lorsque les mobiles avancés sont politiques ou sont présentés comme tels, des groupes ou des individus peuvent tranquillement concevoir et préparer des opérations visant à susciter un climat de terreur au sein de la population ou  à affaiblir un gouvernement. La seule exigence est la discrétion… Ajoutons encore qu’au nom de la défense de la liberté d’expression, cette législation n’a pas inclus dans la définition du terrorisme les cyberattaques qui peuvent porter atteinte à la sécurité nationale, fragiliser ou détruire des agents éco-nomiques et toutes sortes d’organisations de la société civile. Une faiblesse qui a permis aux réseaux islamiques de faire fonctionner à plein leurs usines à trolls sur les réseaux sociaux au Brésil dès le lendemain du 7 octobre. Le siège de l'Agência Brasileira de Inteligência à Brasilia : dans les faits un système d'intelligence inefficace. Autre problème majeur : le Système Brésilien d’Intelligence (SISBIN) est un conglomérat de plusieurs dizaines de services publics coordonnés en principe par une agence fédéra-le, l’ABIN (Agência Brasileira de Inteligência). Dans les faits, la coordination est défaillante. Pourtant, en matière de prévention du terrorisme,  l'efficacité du système d’intelligence dépend à la fois de la qualité des informations produites par tous les ac-teurs qui le constituent et de la capacité de l'organe central (l’ABIN) à les traiter. Il ne sert à rien d’accroître le nombre de services qui sont censés informer l’ABIN (comme l’a décidé le gouvernement Lula en septembre 2023). Cette extension renforce le caractère bureaucratique du système, augmentant ainsi la probabilité d'erreurs d'évaluation, la production d'informations obsolètes (qui n'ont plus de raison d'être) ou tout simplement les fuites d’informations. La question de l’intégration et de la coopération au sein du SISBIN est capitale. Pour que cette question soit traitée, il faut que les services con-cernés disposent de personnels qualifiés en nombre suffisant, qu’au niveau local et central la crédibilité des opérateurs soit garantie. A cette fin, l’ensemble du dispositif doit être protégé des interférences extérieures, notamment celles du pouvoir exécutif en place. Tel n’est pas le cas. Depuis sa création en 1999, à plusieurs reprises, l’ABIN a été accusée de servir de cabinet noir au service du chef de l’Etat en fonction… Le scénario vénézuélien. En résumé, pour toutes ces raisons, le Brésil de 2024 est bien mal armé pour affronter la menace du terrorisme. Ce n’est pas un hasard si la Police Fédérale a du attendre des informations fournies par le Mossad israélien pour arrêter en novembre dernier les ter-roristes qui envisageaient de s’attaquer à des synagogues et autres bâtiments juifs…Le pays ne dispose pas des moyens de limiter et d’interdire l’activité de groupes dangereux sur son territoire. Demain, il ne pourra pas prévenir des projets d’attaques conçus par des organisations islamistes que le gouvernement fédéral actuel traite comme des alliés. Ce dernier encourage par ailleurs un antisémitisme décomplexé qui s’exprime sur la toile, au sein des universités, de l’intelligentsia de gauche et de médias dits "progres-sistes". La multiplication d’actes antisémites observés depuis octobre 2023 a suscité des réactions appropriées de la part des gouverneurs de plusieurs Etats. L’administration Lula n’a pas bougé. Si ce scénario délétère devait perdurer, les Juifs brésiliens auraient de plus en plus de mal à entrevoir un avenir pour leurs enfants dans le pays où leurs ancêtres avaient trouvé un refuge. Ces jeunes partiront. Les générations plus avancées choisiront aussi l’exode si des groupes islamo-gauchistes manipulés passent de la péroraison antisémite à des actes portant atteinte aux personnes et aux biens. Le Brésil connaîtra alors un exode comparable à celui qu’à connu le Venezuela depuis quarante ans. La communauté juive de Caracas et Maracaibo comptait 45 000 membres en 1970. Elle rassemble moins de 5000 personnes aujourd’hui. Les Juifs ont fui le régime chaviste parce qu’il a détruit l’économie nationale et l’Etat de droit, aggravé la pauvreté et exacerbé l’insécurité et la violence. Ils ont aussi quitté le Venezuela parce que l’anti-sémitisme est devenu depuis 1998 un des volets de la propagande d’un régime par ailleurs relais principal de l’Iran en Amérique du Sud. Les Juifs vénézuéliens ont fait leur Alyah ou ont choisi de s’installer en Floride. Si les responsables publics brésiliens veulent éviter que demain la communauté juive locale s’affaiblisse ou disparaisse, c’est main-tenant qu’ils doivent agir. Fin de la série de posts. [1]La ville de São Paulo est devenue le principal lieu d’installation des juifs au Brésil au cours des années 1950-1960, quand le développement économique de celle-ci a généré une forte attractivité pour l’ensemble de la population brésilienne. Deux autres communautés importantes vivent dans le Sud du pays. Porto Alegre (capitale du Rio Grande do Sul) compte près de 7000 membres). Dans le Paraná, la communauté regroupe environ 4000 personnes, la majorité résidant à Curitiba. La région Nord du pays abrite plusieurs communautés plus modestes mais plus anciennes, notamment à Belém (environ 1300 personnes), Recife (1300) et Manaus (1200). [2] A Recife, la principale ville du Brésil néerlandais, les Juifs créent la première synagogue du con-tinent américain (Kahal Kadur Zur Israel) en 1645. [3] Lors de trois vagues, les Juifs s’installent au Brésil pour y rester. S’ils ont fui la pauvreté, leur immi-gration a aussi des motifs politiques liés à l’antisémitisme (pogroms russes, nazisme, expulsions des pays arabes). [4] Les Juifs orientaux arrivent d’Egypte, d’Irak, de Syrie et du Liban principalement. [5] La capitale de l’Etat de São Paulo abrite aujourd’hui une communauté d’environ 60 000 person-nes. En arrivant, leurs ancêtres ont formé les noyaux de multiples kehillot (communautés), témoi-gnant de la diversité et de la richesse de la diaspora juive de la ville. On trouve aujourd’hui sur la ville 60 synagogues fondées par des Bessarabiens, des Polonais, des Allemands, des Grecs ou des Egyptiens. Les Juifs de São Paulo pratiquants sont dans leur majorité des Juifs libéraux. Il existe ce-pendant des communautés de toutes sensibilités. [6] La population de Juifs brésiliens appartient pour 70% aux classes moyennes et aux classes aisées. Elle atteint en général un niveau de scolarisation supérieure à celui de la population brési-lienne en général (68% des adultes de la communauté disposaient d’un diplôme universitaire en 2010, contre 27% pour la moyenne de la population). Elle travaille principalement dans les secteurs du commerce, de la médecine, du droit, de la création artistique et des métiers de l’ingénieur. Un grand nombre d’actifs sont propriétaires de leurs entreprises et travailleurs indépendants. [7] Le texte exact du message posté quelques jours après le 7 octobre était le suivant : "Nous n'aimons peut-être pas le Hamas, mais [...] en ce moment, la couleur des chats importe peu, tant qu'ils chassent les rats". [8] La note répète les pires platitudes sur la guerre d'Israël contre le Hamas. Elle ne fait évidem-ment aucune référence aux massacres du 7 octobre et laisse entendre qu’Altman est un sympa-thisant de la "cause palestinienne", qu’il interviendrait comme un journaliste injustement censuré alors que l’on a affaire à un  activiste extrémiste, radical et antisémite qui doit répondre devant la jus-tice des conséquences de l'usage abusif de sa liberté d'expression. [9] Il commentait alors le projet formulé par des militants propalestiniens d'arrêter les achats sur les sites de l’enseigne Magazine Luiza (équipements de la maison) parce que la propriétaire avait soutenu quelques jours plus tôt une pétition demandant à Lula de cesser de soutenir l'action de l'Afrique du Sud contre Israël pour génocide devant la Cour de Justice Internationale de La Haye. [10] Trente-sept jours après le pogrom perpétré par le Hamas en Israël, le 14 novembre 2023,  lors d'une cérémonie officielle à Brasilia, Lula a déclaré : "Après l'acte de terrorisme provoqué par le Hamas, les conséquences, la riposte de l'État d'Israël, sont aussi graves que celles du Hamas. Ils tuent des innocents sans aucun critère. Israël largue des bombes là où il y a des enfants, des hôpitaux, sous prétexte qu'un terroriste s'y trouve". En 2014, lorsqu’Israël avait réagi contre une nième attaque du Hamas, Lula avait déjà accusé Israël de génocide et de crimes de guerre et reçu le soutien de nombreux présidents latino-américains de gauche, du Nicaragua au Venezuela, en passant par Cuba. [11] Sur les deux premiers mois de l’année, la Fédération Israélite de l’Etat de São Paulo a enregistré 602 dénonciations de cas d’antisémitisme, soit le tiers des plaintes recueillies sur l’ensemble de l’année 2023. [12] La forte répercussion de cette agression raciste contraint le Ministre des Droits de l’homme à publier un communiqué étrange dénonçant à la fois l’antisémitisme et l’islamophobie….Rien dans les faits ne dénote des préjugés antimusulmans…. La note commence d’ailleurs par une "condamnation absolue et nécessaire du massacre contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza, perpétré par le gouvernement israélien". Le Ministre apporte ainsi une caution à l’agression de cette touriste enragée accusant la commerçante d’être une sioniste tueuse de bébés avant de dégrader son magasin. [13] Voir le site internet : https://thebrazilbusiness.com/article/terrorism-in-brazil [14] Ce terme désigne les informations auxquelles on ne peut accéder directement via un moteur de recherche ou en saisissant une URL (bases de données d’entreprises, d’universités et d’autres institutions et organisations consultables seulement au moyen d’un identifiant, comptes bancaires,  paniers d’achats, comptes d’utilisateurs de services et de ventes en ligne....).

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